LISEZ ICI LA PREMIÈRE PARTIE DE L’HISTOIRE

Larcomar

Del Castillo dirigeait ses opérations depuis un immeuble de San Isidro, le quartier des affaires de Lima. La zone est encombrée de gratte-ciels et de banques. On y trouve aussi le ministère de l’Intérieur. Le siège de Del Castillo était un bâtiment beige et blanc de quatre étages entouré de grilles hérissées de piques et d’une clôture électrique. Il ne comportait aucun panneau et des gardes surveillaient le périmètre 24 h/24. L’un d’eux conduisit Roy et Maria au troisième étage. Les lieux donnaient l’impression d’être restés prisonniers des années 1970 : infesté de murs en panneaux de bois et de tapis marrons de mauvaise facture. Il n’y avait pas d’ascenseur et les marches des escaliers étaient surmontées d’un revêtement antiglisse. Del Castillo avait accroché au mur un certificat de sauvetage en milieu souterrain qu’il avait obtenu en 1961. Les compagnies minières étrangères ont pour habitude de construire des bâtiments tape-à-l’œil pour installer leur siège, mais Del Castillo préférait faire profil bas. Il avait commencé en bas de l’échelle en tant qu’ingénieur minier et avait passé ses jeunes années sous terre. Ces bureaux étaient ceux d’un homme qui savait ce que c’était que de travailler dans un puits.

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San Isidro, le quartier des affaires de Lima

Rolando Alva, l’assistant de direction de Del Castillo, les accueillit au troisième étage dans son costume sur mesure et les conduisit dans une pièce où se trouvaient des sièges en cuir. Del Castillo fit son entrée et serra la main de Roy. « Je vous présente Maria », dit Roy, un peu gêné. « Elle va m’assister dans l’enquête. » « Je suis assistante de direction au Bureau des affaires criminelles », ajouta Maria dans un espagnol impeccable. « Je travaille au sein de la police depuis plus de vingt ans et j’ai pris un congé pour assister M. Petersen. » Roy sourit. Elle lui donnait l’air important et il sentait que Del Castillo était impressionné. Ce dernier serra la main de Maria et pensa que le fait d’avoir une employée de la police nationale à leurs côtés serait d’un grand secours. Ils survolèrent les termes du contrat : Roy devait faire ses rapports à son assistant de direction et Del Castillo l’autorisait à parler avec tous les employés de l’entreprise. Roy le dévisageait tout en gardant un œil sur Maria. Elle avait l’habitude de converser avec des officiers de police et donna un ton à la fois cordial et détendu à l’entretien. Sans compter qu’elle était drôlement belle dans son tailleur bleu marine. Del Castillo conclut qu’il fallait que justice soit faite. Des hommes avaient été tués, du matériel détruit et plusieurs millions de dollars d’or restaient introuvables. Il voulait savoir qui était derrière le braquage. « Nous sommes sur le coup », déclara Roy. « Très bien », répondit Del Castillo, se tenant droit face à lui. « Attrapez-les. »

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Dehors, Roy regarda Maria faire signe à un taxi. C’était la fin d’après-midi et il ne voulait pas qu’elle s’en aille. Il ne s’était pas senti aussi bien depuis longtemps. « Tienes hambre ? » lui demanda-t-il dans son espagnol approximatif. « Ça te dirait qu’on dîne ensemble ? Je peux t’emmener dans un endroit sympa. » « D’accord », répondit-elle en souriant. 0-LjG6Yt-a30ePIsfX Roy l’emmena à Larcomar, un centre commercial perché sur une falaise au bord de l’océan. Ils prirent une table au Pardos, un restaurant simple et agréable, célèbre pour son poulet rôti assaisonné d’un mélange secret de quatorze ingrédients. Roy était un habitué de l’endroit, bien qu’il y mangeait seul la plupart du temps. Ce soir-là, ils s’assirent à côté d’une fenêtre donnant sur la plage et Roy commanda une carafe de sangria. « Ils font une bonne sangria, ici », dit-il. Maria n’avait pas eu de rendez-vous galant depuis son divorce, il y a deux ans. Elle se sentait comme une adolescente, étourdie de se lancer dans l’inconnu. Au cours du dîner, Roy lui posa des tonnes de questions sur sa vie. Après son divorce, elle était retournée chez ses parents.

Depuis la mort de sa mère, elle s’occupait de la maison, cuisinait pour ses neveux et nièces et prenait soin de son père. Plus jeune, elle avait voyagé dans toute l’Amérique du Sud. Elle avait été à l’université avant de s’installer. Sa vie était monotone depuis un certain temps. Mais Roy était excitant, comme Danny Zuko dans Grease. Quand on leur servit la sangria, il remplit son verre et lui raconta qu’il faisait si froid en Irak à cinq heures du matin que les flaques d’eau gelaient et qu’à midi les températures pouvaient monter jusqu’à 60°. Il lui raconta aussi la fois où un ami au Vietnam s’était assis sur ce qu’il pensait être une branche… avant de réaliser qu’il s’agissait d’un python géant. « C’était complètement fou », lui dit-il. « Tout était dangereux au Vietnam. »

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Les rapports de police

Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un comme lui auparavant. Elle admirait le fait qu’il s’engage dans des boulots aussi difficiles. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que ces boulots étaient les seuls auxquels il pouvait prétendre. Il prit une gorgée de vin. « Nous devons nous préparer pour ce qui nous attend », dit-il. Son enthousiasme la fit rire. Il commençait à parler trop vite pour qu’elle comprenne ce qu’il disait mais son optimisme soudain était communicatif. Il était comme un gamin. « Il nous faut les fichiers de la police et le rapport de l’assurance », dit-il. « C’est une affaire classée », répondit Maria en espagnol, assez lentement pour qu’il la comprenne. « Ce ne sera pas facile d’obtenir les informations détenues par la police. » Roy lui sourit. « C’est pour ça que tu es là », conclut-il.

