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Le roi Antiochos

Il faut nous arrêter un moment pour parler du contexte du soulèvement. L’esclavage, pour commencer, occupait une part importante de l’économie de Rome. Les esclaves représentaient environ un cinquième de sa population totale – assez pour qu’à l’époque de Néron, on refuse de libérer les travailleurs captifs de Rome, car les esclaves auraient alors réalisé combien ils étaient nombreux. Ils venaient de différents milieux : un homme pouvait être réduit en esclavage après une défaite militaire ; victime du trafic, comme ce fut le cas d’Eunus, au-delà des frontières de Rome ; sauvé des décharges où les Romains abandonnaient les bébés indésirés ; ou simplement né esclave.

Ils étaient considérés comme un investissement, pareils à du bétail, et il est dit que l’esclavage était si profondément imbriqué dans la trame de la société romaine que les esclaves acceptaient stoïquement leur sort. Il y a quelques voix discordantes à ce sujet – l’historienne Theresa Urbainczyk pense qu’il est ridicule de supposer « que tout le monde dans l’Antiquité manquait d’imagination et ne pouvait concevoir de société sans esclaves ». Mais le fait est qu’au cours de ses quatre ou cinq années de pouvoir, Eunus ne fit rien pour abolir l’esclavage, et l’ambition de son successeur Spartacus se bornait à rentrer chez lui en homme libre.

Tout ce qu’il est possible d’affirmer, selon Green, c’est que même si les chefs de la rébellion « n’avaient rien contre l’esclavage en tant qu’institution, ils s’opposèrent violemment au fait d’être eux-mêmes faits esclaves ». Les révoltes serviles, en conséquence, n’étaient pas courantes. Mais ce n’était pas inédit pour tant. Une douzaine d’insurrections de ce type ont eu lieu entre 501 et 135 avant J.-C., dont cinq à Rome même et deux dans le sud de l’Italie. Aucune d’elles n’égalait pourtant l’envergure de la rébellion sicilienne, et la plupart ne dépassaient pas une semaine ou deux. Ce qui rendit la rébellion d’Eunus vraiment dangereuse, c’est qu’elle dura assez longtemps pour inspirer d’autres esclaves en Méditerranée.

D’après un fragment écrit par le romancier Julius Obsequens au Ve siècle de notre ère, la guerre d’Eunus engendra une vaste conspiration impliquant des milliers d’esclaves en Italie. Un second chroniqueur, Paul Orose, raconte que 450 esclaves se soulevèrent à Minturno, au sud de Rome, et furent crucifiés. Un millier d’autres brisèrent leurs chaînes dans les mines d’argent d’Athènes, et ils étaient 4 000 à Sinuessa, sur la voie Appienne (leur rébellion mit deux ans à être matée). D’autres enfin se révoltèrent sur Délos, une île sacrée de la mer Égée, où la rébellion dura jusqu’en l’an 132 avant notre ère. Il y eut même une insurrection de 150 esclaves à Rome. Pourquoi la révolte d’Eunus fut-elle plus importante et plus problématique pour la République qu’aucune autre rébellion des esclaves ?

L’une des explications est qu’à l’époque, Rome était absorbée par un certain nombre d’autres crises : la chute d’Henna fut non seulement suivie par l’insurrection de Délos, mais aussi par la guerre de Numance en Espagne – deux situations d’urgence qui concentrèrent à elles deux plus d’un tiers des ressources militaires de la République. Mais l’autre explication est qu’Eunus fut un commandant talentueux. Il fut élu roi et reconnu comme tel par le peuple. Il créa peu après un conseil constitué « d’hommes qui semblaient doués d’une intelligence supérieure » et su gouverner. Un Grec du nom d’Achaïos rapporta dans ses contrées « qu’il était aussi bon stratège que combattant » et que la chute d’Henna marquait le début, et non la fin de la rébellion. La capture d’une cité romaine et le massacre de ses citoyens condamnait les rebelles à des représailles. Ils devaient s’y préparer.

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Une pièce à l’effigie du roi

Eunus prit alors deux importantes décisions. Une semaine après le début de la révolte, il avait armé 6 000 hommes, qui utilisaient des haches, des hachettes et des frondes pour tout équipement. Il réussit à nourrir ses troupes en pillant les propriétés entourant la ville. Les rangs de l’armée d’esclaves ne tardèrent pas à grossir : ils furent 10 000 dans un premier temps, puis jusqu’à 20 000. Evidemment, les nombres donnés dans les chroniques ne doivent pas être pris littéralement. Il faut simplement retenir que les esclaves étaient nombreux. On peut néanmoins certifier qu’Eunus et Cléon avaient sous leurs ordres plus de 5 000 hommes.

