L’espoir est à nouveau permis. Après avoir mis au point un vaccin contre le Covid-19 avec Pfizer, la société allemande de biotechnologie BioNTech développe à présent un vaccin contre le cancer. Et selon la scientifique et cofondatrice de l’entreprise Özlem Türeci, il pourrait être au point d’ici quelques années seulement. L’invention d’un tel vaccin est précisément la raison pour laquelle BioNTech a été fondé, révélait la chercheuse le 19 mars 2021. Et à l’instar du vaccin contre le Covid-19, les vaccins contre le cancer de BioNTech utiliseront les ARN messagers. Après des décennies de recherches et d’échecs, sera-t-on bientôt débarrassés du fléau du cancer ? On aimerait que ce soit aussi simple.
Un vaccin contre le cancer
« Un vaccin contre le cancer. » L’expression a été reprise en chœur par plusieurs médias à la publication, en janvier 2018, d’une étude menée par des chercheurs de l’université Stanford, en Californie. Elle laisse rêver au développement d’un vaccin préventif, capable d’empêcher le développement de la maladie. Mais comme le rappelle l’Institut Curie, une telle approche n’est possible que si la survenue du cancer a pour origine une infection virale. Ainsi, « la systématisation de la vaccination contre l’hépatite B a largement contribué à prévenir les cancers du foie dans des régions du globe où le taux d’infection par le virus de l’hépatite B est important », et la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) « des jeunes filles entre 11 et 14 ans permettrait d’éviter 70 % des infections à l’origine de cancers » du col de l’utérus.
En France, seules 19 % des femmes sont vaccinées contre le HPV. Mais à l’autre bout du monde, en Australie, on vise les 100 % de vaccination grâce à un système de distribution gratuite aux adolescents âgés de 12 à 13 ans. Aux filles depuis 2007, et aux garçons depuis 2013. Celles et ceux qui se trouvent en dehors de cette tranche d’âge, mais qui ont moins de 19 ans, ont également droit à deux doses gratuites du vaccin. Résultat, le taux d’infection au HPV, qui se transmet notamment par voie sexuelle, a chuté de 22,7 % à 1,1 % entre 2005 et 2015 parmi les femmes âgées de 18 à 24 ans, selon un rapport publié dans le Journal of Infectious Diseases. À ce rythme-là, l’Australie pourrait bientôt devenir le premier pays du monde à éradiquer le cancer du col de l’utérus, d’après l’International Papillomavirus Society.
Contre les autres cancers, il n’est pas question de vaccination préventive, mais de vaccination thérapeutique. « Une situation très différente de celle de la vaccination préventive car l’intrus est déjà présent dans l’organisme et les défenses sont souvent débordées par la prolifération tumorale », précise l’immunologiste Vassili Soumelis. D’autant que, contrairement aux virus, les cellules cancéreuses sont produites par le corps lui-même. Le système immunitaire ne les perçoit pas comme une menace. Il s’agit donc en premier lieu de lui apprendre à reconnaître cette menace afin d’éradiquer les cellules cancéreuses, qui sont néanmoins capables d’envoyer des signaux pour contrer la réponse immunitaire. Le vaccin doit alors être associé à une méthode d’immunothérapie basée sur des checkpoint inhibitors, ou « inhibiteurs de points de contrôle », qui sont quant à eux capables de faire taire ces signaux.
Aux États-Unis, pas moins de 800 essais cliniques incluant des « inhibiteurs de points de contrôle » sont actuellement en cours, contre seulement 200 en 2015. « L’immunothérapie constitue indiscutablement une nouvelle arme de choix contre le cancer », souligne l’immunologiste Sebastian Amigorena. « Cette stratégie thérapeutique soulève beaucoup d’espoirs », poursuit-il. « Il est aujourd’hui possible de traiter des malades atteints de cancers très avancés. Donc chez des patients présentant des cancers moins avancés, les traitements devraient être encore plus efficaces. » Et si le chemin qu’il reste encore à parcourir peut sembler long, celui qui l’a déjà été l’est peut-être davantage.
Les soldats de l’organisme
En 1891, l’orthopédiste new-yorkais William Coley applique, pour la première fois, le principe de l’immunothérapie à la cancérologie. Il injecte alors un mélange de bouillon de bœuf et des streptocoques dans la tumeur d’un homme de 40 ans. Celui-ci est aussitôt pris de fièvre, de frissons et de vomissements. Mais un mois plus tard, la tumeur a considérablement diminué. William Coley reproduit donc l’expérience, sur un millier de patients et avec des degrés de succès extrêmement variables, avant que l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) n’y mette un terme définitif. Et que l’oncologie ne s’engage résolument sur la voie de la radiothérapie, puis de la chimiothérapie, et enfin de l’hormonothérapie.
Car tout au long du XXe siècle, l’immunothérapie suscite autant d’enthousiasme que de désillusions. Mais en 2001, l’immunologiste Robert Schreiber démontre que les souris immuno-incompétentes développent spontanément des cancers, établissant ainsi le fait que l’absence de système immunitaire favorise l’apparition de tumeurs. Comme l’écrit le cancérologue Wolf Hervé Fridman, « les avancées de la connaissance du système immunitaire avec la découverte des checkpoint inhibitors et des techniques de clonage moléculaire et cellulaire identifiant des antigènes spécifiques des tumeurs et la production de cellules T et d’anticorps spécifiques de ces antigènes ont fait le reste, permettant à l’immunothérapie de devenir le quatrième, et le plus prometteur, pilier du traitement des cancers ».