La mirada

Le lendemain – c’était le 21 mai 2007 –, ils se mirent au travail au deuxième étage du siège de Del Castillo. Rolando leur attribua un petit bureau initialement prévu pour une seule personne. Sur la table s’étalait un petit tas de paperasse. « S’il vous faut quoi que ce soit d’autre, faites-le moi savoir », dit-il poliment avant de les quitter. Maria prit une chaise et commença à passer en revue les documents. La petite pièce les obligeait à s’asseoir côte-à-côte, assez proches pour qu’elle puisse sentir le parfum Givenchy de Roy et voir les muscles de ses bras se contracter tandis qu’il examinait les documents. Elle s’efforça de se concentrer et expliqua à Roy les mots qu’il ne comprenait pas. Avec son aide, il put décoder le rapport de police et releva un certain nombre de détails étranges. À commencer par le fait que le braquage avait eu lieu juste avant que l’or ne quitte la mine. Les criminels semblaient s’attendre à ce que le coffre soit plein. Peut-être s’étaient-ils procurés l’information auprès de la compagnie de transport mais, s’ils connaissaient l’itinéraire du camion blindé, pourquoi ne l’avaient-ils pas attaqué alors qu’il était sur la route ? Le fait qu’ils aient préféré se rendre directement à la mine laissait penser qu’ils avaient un ou plusieurs complices à l’intérieur. Huit personnes avaient été arrêtées et envoyées en prison pour le crime, mais peut-être n’étaient-ils que des hommes de mains, arrêtés par des policiers corrompus pour couvrir des personnes plus puissantes aux commandes de l’opération. ulyces-mercenaryperu-18-1

Durant deux jours, Roy et Maria passèrent les documents au crible. Ils finirent par constater qu’il manquait des éléments. Il y avait des lacunes dans le rapport de police. Chaque fois qu’ils repéraient un passage manquant, Roy appelait Rolando afin que celui-ci lui apporte les documents oubliés. Même si Rolando parvenait à lui fournir certains d’entre eux, il manquait souvent des pages essentielles. C’était comme si quelqu’un essayait délibérément de ralentir l’enquête. Le troisième jour de l’enquête, vers trois heures de l’après-midi, on convoqua Cesar Urrutia pour un interrogatoire. À 50 ans, son buste en forme de tonneau était surmonté d’un visage rond souligné d’un double menton. Il devait faire 1,65 m et sa fine moustache noire évoquait la silhouette d’un oiseau en vol, ce qui lui donnait un air menaçant. Roy s’assit et invita Urrutia à prendre place face à lui. Il avait punaisé au mur des photos des gardes tués pendant le braquage. Il voulait que leur présence plane sur la conversation. « Vous avez été capitaine dans l’armée », commença Roy d’un ton faussement impressionné. Urrutia avait l’air détendu. Ce parvenu d’Américain ne l’impressionnait pas. Il fit le récit de ses combats contre le Sentier Lumineux à la fin des années 1970 et contre les Équatoriens dans les années 1980. Roy se contentait d’acquiescer et de s’assurer que Maria prenait tout en note. Lorsqu’il interrogea Urrutia à propos du cambriolage, l’ancien chef de la sécurité de la mine décrivit la façon dont les hommes cagoulés avaient fait irruption dans sa chambre. Roy trouva suspect que les voleurs aient pénétré dans la mine en entrant par une fenêtre ouverte, d’autant plus qu’Urrutia avait précisé qu’il avait été réveillé parce qu’on avait frappé à sa porte. Si quelqu’un s’était glissé dans la pièce par sa fenêtre, ne l’aurait-il pas vu ? Urrutia répondit simplement que les voleurs l’avaient pris par surprise. Il laissa entendre qu’il en savait long sur les personnes impliquées, allant jusqu’à dire qu’il avait reconnu un des voleurs. Il donnait l’impression que l’affaire était bien plus qu’un simple cambriolage. Des forces corrompues œuvraient dans l’ombre, au sein même de l’entreprise de Del Castillo. Mais il ajouta qu’il avait reçu des menaces et que « lui et sa famille seraient tués s’il retournait à la mine ». ulyces-mercenaryperu-19 Maria fut impressionnée par la manière dont Roy mena l’interrogatoire. Même quand Urrutia donnait une information suspecte, Roy continuait la conversation avec calme et désinvolture. La tactique était bonne : Urrutia ne cessait pas de parler. Regarder Roy travailler était très amusant. L’entretien dura une heure et demie. Après le départ d’Urrutia, Roy débordait de confiance. Il avait le sentiment qu’Urrutia avait donné beaucoup d’ « affirmations discutables », selon ses propres mots, et Maria était du même avis. Après des années de déconvenues, Roy commençait à croire qu’il était sur le point de résoudre une affaire impliquant le vol de plusieurs millions de dollars. Il avait enfin l’opportunité de faire ses preuves. À la fin du mois de mars, un ancien subalterne d’Urrutia du nom de Jair Yaro fut invité à témoigner. Après la démission d’Urrutia, Yaro avait été promu superviseur des opérations, se retrouvant à la tête des équipes de sécurité de la compagnie. Étant donné qu’il n’était pas à la mine au moment du braquage, Roy pensait qu’il se montrerait coopératif pour faire avancer l’enquête. Mais quand Yaro prit place dans le bureau, il sembla n’avoir aucune envie de parler. Il fixait Roy d’un regard noir et répondait à ses questions par des phrases courtes, d’un ton sec. Yaro mit en garde Roy : fourrer son nez dans cette affaire était risqué. La région dans laquelle se trouvait la mine était le terrain privilégié de la contrebande, du trafic d’armes et des narcos, et on y recensait de nombreux kidnappings. Quand Yaro chercha à en apprendre davantage sur le cambriolage, il reçut un appel anonyme. On lui conseilla d’abandonner ses recherches s’il tenait à la vie de sa mère. Il fit comprendre à Roy qu’il devait laisser tomber l’affaire.

