Monrovia, ville dortoir de Californie située à une quinzaine de kilomètres de Los Angeles. Sur une portion de la Route 66 tombée en désuétude se dresse un monument historique oublié de tous : l’Aztec Hotel. L’endroit tire sa renommée de sa façade d’inspiration maya. Faite d’une couche complexe de stuc et de peinture, elle a été dessinée par un contemporain de Frank Lloyd Wright, Robert Stacy-Judd. Mais depuis son ouverture en 1925, le succès de l’hôtel n’a cessé de décliner. D’abord, il y a eu la déviation de la Route 66, que l’autoroute a rendue obsolète. L’Aztec est vite devenu une attraction de bord de route… mais sans la route. S’ensuivirent plusieurs années de négligence et de mauvaise gestion qui en firent un hôtel à la façade décolorée servant de squat aux junkies et aux prostituées.
Les monuments historiques, en particulier ceux qui sont abandonnés et négligés comme l’Aztec, ont toujours attiré les chasseurs de fantômes. Délabrés mais toujours debout, à la fois morts et vivants, les lieux eux-même ont quelque chose de fantomatique. Des récits d’activités paranormales s’échappent de chaque porte qui grince, à chaque écho résonnant dans les couloirs déserts, tapis dans les recoins sombres et froids. Certains chasseurs de fantômes se rendent dans ces endroits par pur amour de l’histoire. Ou bien pour admirer l’héritage architectural, et naturellement car ils sont animés par une profonde curiosité pour le paranormal. D’autres, cependant, viennent y chercher quelque chose de tout à fait différent : une bonne frayeur peut-être, ou un brin de notoriété. Pendant des années, l’Aztec Hotel a tenu bon face à l’apparition des centres commerciaux et autres stations essence, gardant son obscurité pour lui seul. Jusqu’au jour où les chasseurs de fantômes l’ont retrouvé.
Rencontre paranormale
Pour Craig Owens, l’aventure a commencé alors qu’il séjournait au Mission Inn de Riverside, en Californie : il avait entendu des bruits, on aurait dit que quelqu’un poussait des meubles dans sa suite. À l’origine, il s’agissait d’un petit hôtel construit en 1876, qui s’était transformé par la suite en horreur à l’architecture vaguement espagnole. Le Mission Inn a un long passé derrière lui, et il se trouve qu’il est hanté. Owens est un homme intelligent, il porte des lunettes à monture métallisée, et ses rides suggèrent qu’il a reçu une rude éducation. Pendant des années, il a travaillé comme photographe dans l’industrie du film – il se surnomme « le type du Vieil Hollywood ». Il a une vraie passion pour l’âge d’or du début du cinéma hollywoodien, les femmes délurées et le glamour. Mais ce qui l’attire par-dessus tout, ce sont les vieux hôtels comme le Mission Inn, à la beauté décadente et au passé chargé de mystères. Pendant son séjour donc, il a entendu comme des meubles qu’on traînait à travers la pièce, des pas tout autour de lui et un bruit semblable à des pièces de monnaie tombant sur une table en bois. Mais ce n’est pas tout : de gros boums, ainsi qu’un verre d’eau dont le contenu bougeait inexplicablement de droite à gauche dans une pièce totalement vide. Après les événements du Mission Inn, Owens était terrifié : pendant une semaine entière, il a dormi toutes lumières allumées. Mais c’était plus fort que lui, il a recommencé à explorer d’autres hôtels dans le sud de la Californie et à récolter des informations sur d’autres expériences. Owens a commencé à enregistrer des phénomènes de voix électroniques (PVE) : il suffit pour cela de laisser un dictaphone allumé pendant que vous posez des questions à une pièce totalement silencieuse, puis vous rembobinez et écoutez les voix de l’enregistrement. Ces dernières années, les PVE sont devenus un incontournable en matière d’enquête paranormale. N’importe quel groupe de chasseurs de fantômes ayant un site internet a une page dédiée aux PVE qu’ils ont enregistrés. Selon les cas, on peut entendre des chuchotements énervés ou un ensemble incompréhensible.