« Une fois réactivées, les cellules T parviennent à supprimer la tumeur. »
Si l’on considère les cellules T – ou lymphocytes T – comme les soldats de l’organisme, on peut dire qu’ils sont aujourd’hui sur-entraînés, et ce dans l’objectif d’éradiquer le cancer. En effet, dans le cadre des thérapies par cellules CAR-T (« cellules T porteuses d’un récepteur chimérique »), qui ont pour la première fois été approuvées par la FDA en août 2017 pour le traitement d’un cancer du sang particulièrement agressif, la leucémie aiguë lymphoblastique, ces cellules immunologiques sont prélevées sur le patient, puis modifiées génétiquement de manière à leur faire exprimer un récepteur artificiel, dit chimérique, qui cible les cellules cancéreuses, avant d’être réinjectées au patient. Le fait d’utiliser ses propres cellules permet notamment d’éviter les rejets de greffe.
Mais à en croire l’immunologiste Karin Tarte, « un nombre limité de patients répondent aux traitements utilisant des cellules CAR-T ». Et « si des taux exceptionnels de guérison sont atteints dans les leucémies aiguës lymphoblastiques, les guérisons sont moins nombreuses pour ce qui est des autres leucémies et des lymphomes ». Par ailleurs, ce type de traitements peut avoir de dangereux effets secondaires, tels qu’une forte fièvre, des troubles respiratoires, une baisse de tension ou encore des convulsions. Ils impliquent un long processus et ils sont extrêmement coûteux. Si une seule injection de cellules CAR-T suffit, cette injection est actuellement facturée entre 373 000 et 475 000 dollars aux États-Unis. D’où le caractère potentiellement révolutionnaire de l’étude publiée en janvier dernier par les chercheurs de l’université Stanford.
L’optimisme du pionnier
Ces chercheurs ont injecté des quantités infimes de deux agents immuno-stimulants dans les tumeurs solides de souris afin de réactiver les cellules T présentes dans ces tumeurs, c’est-à-dire les cellules T ayant déjà reconnu les cellules cancéreuses comme une menace. Le premier est un court morceau d’ADN, l’oligonucléotide CpG, qui amplifie l’expression d’un récepteur activateur sur les cellules T, OX40. Le second est un anticorps qui se lie à OX40. « Lorsque nous utilisons ces deux agents ensemble, nous constatons l’élimination des tumeurs dans tout le corps », affirme le principal auteur de l’étude, l’oncologue Ronald Levy. « Cette approche contourne le besoin d’identifier des cibles immunitaires spécifiques à une tumeur et ne nécessite pas une activation complète du système immunitaire, ou de personnalisation des cellules immunitaires d’un patient. »
Une fois réactivées, les cellules T parviennent à supprimer la tumeur dans laquelle elles se trouvent. Et elles ne s’arrêtent pas là. Elles partent ensuite à la recherche d’autres cellules cancéreuses de même nature dans le corps de la souris, qu’il s’agisse d’une autre tumeur ou de métastases. Sur les 90 souris atteintes d’un cancer du système lymphatique – le lymphome –, 87 ont complètement guéri et trois ont eu une récidive de la maladie, qui a pu être totalement éliminée par un second traitement. Les chercheurs de l’université Stanford ont en outre observé des résultats similaires chez les souris atteintes de cancers du sein, du côlon et de la peau. Plus étonnant encore, des souris génétiquement modifiées pour développer spontanément des cancers du sein ont bien répondu au traitement. Le traitement de la première tumeur a souvent empêché l’apparition de futures tumeurs et augmenté de manière significative la durée de vie des animaux.
« Je ne pense pas qu’il y ait une limite au type de tumeurs que nous pourrions potentiellement soigner, tant qu’il a été infiltré par le système immunitaire », précise Ronald Levy. Un optimisme d’autant plus réconfortant qu’il est exprimé par un véritable pionnier de l’immunothérapie des cancers. Ses recherches ont déjà mené à la mise au point du Rituximab, premier anticorps monoclonal homologué par la FDA pour le traitement de certaines leucémies et de certains lymphomes. Il se souvient parfaitement du jour où il a découvert qu’il était possible de générer des anticorps monoclonaux capables de reconnaître les cellules cancéreuses dans l’organisme et de les étiqueter en vue de leur destruction : « C’était le jour de Thanksgiving, 1976. J’ai développé un gel, j’ai vu le résultat et les deux décennies suivantes de ma vie étaient devant mes yeux. J’ai couru dans le couloir pour montrer quelqu’un, mais il n’y avait personne. »
En 1985, il crée un laboratoire, IDEC Pharmaceuticals, pour pouvoir commercialiser le traitement qui a découlé de cette découverte. Mais ce n’est qu’en 1997 que le Rituximab est finalement homologué. Aujourd’hui, environ 500 000 patients en bénéficient chaque année. « Il a été merveilleux d’assister à la transition d’un projet de laboratoire à un médicament sur ordonnance », témoigne Ronald Levy. Reste néanmoins à tester l’efficacité de son tout nouveau traitement sur les êtres humains. L’université Stanford est actuellement en train de recruter une quinzaine de patients atteints de lymphome pour débuter l’essai clinique. Elle ne précise pas la date de publication des premiers résultats, mais si l’histoire de la lutte contre le cancer nous apprend une chose, c’est bien qu’il faut être patient. Et confiant.
Couverture : Test en laboratoire. (Drew Hays/Unsplash)