Les Femmes du Soleil

Après avoir été les témoins, en 2014, du génocide de grande ampleur et de l’esclavage sexuel mis en œuvre par Daech, un groupe de femmes yézidies a formé un bataillon pour se défendre : les Femmes du Soleil. À sept heures de route cahoteuse d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien, se trouve une école abandonnée, qui a récemment servi de quartier général à l’État islamique. Au moment où nous y arrivons, après avoir traversé de vastes champs de puits de pétrole en feu, le soleil brûlant d’Irak s’est couché, le ciel s’assombrit enfin et il se fait tard. À l’intérieur de l’école, un groupe majoritairement composé de jeunes femmes yézidies entame son rituel du coucher.

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Des femmes yézidies au combat
Crédits : Kurdishstruggle

Elles ont survécu au génocide et ont été témoins du massacre de leurs père, de leurs frères, de leurs cousins, de tous ceux qu’elles aimaient, par des combattants de Daech. Mais pour l’heure, dans leur ample pyjama, pieds nus, elles détachent leur chignon et brossent leurs cheveux longs jusqu’à la taille. Demain, elles seront debout à six heures pour l’entraînement militaire. On se croirait à l’internat, à la différence que ces femmes sont des combattantes aguerries. « Notre histoire est tragique », dit Khatoon Khider, 36 ans, la commandante trapue de la brigade féminine des Forces du Soleil. Nous sommes assises dans son bureau, avec l’espoir de faire descendre cette température étouffante. Khider y est devenue indifférente. Au cours des deux dernières années, depuis qu’en août 2014, environ 5 000 Yézidis furent tués et 6 000 capturés et réduits en esclavage par Daech, elle a dédié sa vie à la protection de son peuple. « Ce qui nous est arrivé », dit-elle sombrement, « était inimaginable. » Des images de survivants échoués au Mont Sinjar sont parvenues en Europe et aux États-Unis. Beaucoup de ceux qui ont fui leur village en ruines – plus tard massivement miné par Daech afin qu’ils ne puissent y retourner – vivent aujourd’hui dans des refuges pour déplacés. Mais l’image complète de ce qui leur est arrivé n’est en train de se révéler nettement que maintenant.

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Nadia Murad
Crédits : Doznews

Nadia Murad, 23 ans, a perdu 18 membres de sa famille élargie dans le combat contre Daech. En décembre dernier, elle a été faite prisonnière par Daech. Elle a été violée par un groupe de combattants et a courageusement décrit son supplice au Conseil de sécurité de l’ONU, lors de sa première séance sur le trafic d’êtres humains. « L’État islamique n’est pas simplement venu pour nous tuer, nous les femmes et les jeunes filles, mais aussi pour nous prendre comme butin de guerre et nous vendre au marché comme aux esclaves », dit-elle. Murad est retournée à l’ONU en septembre, lors de l’Assemblée générale, où elle a été nommée ambassadrice de bonne volonté. Elle était accompagnée de son avocate, Amal Clooney, qui lutte pour attirer l’attention sur la tragique situation des Yézidis. « Appeler ce qui s’est passé un génocide n’est pas suffisant », dit Clooney. « Il faut réunir toutes les preuves possibles et les combattants de Daech qui ont commis ces atrocités doivent être traduits devant un tribunal. Cette démarche peut paraître ambitieuse, mais lorsque vous regardez ces filles au fond des yeux, vous comprenez pourquoi elle s’impose. » Les Yézidis, que j’ai rencontrés pour la première fois à l’époque de Saddam Hussein – j’avais alors vécu auprès d’eux –, sont une secte kurdophone, religieusement et ethniquement indépendante. Contrairement aux Kurdes, qui sont connus pour leurs combattants peshmergas (« ceux qui affrontent la mort »), les Yézidis ne sont pas de nature belliqueuse. C’est une société farouchement patriarcale, où la vie des femmes se résume traditionnellement à s’occuper des champs, de la cuisine, et de l’éducation les enfants. Cette communauté est restée très fermée pendant des siècles.

