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Convaincant

Le phénomène des OVNI moderne remonte lui aussi à l’année 1947, lorsque le pilote Kenneth Arnold a rapporté avoir vu neuf objets volants près du mont Rainier, dans l’État de Washington. Craignant d’avoir surpris l’utilisation d’une arme étrangère, Arnold a fait part de ce qu’il avait vu à un journal local. Il a décrit le mouvement de l’OVNI comme « celui d’une soucoupe qu’on jetterait dans l’eau », mais ses propos ont été déformés. Plusieurs titres à sensation (« Une soucoupe volante supersonique aperçue par un pilote de l’Idaho ! ») ont fait la une des journaux de tout le pays.

16 Oct 1957, Alamogordo, New Mexico, USA --- A UFO variety was photographed when it hovered for fifteen minutes near Holloman Air Development Center in New Mexico. The object was photographed by a government employee and was released by the Aerial Phenomena Research Organization after careful study. There is no conventional explanation for the object. --- Image by © Bettmann/CORBIS

Cette photo serait celle d’un scientifique de la base militaire d’Holloman, en octobre 1957
Crédits : DR

« Dans leur hâte de publier l’histoire, les reporters ont mal compris. Leur méprise a donné naissance à une nouvelle réalité », explique le sociologue Robert Bartholomew, qui a beaucoup écrit sur la signification sociologique des observations d’OVNI à travers l’histoire. Il a remarqué que les témoignages s’étaient multipliés après cet incident. D’après lui, « les termes “disque volant” et “soucoupe volante” sont nés à ce moment-là ». Et les observations d’OVNI se sont rapidement enracinées dans la culture populaire. En réponse, le gouvernement américain, l’armée de l’air et la CIA ont commencé à enquêter sur les témoignages. Avec une poignée d’universitaires, ils se sont penchés sur le phénomène pour tenter d’expliquer cet engouement marginal. D’après Bartholomew, les premiers convaincus de l’existence d’extraterrestres venus nous visiter étaient souvent vus comme des fous, et leurs expériences comme le produit d’une pathologie individuelle ou collective. « Les scientifiques disent que cela n’existe pas, ou du moins qu’il n’y a pas de preuve concluante de leur existence. Mais tous ces gens continuent à voir des choses », dit-il. En dépit du scepticisme qui plane sur la validité des observations et des expériences, on ne peut nier la constance et le nombre considérable des témoignages.

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Très convaincants ces petits hommes verts
Crédits : Gabriela Campos

Les nombreux sondages réalisés depuis les années 1950 à nos jours montrent que le fait de croire aux OVNI n’est peut-être pas la norme, mais que cela n’a rien de marginal. Ces sondages montrent avec une étonnante constance qu’environ un Américain sur trois croit que des extraterrestres sont déjà venus nous visiter et qu’il y a eu des témoins. En 2013, un sondage du Huffington Post et de YouGov a révélé que près de la moitié des Américains sont convaincus que des OVNI ont déjà visité la planète Terre au cours de l’histoire. « Depuis l’époque où l’on croyait aux fées, ce qui n’est plus d’actualité aujourd’hui, nous n’avions jamais eu de symbole aussi puissant et plausible », dit Bartholomew. Il explique que malgré le fait qu’aucun artefact extraterrestre n’a jamais été officiellement présenté au public, ni la moindre preuve incontestable de leur existence, les OVNI restent une possibilité convaincante pour beaucoup de gens.

Seuls ?

Ces dernières années, la validation empirique et scientifique des OVNI est moins importante que ce que les observations, les expériences et la représentation des extraterrestres et des OVNI disent de la façon dont nous nous percevons nous-mêmes, ainsi que notre monde.

