Les propos ayant servi à réaliser cette histoire ont été recueillis par Antoine Coste Dombre au cours d’un entretien avec Kamasi Washington. Les mots qui suivent sont les siens.
Devenir musicien
J’ai grandi dans une zone qu’on appelle South Central Los Angeles, et plus particulièrement à Inglewood, un quartier afro-américain au sud de L.A.. Musicalement parlant, j’ai grandi un peu plus au nord, à Leimert Park. Mes parents vivaient dans des quartiers agités, notamment à cause des gangs. C’est la toile de fond d’une partie de mon enfance. Cet environnement a eu de l’influence sur moi. Même s’il y avait beaucoup de crime et de violence dans ces quartiers, la musique restait très importante. Il y a de nombreuses églises, où les gens jouent de la musique. Et tout le monde en écoute et en parle. En grandissant, mes voisins me prêtaient leurs disques de jazz, il me faisaient des mixtapes. Ils étaient tous très contents que je joue de la musique, surtout du jazz. Mais encore une fois, la violence des gangs est très présente là-bas. Les jeunes sont soumis à des pressions. Il y a toujours le risque de basculer dans une vie criminelle, pour dire les choses simplement.
Mais du fait que j’étais musicien, les gangsters me laissaient relativement tranquille, ils ne m’embêtaient pas. Pour moi, la musique était une sorte de bouclier. Je passais des heures avec mon saxophone, je l’emmenais partout avec moi, j’ai l’impression qu’il me protégeait de cette violence. Malgré tout, beaucoup de membres de ces gangs étaient des mecs très cool, très sympathiques, et ils m’encourageaient. Ces encouragements m’ont influencé dans le bon sens. Quand j’étais plus jeune, j’aurais pu faire partie d’un gang, j’en avais envie. Envie de laisser s’exprimer cette part négative de moi. Mais j’ai trouvé la musique. C’est ce qui m’a permis d’en sortir, de me protéger des personnes, qui, quand elles ont réalisé que je m’entraînais sept heures par jour à jouer de la musique, ont fini par me laisser tranquille. Les musiciens, eux, étaient ravis que j’ai choisi cette voie. Tout cela a donc eu un impact considérable sur moi, en tant que musicien. J’ai commencé à jouer très tôt. Quand j’avais deux ans, je me suis mis à la batterie, puis je suis passé au piano quand j’avais cinq ou six ans, avant de commencer la clarinette à huit. Mon père est saxophoniste et quand j’ai commencé la clarinette, en réalité j’aurais voulu jouer du saxophone, mais il ne voulait pas me laisser en jouer. Il disait que je devais d’abord apprendre la clarinette et la flûte. Lui avait dû apprendre à jouer du saxophone, de la flûte et de la clarinette. Le saxophone est le plus accessible des trois, c’est pourquoi il voulait que je me concentre sur la flûte et la clarinette, pour commencer.
À onze ans, j’aimais déjà le jazz, particulièrement Wayne Shorter, les Jazz Messengers, ou encore Charlie Parker. J’écoutais beaucoup de jazz et j’essayais de jouer leurs chansons à la clarinette. C’était très difficile, n’étant pas clarinettiste professionnel. Un jour, mon père avait laissé traîner son saxo. Je l’ai pris et j’ai commencé à en jouer. C’était fou : tout ce que je savais jouer à la clarinette, j’ai réussi à le jouer au saxophone du premier coup, bien mieux qu’avec la clarinette. C’était la première fois que je touchais à l’instrument. Quand mon père a vu ça, il m’a pris plus au sérieux, et c’est comme ça que j’ai eu le droit de me mettre au saxophone. C’est ce jour-là que je me suis dit : « Ok, on dirait bien que j’ai trouvé ma voie. » À partir de là, je me suis donné corps et âme à la musique. Je ne faisais plus que ça, je vivais pour la musique. Stephen Bruner, un bassiste très renommé, est un ami d’enfance. On a grandi ensemble. Et quand on avait quinze ou seize ans, s’il y avait un événement à Los Angeles où il était question de musique, vous pouviez être sûr de nous y trouver, on était partout. On n’avait pas un sou, on n’avait pas d’argent pour payer l’essence de ma caisse, alors on tombait en panne… C’était une sacrée époque. On allait en ville pour voir des concerts et jouer tous les soirs.