Les Femmes du Soleil, nées après le génocide de 2014, n’ont pas encore participé à des combats en première ligne. Mais elles y sont préparées et en parlent à la manière courageuse des soldats résolus à y laisser leur vie s’il le faut. Malgré un entraînement militaire intensif de seulement 45 jours, dispensé par les peshmergas, beaucoup de ces femmes sont animées du désir de reprendre les territoires et les droits dont elles ont été spoliées. C’est également pour elles une manière d’honorer les morts. « Puis-je laver ton t-shirt ? » me demande la commandante en second, en prenant un morceau de savon pour le laver à la main. À 36 ans, seule de la patrouille à être mariée, elle balaie mes protestations et me raconte sa journée. Elle dépose des hommes aux postes de contrôle depuis tôt ce matin – les forces de Daech se trouvent encore à 30 kilomètres d’ici –, sous une température de 42°C. Son service n’est pas encore terminé, elle doit finir du travail administratif avec la commandante. Je lui demande si son mari, qu’elle voit toutes les six semaines, lui manque.

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Des femmes yézidies en tenues traditionnelles

Elle soupire et son regard se pose sur son alliance toute simple. Ses mains ont été durcies par le maniement des armes. « D’une certaine manière, notre combat est plus important. » Elle ne pense pas encore à avoir des enfants, ce qui est inhabituel pour une femme yézidie. Son attitude démontre à quel point le génocide a changé les mœurs de cette société ancienne. Sur le toit de l’école, sur lequel nous avons tiré des matelas en coton pour dormir, surveillés par des gardes armées qui pouffent de rire et montent, chacune leur tour, en haut des escaliers, les femmes posent leur fusil à la tête de ce lit de fortune et commencent à comparer les photos qu’elles ont sur leur téléphone. Une femme plus âgée, la cuisinière, qui tient le rôle de surveillante en chef, ordonne à tout le monde d’éteindre les téléphones. « Les lumières attirent les tirs de Daech », dit-elle, « vous voulez être tuées dans votre sommeil ? » Je demande à une jeune femme avec une longue tresse qui descend le long de son dos, couchée à côté de moi, s’il lui arrive d’avoir peur. « Nous sommes entraînées, nous savons utiliser des armes automatiques, lancer des obus », dit-elle. « Si Daech avait tué vos hommes et violé vos sœurs, vos mères et vos amies, vous feriez la même chose. » Est-elle effrayée à l’idée de combattre en première ligne si cela arrive un jour ? « Pas du tout. »

Même sans les téléphones, il y a de nombreuses conversations et rires avant le coucher, et les sujets ne sont pas vraiment différents de ceux des jeunes femmes du reste du monde – comment elles ont eu leur tatouage (en utilisant la traditionnelle recette yézidie à base de lait maternel mélangé à des cendres, et fait avec une aiguille) ; comme il est ennuyeux de devoir se lever tôt ; comme leur famille leur manque. La chaleur m’empêche de dormir et, alors que je sens les combattantes s’abandonner au sommeil, je vais trouver la commandante. Elle est derrière sa table, dans son bureau. Elle ordonne à quelqu’un de son équipe – qui claque les talons, d’une manière toute militaire, lorsqu’elle la voit – d’apporter des pêches fraîches et une boîte de chocolats poussiéreux. Khider semble féroce dans ses bottes militaires fatiguées, mais lorsqu’elle me montre une photo d’elle, prise au festival de Cannes en mai dernier, les cheveux détachés, portant une longue robe ornée du drapeau kurde, elle m’apparaît plus jeune, et moins robuste. « C’était la première fois que je quittais la montagne, vraiment », dit-elle, en souriant fugitivement. Elle a voyagé avec le ministre kurde peshmerga pour monter les marches et assister à la projection du film Peshmerga de Bernard-Henri Lévy, qui relate leur combat contre Daech, et l’ironie de tout cela ne lui échappe pas. Elle sort une photo d’elle en robe, assise devant l’actrice Arielle Dombasle, la femme de Lévy. La juxtaposition de son monde à elle, lointain, et de leur monde à eux, glamour, a dû être surréelle.

Autrefois chanteuse, Khider animait des mariages. Elle a créé ce bataillon après avoir vu son village détruit.

