De la musique avant tout

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Another World
Crédits : Éric Chahi

Comment êtes-vous tombé dans la marmite des jeux vidéo, ce média qui a irradié tout ce que vous avez réalisé jusqu’à présent ?

Je suis tombé dans le jeu vidéo très vite parce qu’il y a toujours eu un ordinateur à la maison. Je suis né avec un Apple 2, j’ai toujours vu des pixels, toujours entendu des musiques qui sont appelées aujourd’hui chiptune, et c’est quelque chose qui a beaucoup joué car je n’ai jamais trouvé cela cheap justement. La musique d’ordinateur puis plus tard de console de jeux, a toujours été avant tout de la musique.

Selon vous, la musique a-t-elle un rôle spécifique à jouer dans le jeu vidéo, différent de celui de la musique dans le cinéma par exemple ?

La musique de jeu vidéo c’est une musique d’illustration, comme au cinéma, elle accompagne un personnage, un endroit. Elle a aussi un rôle actif, stresser le joueur (musique de boss, musique de jeu de course genre Outrun) ou le calmer (la fontaine aux fées de Zelda). Elle doit être là, sans distraire le joueur qui doit se concentrer sur ce qu’il se passe à l’écran et surtout elle ne doit pas être une gêne en étant trop répétitive ou avoir des sons trop agressifs.

La différence principale avec la musique de cinéma c’est sa durée, le fait qu’on ne sait pas vraiment quand elle s’arrête. C’est dépendant du type de joueur, s’il traverse le niveau ou s’il explore tout. La musique doit donc pouvoir boucler et aller à l’essentiel, il ne peut pas vraiment y avoir une intro très longue puis une montée très progressive avant de rentrer dans le morceau par exemple. Mais cela tend à changer avec l’avènement des jeux scriptés.

Il faut dire qu’il est très difficile aussi de poser une ambiance tout en laissant de la liberté au joueur, par exemple : on voudrait qu’une musique angoissante se déclenche quand le joueur franchit la porte de la cave. Okay, mais que se passe-t-il s’il décide de revenir en arrière ? La musique coupe ? Et s’il re-rentre, la musique recommence ? Bof… Certains jeux ont contourné le problème avec de la musique procédurale qui a des algorithmes d’intro, d’outro et d’enchaînements (Monkey Island 2Alone In The Dark : The New Nightmare).

Il ne faut pas oublier que le jeu vidéo avec de la musique ne date que du début des années 1980, c’est un art encore mal dégrossi qui s’affine avec le temps. Les subtilités de sa grammaire arriveront avec l’invention et la maîtrise de ses codes.

Les jeux auxquels vous avez joué ces derniers temps sont des jeux indépendants (Noby Noby BoyGrabittyVVVVVVSuper Meat Boy), ou épousant de très près le rétrogaming (Minecraft…). C’est parce que vous les trouvez plus créatifs ?

Noby Noby Boy n’a pas grand-chose du jeu rétro, au contraire, c’est une expérience artistique très contemporaine. Même si son thème musical est une reprise de la music de celle de Metro-Cross, un vieux jeu Namco.

« Le gros pixel est une abstraction, le bip en est une aussi. »

Je joue à des jeux de toutes générations, de la NES à la PlayStation 3, mais cette nouvelle vague de fraîcheur fait vraiment du bien. C’est effectivement plus osé, moins stéréotypé, on sort de ce héros quadra, brun cheveux courts, mal rasé au regard dur qui cache un passé douloureux. Il m’énerve lui.

Ensuite, le fait que je sois sensible à des jeux au look rétro, c’est que si le gros pixel est une abstraction, le bip en est une aussi. Lorsqu’on a un visage qui fait quatre pixels, on est libre d’imaginer le héros tel qu’on le voudrait. De même, quand on entend un signal dent de scie avec une attaque un peu lente, c’est une trompette. Un petit vibrato sur une square (ce signal d’onde de forme carrée qui donne quand il est très pur ce son si caractéristique du « biiiiip »), et hop, c’est une flûte… Ce que je veux dire par là, c’est qu’avec pas grand-chose, on imagine assez facilement le son d’un vrai instrument. L’imagination fonctionne beaucoup plus que dans un jeu PlayStation 3 et c’est là où je vais chercher mon inspiration. Notez aussi que la BO de Minecraft n’a rien de 8 bits.