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Crédits : NASA

Il ajouta qu’il avait entendu dire que l’or manquant se trouvait à Sandia, une ville nichée dans les montagnes du sud du Pérou, mais que se rendre là-bas équivaudrait à une condamnation à mort. « Ces gens sont très dangereux », conclua-t-il. Les regards de Roy et Maria se croisèrent brièvement. Ces échanges de regards, Maria les appelaient la mirada. Ils comprenaient la même chose au même moment et se le faisaient savoir. C’était la première fois que quelqu’un sous-entendait qu’il était possible de récupérer l’or. Ce bref jeu de regards fut assez long pour qu’ils se transmettent leur excitation respective. Après cette rencontre avec Yaro, Roy demanda à voir Del Castillo en expliquant qu’il avait peut-être une piste pour retrouver l’or volé. Ce serait certainement dangereux, mais il était prêt à prendre des risques s’il avait des chances de tirer son épingle du jeu. Il imposa ses conditions : s’il mettait la main sur le magot, 5 % de l’or récupéré lui reviendrait. Del Castillo accepta avec un sourire. Roy était plein d’entrain, c’était comme si rien ne pouvait l’arrêter.

Un après-midi, Maria passa à son appartement pour discuter quelques instants de l’affaire. Mais ces minutes devinrent des heures et le jour fit place à la nuit alors qu’ils réfléchissaient aux moindres détails. Roy appela un restaurant du coin pour se faire livrer un dîner composé de travers de porcs et d’anticuchos de corazón (des brochettes de cœur de bœuf), une spécialité locale très populaire. La terrasse de son appartement surplombait le quartier. Il mit un album de Frank Sinatra. « Tu sais, je chante plutôt bien », dit-il. Et pour le lui prouver, il se leva et chanta « It Was a Very Good Year » en chœur avec la piste CD. « When I was seventeen, it was a very good year for small-town girls and soft summer nights », chantait-il avec une voix de crooner. Maria riait aux éclats. Roy la trouvait adorable. La chanson arriva à son terme. Roy savait que les choses allaient devenir dangereuses. Il devait se rendre dans les Andes, malgré les avertissements de Yaro. Mais Maria n’était pas obligée de l’accompagner. Il lui dit qu’elle pouvait rester à Lima. « Et comment feras-tu pour comprendre quoi que ce soit ? » objecta-t-elle, offensée qu’il pense pouvoir s’en sortir sans elle. Il acquiesça en riant : c’est vrai, il avait besoin d’elle. « Dans ce cas, si jamais on nous tire dessus, promets-moi de t’enfuir », dit-il. « Peu importe si je meurs. Mais toi, je veux que tu vives. » Elle rit de plus belle. Tout cela semblait fou. Sa vie était bien plus intense depuis qu’elle l’avait rencontré. Elle se pressa contre lui et l’embrassa.