« Notre religion nous interdit de tuer », dit Khider, alors la décision de devenir un soldat n’a pas été prise à la légère. « Nous voulons la justice. Nous voulons que ces hommes soient traduits devant un tribunal. » Autrefois chanteuse, Khider animait mariages et cérémonies. Elle a créé ce bataillon après avoir vu son village détruit, et avoir vécu à Mont Sinjar avec des personnes terrorisées, qui tentaient de fuir sans eau ni nourriture. « Notre religion nous interdit de tuer », dit-elle, alors la décision de devenir soldat n’a pas été prise à la légère. Khider a reçu une dispense spéciale de la part des autorités pour former ce bataillon. « Nous voulons la justice. Nous voulons que ces hommes soient traduits devant un tribunal. » Elle ne s’est pas autorisé à chanter depuis deux ans. Toutes les personnes que j’ai rencontrées au Kurdistan pourrait me raconter le même souvenir de ce 3 août 2014, quand les soldats de Daech ont envahi la partie sud de Mont Sinjar : comment les villages ont été attaqués, les hommes tués, les garçons pubères emmenés, forcés à se convertir à l’islam ou à se coucher par terre pour être fusillés ; les femmes devenant des sabayas, des esclaves. « Certaines de ces femmes ont été vendues à plus de 17 “maris” de Daech différents », dit le docteur Nagham Nawzat Hasan, une gynécologue yézidie qui a récemment reçu du secrétaire d’État John Kerry, le Prix international de la femme de courage, pour son travail auprès des victimes. Amina (le nom des femmes enlevées a été modifié, pour des raisons de sécurité), âgée de 22 ans, qu’elle soigne, raconte son expérience. « Je ne savais pas ce qu’ils voulaient, pourquoi ils me faisaient cela », dit-elle. « Tout ce que j’ai compris, c’est qu’ils voulaient que je change de religion. » Elle et d’autres femmes ont été enlevées de leur village et séparées en deux groupes : les jeunes filles vierges et les femmes mariées. « Au début, ils ont juste pris les jeunes vierges », continue Amina. « Et puis après ils ont pris les femmes mariées. »

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Des réfugiés de Sinjar
Crédits : DFID

« Ils l’appelaient Al Amriki », dit-elle. « Lorsqu’il venait me violer, il faisait sa prière d’abord. Et puis il me battait avec un câble. » Il lui a dit avoir été chrétien et enseignant, avant de se convertir à l’islam et de rejoindre Daech. Parfois, après l’avoir violée, il appelait sa femme, aux État-Unis, par Skype. « Elle connaissait mon existence », dit Amina. « Un jour, il m’a montré une photo de sa famille aux États-Unis. Sa femme portait des cheveux courts, comme un garçon, et ils avaient deux petits enfants, un garçon et une fille. Je me suis demandé comment un Américain pouvait me faire ça. » À quoi ressemblaient ses journées ? « Il me violait, faisait sa prière, puis s’endormait », raconte-t-elle. Durant la journée, il la tenait enfermée dans la maison. Finalement, elle a été vendue à un autre « mari », avant d’être sauvée. Est-il arrivé que ses « maris » soient gentils avec elle ? « Il n’y avait jamais de tendresse », dit-elle. « Pendant que l’Américain me violait, il semblait inconscient, comme sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool. » Une autre rescapée, Noor, âgée de 26 ans, est aujourd’hui dans le camp de Sharia, en dehors de la ville de Dohuk, où plus de 18 000 personnes vivent dans 4 000 tentes. Elle est là avec ce qui lui reste de famille. « Deux de mes enfants ont été enlevés », dit-elle, « les yeux remplis de larmes. Mon fils et ma fille de 12 ans. » Elle ne sait pas s’ils sont morts ou vivants.