Une question de goût

Justement : y a-t-il encore de la place pour les sonorités chiptunes, à une époque où les compositeurs du Septième Art, secondés par leur arsenal symphonique, prennent de plus en plus de place dans les bandes son de jeu vidéo ?

Tout est cyclique, surtout dans l’art. Ce qui est ringard finit par revenir. Le bip fera toujours partie de l’histoire du jeu vidéo, on y reviendra toujours, d’une manière arrangée sous forme de clins d’œil ou d’une manière littérale avec des jeux très proches de l’expérience eighties.

Hans Zimmer, Harry Gregson-Williams, Michael Giacchino : autant de compositeurs reconnus qui œuvrent désormais du côté du jeu vidéo. Est-ce un progrès ou plutôt une régression comparé aux compositeurs de Megaman ou Donkey Kong ?

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Another World
Crédits : Éric Chahi

On ne peut pas vraiment comparer leurs talents, les uns ont à leur disposition tout ce que la musique a à leur offrir en termes d’instrumentation, les autres ont quelques kilo octets et une puce pas très puissante pour des raisons d’économie sur du hardware.

Ce qui m’intéresse c’est la manière d’utiliser cette limitation, de la faire oublier, de délivrer une mélodie mémorable qui 20 ans plus tard nous hante encore. Quatre canaux dont un de bruit blanc… Et on a The Moon de Duck Tales… C’est puissant je trouve. Je ne parle même pas des chiptuners d’aujourd’hui qui font des choses extraordinaires avec leur Game Boy, il faut écouter NNNNNNNNN ! Il sort des sons dont on aurait cru la Game Boy incapable mais il la met à genoux.

À l’époque, il fallait surtout de la place en mémoire pour le jeu ! Je ne veux pas alimenter de guéguerre stérile chiptune versus symphonique, en ce qui me concerne, je préfère la BO de The Social Network de Reznor et Ross à celle de Inception de Zimmer même si je la trouve excellente. Question de goût.

N’y a-t-il pas un risque de formatage des BO de jeux vidéo à moyen terme ? Quand on joue à un Modern Warfare, c’est un peu comme si on écoutait un film de Michael Bay. Existe-t-il un risque d’uniformisation et de nivellement vers le bas ?

On est en plein formatage dans le monde du jeu vidéo. Les budgets mis en place dans les productions AAA sont tels qu’ils ne peuvent pas prendre le risque de la rupture ! Impossible de proposer un nouveau gameplay. Demander à des joueurs de désapprendre une manière de jouer pour leur en proposer une autre est trop risqué. Donc les grosses productions sont très formatées. Type de personnage, type de gameplay, type d’histoire et donc type de musique.

Heureusement, la scène indé est là pour apporter du nouveau à tous les niveaux. Le jeu est en train de suivre les pas du cinéma à un certain degré. Les grosses productions pop corn (bonnes ou moins bonnes ou même carrément nanardes), et les prods indé qui osent donc qui ratent aussi de temps en temps mais qui apportent quelque chose de frais. Et une fois éprouvée, la nouveauté se retrouvera peut-être dans un gros titre. Comme Narbacular Drop avec Portal par exemple.

Trouver un thème fort

Il y a aussi des scores de jeux vidéo détonants : on pense à celui de Clint Mansell pour Mass Effect 3. Pourquoi cela marche dans certains cas, et d’autres non ? Est-ce parce qu’on a affaire, en l’espèce, à un compositeur plus éclectique, moins formaté par la violoncellite aiguë ?