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Maria et Roy

L’avant-poste de Juliaca

Le mercredi 2 mai 2007, Roy et Maria atterrirent à Juliaca, une ville du sud du pays battue par le vent, installée sur un plateau culminant à 3 824 m d’altitude. La ville abrite à peine plus de 225 000 personnes, qui vivent dans des maisons de brique aux toits de tôle. Juliaca est la grande ville la plus proche de la mine de Tucari. Des taxis à trois roues encombrent ses routes cahoteuses. Elles ne sont que partiellement goudronnées, mais même ces sections de route sont couvertes de boue. Comme à son habitude, Roy était paré au combat : il avait emporté avec lui deux pistolets, des munitions, des menottes, des couteaux X3, un garrot – au cas où il serait amené à étrangler quelqu’un – et des « outils multifonctions ». Pour compléter sa tenue, il portait un Fedora marron, qu’il considérait comme son chapeau de combat. Roy et Maria posèrent leurs bagages au Royal Inn, le plus bel hôtel de la ville – ce qui ne voulait pas dire grand-chose. C’était un bâtiment Art déco rouge et gris à trois étages, qui évoquait une toile de Mondrian usée par le temps. Le hall d’entrée était pourvu d’un poêle en fonte craquelée. On se serait cru dans un avant-poste construit sur la face cachée de la Lune. 0-cgn8zmWPwQ6k71Kx Maria souffrait de l’altitude. Elle avait du mal à respirer et commençait à avoir des migraines. Roy lui donna des pilules contre le soroche. Ce médicament originaire des Andes réduit l’impact de la pression à haute altitude. Ces pilules contiennent de l’acétazolamide, une substance pouvant provoquer des effets secondaires tels que des étourdissements, des troubles de l’attention et une conscience accrue de l’environnement. Roy prenait ce médicament depuis des années pour prévenir le mal des montagnes. Cette nuit-là, dans leur chambre d’hôtel, Roy garda son pistolet 9 mm à portée de main et Maria contre lui. Le fait de l’avoir auprès de lui en mission était galvanisant, sans parler du fait de l’avoir à ses côtés pour dormir. Il était fou de sa silhouette et aimait voir sa poitrine se soulever lorsqu’elle respirait. Il avait enfin rencontré une femme prête à le suivre n’importe où. Au petit matin, elle se sentait mieux. À 9 h, ils descendirent dans le restaurant de l’hôtel pour parler à Marcellino Chuchuyo, un employé de Del Castillo qui avait aidé les autorités lors de la première enquête. Pendant que Maria prenait des notes, Roy demanda à Chuchuyo de lui faire part de toutes les pistes qui n’avaient pas été suivies ou qui avaient été abandonnées la première fois. Chuchuyo expliqua qu’un policier du coin du nom de Victor Terrazas s’était manifesté durant l’enquête. Il avait interrogé un détenu de la prison de Yanamayo, qui prétendait savoir où était caché l’or. À l’époque, Urrutia avait déclaré que l’endroit était trop dangereux pour enquêter et cette piste fut abandonnée. 0-EWWEJ89uyoMJr2a5 Un soir de pleine lune, aux alentours de 20h30, ils pénétrèrent dans l’avant-poste régional de Del Castillo à Juliaca. Le camp, entouré d’un mur de ciment blanc cassé de 6 m de haut, avait des airs de forteresse. Les gardes ouvrirent la gigantesque porte de fer et ils se garèrent à l’intérieur pour rencontrer Terrazas, qui avait accepté de leur parler. Ils le trouvèrent dans le camp et allèrent s’installer dans une pièce comportant un bureau de métal rouillé. Terrazas expliqua qu’un groupe de voleurs locaux avait été arrêté et qu’on leur avait mis le braquage sur le dos, mais que ce n’était que la partie émergée de l’iceberg. D’après lui, les employés de Del Castillo n’avaient jamais été au bout de l’enquête. Il ne rentra pas dans les détails, mais quelqu’un au sein de la compagnie ne souhaitait vraisemblablement pas que trop d’informations soient révélées. Terrazas raconta que, deux mois après le braquage, la police avait mis en scène la descente chez le vendeur d’or. Elle avait abouti à la restitution d’une petite partie de l’or volé et à l’arrestation des voleurs. Ce coup de filet avait pour but d’impressionner l’opinion publique : les criminels ont avoué, une partie de l’argent a été retrouvé et l’affaire a pu être enterrée. Mais, selon Terrazas, ce n’était qu’une couverture. Il était persuadé que la police avait passé un accord avec les véritables auteurs du crime. D’après lui, la quasi-totalité du butin se trouvait à la boutique, mais la police l’avait partagé entre eux et les voleurs. Terrazas n’avait pas été inclus dans le deal et c’était certainement la raison pour laquelle il parlait aujourd’hui.

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L’entrée de l’avant-poste
Crédits : Allison Keeley

Il leur suggéra également de suivre les traces d’une femme prénommée Jessica. Il s’agissait de la maîtresse d’un officier de police du coin et elle serait peut-être en mesure de les éclairer sur ce qui était advenu de l’or disparu. Roy regarda Maria et elle sentit le frisson de la mirada les traverser tous les deux.

Le soroche

Le vendredi 4 mai, Roy se réveilla avec une migraine terrible. C’était inhabituel pour lui qui avait toujours très bien supporté l’altitude. Au petit déjeuner, il n’avait pas faim. Maria s’inquiéta, mais Roy lui répondit que tout allait bien. Ils devaient faire du repérage. Maria avait fait jouer ses contacts au sein de la police pour récupérer les adresses des personnes inculpées pour le cambriolage et Roy voulait leur rendre visite pour voir comment ils vivaient, eux et leurs familles, deux ans après le braquage. Si l’un d’entre eux s’était accaparé une partie de l’or, il y aurait probablement des signes indiquant un certain confort financier. Ils engagèrent un chauffeur qui les conduisit jusqu’à Puno, à 70 km de là. La ville était construite sur les rives d’un lac immense. Tout autour, le paysage n’était fait que de montagnes tendues vers le ciel. Sentant venir une nausée, Roy goba une pilule contre le soroche. Ce n’était pas le moment d’être malade. ulyces-mercenaryperu-23Le chauffeur les conduisit dans le barrio Dos de Mayos, le quartier où résidaient la plupart des voleurs arrêtés à l’époque. Le véhicule ralentit sur un chemin de terre plein d’ornières et ils prirent des photos des maisons des cambrioleurs. L’une d’entre elles semblait avoir été tout juste refaite, tranchant avec les habitations miteuses du voisinage. Un pick-up flambant neuf était garé dans l’allée. Roy entoura l’adresse sur sa liste. « C’est un indicateur », dit-il à Maria. Tandis qu’ils repartaient, Maria remarqua que la respiration de Roy s’était accélérée. « Roy, te sientes bien ? » demanda-t-elle. « J’ai juste un peu le mal d’altitude », répondit-il. À ce moment, il ne pensait qu’à mettre la main sur les titres de propriété de la maison et pister ses occupants. Discuter de sa santé ne l’intéressait pas. Roy avait l’air d’aller bien, mais sa respiration inquiétait Maria.