Ils vainquirent tour à tour le préteur – gouverneur – de Sicile, le malheureux Lucius Plautius Hypsaeus, puis trois de ses successeurs dont chacun commandait une légion. Puisqu’à l’époque, une légion romaine comptait 5 000 hommes entraînés au combat, on peut supposer que cette série de victoires n’aurait probablement pas été possible si l’armée rebelle ne surpassait pas ses ennemis en nombre, à deux ou trois contre un. La deuxième décision d’Eunus fut plus significative encore. Il commença à forger son royaume à l’intérieur de la Sicile.

Qu’Eunus se fit couronner roi ne veut quasiment rien dire : de nombreux mégalomanes ordinaires ont fait de même dans l’histoire. Prétendre être de sang divin ou posséder des facultés magiques n’était peut-être rien de plus qu’une habile stratégie de la part d’un homme ordinaire pour actionner les leviers du pouvoir. Mais proclamer comme Eunus qu’il serait dorénavant appelé « Antiochos » suggère que son État avait des ambitions considérables. Il aurait choisi ce nom pour honorer la mémoire d’Antiochos le Grand (222-187 avant J.-C.), un des plus puissants souverains de l’Empire séleucide. Eunus voulait ainsi établir un royaume grec dans l’ouest romain.

L’archéologue Peter Morton, qui a réalisé une étude détaillée de la monnaie utilisée durant la période de son règne, voit dans son symbolisme une tentative d’identifier l’État rebelle comme une forme de nationalisme sicilien. Il est vrai que le symbole qu’on retrouve le plus souvent sur ces pièces est la gerbe de blé, ce qui les lie au culte local de Déméter – la patronne de la capitale du royaume d’Eunus, Henna. Mais Déméter était aussi l’équivalent grec d’Atargatis, et les noms des trois conseillers du nouveau roi – Achaïos, Hermias et Zeuxis – sont aussi, et ce ne peut pas être une coïncidence, ceux des trois lieutenants les plus fidèles d’Alexandre le Grand. Peut-être Eunus se croyait-il issu de la lignée royale des Séleucides.

Bien qu’il soit impossible de le prouver, il est raisonnable de penser qu’il avait appris beaucoup du fonctionnement de sa patrie natale du temps où il vivait en homme libre. L’esclave-roi naquit à Apamée, une ville située sur les bords du fleuve Oronte, située dans l’actuelle Syrie. Apamée était un noyau crucial du pouvoir séleucide, car elle abritait le trésor et les écuries royales. Il semble soudain très significatif que lors d’une de ses premières déclamations, Eunus dit à ses sujets qu’ils devaient se considérer « syriens ». Par là, il voulait dire qu’ils étaient les citoyens de son nouvel État, que son autorité divine avait donné le droit de modifier à l’envi.

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Quatre types de monnaie de bronze différents furent liés à Eunus et cela suggère que la frappe de cette monnaie était davantage que de la simple propagande. L’argent fut sans doute nécessaire pour graisser les rouages internes d’un État pendant plus de quatre ans, qui occupait à son apogée entre un cinquième et la moitié de la Sicile. Eunus avait vraisemblablement la capacité de maintenir ses troupes sur le terrain, ce qui suppose que les hommes devaient être payés. Lui et Cléon ne tardèrent pas à s’emparer de Tauromenium (aujourd’hui Taormine), un port situé le long de la côte est de l’île, ainsi que de Catane et Morgantina, un important centre d’approvisionnement dans l’intérieur des terres qui abritait aussi la demeure d’un des monnayeurs de l’île.

Il assiégèrent également sans succès Syracuse, restant si longtemps stationnés hors des murs de la cité que les soldats furent forcés de se nourrir de poisson, sacrés aux yeux de la déesse-mère. L’échec du siège dit beaucoup des limites du pouvoir des esclaves, mais cela n’empêcha pas Eunus de prendre le contrôle des terres cultivables fertiles des environs de Lentini. Cette zone appelée le « triangle d’or » était suffisamment productive pour nourrir ses armées et son royaume pendant des années.