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C’est peu de temps après cet épisode qu’Owens a découvert les Ghost Hunters of Urban Los Angeles, ou GHOULA, une association fondée par Lisa Strouss et Richard Carradine. En 2008, ils ont commencé à organiser des réunions mensuelles intitulées « Spirits with Spirits ». Elles se déroulaient à chaque fois dans un nouvel endroit hanté de Californie du Sud. Ces événements attiraient des gens d’horizons très divers, alors que la ville est réputée pour être segmentée. On y retrouvait des étudiants, des historiens à la retraite, des plombiers, des producteurs, des introvertis et des geeks, qui allaient des simples curieux aux complets enthousiastes. Les réunions sont parfois des rencontres ennuyeuses dans des bars tranquilles, où les participants rasent les murs jusqu’à ce que Carradine leur fasse du charme avec ses histoires ou que Strouss les encourage à participer. Parfois, elles sont plus animées et se déroulent dans des bowlings ou des restaurants. Tout le monde discute, teste de nouveaux appareils et prend des photos d’endroits vides en espérant qu’une trace se matérialise sur la pellicule. Les réunions épluchent une couche de l’histoire de la Californie, elles déterrent des lieux et leurs histoires de fantômes oubliés de tous. En somme, c’est une façon alternative d’appréhender la ville. Dès sa création, GHOULA était censé être une association au sein de laquelle personne ne jugerait personne et où les membres pourraient partager librement leur enthousiasme et leurs expériences. « Quand Richard et moi avons pensé à GHOULA », raconte Strouss, « on se souvenait tous les deux d’un ancien groupe appelé ISPR (International Society for Paranormal Research). Ses membres se réunissaient dans ce théâtre sur Hollywood Boulevard, l’entrée coûtait 60 ou 70 dollars. » Déçue de devoir payer, elle se rappelle avoir pensé qu’ils décourageaient complètement les gens. L’idée, c’était de proposer avec GHOULA une adhésion gratuite. Les gens pourraient venir pour dix minutes ou deux heures, personne ne les pousserait à quoi que ce soit ; et cela a marché. « Je connaissais depuis des années certaines des personnes qui venaient au tout début de GHOULA, confie-t-elle. Je ne les avais jamais entendues parler de fantômes, et un jour elles sont venues à une réunion et ont raconté leur histoire… Certains ont failli basculer dans le mélodrame. »
Dès la fin de la réunion, les membres regagnent leur bulle de logique, « mais ils sont heureux de pouvoir lâcher prise avec nous ». « D’une certaine manière, cela leur donne de l’espoir », conclue-t-elle. « Il est réconfortant d’entendre leur histoire, même si elle vous fait peur. » Craig Owens assistait à une réunion de GHOULA en avril 2009 à l’Eden Bar & Grill de Pasadena quand il a rencontré Bobby Garcia. Ce restaurant, qui était autrefois une morgue, est réputé pour abriter quelques fantômes facétieux, et une forte odeur de corps en décomposition en émane parfois sans qu’on puisse la faire disparaître. Garcia est un homme costaud originaire de l’est de Los Angeles. Contrairement à Owens, il parle peu. Même s’ils ont tous deux un intérêt sans borne pour l’Histoire, Garcia a une conception du paranormal totalement différente de celle d’Owens. « Tout est une question de physique et de phénomènes naturels », explique-t-il. « C’est aussi naturel que la foudre. » Selon l’hypothèse de Garcia, tout s’explique par les trous de ver : profitant de failles temporelles, les voix des morts se fraient un chemin jusqu’à nous… « C’est plus de la science qu’un phénomène religieux ou mystique. » Ils parviennent toutefois à s’entendre et forment un vieux couple réuni par une fascination commune pour l’histoire de Los Angeles. Ce genre de liens – qui dépasse les classes sociales, l’âge ou le lieu de vie – s’établissent fréquemment dans la communauté du paranormal (Strouss et Carradine en sont un autre exemple). Quand vous faites une expérience paranormale, les choses deviennent intensément personnelles. Vous ne pouvez en parler à personne car la plupart des gens ne vous croiront pas, et le seul fait d’en parler suffit à vous faire passer pour un fou. La plupart des personnes à qui vous en parlerez vous diront que si cela leur était arrivé à eux, ils auraient trouvé une explication rationnelle à tout ça. À cause de cette peur de l’isolement, ceux qui vous croient deviennent des confidents intimes malgré les différences superficielles ou les divergences de croyance, comme dans le cas d’Owens et Garcia.