De retour à l’hôtel, il avala d’une traite une boisson énergétique et passa en revue les documents qu’il avait rassemblés à la recherche d’indices. Il y avait la description étrange d’une affaire de pot-de-vin que le chef de la police aurait demandé à Urrutia. Urrutia affirmait que la police refusait d’enquêter sur le braquage à moins que les agents ne reçoivent une compensation. « Ils nous ont demandé cinquante sacs de ciment afin de terminer le toit de l’hôpital qu’ils étaient en train de construire », avait-il écrit. « Nous avons accepté. » Mais l’enquête n’a pas avancé pour autant. Roy émit une hypothèse : et si le braquage avait été organisé par un employé haut placé de Del Castillo, avec la complicité des polices de Juliaca et Puno ? Terrazas ayant été laissé sur la touche, il se pourrait bien qu’il soit assez remonté pour l’aider à retrouver l’or. ulyces-mercenaryperu-24 Ce soir-là, Maria remarqua que Roy faisait un bruit étrange lorsqu’il respirait. Il avait du mal à se tenir debout et avait l’esprit embrumé. Il lui assura qu’il serait remis le lendemain matin. « J’ai juste besoin d’une bonne nuit de sommeil », affirma-t-il. Mais le lendemain, son état avait empiré. Alors qu’ils sortaient dans le couloir de l’hôtel, il s’écroula sur elle. Elle pouvait à peine le soutenir. « Il faut qu’on aille voir un docteur », dit-elle. « Je vais bien », répondit-il sèchement. Il envoya un coursier aux archives publiques pour récupérer l’acte de propriété de la maison au pick-up. Il voulait pouvoir l’examiner dès que possible. Ils retournèrent à l’hôtel et Roy s’allongea. Il lui dit qu’il préférait qu’ils se rendent d’abord à leur rendez-vous suivant et qu’ensuite il irait voir un docteur. Maria ne l’écouta pas. Sa respiration était de plus en plus préoccupante. Elle descendit demander au réceptionniste l’adresse de l’hôpital le plus proche et le pria d’appeler un taxi. 0-S8htjWy49Rz3xvQ6 Lorsqu’elle retourna dans la chambre, le visage et les mains de Roy étaient livides. C’était comme si son sang ne circulait plus. Il pouvait à peine respirer. « Allons faire cette interview… » parvint-il à articuler. « Non », répondit-elle avec fermeté. Elle commençait à lui donner des ordres avec l’autorité d’un général de brigade. Elle l’aida à se lever et le traîna jusque dans le hall d’entrée. Alors qu’elle l’aidait à monter dans le taxi, il perdit connaissance. « Vamos, vamos ! » cria-t-elle au conducteur, qui démarra en trombe. Roy avait promis maintes fois de la protéger mais, cette fois, c’était Maria qui devait veiller sur lui. À l’hôpital, les docteurs passèrent son torse aux rayons X. Un de ses poumons s’était affaissé et les deux étaient remplis de fluide. C’était un œdème pulmonaire, une affection courante à cette altitude. Il semblait également avoir un souci au cœur. « Vous avez de la chance qu’elle vous ait amené ici », lui dit un docteur. Il prit ensuite Maria à part et lui expliqua que Roy était dans une situation critique. Il fallait absolument le faire redescendre à plus basse altitude. « Si vous ne le ramenez pas à Lima, il va mourir », dit le docteur. Le lendemain, elle aida Roy à enfiler son masque à oxygène et le fit monter à bord du premier avion pour Lima. ulyces-mercenaryperu-25

Le dénouement

Durant les cinq jours qui suivirent, Maria refusa de quitter le chevet de Roy à la Clinica Vesalio, un des meilleurs hôpitaux du Pérou. Elle assaillait les infirmiers et les docteurs de questions et essayait d’aider Roy à comprendre ce qui lui arrivait. L’un des docteurs lui expliqua qu’il avait un trou dans le cœur, comme si celui-ci avait « explosé ». Une fois de plus, sa santé lui avait mis des bâtons dans les roues mais, cette fois-ci, il avait une femme à ses côtés pour le maintenir en vie. Le soir, Maria s’asseyait à côté de son lit en récitant le Notre Père en boucle, demandant à Dieu de sauver Roy. « C’est une bonne personne », priait-elle à son sujet. Leur relation avait pris une toute nouvelle tournure. Roy avait maintenant besoin d’elle pour lui apporter de l’eau, l’aider à se tenir debout… pour à peu près tout. La plupart des femmes qu’il avait connues auparavant l’avaient laissé tomber quand il était mal en point. Sa dernière relation sérieuse, par exemple, avait pris fin lorsque sa dulcinée avait refusé de lui rendre visite à l’hôpital après son opération de remplacement de la hanche. Mais Maria était différente : elle était restée. « Heureusement que tu es là », lui dit-il d’une voix rauque. Mais, pour tout reconnaissant qu’il était de l’avoir auprès de lui, il finit par ressentir autre chose. Pendant des années, il avait vécu seul et s’enorgueillissait de sa résistance. Alors qu’elle essayait de l’aider, il lui parlait sèchement. Il aimait jouer les héros, non pas être perçu comme un animal fragile et blessé. Bien qu’il en eût besoin, il ne voulait pas qu’on s’occupe de lui. Tout ce qu’il voulait, c’était récupérer sa force, sous les yeux de Maria, et retourner travailler sur l’affaire. Maria se fichait éperdument du fait que Roy ne joue plus le rôle du guerrier sans peur. « Tu devrais te reposer », lui répétait-elle sans cesse. L’or n’avait pas d’importance. L’affaire n’avait pas d’importance. Tout ce qui importait, c’était qu’il soit en vie et qu’ils soient ensemble. ulyces-mercenaryperu-26Mais Roy n’en était pas convaincu. Il était persuadé d’avoir lui aussi contribué à sauver sa peau, et il insistait sur le fait que l’attention constante de Maria n’était pas la seule chose qui l’avait maintenu en vie à Juliaca. À l’entendre, son talisman de jade avait rempli son rôle. Il l’avait perdu dans leur départ précipité et il était convaincu que cette pierre s’était sacrifiée pour le sauver. Il ne tarda pas à trouver un nouveau pendentif en jade. Il se le passa autour du cou puis appela Del Castillo. Il lui assura qu’il était prêt à se remettre au travail. « Bien que je n’aie pas pu faire tout ce que je voulais à Puno, nous avons récupéré assez d’informations pour poursuivre l’enquête », dit Roy au chercheur d’or. Del Castillo se montra compréhensif. Sa confiance envers lui semblait découler en partie du fait que Roy était un total étranger.

