Apollo 15
Le 26 juillet 1971 à 13 heures 34 UTC, la fusée Saturn V décollait du centre spatial Kennedy, marquant ainsi le début de la mission spatiale Apollo 15. Cette mission fut la première à faire intervenir le rover lunaire, qui effectua trois sorties en 67 heures et parcourut 27,9 kilomètres. Mais elle fut également la première à faire intervenir le LiDAR. Imaginée en 1930 par le physicien irlandais Edward Hutchinson Synge, cette technologie permet notamment de mesurer un objet à distance.
En l’occurrence, elle a permis aux êtres humains de cartographier la Lune. Comme l’explique un scientifique de la NASA, le Dr James Abshire, « le lidar était basé sur un laser à rubis pompé par une lampe flash, et les missions Apollo 15-17 l’ont utilisé pour faire plusieurs milliers de mesures de la hauteur de la surface lunaire à partir de l’orbite ». Car, contrairement au radar qui utilise les ondes radio, ou encore au sonar qui utilise les ondes acoustiques, le LiDAR utilise les ondes lumineuses.
Voilà pourquoi le physicien britannique James Ring explique que son nom provient d’une contraction des termes « light » et « radar » dans son ouvrage The Laser in Astronomy, paru en 1963. La technologie commence alors à se développer grâce à l’invention des premiers lasers par le physicien américain Theodore Maiman. Ceux-ci sont principalement utilisés en météorologie, mais on leur prête déjà d’autres ambitions. « Depuis son invention, il y a seulement trois ans, le laser a stimulé l’imagination des scientifiques dans pratiquement tous les domaines d’activité », peut-on lire dans le Bulletin of the American Meteorological Society de septembre 1963. « Les propriétés inhabituelles du faisceau laser ont ouvert à la recherche une zone inexplorée dans le large spectre du rayonnement électromagnétique. Le laser rend maintenant possibles l’exploitation de l’énergie du rayonnement électromagnétique et la mise en forme de ses propriétés optiques. »
Dès les années 1970, le mot « LiDAR » est compris comme un acronyme de « Light Detection And Ranging », ou encore de « Laser Imaging Detection And Ranging » – « détection et estimation de la distance par la lumière ». Dans les années 1980, l’avènement des lasers pompés par diode permet d’améliorer considérablement l’efficacité et la résolution de la technologie qu’il désigne.
« Ces avancées ont été utilisées dans les missions spatiales de la NASA pour cartographier la forme et la topographie de Mars avec plus de 600 millions de mesures, démontrer les mesures initiales de la topographie de la Terre et mesurer la forme détaillée de son astéroïde », raconte James Abshire. « Le lidar orbital a également été utilisé dans des expériences pour démontrer la distance laser sur des distances planétaires, y compris la transmission d’impulsions lasers de la Terre vers l’orbite de Mars. Basé sur la valeur démontrée de ces mesures, le lidar est maintenant l’approche de mesure préférée pour beaucoup de nouvelles missions spatiales scientifiques. »
Mais ses applications ne s’arrêtent pas là. Après s’être rendu indispensable aux astronomes, le LiDAR a bouleversé l’archéologie et accéléré le développement des voitures autonomes, entre autres prouesses.
Déforestation virtuelle
Les premières expériences d’application du LiDAR à l’archéologie datent des années 2000 et elles ont eu lieu en Europe. Aujourd’hui, il ne se passe quasiment plus un mois sans que nous apprenions que cette technologie a permis une nouvelle découverte dans le monde. Ce mois-ci, il s’agit de milliers de bâtiments mayas, dissimulés par la canopée de la jungle guatémaltèque pendant des siècles. Un bien maigre obstacle pour un LiDAR aéroporté, qui peut détecter tous les détails au sol, y compris sous le plus épais des couverts forestiers. L’ensemble des points enregistrés au cours du survol est ensuite filtré à l’aide d’algorithmes très puissants afin de réaliser un modèle numérique du terrain via des restitutions photogrammétriques en 3D. Une cartographie qui s’étend cette fois sur 2 100 km2 au nord du département du Péten, et couvre plus particulièrement la réserve de biosphère maya créée en 1990.
En tout, 60 000 structures mayas ont ainsi été révélées. Des pyramides, des palais, des centres cérémoniels, mais aussi des parcelles cultivées et des habitations, formant au total « une douzaine de cités ». « Les terrasses et les champs de culture irrigués, les sites fortifiés et les grandes chaussées révèlent des modifications du paysage naturel faites par les Mayas à une échelle inimaginable », insiste Francisco Estrada-Belli, professeur d’archéologie à l’université Tulane. « Les guerres mayas ont fait l’objet de recherches pendant des décennies, se concentrant souvent sur l’effondrement des sites classiques », rappelle pour sa part Thomas Garrison, professeur d’archéologie à l’Ithaca College. Or « le lidar révèle la manifestation physique de ces conflits passés d’une manière qui montre qu’ils étaient un facteur déterminant dans l’ancienne culture maya, et qu’ils ont probablement façonné l’émergence et le développement de certaines de leurs plus grandes villes », note-t-il.