Les fantômes de l’Aztec Hotel
L’Aztec Hotel faisait partie des endroits que Garcia se souvient avoir suggérés à Owens pour de possibles enquêtes. Owens a alors fait ce qu’aucun autre dans la communauté n’avait encore fait à l’époque : il a gagné la confiance et l’amitié de la propriétaire des lieux, Kathie Reece-McNeil. « Craig a quasiment tout préparé », se souvient Garcia. L’hôtel tenait à peine debout lorsqu’Owens et Garcia l’ont trouvé. Il y avait un moment que les gens du coin le considérait comme un paria : tout le monde savait que c’était un refuge pour les camés, les prostituées et les vagabonds. L’alliance de sa belle façade baroque et de l’ensemble abandonné lui conférait une aura tragique. Tous les vieux hôtels du sud de la Californie ont leurs histoires de fantômes, mais l’Aztec avait quelque chose de différent aux yeux d’Owens et Garcia. Avec l’Aztec, Owens disait avoir l’impression d’essayer de « déchiffrer un code, de lui faire cracher ses secrets ». Los Angeles n’a jamais eu d’association sur le paranormal qui pourrait rivaliser avec celles de la Nouvelle-Orléans ou de Londres, mais la ville n’est pas en reste côté histoires de fantômes. Elle est surtout connue pour ses hôtels hantés, comme le Biltmore, le Knickerbocker, le Roosevelt ou encore l’Ambassadeur, qui abritent, entre autres, les fantômes de Marilyn Monroe, Rudolph Valentino et Montgomery Clift. Si l’hôtel est devenu un emblème du passé hanté de Los Angeles, c’est parce que l’histoire de la ville est éphémère : son aspect temporaire dépend d’un afflux continuel de nouveaux rêveurs, dont plus d’un finissent six pieds sous terre dans le subconscient de la ville. Un tel endroit ne peut s’empêcher de laisser un fantôme ou deux derrière lui.
Craig Owens et Bobby Garcia sont partis à l’Aztec Hotel en quête de ces histoires oubliées. Ils voulaient aller plus loin que les histoires d’ectoplasmes de vieilles gloires hollywoodiennes. Une alliance était à l’œuvre entre le charisme d’Owens et la compétence de Garcia. Ensemble, accompagnés par une poignée de membres de l’équipe de Garcia, ils ont commencé à passer de plus en plus de temps à l’Aztec Hotel. Ils arrivaient le soir, prenaient les clés de la cave et y restaient. Ils y passaient trois ou quatre nuits par semaine, parfois avec d’autres personnes, parfois seuls. Puis ils rentraient chez eux, se rendaient au travail, écoutaient leurs enregistrements et revenaient. Owens avait découvert le nom de l’ancien chef de la police de Monrovia, James Scott, et le soir où les autres enquêteurs qui l’accompagnaient l’ont interrogé à ce propos, il s’est trompé en leur donnant le nom de « Frank Little ». « Quand j’ai écouté l’enregistrement », dit-il, « j’ai entendu cette voix bizarre qui n’arrêtait pas de répéter “Frank Scott”… C’est comme si elle nous corrigeait. L’erreur rend cette preuve encore plus parlante ». (La véracité d’un PVE réside souvent dans l’oreille de celui qui l’écoute et nulle part ailleurs : Richard Carradine a écouté l’enregistrement d’Owens et m’a confié qu’il n’était pas d’accord avec son interprétation.) Owens et Garcia passaient la plupart de leur temps dans la cave, où ils trouvaient la majorité des activités psychiques. Mais la plupart des chasseurs de fantômes et d’activités paranormales vous diront que la pièce la plus hantée de l’Aztec est la chambre 120, habitée par un fantôme baptisé « Razzle Dazzle », un nom donné par les chasseurs au fil des ans. Selon la légende, Razzle Dazzle aurait été une prostituée assassinée dans sa chambre par son client, ou bien une jeune mariée qui rêvait de devenir actrice et s’était mortellement cognée la tête contre le radiateur le soir de sa nuit de noces. En fouillant dans les archives de Monrovia, Owens n’a trouvé aucune trace d’une prostituée ou d’une actrice tuée à l’Aztec. « La chambre a l’air d’être hantée, mais son nom n’a jamais été “Razzle Dazzle”, si toutefois quelqu’un est bien mort ici », dit-il. Mais il a trouvé autre chose : à l’ouverture de l’hôtel, le Elks Lodge du coin organisait chaque mois une nuit de jeux et de beuverie dans la cave de l’hôtel. Owens apprit que ces soirées avait un nom particulier. On les appelait « Les soirées Razzle Dazzle ». (« Seuls ceux qui ont fouillé dans ces maudites archives de Monrovia peuvent le savoir », dit-il.) À l’époque, Owens et Garcia étaient tous deux très actifs au sein de GHOULA, et grâce à la relation privilégiée qu’Owens entretenait avec les propriétaires de l’Aztec, il a pu y organiser une soirée Spirits with Spirits en juin 2010. C’était le cirque – littéralement. Mais selon Lisa Strouss, « c‘était hyper amusant, comme une grosse soirée… Tous ces gens de Los Angeles qui couraient partout – et ce lieu complètement oublié mais tellement cool ! » Pour Owens, en revanche, c’était horrible. « Il y avait beaucoup trop de monde… Ils rentraient dans les chambres des gens. » Il n’en veut plus à Strouss et Carradine aujourd’hui, mais le souvenir lui reste encore en travers de la gorge. « Il m’a fallu limiter les dégâts avec l’hôtel car les propriétaires étaient furieux. » Cette soirée reste l’un des événements les plus mémorables du GHOULA. Pour l’Aztec en revanche, c’était le début de la fin.