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Autographe
Crédits : Gabriela Campos

Selon Diwan, les extraterrestres sont « des miroirs déformants de nous-mêmes. Dans la pop culture, ils sont soit des sauveurs, soit des destructeurs. La façon dont se comportent les aliens fait écho a des problématiques très terrestres. Le phénomène ufologique est né du contexte politique et de la paranoïa de la guerre froide », ajoute-t-il. « Les Américains n’avaient que le communisme et l’apocalypse nucléaire en tête. Des peurs qui se manifestaient dans le ciel au-dessus d’eux. » Bartholomew le rejoint. « C’était un produit de la “Peur rouge », dit-il. « Cela arrivait à une époque où les Américains avaient terriblement peur d’assister à une progression rapide et globale du communisme. Sans parler de la menace représentée par la guerre nucléaire et les armes secrètes. » Les observations d’OVNI proliféraient autour des bases militaires, des laboratoires d’armement et des sites de test. C’est peut-être au Nouveau-Mexique que cette corrélation entre observations d’OVNI et sites militaires et nucléaires est la plus évidente. De nombreuses affaires s’y déroulent qui dépassent de loin le seul incident de Roswell. « Le fait que le Nouveau-Mexique soit systématiquement associé au phénomène des OVNI est inextricablement lié à Roswell, mais aussi à Los Alamos, au centre de lancement de White Sands, à l’Holloman Air Force Base et à la Kirtland Air Force Base », dit Nick Pope. C’est un État central pour les complexes d’armement et les complexes nucléaires. « Tous ces sites sont associés au progrès technologique américain d’après guerre et ils ont tous été liés d’une façon ou d’une autre aux OVNI. »

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Davis Marler chez lui à Albuquerque
Crédits : Gabriela Campos

« Là où vous avez de la technologie nucléaire de pointe, vous avez des OVNI », explique Marler. Dans sa maison d’Albuquerque, les murs de son « étude » sont recouverts de coupures de journaux originales relatant les différentes observations d’OVNI. Une part non-négligeable d’entre elles ont eu lieu dans l’État. La résidence de Marler est moitié un espace de vie, moitié un musée. Des milliers de documents, de livres, d’articles de journaux et de magazines sont entassés dans deux pièces de la maison ainsi qu’une grande partie du garage. Ils constituent une impressionnante bibliothèque sur le sujet. Cette collection sera léguée à sa mort au Center for Southwest Research de l’université du Nouveau-Mexique. À l’époque du crash de Roswell, quelle que soit la version de l’histoire à laquelle vous croyez, les débris de l’appareil ont été trouvés à l’extérieur de la ville. C’est arrivé à proximité de l’unique complexe où la bombe atomique était étudiée à l’époque. Pas très loin du site de test de Trinity où a été réalisé le premier essai d’une arme nucléaire, en juillet 1945.

Roswell

C’est un sculpteur de Manchester qui a fait le coup
Crédits : John Humphreys

Marler raconte qu’après Roswell, il y a eu de nombreuses observations d’OVNI autour du laboratoire national de Los Alamos, le premier laboratoire d’armes nucléaires américain. Ces observations sont compilées dans une pile de documents déclassifiés. Certaines d’entre elles ont été relatées par des militaires, des membres du personnel de sécurité et des scientifiques qui travaillaient là-bas. « Le Nouveau-Mexique est au cœur d’un complexe industriel militaire. C’est là que se trouve le site de Trinity. Toutes les peurs auxquelles font écho une légende comme Roswell font partie intégrante de son histoire », dit Dewan. Pour lui, les théories du complot qui entourent les OVNI sont un prisme éloquent au travers duquel contempler la culture et la société américaines. « On a tendance à blâmer les individus quand on entend des théories conspirationnistes », dit Dewan, « mais c’est faire fausse route. La vraie question est : les Américains sont-ils paranos ? Quelle part de l’histoire américaine des dernières décennies est un secret d’État ? » « Nous vivons une époque où le savoir est cloisonné. Ce genre de climat génère de la paranoïa, et ces histoires parlent à une peur sous-jacente bien réelle des Américains : ils ont peur de ce qu’on leur cache. »