Lui et Cléon étaient assez confiants pour afficher une défiance remarquable lorsqu’ils assiégeaient les villes : une fois positionnés hors de portée des archers perchés sur les remparts, les rebelles se mettaient à jouer une sorte de pièce, qui ne mettait pas seulement en scène la reconquête de leur liberté, mais aussi leur vengeance sanglante contre leurs anciens propriétaires. Il visaient probablement par là à donner de l’espoir aux esclaves de la cité, et à instiller la peur dans le cœur de leurs maîtres. Diodore raconte que ces accomplissements furent réalisés avec de maigres ressources – « leurs besoins pressants », explique-t-il, « força les esclaves rebelles à avoir une bonne opinion de tous : ils n’avaient pas le luxe de ne choisir uniquement les plus forts et les meilleurs des hommes ».

Mais c’est négliger un des autres aspects de la rébellion : l’aptitude des insurgés à faire cause commune avec les hommes libres mais pauvres de l’île. Il est dit que les plus démunis se rangèrent sous la bannière des rebelles, grossissant leurs forces. Ils semblaient être plus en colère, ou peut-être simplement moins disciplinés que les esclaves eux-mêmes. Ils brûlaient les propriétés et mettaient le feu à certaines des récoltes qu’Eunus avait prudemment mis de côté pour nourrir ses hommes. D’après Diodore, si les esclaves coupaient les mains des prisonniers romains, les natifs siciliens leur coupaient les bras. Ces récits encouragèrent plusieurs historiens à suggérer qu’il fallait y voir non pas une « guerre servile » mais un soulèvement général des Siciliens, désireux de se débarrasser du joug des envahisseurs.

Les dernières heures

Quelle que soit la façon d’envisager la rébellion d’Eunus, il est certain qu’elle fut l’œuvre d’hommes animés par un désir de vengeance, dont le chef était mu par l’énergie du désespoir. La plupart des guerriers faisaient probablement partie de la première génération d’esclaves, qui savaient ce qu’était la liberté et avaient pu se familiariser avec le maniement des armes lorsqu’ils étaient libres. L’insurrection sicilienne fut consolidée par le nationalisme et la religion, et il s’agissait d’une contestation massive du pouvoir de Rome – la plus grande jamais survenue au cœur des frontières de la République.

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Le gros des forces d’Eunus était constitué d’esclaves romains

Naturellement, les Romains ne restèrent pas assis les bras croisés pendant que tout cela se déroulait. Il manque de nombreux détails dans les récits existants, mais on raconte qu’il y eut « beaucoup de grandes batailles » entre les insurgés et la République. Huit commandants romains semblent avoir été dépêchés sur place ainsi que deux préteurs, Manlius et Lentilus, et même un consul, Quintus Fulvius Flaccus. Aucun d’eux ne réussit à venir à bout de l’armée d’Eunus. Les forces romaines étaient successivement « taillées en pièce » et la chronique de Florus sur le tome de Tite-Live rapporte que même les camps des préteurs étaient capturés par les esclaves – « la chose la plus dégradante qui puisse arriver dans une guerre ».

La révolte eut peut-être même un impact sur la vie de Rome elle-même : peut-être n’est-ce qu’une coïncidence, mais elle advint au moment de la montée du tribun à la plèbe Gaius Gracchus, dont le programme impliquait de distribuer un boisseau de blé par mois à prix réduit à tous les citoyens pauvres. La mesure de Gracchus était peut-être une réponse à la pénurie de denrées alimentaires causée par la révolte d’Eunus. Ce n’est qu’en 133 avant J.-C. que les Romains l’emportèrent en Sicile. Le tournant décisif semble être arrivé avec le consul Lucius Calpurnius Piso Frugi, qui débarqua à la tête de deux légions, soit un quart de l’armée romaine de l’époque. Il mit en place rapidement un déluge de mesures disciplinaires. Mais le royaume d’Eunus avait déjà des soucis : il était devenu trop vaste pour fonctionner en autonomie et représentait une trop grande menace pour Rome.

Durant les premiers mois, la nouvelle campagne romaine n’eut pas plus de succès que ses prédecesseures, et une grande force de cavalerie commandée par un certain Gaius Titus fut encerclée par les hommes d’Eunus et contrainte de déposer les armes. D’après l’historien Valère Maxime, dont les Faits et dits mémorables furent écrits au Iᵉʳ siècle après J.-C., Titus fut sévèrement puni pour cette humiliation : forcé de porter une toge « en lambeaux » et de monter la garde pieds nus devant les quartiers généraux de Piso en punition. Ses hommes furent rétrogradés en unité de frondeurs, au plus bas niveau de l’échelle de l’armée romaine.