Au bout d’un moment, on s’est fait une réputation de jeunes musiciens plutôt doués à Los Angeles et les gens ont commencé à nous appeler pour venir jouer en studio. Il y avait tous mes amis dans le lot, et ils ont beaucoup fait pour moi. Le producteur Terrace Martin, par exemple. C’est lui qui m’a contacté pour collaborer avec Snoop Dogg. C’est aussi lui qui m’a appelé en premier lieu pour travailler sur le dernier album de Kendrick Lamar. Quant à ma collaboration avec Lauryn Hill, c’est mon ami le bassiste Miles Mosley qui nous a présentés. Au final, si j’ai eu l’opportunité d’enregistrer avec mes musiciens préférés, c’est parce que Bruner et moi étions très actifs dans le milieu. Je n’étais jamais chez moi, je sortais tout le temps, je jouais de la musique, je me joignais à des groupes, je rencontrais de nouvelles personnes… l’essentiel était de rester actif. Je suis allé à UCLA (l’université de Californie à Los Angeles) pour étudier l’ethnomusicologie. Et même quand j’étudiais là-bas, je restais très actif dans le monde de la musique. À ce moment-là d’ailleurs, je jouais avec Snoop Dogg. Je partais en tournée avec lui, et je loupais les cours trois ou quatre semaines par trimestre. Mais ces études ont eu une grande influence sur moi, j’ai découvert de la musique qui venait de partout dans le monde, dont je ne soupçonnais pas l’existence jusqu’ici. Je me rappelle notamment de la musique indonésienne, de celle qu’on joue dans le nord et le sud de l’Inde, classique et pop, des musiques d’Afrique du Nord et de l’Est… J’ai étudié tous ces styles différents. Chacun a une approche totalement différente de la musique. Leur définition même de ce qu’est la musique diffère grandement de la nôtre, tout comme son utilité dans la vie ou dans la société. C’était génial, et je n’aurais jamais pensé rencontrer un jour ce genre de musique.
Influences et collaborations
Lorsque j’étais jeune, Wayne Shorter m’a beaucoup influencé. Mais il n’est pas le seul. Il y avait aussi Gerald Wilson, avec qui j’ai joué plus tard. Aujourd’hui, il est très célèbre. C’est un compositeur incroyable, qui a eu un impact considérable sur moi. Il est né en 1918, c’était un ami de John Coltrane et Eric Dolphy. Eric Dolphy s’occupait même de ses enfants, parfois. C’est un très très grand musicien, qui a passé la majorité de sa carrière à Los Angeles. Mon approche harmonique, et même la façon dont je dirige mon groupe, tout ça, je le dois un peu à Gerald Wilson.
D’autres m’ont influencé, certains artistes avec qui j’ai eu la chance de jouer. Quand j’ai quitté le lycée, le premier concert pour lequel j’ai été engagé, c’était un concert de Snoop Dogg. Il m’a aussi beaucoup influencé car il faut comprendre que le jazz est un champ musical si vaste que parfois, on ne fait plus attention aux détails les plus infimes. Quand j’ai commencé à jouer avec Snoop, on ne nous demandait rien de particulièrement difficile, mais on exigeait de nous qu’on joue les morceaux exactement comme ils devaient être. Ses musiciens voyaient la musique selon une perspective très différente de celle de la plupart des musiciens de jazz. Ils avaient une façon de jouer le groove bien particulière, et si on n’était pas exactement dans ce groove, ça ne leur convenait pas. Grâce à cette expérience, j’ai commencé à écouter la musique comme si je la regardais à travers un microscope, et non plus un télescope. Plus jeune, quand j’étudiais le jazz, j’avais une approche très vaste, très large de la musique, alors qu’avec Snoop, je devais en même temps me focaliser sur les détails. On devait être très attentifs à l’endroit où certaines mélodies devaient être placées, à chaque note des solos que je devais interpréter. Cette sorte de dualité dans la musique – une vision d’ensemble et une vision très précise –, c’est au contact de Snoop que je l’ai apprise.