C’était particulièrement rassurant dans la mesure où des personnes au sein de sa propre société étaient potentiellement impliquées dans le braquage. Il l’autorisa à poursuivre ses recherches. Roy recommença à travailler depuis l’hôpital. Maria le réprouvait mais sa ténacité faisait partie des choses qu’elle admirait chez lui. Elle voulait avant tout son bonheur, et elle réalisa qu’elle ne pourrait pas l’en empêcher. Depuis son lit d’hôpital, Roy appela Terrazas pour lui demander s’il était disposé à l’aider à retrouver l’argent. Terrazas accepta. Roy le surnomma El Resentido, le rancunier. Terrazas lui dit qu’il parlerait à Jessica, la maîtresse du chef de la police locale. D’après lui, elle en savait long et accepterait de parler en échange d’une certaine somme d’argent. Le mardi 8 mai, il devait la rencontrer à Juliaca, mais elle ne vint jamais au rendez-vous. Le jeudi suivant, les docteurs autorisèrent Roy à quitter l’hôpital et lui conseillèrent d’y aller doucement. Naturellement, il fit tout le contraire. Lorsque Maria le ramena à son appartement, il paya un officier des services de renseignement militaire pour qu’il mette la main sur la carte d’identité de cette fameuse Jessica, qui comportait une photo et une adresse. C’est alors que Roy reçut un message ahurissant de la part de Yaro, l’agent de sécurité d’Aruntani qui lui avait conseillé de se montrer prudent dans les Andes. Yaro lui faisait savoir qu’il avait déjà discuté avec Jessica de l’or volé et qu’elle souhaitait rencontrer Roy.

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Les connexions établies par Roy

« Comment Yaro connaît-il Jessica ? » demanda Roy à Maria. Elle n’en avait aucune idée. C’était d’autant plus suspect que c’était la première fois qu’un employé de la compagnie minière donnait des informations de lui-même. Il était clair que Yaro essayait de se mettre entre Jessica et Roy. Il émit l’hypothèse que Yaro voulait brouiller les pistes alors qu’ils approchaient du but. Le lendemain, Yaro téléphona et demanda à parler en privé à Roy. Maria répondit qu’elle lui transmettrait le message. Mais Roy flaira le piège et il demanda à Maria de rappeler Yaro pour lui dire qu’il s’était retiré de l’affaire. Mieux valait l’embrouiller et explorer d’autres pistes pour savoir ce que Jessica avait à dire. Roy décida d’organiser une réunion avec Del Castillo. Il était temps de lui expliquer clairement que des personnes au sein de son entreprise étaient possiblement impliquées dans le braquage. Il allait devoir enquêter sur certains de ses employés et, pour cela, il avait besoin de l’accord du patron.

Pour commencer sur une note positive, Roy acheta des quantités industrielles de nourriture. Des minis croissants achetés dans une boulangerie française, des tranches de fromage péruvien, du bœuf rôti, de la dinde, du vin et du champagne. Il n’avait aucune idée de ce qui pourrait faire plaisir à un millionnaire de son calibre. « J’ai sorti le grand jeu », dit-il à Maria en revenant avec ses courses. Elle éclata de rire devant tant de sérieux. Son enthousiasme était certes adorable mais elle était inquiète. Elle ne voulait pas qu’il se tue à la tâche mais elle ne voulait pas non plus qu’il échoue et en soit anéanti. Le matin du samedi 26 mai, Del Castillo et son assistant Rolando se présentèrent à l’appartement de Roy. Del Castillo monta les escaliers jusqu’au sixième étage, sautant sur l’occasion de faire de l’exercice du haut de ses 72 ans, tandis que son assistant prit l’ascenseur. Roy était anxieux. Sa respiration était toujours bruyante et il craignait que Del Castillo ne veuille plus travailler avec un vieux tacot usé. Alors que Del Castillo prenait un siège, Maria versa du thé à tout le monde en échangeant des banalités, une chose que Roy n’avait jamais su faire en espagnol. Del Castillo semblait à l’aise. Roy était heureux que Maria soit présente. « Elle pourrait attendrir un tigre affamé », pensa-t-il. Roy saisit une baguette de bois qu’il utilisa pour montrer les éléments des cartes de Juliaca et Puno, ainsi que les photos des criminels arrêtés qui recouvraient le mur. « Notre voyage a Puno a été très utile malgré mes problèmes de santé », dit-il. « J’ai développé mon réseau d’informateurs, rassemblé de nouvelles pièces du puzzle et il commence à prendre forme. » Roy avança que ses recherches avaient 90 % de probabilités d’aboutir à un succès.