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Dahuk
Crédits : DR

Noor est assise sur le sol de sa tente, pendant que ses plus jeunes enfants – âgés de dix-huit mois à six ans – rampent autour d’elles. « Lorsqu’ils sont venus me violer », dit-elle, « j’ai emmené les enfants dans une autre pièce et j’ai fermé la porte. » À la différence des autres femmes yézidies à qui j’ai parlé, elle n’avait pas à passer la nuit avec son ravisseur. « J’étais sa femme, officiellement, mais après chaque relation sexuelle, je revenais me coucher avec les enfants, sans jamais vraiment arriver à dormir. J’avais peur que quelque chose arrive la nuit. Nous savions que Daech tuait les enfants. » Un certain nombre de femmes ont été libérées par des hommes yézidis qui organisent des opérations de sauvetage très risquées. Malgré cela, 2 000 femmes sont encore retenues – et vendues. Une après-midi à Dohuk, j’ai observé un sauveteur se faisant passer pour un acheteur de Daech, négocier sur internet une Yézidie de 13 ans, très maquillée, portant un soutien-gorge push-up, avec un sourire séduisant et des talons hauts, pour 7 000 dollars. « Elle est disponible aujourd’hui, indique le vendeur. Viens la chercher à Raqqa. » Être témoin de ces transactions ordinaires, conclues en direct, est traumatisant.

Pendant que j’étais là, d’autre Yézidies ont été mises en vente, une petite fille de neuf ans en pleurs, elle aussi vêtue de manière sexy ; une mère terrifiée, avec ses trois enfants ; et une autre fille pré-pubère, le dos cambré dans une posture faussement aguicheuse, décrite comme « docile au lit ». Dans un village en dehors de Dohuk, un des sauveteurs me présente à Nival, 29 ans, qui a été relâchée récemment, après avoir été tenue en esclavage pendant huit mois avec trois enfants en bas âge. Ils ont été transportés à Mossoul, Palmyre, et finalement Raqqa. « Chaque endroit où nous sommes passés a été bombardé, bombardé tout le temps. C’était affreux pour les enfants, ils avaient tellement peur. Ensuite j’ai été prise par mes “maris” de Daech – je ne savais jamais s’ils n’allaient pas tuer mes enfants après m’avoir violée. » Ils avaient fait d’elle une cuisinière et lui faisait préparer chaque jour le repas pour environ 100 soldats à Raqqa. « J’étais une femme mariée, alors je n’avais pas de valeur. Ce qu’ils voulaient, c’était des yézidies vierges. Je les ai vus violer une fille de treize ans sous mes yeux. »

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Crédits : Nicole Tung

Le sauveteur, un homme de 41 ans, explique que sa récompense pour ce travail dangereux est de voir « la joie sur le visage de ces filles, lorsqu’elles arrivent enfin à la maison ; cela vaut tous les risques que je prends ». Avant la guerre, il était apiculteur. « Avec les abeilles, j’ai appris la justice », dit-il. « Après l’accouplement, la femelle se sépare du mâle. Peut-être qu’il y a quelque chose à comprendre là-dedans. » Prendre pour cible violemment et systématiquement les Yézidis est en partie géographiquement stratégique, mais également, à cause de leurs croyances religieuses pré-islamiques, punitif. Pour Daech, ce sont des kouffar, des infidèles, une forme de vie inférieure à celle des chrétiens et des juifs eux-mêmes (qui, selon le Coran, sont considérés comme le peuple du Livre, et auxquels sont accordé une protection limitée). « C’est une tentative d’éradiquer la communauté yézidie », confirme Eivor Lægreid, « thérapeute norvégienne travaillant pour Yazda, une ONG installée à Dohuk et au Texas, qui représente également Nadia Murad. Ils s’efforcent de les supprimer totalement. » Cet effort laisse les Yézidis terrorisés et décimés. « Vous devez comprendre que certaines des femmes que j’ai rencontrées n’avaient jamais vu de télévision », explique Suzn Fahmi, « une intervenante à Jinda, un autre centre d’aide pour les femmes yézidies à Dohuk. Certaines n’étaient jamais montées dans une voiture. Elles ont soudain été sorties de cette vie, capturées par Daech, et vendues au marché. Le choc et le traumatisme infligé à cette société a été terrible. » Meurtre, exil et viol – souvent utilisé pour briser la vie de ces femmes, dans ces sociétés où le sexe avant le mariage est tabou, afin qu’elles ne puissent jamais se marier – ont détérioré les liens très forts qui unissaient les Yézidis.