« C’est un processus étonnant que d’avoir de la musique en tête et de la coucher sur papier. »
Quand j’ai joué avec Lauryn Hill, elle poussait le groupe au maximum de ses capacités, elle voulait voir ce qu’on était capable d’apprendre et jusqu’où nous pouvions aller. Je jouais énormément. Tous les jours, elle nous donnait une centaine de morceaux à apprendre. Nous étions très jeunes, et apprendre ne serait-ce que vingt ou trente chansons par jour, c’était dingue. Je me rends compte que cela m’a permis de développer ma rapidité d’exécution, mon oreille musicale, ainsi que la vitesse à laquelle j’étais capable d’apprendre, de réagir et d’assimiler les choses. Cela a aussi affecté ma façon d’interpréter de la musique : de cette manière, on assimile très rapidement ce qu’on est en train de jouer, et c’est entièrement dû à son exigence avec nous. Beaucoup des musiciens qui l’accompagnaient jouaient en même temps dans mon groupe. C’est la même chose avec Snoop Dogg : la plupart des types qui ont joué sur The Epic ont aussi joué avec moi pour Snoop. Tous ces défis ont laissé leur empreinte sur chacun de nous, collectivement. Parallèlement à ça, on étudiait tous activement le jazz, et tous ces éléments se sont combinés. C’est très subtil lorsqu’on écoute ma musique, et si je ne vous avais pas dit avoir appris cela au contact de Lauryn Hill ou de Snoop, vous ne pourriez pas le deviner. C’est à eux que je dois tout ça. Travailler avec Flying Lotus sur You’re Dead! était aussi une expérience incroyable, parce que Flying Lotus travaille vraiment très vite – c’est un ouragan. Il définit tellement rapidement ce qu’il veut musicalement, ce qu’il essaie de faire… c’est impressionnant. C’était une expérience nouvelle pour moi. Une fois, il a joué cette chanson que je n’avais jamais écoutée auparavant. Je me suis mis à l’apprendre, à tenter de la comprendre et il s’est arrêté. Il m’a juste dit « cool » et il a commencé à m’enregistrer, alors que j’étais toujours en train de l’apprendre. C’est comme ça que l’album a été fait.
Plus récemment, j’ai adoré collaborer avec Kendrick Lamar sur son dernier album, To Pimp a Butterfly. Souvent, lorsque les gens vous demandent de venir en studio et d’enregistrer quelque chose pour eux, ils ne veulent qu’une petite partie de ce que vous faites. Kendrick, lui, voulait que chaque personne ayant enregistré sur l’album y laisse sa marque, que chacun participe pleinement à sa réalisation, et c’était génial. La plupart des musiciens qui ont joué sur l’album sont mes amis, et je suis stupéfait de voir à quel point il a su exploiter leur talent, c’était vraiment cool.