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La mine de Tucari vue du ciel
Crédits : Google Maps

Maria le regardait en souriant. Il n’était plus l’homme fragile qu’elle avait aidé à recouvrer sa santé. Il avait l’air plus vivant que jamais. Elle ne savait pas ce qu’en pensait Del Castillo mais elle en était convaincue. Roy expliqua que ses recherches indiquaient qu’une personne au sein de l’entreprise de Del Castillo avait orchestré le braquage. Le traître s’était visiblement arrangé avec la police pour couvrir le cambriolage, en arrêtant un groupe de criminels de bas-étage auquel on avait attribué le forfait. L’or demeurait introuvable car ceux qui avaient organisé le braquage n’étaient pas sur les lieux au moment de l’opération. Roy pensait que le responsable de toute l’affaire était un proche de Del Castillo. Le silence retomba dans la pièce pendant quelques secondes. Del Castillo toisa Rolando du regard puis il leva les yeux vers les connexions tracées par Roy entre les voleurs et sa propre équipe de sécurité. Des lignes reliaient les photos d’Urrutia et Yaro avec Jessica, ainsi qu’un bon nombre de policiers de Juliaca et Puno. Des symboles dessinés à côté des photos des deux hommes indiquaient qu’il y avait des choses suspectes à leur propos, et une note stipulait que Roy avait l’intention de mener une enquête sur les actifs d’Urrutia. « J’irai les chercher en Enfer s’il le faut », dit Roy, désespéré à l’idée de ne pas pouvoir continuer l’enquête. « J’ai juste besoin de plus de marge de manœuvre. » « C’est d’accord, attrapons-les », répondit Del Castillo. Il semblait prêt à l’action, mais le fait qu’il n’ait bu qu’un seul verre de vin avant de partir ne semblait pas particulièrement encourageant. Une grosse quantité de nourriture était restée sur la table. Son invité y avait à peine touché. Roy décida tout de même de considérer que cette rencontre avait été un succès. Il avala une flûte de champagne et prit Maria dans ses bras. Il était toujours dans la course. Il tirait de nouveau les ficelles de l’enquête mais, après sa réunion avec Del Castillo, il réalisa à quel point elles étaient fragiles. Les gens cessèrent de le rappeler. Il n’arrivait plus à joindre ni Terrazas, ni Chuchuyo, ni un bon nombre d’autres employés de la société de Del Castillo.

Finalement, le samedi 23 juin, il envoya un email à Del Castillo pour lui dire que quelqu’un compromettait son travail. « Nous pensons sincèrement qu’il y a au sein de votre entreprise des employés qui veulent nous voir échouer, pour diverses raisons », écrivit-il. 0-a8qou3gi38xsa0ZQCe week-end-là, Jessica fut arrêtée. Les autorités de Juliaca prétendirent qu’elle transportait 120 000 dollars d’articles de contrebande qu’elle s’apprêtait à faire passer en Bolivie, et qu’elle était « à la tête d’une des principales organisations de contrebande de Puno », d’après un article  paru dans El Comercio, un journal national. Alors qu’on la traînait hors du tribunal, elle cria à un journaliste : « Demandez donc au chef de la police pourquoi il protège ses amis ! » Maria essaya pendant plusieurs semaines d’obtenir un laissez-passer pour que Roy puisse entrer dans les prisons péruviennes mais ses demandes furent toutes rejetées, chaque fois pour des raisons obscures. Jessica était peut-être prête à parler, mais elle était hors de la portée de Roy à présent. Del Castillo ne répondit jamais à son message. Roy considérait qu’il avait aidé Del Castillo à mesurer l’étendue de la corruption qui l’entourait, aussi bien du côté de la police que de ses employés, mais Del Castillo coupa les ponts avec lui. Roy pense que quelqu’un dans l’entreprise avait dû se sentir menacé et s’arranger dans l’ombre pour mettre un terme à son enquête. Il était devenu une menace trop importante. Les explications de Del Castillo sont toutes autres. « Il n’a jamais obtenu de résultats », dit-il aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, il cessa de recevoir des chèques. Le travail était terminé.

Dans la jungle

Roy tomba rapidement en dépression. Il ne pouvait cesser de penser à l’or et demeurait convaincu qu’il pouvait résoudre l’affaire mais, pour cela, il avait besoin que Del Castillo lui apporte son soutien. Ça le rendait fou. Pour Maria, rien de tout cela n’importait. La chasse au trésor avait été excitante mais rencontrer Roy représentait bien davantage. « La chose la plus importante fut notre relation, notre amitié, tout ce qui s’est passé avec Roy », dit-elle. « C’était on ne peut plus intense. » Roy hésitait. Il sentait qu’il avait besoin d’elle mais il était également déterminé à faire ses preuves, sans aide. « Maria était un ange car elle acceptait les gens pour ce qu’ils étaient », dit Roy. Le problème, c’est que Roy voulait toujours être davantage. Le 10 juillet, il jeta un coup d’œil par sa fenêtre. Lima disparaissait sous un brouillard gris sans fin. La garúa arrosait la ville de son crachin. C’était le jour de son anniversaire. Il fêtait ses 57 ans et l’énergie qui l’avait envahie au cours des derniers mois s’était évaporée.