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Buste de Gaius Gracchus

La défaite de Titus fut aussi le dernier triomphe significatif dont put jouir Eunus. Piso lui-même alla sur le terrain et reprit la ville de Morgantina, qui tomba après un siège. La garnison rebelle – dont on dit qu’elle comptait 8 000 hommes – fut crucifiée et Piso avança vers Henna. C’est une certitude car une trentaine de projectiles de frondes gravés à son nom furent retrouvés lors de fouilles à l’extérieur des murs de la ville en 1808. Il est tentant d’imaginer qu’ils appartenaient aux cavaliers de Gaius Titus tombés en disgrâce.

À ce moment-là, les rebelles n’étaient plus très à l’aise avec l’idée de rencontrer les Romains en terrain découvert. Ce qu’il restait de leurs forces s’effondra non pas après une série de batailles, mais après des sièges. Quand Piso fut remplacé par l’homme politique Publius Rupilius en 132 avant J.-C., les rebelles étaient acculés. La deuxième ville d’Eunus, Tauromenium, était en si mauvaise posture qu’on raconte que les hommes de la garnison furent contraints de manger leurs enfants, puis leurs femmes, et finalement de s’entre-dévorer.

Le frère de Cléon, Comanus, fut capturé dans une tentative avortée de briser l’encerclement, et les rebelles furent trahis par un certain Sérapion – un nom qui suggère qu’il s’agissait d’un esclave gréco-égyptien. Les survivants de la garnison rebelle furent fouettés puis jetés du haut des falaises environnantes. Henna était alors l’unique forteresse rebelle restante. On ne sait pas si Piso avait mis fin à son siège avant de quitter la Sicile ou si Rupilius reprit les rênes d’une opération en cours.

D’une manière ou d’une autre, à la fin de l’an 132 avant notre ère, Eunus et ses derniers hommes furent frappés par la peste et commencèrent à mourir de faim. Cléon tenta de fuir la cité, comme son frère avant lui, et fut stoppé dans son élan. Son corps couvert de blessures fut retrouvé et exhibé devant les murs de la cité. Une fois encore, la forteresse rebelle tomba non pas à cause d’un assaut général mais en raison d’une trahison venue de l’intérieur. La majeure partie de la garnison fut massacrée ou enchaînée.

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Eunus parvint à s’échapper d’Henna, entouré par sa garde rapprochée. Il y a peu de doutes sur le fait que Diodore de Sicile espérait que ses lecteurs fissent des comparaisons négatives entre Eunus, qui prit la fuite dans les montagnes, et sa garde, qui préféra s’abandonner au suicide collectif plutôt que de se laisser prendre lorsque la situation fut désespérée. Mais cela soulève la question de la façon dont l’esclave-roi parvint à s’échapper d’Henna, s’il n’était pas entouré de ses loyaux soldats.

Cela nous amène à remettre en question le récit de ses dernières heures fait par Diodore. Dans sa version des faits, le chef rebelle termina son règne réduit à une caricature ridicule de celui qu’il avait été : il fila « sans virilité aucune » se terrer dans un trou dans les montagnes, accompagné seulement d’un cuisinier, d’un pâtissier, d’un masseur et d’un amuseur qui avait jadis animé ses banquets. Diodore fait ici le portrait d’un homme devenu l’exact opposé de ce que les rois grecs étaient supposés être : plutôt que de mourir en combattant héroïquement, à la tête de ses hommes, Eunus aurait fui en compagnie d’une bande de gugusses, à priori soigneusement choisis pour symboliser la vie luxueuse qui était la sienne à présent. L’historien romain souligne avec emphase son petit twist littéraire : cet homme qui avait jadis été un serviteur ravissant son maître, Antigène, terminait sa vie en compagnie d’un serviteur dont le rôle avait été de le distraire.

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Une représentation satirique de la capture d’Eunus sur laquelle il porte un bonnet phrygien, symbole de la révolution

D’après sa Bibliothèque historique, Eunus et ses quatre serviteurs furent découverts cachés dans une caverne reculée. Capturé vivant, il fut emmené à Morgantina et jeté dans une cellule où, quelques temps plus tard, « sa chair fut recouverte par les poux » et il mourut. Un historien contemporain suggère que Diodore devait parler de la gale, mais la vérité est que la maladie fatale d’Eunus pourrait n’être rien de plus qu’un artifice littéraire.