Mais voilà comment les choses se sont passées. Je travaillais sur l’album de mon meilleur ami, Terrace Martin, un saxophoniste brillant. Il est plus connu comme producteur de hip-hop, mais c’est vraiment un grand saxophoniste, et il s’apprête à sortir un disque intitulé Velvet Portraits. Je travaillais donc avec lui et il n’arrêtait pas de me dire qu’il voulait écouter The Epic. J’ai fini par céder et c’est à ce moment-là qu’il a réalisé que je serais la personne idéale pour travailler sur l’album de Kendrick. Je me suis donc rendu au studio sans savoir ce qu’on attendait de moi. Voulaient-ils que j’écrive quelque chose ? que je joue une compo déjà écrite ? Je n’en savais rien. Et quand je suis arrivé, on m’a dit que j’étais censé écrire un seul morceau de l’album, le dialogue final entre Kendrick Lamar et Tupac. J’étais simplement censé faire ça, mais Kendrick, Terrace et Sounwave se sont dits que pour comprendre vraiment ce dialogue, je devais écouter tout l’album. Ils m’ont joué l’album en entier trois fois de suite, et à chaque fois il y avait une nouvelle chanson sur laquelle ils voulaient que j’écrive. C’était vraiment cool. Kendrick est un compositeur très consciencieux et très protecteur vis-à-vis de sa musique. Aussi je ne pouvais pas ramener la musique à la maison, je devais donc tout écrire là-bas, au studio. Kendrick et Terrace s’asseyaient sur le canapé et me regardaient faire, c’était assez stressant car ils m’observaient. Ils n’étaient pas sur mon dos, ils étaient simplement curieux de voir comment je faisais. C’est un processus étonnant que d’avoir de la musique en tête et de la coucher sur papier, ils voulaient en comprendre le fonctionnement.
Mais tout s’est bien passé, car Kendrick me donnait son avis et je lui expliquais ce qui serait pour la flûte, pour le saxophone, le violoncelle ou le violon. Il faisait preuve de beaucoup d’imagination, même là, alors que je ne faisais que jouer du piano. C’était vraiment intense. Toutes ces collaborations ont été très différentes, dans la musique comme dans la façon de travailler en studio. Parfois, les gens me demandent seulement de jouer du saxophone, ils ont un morceau sur lequel ils veulent que je joue. Parfois, ils me demandent de composer et de jouer à la fois, comme pour l’album de Kendrick Lamar. En studio, j’ai composé bien plus que je n’ai joué, ces artistes voulaient avant tout que j’écrive de la musique pour eux. C’est toujours différent et c’est précisément ce qu’il y a d’agréable quand on est musicien de studio. On compose beaucoup. Parfois, on me demande de jouer du saxophone, d’autres fois on me demande de jouer de la flûte et de la clarinette. De temps à autre, je joue du piano, et la plupart du temps j’écris pour d’autres personnes. En définitive, mon travail en studio varie énormément selon ce qu’on attend de moi. Même quand les gens veulent que je joue du saxophone, mon instrument de prédilection, j’arrive en studio et c’est seulement une fois sur place qu’on décide de ce qu’on va faire réellement. Quand ils me demandent d’écrire de la musique, ils ont la plupart du temps une idée en tête. En ce cas, je me pose et j’essaie d’assimiler leur idée et de comprendre leurs attentes en terme de musique. C’est parfois compliqué, car écrire pour quelqu’un d’autre est totalement différent de composer pour soi. On essaie en quelque sorte de se mettre à la place de l’artiste, de voir le monde et de percevoir la musique à sa façon, pour créer ensuite ce qu’il veut entendre. C’est un processus à part qui demande beaucoup d’implication et de curiosité. Mais même lorsque je suis simplement musicien de session, je n’ai la plupart du temps aucune idée de ce que je vais faire avant d’entrer en studio.
