Malin génie
Une voix familière résonne dans l’oreillette de Sean Hannity. Ce 9 jeudi juillet 2020, le visage carré du commentateur politique s’illumine sur l’antenne de Fox News. « Comment va Mark ? » vient de lui demander Donald Trump, invité pour une interview au téléphone. Le président américain demande des nouvelles d’un autre invité, l’avocat Mark Levin, comme s’il parlait à un ami. Il se sait en terrain conquis ici.
À 117 jours de l’élection présidentielle, Trump est cordialement interrogé sur le scrutin à venir, le Covid-19 et son programme. Quand Sean Hannity lui demande si son adversaire Démocrate, Joe Biden, a les capacités mentales nécessaires pour être président, il a une réponse cinglante : « Il n’a passé aucun test cognitif car il ne pourrait pas en réussir un seul », attaque-t-il.
« Moi j’en ai passé un très récemment », enchaîne le milliardaire, « quand la gauche radicale demandait si j’avais tous mes moyens, et j’ai prouvé que j’avais tous mes moyens car j’ai réussi brillamment le test. » Trump explique avoir fait preuve d’une grande intelligence devant des médecins du Walter Reed National Military Medical Center. Ces derniers étaient d’après lui « très surpris ». « C’est quelque chose d’incroyable. Rares sont les gens qui font ce que vous venez de faire », auraient-ils déclaré.
Aucune information supplémentaire n’a toutefois filtré à propos de ce test. En janvier 2018, Donald Trump avait bien obtenu un score parfait à un test cognitif, selon un médecin de la Maison-Blanche, mais cela ne suffit pas à prouver qu’il est « supérieurement » intelligent : il s’agissait d’un test pour détecter des problèmes cognitifs chez les personnes âgées, consistant à identifier des animaux, dessiner une horloge et réaliser de simples exercices de mémoire.
Pour ses contempteurs, les récentes déclarations de Trump ont au contraire valeur de mauvais test. Lors du briefing quotidien de la Maison-Blanche sur la crise du coronavirus le jeudi 23 avril, le chef d’État a estimé qu’il pourrait être intéressant d’étudier l’effet d’une injection de désinfectant directement dans l’organisme de patients. Il a aussi considéré l’utilisation de la lumière du soleil pour combattre le nouveau coronavirus. « J’ai vu que le désinfectant pouvait anéantir le virus en une minute. Une minute ! Y a-t-il un moyen de faire quelque chose comme ça, avec une injection ? » se demandait le président, laissant les experts et médecins interdits.
Trump veut aussi croire que 99 % des cas de Covid-19 recensés aux États-Unis sont « bénins », alors que 20 % des infections entraînent une hospitalisation. Selon le journaliste du Los Angeles Times Michael McGough, Donald Trump est tout simplement ignorant et n’a pas le sérieux que l’on attend d’un président. Mais si ces idioties ont une fin, ne prouvent-elle pas le sens de la stratégie du président ?
Le QI mystère
Trump n’a pas attendu d’être président pour vanter son intelligence. « Désolé les losers et les haineux, mais mon QI est l’un des meilleurs et vous le savez tous ! » tweetait-il le 9 mai 2013. « S’il vous plaît ne vous sentez pas stupides ou anxieux, ce n’est pas de votre faute. »
En janvier 2004, il était invité sur le plateau du Today Show, une émission de télévision matinale américaine, pour faire la promotion de son programme de télé-réalité The Apprentice. Donald Trump a tout de suite complimenté les compétences intellectuelles incomparables des personnes qui lui envoyaient des candidatures pour travailler dans l’une de ses entreprises. « Ils sont brillants. Ils ont environ 200 de QI, tous » et un « incroyable cerveau ». Et celui qui les recrute ne peut bien sûr pas l’être moins.
En mars 2016, en pleine campagne présidentielle, l’université Carnegie-Mellon publiait une étude analysant les discours des candidats à la primaire Républicaine. Elle parvenait à la conclusion que Donald Trump utilisait un vocabulaire digne d’un enfant en classe de cinquième. Pour le magazine Politico, ce résultat ne prouve pas pour autant que Trump est simplet. Il montre plutôt qu’il parle un langage très courant, avec une grande économie de mots.
Durant sa campagne et son mandat présidentiel, Donald Trump n’a cessé de faire les éloges… de Donald Trump. À plusieurs reprises, le Républicain se félicitait et assurait qu’il était « quelqu’un de très intelligent », comme il l’a déclaré le 25 octobre 2017. Quelques mois auparavant, en juillet, il frôlait l’auto-idolâtrie. « À l’exception du grand Abraham Lincoln, je peux être le président le plus compétent de tous les présidents qui ont tenu ce rôle », déclarait-il sous les acclamations du public.
Ce n’est pourtant pas l’avis de tous. Lors d’un dîner organisé le 18 juillet 2017 à Washington, le conseiller à la sécurité nationale Herbert Raymond McMaster l’a qualifié d’idiot et de crétin, doté de l’intelligence d’un enfant de maternelle. Selon des sources bien placées, le secrétaire d’État de l’époque, Rex Tillerson, l’a qualifié d’imbécile à la même période, lors d’un rendez-vous au Pentagone. « Je pense que c’est une fausse information », avait répondu Donald Trump. « Mais s’il l’a dit, je pense qu’il faudra comparer nos tests de QI. Et je peux vous dire qui va gagner. »
En mai 2019, Donald Trump s’est aussi qualifié de « génie très stable », comme s’il avait besoin de ce mantra pour convaincre. « Une grande partie de son obsession provient de sa crainte de ne pas être perçu comme quelqu’un d’intelligent », déclare un ancien fonctionnaire de la Maison-Blanche. Donald Trump n’a cessé de parler de son intelligence et de ses réussites exceptionnelles aux tests cognitifs et pourtant, aucun résultat officiel n’a jamais été publié. « S’il a vraiment passé un test de QI, alors pourquoi il ne poste pas les résultats ? » s’interroge le psychologue américain Dean Keith Simonton. Une question à laquelle seul le président américain a la réponse.
Couverture : US Air Force