LISEZ ICI LA PREMIÈRE PARTIE DE L’HISTOIRE
Connexions
Une fois en prison, il faut se battre. Je ne me suis jamais retrouvé à devoir poignarder qui que ce soit, mais j’ai vécu un paquet de situations limites, des bagarres durant lesquelles les choses auraient vraiment pu mal tourner. J’avais un surin sur moi. Heureusement, je n’ai jamais eu à l’utiliser sur personne. Mais j’étais prêt – en prison, c’est essentiel. Ceux qui rampent se font écraser. Les prédateurs se jettent sur les plus faibles.
J’ai purgé ma peine dans huit prisons différentes, sans être affilié à aucun gang. Dans les cours, c’est territorial, tout est basé sur les origines : les Blancs, les Italiens, les Noirs, les Latinos… il faut parfois payer une taxe pour qu’on vous laisse tranquille. Je suis à moitié italien, donc où que j’aille – j’ai majoritairement été incarcéré sur la Côte Est –, il y avait des types de la mafia italienne qui venaient me voir après avoir entendu mon nom de famille. Ils me demandaient : « Qui est ton père ? », pensant peut-être le connaître. Et même si ce n’était pas le cas, comme j’étais un dealer de banlieue et que mon père et mon grand-père avaient servi dans l’armée et que j’avais de bons états de service – comprenez par là que je n’étais pas une balance –, ils m’invitaient avec eux et me prenaient sous leur aile.
Les Italiens veillaient les uns sur les autres, avec ce sens un peu romantique de ce qu’est la mafia. Beaucoup d’entre eux venaient de grandes familles comme les Gambino ou les Colombo. Ils n’avaient pas à me protéger activement. Simplement, je n’étais pas seul. On me voyait et on se disait : « C’est un italien, il est avec eux. » Sans faire partie de la mafia, j’étais « avec eux ». C’est simple : si vous traînez avec des balances, vous serez perçu comme tel, mais si vous traînez avec des affranchis, les gens ne vous chercheront jamais. Je me suis fait beaucoup d’amis parmi eux, je suis toujours proche de certains . J’ai un pote qui a tiré 28 ans, un vieux truand de Pittsburgh. Vous vous rappelez du moment où ils parlent de la Pittsburgh Connection dans Les Affranchis ? Bah il en fait partie. D’ailleurs ils font une brève référence à lui dans le film. Il s’appelle Eugene Gesuale, lié aux Genovese, l’une des plus puissantes familles de New York.
Tout s’achète
En prison, j’ai bossé. J’ai décroché une licence, puis un master par correspondance. Je me suis focalisé sur deux trucs : le business et la littérature. Le pire ennemi en prison, c’est l’ennui. On essaie d’oublier la réalité. J’ai beaucoup lu, beaucoup écrit, c’est comme ça que je suis devenu auteur. J’ai découvert énormément de livres en prison. Mon écrivain préféré est Irvine Welsh. J’adore Hunter S. Thompson. Lorsque j’écris sur un gangster, je me nourris du mythe, je brasse les rumeurs, j’aime les inclure dans mes histoires. Les faits et le mythe. Je crois que j’aime me faire remarquer. En prison, j’ai cherché à être reconnu malgré tout. Je voulais raconter des trucs au monde. Durant mes premières années d’incarcération, j’ai lu les œuvres d’autres écrivains incarcérés, ça m’a aidé : si ces mecs pouvaient écrire des livres en prison, pourquoi pas moi ? C’est ce qui a vraiment provoqué le déclic, ça a été mon inspiration. Deux livres m’ont profondément inspiré : Inside the Belly Of The Beast, de Jack Abbott, et Soledad Brother, de George Jackson. Ils m’ont tous les deux montré que je pouvais devenir écrivain en prison, et que c’était même une carrière tout à fait viable au vu du temps que j’avais à tirer.
Quand j’écris sur des bandits que j’ai côtoyé, je collabore avec eux. On travaille ensemble. En prison, on ne peut pas se planter quand on cite quelqu’un. Dans la presse traditionnelle, il arrive souvent que les propos ne soient pas rapportés correctement. En prison, si j’avais fait un truc pareil, je me serais fait poignardé. Du coup je faisais beaucoup d’aller retours avec les gens que j’interviewais. Je m’assurais qu’ils étaient contents. Mais je faisais aussi ça dans un souci d’objectivité, pour raconter la meilleure histoire possible. Les gangsters ont une image à défendre. Je respecte le fait qu’il y a des choses qu’ils veulent dire, d’autres qu’ils veulent taire. Habituellement, les journalistes s’en tiennent aux retranscriptions des dossiers judiciaires. Moi j’essaie de ne pas dénaturer leurs histoires, et de les humaniser. Quoi qu’ils aient fait, ces gens ont des familles, des femmes, des espoirs et des craintes.