Les imposteurs
Los Angeles est peut-être connue pour ses hôtels hantés, mais il y a autre chose qui rend la ville unique. Son statut de Mecque du cinéma et de la télévision a garanti l’explosion de plusieurs groupes quasiment identiques qui essayaient de ressembler aux équipes qu’on pouvait voir à la télé : LA Ghost Patrol, LA Paranormal Association, Ghost Interactive Investigations, Paranormal EXP, Darklands Paranormal, California Society for Paranormal Research and Assistance et bien d’autres. Ces groupes vont du plus absurde au plus sérieux – en queue de peloton, la Paranormal Hot Squad, un groupe exclusivement féminin composé de mannequins et de danseuses exotiques. Leur devise ? « Vous allez être raides de peur. » Owens les a en horreur : « Ils sont comme les Monkees ou les Archies. Ils prennent l’apparence d’un groupe qui s’intéresse au paranormal mais pour les mauvaises raisons. » Au lieu de considérer les histoires de fantômes comme un moyen d’appréhender l’histoire d’un lieu, son héritage, ces groupes utilisent souvent ces lieux hantés pour faire la fête ou comme prétexte pour s’habiller comme un vrai chasseur de fantômes. Lorsqu’on a demandé à la LA Ghost’s Patrol pourquoi ils exerçaient, leur représentant a déclaré au micro de Fox News 11 : « Nous voulons des preuves… Nous voulons être ceux qui captureront l’image qui prouvera au monde entier que ces choses existent. » On pense souvent que ce milieu de passionnés est dynamique et motivée par les films et la télévision (pensez aux fans de Star Trek). Mais l’ensemble de la communauté du paranormal de Los Angeles s’avère être l’exact opposé. Elle est singulièrement fragile, car une culture pop peut en déraciner une autre, plus nuancée et plus dynamique. La télévision, l’argent et la quête de célébrité peuvent éclipser des chercheurs honnêtes et solitaires. Le succès fulgurant des Ghosts Hunters diffusé sur SyFy a conduit les producteurs de l’émission à inonder le marché de spéciales et d’autres programmes dérivés. Tous les enquêteurs paranormaux du pays y ont ainsi vu une chance de devenir célèbres.