The Epic
Quand j’ai enregistré The Epic, mes amis enregistraient eux aussi des albums au même moment. On s’est beaucoup aidé les uns les autres, on s’est donné des conseils et on a enrichi collectivement notre musique. L’enregistrement était une expérience géniale, car on a passé trente jours en studio. Je n’avais jamais travaillé tant de temps et avec tant de personnes sur un projet. On était très concentrés, on se donnait à fond, cela a été l’une des plus belles expériences de ma vie. Je pense à cet album depuis très longtemps, depuis que j’ai commencé à jouer avec mon groupe. J’ai grandi avec la plupart des musiciens qui jouent sur The Epic, nous nous connaissons depuis l’enfance. Je connais Bruner depuis mes trois ans et j’ai rencontré Brandon Coleman à l’école primaire, nous avions huit ans. Je devais avoir douze lorsque j’ai connu Ryan Porter, et Miles et Kendrick au lycée, lorsque j’avais treize ans. Ça remonte à loin. C’est pour cela que lorsque Flying Lotus m’a proposé d’enregistrer un disque pour le label indépendant Brainfeeder, j’ai appelé tous ces gars-là et leur ai demandé s’ils voulaient bien venir en studio avec moi, pour faire un album.
« Nous avons joué un nombre incroyable de morceaux et réalisé huit projets différents pendant ces trente jours. »
J’étais curieux de savoir quel genre d’album Lotus voulait que je réalise pour Brainfeeder, mais il m’a assuré que je pouvais faire l’album qui me plaisait, j’étais totalement libre. J’ai toujours voulu faire un album avec ces mecs-là, mes amis, car ils sont tous très talentueux. J’avais acquis assez d’expérience pour me permettre de les réunir. Nous jouons ensemble depuis des années, mais n’avions jamais enregistré d’album tous ensemble. Quand je les ai appelés, ils ont tous accepté et nous avons décidé de nous enfermer en studio pendant un mois complet, en décembre 2011. Nous avons tous arrêté de jouer en concert, on enregistrait tous les jours en studio. J’avais donc un groupe de dix musiciens talentueux, libres d’enregistrer sans la moindre contrainte. Je ne cherchais pas à les contrôler absolument. Quand j’écrivais une chanson, je voulais qu’ils se sentent libre de donner leur avis. J’écrivais les arrangements des cordes et des chœurs en fonction de ce qu’ils jouaient, pour apporter une profondeur supplémentaire. On a enregistré pendant trente jours de 10 h à 2 h du matin, sans exception ni interruption. Nous avons joué un nombre incroyable de morceaux et réalisé huit projets différents pendant ces trente jours. Nous disposions de 120 morceaux au total, entre deux et trois téraoctets de musique, parmi lesquels nous en avons enregistré 45. J’ai ensuite réduit les 45 morceaux à 17, qui ont donné naissance au triple album intitulé The Epic. Lorsque j’ai fait part à mes musiciens de ma volonté de réduire les 45 chansons à 17 pour composer l’album, ils ont réagi positivement. Et c’est pendant que je travaillais sur ces 17 chansons que j’ai fait un rêve qui les contenait toutes.
C’était l’histoire d’un gars à un concert. On aurait vraiment dit de la science-fiction, un rêve fantastique qui contenait chacun des morceaux de The Epic. Ils avaient tous leur place dans l’histoire. En me réveillant, j’ai eu la conviction que les 17 morceaux n’étaient pas une version tronquée de l’album, mais bien l’album dans son intégralité. Je suis retourné voir Flying Lotus pour lui raconter mon rêve, et je lui ai raconté toute l’histoire et la façon dont toutes les chansons s’entremêlaient à l’histoire, avant de lui dire : « Il faut que ce soit un triple album. » Il m’a donné son feu vert et nous l’avons fait. Avant le rêve, je songeais à retenir juste assez de chansons pour qu’elles tiennent sur un seul CD. Mais après l’avoir fait, j’ai en quelque sorte « écrit » le rêve, ce qui m’a pris un mois. Lorsque je l’ai fini, j’ai ressenti que ces chansons dont j’avais rêvé constituaient l’album, et c’est ainsi que The Epic est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Il a été créé à partir de ce rêve. Nous avons commencé à enregistrer à dix, tout le groupe – la batterie, les basses, les cuivres, les percussions. Nous avons tout enregistré ensemble en trente jours, en décembre 2011, et j’ai ramené l’enregistrement chez moi pour l’écouter attentivement. J’ai écrit les parties de chœurs et de cordes autour de ce que le groupe avait déjà enregistré. Ensuite, j’ai enregistré les chœurs et les cordes par-dessus ce que le groupe avait fait. Puis il y a eu le mixage de l’album, durant lequel nous avons tenté de donner une cohérence à ce rêve, comme de tisser les morceaux ensemble. C’était un processus passionnant.