Commander Khatoon Khider

La commandante Khatoon Khider
Les Femmes du Soleil

Et pourtant la communauté a fait preuve d’un courage remarquable. Leur chef spirituel, Khurto Hajji Ismail (connu sous le nom de Baba Sheikh), a officiellement déclaré après la catastrophe que les femmes qui avaient été enlevées et violées par Daech ne devaient pas êtres stigmatisées ou humiliées. Cela prend tout son sens lorsque je m’entretiens avec des survivantes, qui semblent capable de discuter de leur expérience de façon plus ouverte que n’importe quelle autre victime de violences sexuelles commises au cours de conflits que j’ai rencontrées. Pour la plupart, celles-ci ont tendance à raconter leur histoire à la troisième personne; elles disent qu’elles ont été « touchées », ou elles ne parlent pas du tout. Nombre d’entre elles semblent brisées à vie. Les femmes yézidies, elles, apparaissent résistantes et fortes. « Mon principal objectif n’était pas uniquement de m’échapper, mais aussi de m’assurer que d’autres personnes apprennent ce qui nous est arrivé à nous, à notre peuple », raconte Neda, 23 ans. « Je voulais qu’ils le sachent afin qu’ils retournent là-bas sauver d’autres femmes, et qu’ils les ramènent à une vie normale. » Un mur dans le centre de Jinda est couvert de dessins enfantins. « Lorsque les femmes arrivent, au début, elles se sentent laides », explique Fahmi. « Elles ont été violées parfois par seize hommes différents, plusieurs fois par jour. Elles ont été attachées à leur lit. Elles ont été battues. Elles ont été traitées comme des animaux, on les a faites parader sur scène pour les vendre au plus offrant. » Certains dessins montrent des femmes toutes petites, les mains attachées, entourées par de grands hommes barbus. L’un d’entre eux représente une femme, très protectrice, entourant son bébé de ses bras, bouche bée, terrorisée, alors qu’un soldat pointe son arme sur eux. Un autre, une femme entourée de cadavres : « Mes frères. »

« Doucement, elles reviennent à la vie »

« Petit à petit », dit Fahmi, « après avoir changé de vêtements, dormi et parlé avec les autres femmes qui ont subi la même expérience, elles commencent à dessiner différemment. Il y a aussi un mur de dessins qui dit : “J’aime mes yeux” ou “J’aime mes cheveux”. » « Doucement, elles reviennent à la vie », continue Fahmi. Haïfa a 21 ans. À Jinda, elle est assise dans un sofa et porte un t-shirt sur lequel est écrit : « Ne regarde jamais en arrière » – elle dit que c’est une description pertinente de sa façon de vivre. Elle est venue d’Allemagne, où elle est suivie psychologiquement pour les mois qu’elle a passé en tant qu’esclave de Daech. Elle est menue, confiante, équilibrée, dans ses jeans slims et ses ballerines. Ses cheveux sont longs et tombent en cascade sur son dos ; son visage est frais. Elle ne ressemble en rien à la photographie qu’elle montre sur son téléphone, d’une femme sale et hagarde, habillée en haillons, arrivant à Jinda. « Ça c’est moi, le jour où j’ai été sauvée, dit-elle en regardant l’étrangère sur son iPhone. – Tu es très belle aujourd’hui, dit Fahmi. – Vraiment ? » demande-t-elle en riant. De retour au quartier général des Femmes du Soleil, une des combattantes se fait l’écho de l’incroyable résilience yézidie. « Dans les pires moments », me raconte-t-elle, « il m’est arrivé de penser que c’était la fin. Lorsque nous nous sommes enfuis, j’ai vu une vieille femme tomber d’épuisement et mourir devant moi. Les gens pleuraient et criaient. Mais je savais que nous allions nous en sortir. Je ne sais pas comment, mais je n’ai jamais perdu espoir. »


Traduit de l’anglais par Juliette Murray d’après l’article « How Yazidi Women Are Fighting Back Against ISIS », paru dans Vogue. Couverture : Des femmes yézidies au combat.