En 2008, presque à la même période de la création de GHOULA, des émissions ont commencé à apparaître sur des chaînes du câble comme SyFy, Discovery et Learning Channel. Leurs noms : My Ghost Story (Mon histoire de fantôme), Ghost Hunters International (Chasseurs de fantômes internationaux), Ghost Hunters Academy (L’Académie des chasseurs de fantômes), Most Haunted USA (L’Amérique super hantée), Paranormal State (État paranormal), The Othersiders (Ceux de l’au-delà), Celebrity Paranormal Project (Projet paranormal pour célébrités) et bien d’autres… La plupart de ces émissions suivent un schéma simple : une « équipe » constamment à la recherche de preuves tangibles, et habituellement composée de trois ou quatre hommes et d’une femme qui ne jurent que par le K II, un détecteur d’ondes paranormales à courte distance, et par d’autres gadgets parfaitement inutiles vendus par d’autres chasseurs de fantômes. Bobby Garcia a des idées bien arrêtées sur la génération actuelle d’appareils électroniques fabriqués pour chasser les fantômes. Il pense que le K II est le plus inutile de tous. « Il n’y a pas de bouclier, ce qui veut dire que les ondes des autoradios présents dans la zone l’éteindront. Tout ce qui se trouve dans les murs l’éteindra si vous ne savez pas d’où ça vient… Les gens l’aiment bien parce qu’ils le voient à la télé, et il brille comme un sapin de noël. » La chasse aux fantômes étant devenue populaire, de plus en plus de groupes commencent à proposer des « soirées chasse aux fantômes » et d’autres événements dont l’entrée coûte entre 25 et 100 dollars, tout ça pour courir partout dans le noir avec un détecteur K II. « J’associe les lieux hantés à la peine et à la souffrance de quelqu’un », raconte Owens. « Pourquoi capitaliser là-dessus pour engranger de l’argent ? » Cette approche commerciale n’est pas nouvelle, mais elle représente une différence majeure par rapport à la convivialité de GHOULA. « À partir du moment où vous prenez de l’argent », dit Strouss, « les gens veulent voir des fantômes, et je ne peux pas vous en donner un comme ça. » Mais le plus important, c’est que l’approche vis-à-vis des hôtels et des autres monuments de la ville a changé. Pour faire plus d’argent grâce aux fantômes, il vous faut d’abord une maison hantée. Et si vous n’en possédez pas, il faut que vous organisiez vos événements dans des lieux publics. Les différents groupes de chasse aux fantômes qui ont surgi dans la ville sont en concurrence plus ou moins directe pour faire valoir leurs droits dans différents endroits hantés, et en particulier les endroits publics. En d’autres termes, ces personnes veulent être des chasseurs de fantômes associés à un endroit bien spécifique pour que les producteurs de télé aillent frapper à leur porte en premier. Au lieu de se contenter d’explorer ces lieux, beaucoup de chasseurs cherchent à les revendiquer.
Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est pourtant ce qu’il se passe dans la majorité des cas. Personne ne peut gager des ravages que provoquera la prolifération de ces groupes espérant se faire un nom et un peu d’argent grâce à un établissement hanté. Qui sait ce qu’il adviendra de ces lieux historiques si fragiles ? La nuit du jeudi 21 novembre 2013, sept enquêteurs paranormaux se sont introduits dans le manoir LeBeau, un lieu historique et inhabité au sud de la Nouvelle-Orléans. L’ancienne plantation est connue pour être hantée depuis longtemps : les gens disent qu’une jeune dame blanche apparaît la nuit sur la plus haute marche du porche, projetant une lumière dont la source est inconnue. Construit en 1854, le manoir a survécu à la guerre de Sécession et à l’ouragan Katrina. Selon la police, les chasseurs qui se sont introduits dans le manoir cette nuit-là se sont montrés agacés de ne voir apparaître aucun esprit. Ivres et camés, ils ont décidé de mettre le feu à la bâtisse. Le manoir a été réduit en cendres et tout ce qu’il en reste aujourd’hui, ce sont des cheminées et un petit mur de briques. Même les groupes qui ne vandalisent pas ces lieux mythiques font montre d’attitudes plus que cavalières. Strouss raconte qu’après l’événement du GHOULA, tout le monde s’est mis à graviter autour de l’Aztec, surtout le 3AM Paranormal, un groupe dirigé par Joe Mendoza et sa femme Rebecca. Comme tous les nouveaux groupes, le 3AM (qui n’a pas souhaité répondre à mes questions) fait payer les gens pour chaque événement qu’il organise. Et ce alors que sa réputation est particulièrement mauvaise depuis que Joe Mendoza lui-même a avoué qu’ils avaient passé des années à s’introduire illégalement dans des bâtiments du Camarillo State Mental Hospital à la recherche de fantômes, demandant au passage une participation financière aux membres du groupe pour avoir ce privilège.