La fin que Diodore lui réserve est typique du sort réservé aux méchants hommes qui ont jalonné l’histoire de Rome. Parmi les autres figures historiques dont il est dit qu’ils finirent leurs jours dévorés par les vers ou les insectes, on trouve Hérode Iᵉʳ le Grand, l’Empereur Galère (grand persécuteur des chrétiens) et l’un des hommes d’État les plus controversés de l’histoire de la république romaine, Sylla. Leur chef ayant pris la poudre d’escampette, le restant des forces rebelles se rendirent ou furent mis à contribution pour les opérations de nettoyage que Rupilius lança dans toute la Sicile.

Maintenant que les insurgés ne représentaient plus de menace, on raconte que les Romains cessèrent de les tuer. Une économie fondée sur l’esclavage a besoin d’esclaves, et l’on suppose que la poignée de survivants parmi les rebelles retournèrent à leur vie de servitude. À sa manière, le contrecoup que subit la rébellion fut aussi terrible que le soulèvement l’avait été à son apogée. D’après le géographe Strabon, une grande partie de l’intérieur de la Sicile autour d’Henna resta dépeuplé durant 80 ou 100 ans après la fin de la Première Guerre servile – ce qui suggère qu’elle devait avoir été considérablement dévastée. Un nouveau code de loi – le Lex Rupilius – fut mis en place et la Sicile retourna dans le giron de la République, jusqu’à l’éclatement de la Deuxième Guerre servile trente ans plus tard.

Quant à la monarchie hellénistique d’Eunus, elle fut vigoureusement balayée. On n’entendit plus jamais parler de prêtres courant à travers les rues en brandissant leurs appareils génitaux sanguinolents au-dessus de leurs têtes. Il ne fut plus question de gouvernements au sein desquels des rois aux cheveux hirsutes se mariaient avec les dieux (comme Green suggère qu’Eunus le fit avec Atargatis). Et bien qu’Eunus ne fut pas le dernier roi à formuler des prophéties, il fut le dernier à parler avec des « langues de feu » – qu’elles vinrent ou non d’une coque de noix.


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « King, magician, general… slave: Eunus and the First Servile War against Rome », paru dans A Blast From the Past. Couverture : Paysage de Sicile. (Lisa Limer/Ulyces)


COMMENT JE ME SUIS LIBÉRÉ DE SEPT ANS D’ESCLAVAGE AU SOUDAN

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Capturé enfant par des esclavagistes soudanais, la vie de William Mawwin n’était faite que de souffrance et de peur. Aujourd’hui libre, il raconte son histoire.

I. L’approche

Un lundi matin à Phoenix, en Arizona. William Mawwin se prépare pour aller à l’école. Il a trente-trois ans. En guise de bras droit, il porte une vieille prothèse couleur chocolat. Elle commence à lui faire mal, mais il n’a pas les moyens de s’en offrir une nouvelle. Sa main gauche est amputée de quatre doigts, jusqu’à la deuxième phalange. Son dos et son torse nus sont couverts de cicatrices rosâtres et boursouflées, les traces de coups et de brûlures. D’autres cicatrices couvrent son corps, vestiges funestes de blessures au couteau et de greffes de peau. Avec lenteur et précaution, ainsi qu’il a appris à le faire, il enfile des chaussettes, un jean, une chemise soigneusement repassée et une paire de chaussures de ville à bouts pointus. De l’autre côté de la pièce se trouve une chambre d’amis, vide à l’exception d’un lit double et d’une commode. L’ours en peluche de sa fille repose sur l’oreiller. William, grand homme maigre d’1 m 80, s’assied quelquefois sur le lit et serre son ourson contre lui.

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Phoenix, Arizona

Il n’attend ni les grandes vacances, ni celles de printemps ou d’hiver avec hâte. Chaque jour passé hors de la salle de classe invoque le souvenir de l’exil, et laisse la porte ouverte aux mauvais souvenirs. Pour se rendre à l’école, il prend le bus ou marche, quand il n’a plus de sous. Son vieux van Nissan argenté reste inutilisé depuis qu’il a été recalé à son dernier contrôle technique. William n’a pas les moyens de le faire réparer. Il vit modestement d’une bourse Pell et d’une pension d’invalidité, et cependant il lui est parfois difficile de payer son loyer. L’ensemble d’appartements au sein duquel il habite a changé de gestionnaire, et les nouvelles réglementations incluent des pénalités sévères en cas de retard de paiement. Ce matin, William ne s’est pas réveillé à temps et il est en retard pour l’école. Aussi a-t-il besoin d’emprunter le taxi vert criard de son ami, employé de Discount Cab. Il se rend à son cours de géologie, ignorant les appels du répartiteur, guidant le véhicule de sa main aux doigts manquants, qui repose sur le volant de cuir noir.

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