Outre cette découverte fantastique, le LiDAR a notamment permis de révéler l’existence d’une cité perdue au Mexique, qui comptait à son apogée autant de bâtiments que l’île de Manhattan ; des villes khmères cachées dans la jungle cambodgienne ; ou bien une forteresse viking datant du Xe siècle au Danemark.
En réalisant des relevés de la topographie et de la structure des forêts, il permet aussi de développer des modèles de prédiction de leur évolution et son usage s’est généralisé, dans leur observation comme dans leur gestion. Il va en outre permettre au Royaume-Uni de cartographier l’ensemble de son territoire d’ici 2020. « Ce projet ambitieux améliorera notre compréhension des caractéristiques naturelles et du paysage unique de l’Angleterre, en nous aidant à mieux comprendre le risque d’inondation, à planifier des défenses efficaces et à lutter contre la criminalité liée aux déchets », affirme le directeur de l’Agence britannique pour l’environnement, James Bevan. « Je suis heureux que nous soyons en mesure de recueillir, d’utiliser et de partager des données si précieuses pour contribuer à l’amélioration de l’environnement et de sa conservation. »
Mais à mille lieues des forêts, des jungles et des collines verdoyantes de la campagne anglaise, le LiDAR semble surtout devenir indispensable en environnement urbain, où il sert d’yeux aux véhicules autonomes actuels.
Scanner sombre
Selon un rapport du cabinet d’analystes Frost & Sullivan datant de 2016, environ 90 % des projets du secteur s’appuient sur cette technologie pour détecter les obstacles et produire une image précise de l’environnement routier. Il n’était donc pas étonnant de la retrouver au cœur du différend judiciaire qui a opposé la filiale de Google dédiée aux véhicules autonomes, Waymo, au géant du VTC, Uber, et s’est réglé à l’amiable le 9 février dernier. La première accusait en effet le second d’avoir recruté son ingénieur vedette, Anthony Levandowski, pour bénéficier de secrets industriels sur son LiDAR.
Ne comprenant pas de pénalité en liquidités, l’accord ne met pas en péril le programme de véhicules autonomes développé par Uber, mais il ne lui permet pas non plus de rattraper Waymo dans ce domaine. Ni même General Motors, qui a fait l’acquisition du fabricant de Lidar Strobe en octobre 2017. Le même mois, Ford s’offrait la start-up spécialisée Princeton Lightwave à travers sa filiale Argo AI.
Seul réfractaire notable du secteur, Tesla préfère pour sa part s’appuyer sur une combinaison de radars, de caméras et de capteurs à ultrasons. « [Le LiDAR] est comme une béquille qui va offrir aux constructeurs un confort maximum duquel ils ne pourront pas sortir », justifie son PDG, Elon Musk. « Peut-être que j’ai tort et que je vais avoir l’air d’un idiot. Mais je suis quasi sûr de moi. » Et de fait, les voitures de Tesla proposent déjà des fonctionnalités s’apparentant à la conduite autonome. Réunies sous l’option « Autopilote », elles leur permettent de prendre les commandes dans certaines conditions.
De l’aveu même d’Elon Musk, Tesla doit encore « résoudre le problème de la reconnaissance optique passive pour une conduite autonome dans tous les environnements et dans toutes les conditions » mais, dit-il, « utiliser des optiques actives comme le LiDAR, incapable de lire des panneaux de signalisation, n’a aucun sens. C’est cher et cela va augmenter les coûts. »
Car le LiDAR est une technologie particulièrement onéreuse. Certaines pièces peuvent être facturées entre 70 000 et 80 000 euros. Ce qui est tout à fait incompatible avec la commercialisation à grande échelle d’un véhicule. Les industriels en sont conscients, et ils multiplient les initiatives pour diviser leurs coûts de production. Velodyne LiDAR a notamment réduit de 50 % le coût de son VLP-16 Puck en tirant « parti de techniques de fabrication avancées et rationalisées » dans son usine de San José, aux États-Unis. « Avec cette réduction des coûts, nous pourrons fournir un plus grand nombre de Pucks à un plus grand nombre de clients, soutenir le nombre croissant de parcs de développement de véhicules autonomes à travers le monde, et commencer à créer un avenir meilleur », assure son PDG, David Hall. « Notre objectif est de démocratiser la sécurité du transport en la rendant accessible au plus vite à chaque homme, femme et enfant dans le monde. » Et donc de rester à la pointe d’un marché qui pourrait bien peser 13 milliards de dollars en 2027.
Quoi qu’il en soit, le LiDAR et ses impulsions de lumière infrarouge continuera encore longtemps de faire avancer la recherche et l’innovation, et ses images uniques de frapper l’imagination. Certains créateurs s’en sont déjà emparés, à l’image de Radiohead pour son clip « House of Cards », ou du studio de développement de jeux vidéo Introversion Software pour son inquiétant jeu d’exploration Scanner Sombre.
Combien de merveilles tapies loin des regards révélera-t-il encore, combien de machines dotera-t-il d’une vision ?
Couverture : Los Angeles vue par un LiDAR. (DR)