Quelques temps après le premier événement du GHOULA à l’Aztec Hotel, 3AM Paranormal y a à son tour organisé une soirée avec le Boyle Heights Paranormal Project. Le prix d’entrée était fixé à 20 dollars par personne, payables d’avance, et rien n’a été reversé à l’hôtel délabré. La direction de l’Aztec a décidé de bannir le 3AM, mais le 24 septembre 2010, ils y sont revenus, réussissant à embobiner la personne de l’accueil. Une vidéo postée sur YouTube les montre en train de mener l’enquête dans les couloirs de l’hôtel, et de discuter de leurs découvertes. L’ensemble a l’air très professionnel et respectueux et, en regardant la vidéo, on ne soupçonne pas qu’ils l’ont tournée sans la permission de l’hôtel. Après cela, la propriétaire de l’Aztec, Katie Reece-McNeil, dégoûtée, a annulé toutes les recherches qui devaient être menées à l’hôtel. Le peu de revenus qu’apportaient les chasseurs de fantômes à ce lieu défraîchi a fondu comme neige au soleil. Owens s’est investi personnellement en consacrant de nombreuses heures à élaborer un plan de sauvetage l’hôtel. Il a tenté d’aider Reece-McNeil à monter un dossier de faillite pour la banque afin de protéger l’hôtel, et a même imaginé un système pour réglementer les visites des enquêteur paranormaux : une entrée payante aurait permis de restaurer l’hôtel pour raviver son attrait passé (« Rien de tout cela ne me serait revenu dans la poche », insiste-t-il). Le jour où il est arrivé pour expliquer son plan, la propriétaire vidait les lieux que la banque avait saisis.
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Il y a un aspect bien plus intéressant des lieux hantés que la télévision ne montre jamais : une histoire de fantômes peut vous mener à découvrir le passé d’un lieu, en particulier lorsqu’il s’agit d’une histoire depuis longtemps oubliée, revenue à la vie grâce aux fantômes. Prenez par exemple le mystère de la Chambre 120 de l’Aztec, où aurait résidé Razzle Dazzle. Il serait tentant de penser que la découverte d’Owens faite grâce aux archives de Monrovia – un médium serait tombé sur le nom d’une personne qui aurait été en lien avec d’anciennes fêtes données dans la cave de l’hôtel – pourrait constituer une preuve de l’existence d’un phénomène paranormal. Mais cette preuve rend l’affaire plus obscure qu’elle ne l’éclaircit : que nous révèle-t-elle sur l’Aztec Hotel ? Elle ne mènera jamais à une histoire claire et détaillée des événements – celui ou celle qui aurait pu nous éclairer sur ce qu’il se passait lorsque Razzle Dazzle traînait dans les parages n’est plus de ce monde. Ces histoires ne trouvent jamais de réponse définitive. On dispose seulement de fragments historiques qui donnent lieu à maintes hypothèses mais n’ont rien de concret à offrir ; ils vous regardent simplement dans le blanc des yeux.
Owens et Garcia sont restés en contact depuis tout ce temps, mais ils ne chassent plus les fantômes ensemble. Cet engouement soudain de la communauté du paranormal a fragilisé ces relations. À présent, participer à un événement du GHOULA, c’est un peu le Haight-Ashbury (Quartier hippie de San Francisco, ndt) d’après les années 1960 ou le CBGB (un club new-yorkais réputé, ndt) post-1970. Pendant un bref instant, un sacré paquet d’excentriques passionnés – sacrément bizarres et sacrément philosophes – se sont trouvés et unis grâce à leur passion. La communauté du paranormal de Los Angeles donne l’impression d’avoir été transformée en objet de convoitise dès sa création, et les individus sincères qui la composaient ont été semés aux quatre vents. C’est peut-être pour cette raison qu’en décembre 2003, les réunions mensuelles du GHOULA ont été interrompues pour une durée indéterminée. Ces deux dernières années, l’Aztec est resté inoccupé, les nouveaux propriétaires ayant décidé de le transformer en hôtel de luxe. Les lieux sont restés un long moment en désuétude et des images sataniques peintes à la bombe ont tapissé les murs des chambres pendant des mois. Cependant, tout cela sera bientôt remplacé par de nouvelles installations dans le hall d’accueil. Des écrans plats seront accrochés aux murs et des stations iPod seront disposées sur les tables de nuit. Mais c’est bien plus que de la peinture qui va disparaître : les nouveaux propriétaires espèrent faire oublier l’histoire tumultueuse de l’hôtel grâce à l’éclat de ses nouveaux aménagements de luxe.
Traduit de l’anglais par Maureen Calaber d’après l’article « The End of the Hunt », paru dans The Verge. Couverture : L’entrée de l’Aztec Hotel. Création graphique par Ulyces.