Avec le groupe, les choses ont été faciles car on se connaît bien, c’était un constant échange mutuel. Pour ce qui est des chœurs et des cordes, tous ont accepté de participer, car ils me connaissent depuis des années : je suis très actif sur la scène musicale de Los Angeles. Au final, on ne parle pas de sommes astronomiques, mais finir l’album m’a coûté beaucoup d’argent. Cela aurait pu revenir bien plus cher, mais The Epic était difficile de ce point de vue là. Jouer l’album sur scène est aussi un plaisir. Nous l’avons déjà joué en live. Nous avons fait un enregistrement live sur NPR. C’est une expérience très différente. Même s’il y a beaucoup de mouvements dans l’album, que la musique change et se transforme tout au long des trois disques, lorsque nous jouons live, les choses bougent et vivent encore plus. Sur scène, nous sommes entièrement libres, libres de telle manière que la musique peut aller dans n’importe quel sens – elle se déplace partout à la fois. Tous ces petits changements se produisent de façon spontanée : parfois, il arrive qu’on joue une chanson et que, ce faisant, elle se transforme en un morceau très différent. Ce n’est plus la même chanson que l’on joue, c’est comme si nous interprétions sur l’instant une toute nouvelle création. Ce genre de chose se produit tout le temps lors de nos concerts. C’est une expérience différente et vraiment cool, je pense que les gens aiment ça, ce sentiment d’assister à quelque chose d’unique. Mais un tel album est très difficile à jouer sur scène. On ne pourra probablement pas en jouer tous les chansons à chaque concert ! Mais nous allons tenter d’en jouer le plus possible, même si je ne sais pas si nous aurons trois heures de concert à chaque fois… Pour la soirée de lancement du disque, nous avons joué 15 titres de l’album sur les 17, et le concert a duré cinq heures – c’était long. NPR n’a diffusé que deux heures de ce concert, alors qu’il durait trois de plus. Fort heureusement, je ne pense pas qu’ils seront tous aussi longs. Aujourd’hui, je suis en pleine réflexion, car il est très coûteux de partir en tournée avec un groupe comme celui-là. Je suis donc en train de travailler sur le tour et son financement, afin de savoir combien de membres du groupe je pourrai emmener en tournée. Je voudrais emmener tout le monde, ce ne sera qu’une question d’argent – cela dépendra de mes moyens. Je suis donc encore en train d’y réfléchir actuellement.
Mais même si je ne sais pas encore avec quels musiciens je partirai sur la route, nous avons prévu de faire une tournée européenne, entre fin octobre et fin novembre. Nous nous produirons donc en France, c’est certain. Je publierai les dates aussi rapidement que possible, j’ai hâte. La tournée n’a pas encore commencé et l’album vient juste de sortir, mais j’ai déjà énormément d’idées pour de nouvelles chansons. J’écris beaucoup de musique, il y a des centaines de morceaux que j’aimerais enregistrer. J’ai déjà de nouveaux albums en tête, des albums que je veux réaliser moi-même. Je suis également heureux de pouvoir aider mes amis à sortir les leurs. Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons travaillé sur huit projets différents durant l’enregistrement de The Epic. Aujourd’hui, les huit autres albums sont presque finis et il s’agit maintenant de trouver comment les sortir et les faire connaître au monde…
Traduit de l’anglais par Marine Bonnichon et Claire Ferrant. Couverture : Kamasi Washington dans les rues de Los Angeles, par Janice Wang.