Au début de l’histoire, il avait réussi à jouer le rôle de l’homme qu’il avait toujours voulu être auprès de Maria. Son assurance lui avait donné le sentiment d’être un champion mais, à présent, la vérité éclatait au grand jour : il était vieux et malade, et les attentions délicates de Maria ne faisaient que rendre cette réalité plus tangible encore. ulyces-mercenaryperu-29Il prenait des médicaments pour soulager la douleur qu’il ressentait au niveau de la hanche. À l’origine, il ne prenait qu’un ou deux cachets par jour, mais il finit par en avaler des poignées entières à chaque prise, si bien qu’il développa rapidement un ulcère. Maria venait chez lui pour lui faire à manger et lui tenir compagnie. Elle essayait de le convaincre qu’il pouvait s’installer, trouver un travail plus facile et profiter de la vie. Mais quand vint le mois de novembre, il lui annonça qu’il devait repartir aux États-Unis pour faire soigner son ulcère. Cela ne durerait que quelques temps, entre trois et six mois, juste assez pour qu’il puisse se retaper. Il dit à Maria qu’il trouverait un moyen de la faire venir aux États-Unis pour qu’elle puisse lui rendre visite. La veille de son départ, il lui prépara un copieux petit déjeuner. Il cuisina des côtelettes, des saucisses, des galettes de pomme de terre aux oignons et des œufs brouillés avec des tomates. Il abandonna son appartement et laissa à Maria la plupart de ses affaires. Il lui dit qu’il reviendrait dès qu’il serait remis. Le lendemain, elle l’accompagna à l’aéroport et l’aida à s’installer dans un fauteuil roulant. Le frère de Maria les accompagna et les prit en photo tous les deux. Roy évita de regarder l’objectif. Le visage de Maria était illuminé par un sourire plein d’espoir. Elle l’embrassa doucement. « On se revoit bientôt », lui dit-elle. Il lui dit au revoir de la main et disparut dans le terminal. ulyces-mercenaryperu-30-1 Il se fait tard en Thaïlande à présent et Roy ferme le dossier contenant les photos. La photo de Maria disparaît de l’écran. Il ne l’a pas faite venir aux États-Unis. Ils ne se sont jamais revus. Elle a épousé un autre homme, en 2012. Elle avait ses propres rêves à réaliser et, lorsqu’elle a rencontré ce charmant agent de voyage, elle a accepté de le suivre aux Îles Canaries pour vivre avec lui. Roy a tâché de rester concentré. Récemment, un de ses anciens professeurs de l’université a proposé de l’embaucher pour faire partie d’un programme de recherche du département de la Défense, qui vise à étudier la façon dont les terroristes thaïlandais utilisent les réseaux sociaux. Mais c’est un travail de bureau et Roy est un homme de terrain. Il est venu ici en 2011 pour chasser les terroristes, pas pour s’asseoir devant un écran d’ordinateur. Il se focalise à présent sur ce qu’il pense être la base des opérations d’Al-Qaïda et prépare son approche. Il n’a peut-être jamais eu son heure de gloire, ni à la CIA, ni à la DEA, ni au FBI, mais il n’a jamais baissé les bras. Demain matin, il s’enfoncera dans la jungle où l’attend Al-Qaïda.


Traduit de l’anglais par Marie Le Breton d’après l’article « The Mercenary, Love and Loot in the Andes », paru dans Epic Magazine. Couverture : Roy Petersen. (Création graphique Epic Magazine/Ulyces)


LES MANIGANCES DU FONDATEUR DE BLACKWATER POUR CRÉER UNE ARMÉE DE L’AIR PRIVÉE

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Après avoir fondé la plus tristement célèbre compagnie de mercenaires du monde, Erik Prince tente de créer une force aérienne privée au mépris des lois.

I. Echo Papa

Par un samedi glacé de novembre 2014, un 4×4 Mercedes noire se gara sur le tarmac d’une entreprise d’aéronautique autrichienne, à 30 kilomètres au sud de Vienne. Les employés d’Airbone Technologies, une société spécialisée dans la conception de plateformes de télésurveillance sans fil pour petits aéronefs, étaient sur le pied de guerre ce week-end là: un des investisseurs de la société était attendu pour inspecter leur dernier projet. Quatre mois durant, l’équipe d’Airbone avait travaillé jour et nuit pour faire correspondre un avion d’épandage agricole américain Thrush 510G aux attentes d’un client anonyme. Tous les aspects du projet avaient été tenus secrets jusque là. Les dirigeants de l’entreprise ne faisaient référence au client que sous le nom d’ « Echo Papa », et les employés étaient priés d’utiliser un langage codé pour discuter de certaines modifications de l’avion. Ce jour là, les employés allaient apprendre qu’Echo Papa détenait plus d’un quart de leur entreprise.

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Le Thrush 510G en cours de modification
Crédits : Airborne Technologies

C’est un homme svelte et blond aux yeux bleus qui sortit de la Mercedes et entra dans le hangar d’Airbone. Echo Papa, plus communément appelé EP, salua successivement une douzaine d’employés et inspecta l’avion. « Il était comme le soleil, et les dirigeants de la société tournaient comme des planètes autour de lui », confie une personne présente ce jour-là. Un des mécaniciens reconnu rapidement Echo Papa à partir de photos de presse : il s’agissait d’Erik Prince, fondateur de la société de sécurité privée Blackwater. Plusieurs employés se firent discrètement fait passer le mot, étonnés de travailler pour le mercenaire le plus connu d’Amérique. La confidentialité et les étranges demandes de modifications des quatre derniers mois s’expliquaient enfin. En plus de dispositifs de surveillance et de visée laser, Airbone avait équipé le cockpit de l’avion de vitres pare-balles, l’appareil avait été revêtu d’un blindage, le réservoir de carburant d’un maillage anti-explosif, à quoi s’ajoutaient un système de missiles et de téléguidage de bombes.  On avait également installé des supports capables d’accueillir deux mitrailleuses de 23 millimètres surpuissantes. Dès lors, ingénieurs et mécaniciens s’étaient inquiétés d’une possible infraction des lois autrichiennes, mais on leur avait dit que tout irait bien si tout restait secret. Prince félicita toute l’équipe d’avoir rendu l’avion si « rude », avant de repartir. L’appareil devait être livré urgemment au Soudan du Sud, où ses services pourraient assurer le premier contrat officiel de la nouvelle société de Prince, Frontier Services Group. Prince trépignait d’impatience de pouvoir lancer le Thrush 510G dans les airs.

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