Je n’ai pas joué à Mass Effect, c’est un jeu dans lequel il faut investir beaucoup de temps et je n’ai pas trop le temps. Du coup j’ai écouté sa BO qui est très cool. J’avais beaucoup écouté Clint Mansell pour sa BO de Pi d’Aronofsky puis Requiem For a Dream avec le Kronos Quartet. Cela marche quand le mec est bon, c’est tout, quand il ne va pas dans les recettes épiques habituelles qui, si elles accompagnent bien l’action, n’en sont pas pour autant mémorables. Mais relativisons cinq minutes : toutes les BO de l’époque 8, 16 et 32 bits ne sont pas mémorables, loin de là.

Le compositeur de jeu vidéo est-il plus libre de ses faits et gestes que celui de cinéma ?

Tout dépend bien sûr du film et du jeu. Si on parle de productions AAA je pense que c’est à peu près les mêmes contraintes, les compositeurs sont de tels pros que si on leur dit « cela doit faire une boucle », cela ne leur pose aucun problème. Pour l’indé, je pense que c’est un peu plus détente dans le jeu vidéo mais ce sont deux scènes très différentes. Un film indé c’est quand même au moins un million de dollars. On ne sera jamais sur la même échelle de comparaison.

The Legend of ZeldaFinal Fantasy : les bandes originales de ces grandes sagas ont toutes deux fait l’objet d’adaptations symphoniques à de multiples reprises. Est-ce une bonne idée ? Les sonorités originales seront-elles toujours supérieures ?

« Je préfère dans tous les cas la version originale parce que je retrouve les sons que j’aime. »

Ce qui est intéressant avec les BO chiptunes, c’est qu’à l’époque où il n’y avait que quatre pistes de son, la seule manière de créer de l’émotion c’était de trouver un thème fort. Du coup quand c’est arrangé en orchestral, il reste cette mélodie forte. Je préfère dans tous les cas la version originale parce que je retrouve les sons que j’aime. Cela dit quand j’ai une musique insupportable dans la tête, genre un tube horrible, au hasard Blue d’Eiffel 65, je me chantonne le thème de Super Mario Bros., la version du London Philharmonic Orchestra, ça vide mes buffers.

Les compositeurs japonais sont-ils meilleurs que les américains ?

Juste américains ? Les européens, cela ne compte pas ? D’excellents compositeurs existent partout. J’aime autant les musiques de Rockman [Megaman en version japonaise, NDLR] que celles de Shadow Of The Beast, celles de Turrican que celles de Donkey Kong Country. Heureusement que le talent n’a pas de nationalité.

La qualité des BO de jeu vidéo a-t-elle augmenté ? Diminué ? S’est-elle formatée ou étoffée ? Est-ce encore un peu plus compliqué que cela ?

Naturellement c’est compliqué. En ce qui me concerne, je suis sensible aux compositions minimales parce qu’elles vont à l’essentiel. Plus le temps avance plus les codes vont s’affiner, se formater et dans le même temps, cela sera plus facile de les transgresser. Je ne peux pas dire que c’est moins bien de nos jours.

Racontez-nous votre collaboration avec Éric Chahi.

Cette collaboration est une forme d’accomplissement personnel, travailler avec Éric Chahi est quelque chose dont je rêvais sans trop y croire en me disant « un jour, qui sait… » Et puis à l’occasion d’une conférence conjointe avec Fumito Ueda et Tetsuya Mizuguchi à Tokyo que j’ai clôturée par un concert, j’ai pu l’approcher.

Le résultat, Éric m’a prêté le logiciel qu’il a créé pour concevoir Another World et ses incroyables cinématiques pour que je travaille les visuels de mon live et le clip du single Vector Pictures, issu de mon EP ElectroChipDiscoPop. Je lui ai demandé aussi de me donner des idées que lui inspirent ma musique. J’ai l’honneur d’être le seul a avoir utilisé ce logiciel très spécial après Another World, j’espère être à la hauteur de la chance que j’ai !

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ElectroChicDiscoPop
Crédits : 2080


Couverture : 2080, Photospectral.