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À Roswell, les familles sont alignées le long de Main Street pour assister à la parade des lumières, l’événement qui clôture le festival des OVNI. « Nous venons ici depuis trois ans », dit Marie, venue profiter de l’événement en famille. « On vient juste passer un bon moment. »

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La parade des lumières
Crédits : Gabriela Campos

« Si je crois qu’ils existent ? Ça dépend des jours ! » plaisante Jones. En tant que propriétaire d’une boutique à Roswell, elle rencontre un tas de gens, des plus sceptiques aux plus convaincus en passant par les simples curieux. « Qui peut l’affirmer ? On n’a pas besoin de Roswell pour savoir que le gouvernement ne nous dit pas tout », dit-elle. « Ce qui est sûr, c’est qu’il y a quelque chose d’autre là-bas… » dit-elle en regardant le ciel étoilé. « L’univers est immense. Il faut être idiot pour penser que nous y sommes seuls. »


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Aliens on the mind: Roswell and the UFO phenomenon », paru dans Al Jazeera. Couverture : Une mise en scène de l’incident de Roswell.


RENCONTRE AVEC LE CHERCHEUR D’EXTRATERRESTRES EN CHEF DE LA NASA

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Entretien avec Seth Shostak, l’actuel directeur de l’Institut SETI, le programme de recherche d’une intelligence extraterrestre de la NASA.

I. La genèse du SETI

J’aimerais commencer par l’aspect historique. Quand considérez-vous que la science a rencontré la fiction ?

Généralement, on fait remonter la naissance de la science-fiction à des gens comme Jules Verne, au XIXe siècle. Mais la science-fiction a seulement été rendue possible après la Renaissance, lorsqu’on a commencé à percevoir l’avenir différemment du présent. Si vous viviez en France il y a mille ans, la vie de vos enfants était similaire à la vôtre, pour toujours, on ne s’attendait pas à un changement.

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Seth Shostak
Crédits : SETI Institute

Ce n’est qu’à partir de la Renaissance que ces attentes ont commencé à surgir, lorsqu’on a commencé à apprendre à manipuler le monde physique. C’est à ce moment-là que la science-fiction a pris tout son sens, car désormais ce n’était plus de la simple fiction, c’était de la fiction qui prédisait un avenir différent. Quant à l’idée des extraterrestres, elle est très ancienne : il y a 2 500 ans, les Grecs évoquaient déjà le fait qu’il y avait des dieux, des hommes et même des animaux dans les étoiles. L’idée qu’il y a quelqu’un là-haut remonte à loin ; l’idée que nous sommes capables de les trouver, en revanche, est assez récente. Je la situerais autour de 1860, lorsqu’un duo de physiciens européens s’est intéressé au fait d’entrer en contact avec les habitants de Mars ou de la Lune.

À quand remonte la création de l’institut ?

L’idée de SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence), de la recherche d’une intelligence extraterrestre, remonte aux années 1900. Marconi, le premier inventeur de la radio, et Nikola Tesla, qui menait aussi des recherches sur les ondes radio, pensaient tous deux avoir entendu des Martiens sur les ondes. Cette idée est donc ancienne, elle date d’il y a 100 ans. Mais les expériences modernes de recherche d’une intelligence extraterrestre ne datent que de 1960, un peu plus de vingt ans avant la création de l’institut. À l’origine, il y a une expérience réalisée par Frank Drake, qui a fondé le groupe et travaille encore ici avec nous. En 1960, il a lancé le projet Ozma, d’après le nom d’un personnage de roman célèbre. Il a passé plusieurs semaines à attendre des signaux, et c’est ce qui a donné naissance à la recherche extraterrestre moderne. L’Institut SETI a vu le jour en 1984. Il a été mis en place suite à l’intention de la NASA d’investir de l’argent dans un projet de recherche d’une intelligence extraterrestre – il s’agit donc plus d’une avancée bureaucratique que scientifique.

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