Dans mes histoires, je me place plus dans la perspective d’un criminel que d’un journaliste. Je ne veux rien écrire qui pourrait donner lieu à un drame, je reste prudent. Ce qui m’intéresse, ce sont les hommes. J’ai rencontré tellement de gens étonnants ! J’ai été incarcéré avec Supreme entre 2004 et 2006, dans une prison de Virginie Occidentale. Et j’ai côtoyé de nombreux truands comme Tony Graziano, « Little Nick » Corozzo, Michael Turner, Lucazzi… Derrière les barreaux, on entend des histoires que personne d’autre n’entend. Les détenus les plus célèbres ne sont pas les plus effrayants : généralement, ce sont les plus diplomates. Mais le confort qui accompagne leur notoriété disparaît instantanément car ils n’ont pas accès à leur argent. Ils sont traités pour ce qu’ils sont, en tant qu’hommes. Si un rappeur connu se comporte comme un mec réglo, il sera traité comme tel. Si un mec le teste et qu’il répond, tout va bien. Quiconque ne balance pas et sait se battre est accepté. T.I., par exemple, avait un cercle de proches autour de lui. Il arrosait les types, du coup il avait sa petite bande. C’est ce que font les mafieux également, ils distribuent de l’argent pour se payer des alliés.
Retour à la liberté
21 ans de taule. J’aurais pu être en colère, m’apitoyer sur mon sort et me laisser ronger par les remords… Mais j’ai été assez intelligent pour comprendre que la colère et l’amertume m’auraient rendu la vie encore plus dure. Alors j’ai fait une croix sur mon ressentiment. Les choses sont ce qu’elles sont. Avoir pris 21 ans, c’est dur. Mais il a fallu que je l’accepte et que je me focalise sur le futur, je ne pouvais rien changer au reste. J’étais arrivé là à cause de choix que j’avais faits en mon âme et conscience. Je n’allais pas me morfondre dans ma cellule comme certains le font. J’ai enfreint la loi, j’en ai payé le prix. Un prix très lourd, mais je n’ai pas perdu mon temps : j’ai préparé mon futur. J’ai toujours regardé en direction de l’avenir.
Je me suis préparé à la liberté : j’ai lu, j’ai anticipé le monde extérieur. Maintenant, dans les supermarchés, on a un choix incroyable. En prison, on remplit une petite liste, on la glisse dans une fente et le gardien vous donne ce que vous avez coché dans un sac : on ne peut pas choisir son type de beurre de cacahuète, on prend ce qu’ils donnent. On finit par se réhabituer à la liberté ! La seule chose qui me pose problème, c’est la technologie. Heureusement que ma femme est technophile, ça m’aide. Mais c’est un combat quotidien. Depuis que je suis libre, j’ai laissé la prison loin derrière moi. L’autre jour, je parlais avec un de mes potes qui est sorti depuis dix ans, et qui s’en est plutôt bien sorti lui aussi. Nous parlions de la mentalité en prison, du fait d’être détenu… Il y avait du bon, parfois, une certaine idée de la générosité, de la loyauté, mais globalement c’est une mentalité d’ordures. Les jeunes semblent fascinés par l’univers carcéral, mais il faut vraiment distinguer le spectacle de la réalité.
Traduit de l’anglais par Tancrède Chambraud, Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’interview de Seth Ferranti réalisée par Arthur Scheuer. Couverture : Seth Ferranti.
CONFESSIONS D’UN DEALER DE PRISON
Comment la drogue circule-t-elle en prison ? Seth Ferranti, journaliste et ancien détenu, s’est entretenu avec un dealer carcéral qui lui livre ses secrets.
Dans chaque établissement correctionnel aux États-Unis, un réseau de drogue comme celui que je suis sur le point de décrire fonctionne et prospère. Vous pouvez me croire, je viens d’être libéré d’une prison fédérale après avoir passé 21 ans de ma vie derrière les barreaux. Tandis que beaucoup d’entre vous ont l’habitude de lire des histoires sur les trafics de drogue qui sont démantelés, vous avez peu de chances d’entendre parler des business florissants. Pour aider à expliquer l’un de ces systèmes, je suis entré en contact avec un homme que j’appellerai « Divine ». Afro-Américain, la cinquantaine, c’est un gangster à la voix suave, propre sur lui et éreinté par trop de muscu. Originaire de New York, ses prouesses en tant que trafiquant de drogue ont même été célébrées dans la tradition lyrique du hip-hop. Il purge une peine à vie dans une prison fédérale. Mais ce qu’il fait en prison lui rapporte de l’argent, du pouvoir, et le prestige d’être l’homme dont tout le monde parle. Il a accepté de me dévoiler de façon anonyme comment tout cela fonctionne.
IL VOUS RESTE À LIRE 85 % DE CETTE HISTOIRE