L’épilepsie est une affection neurologique dont on peut souffrir à n’importe quel âge et qui se caractérise par la survenue de crises convulsives à la fois spontanées et récurrentes. « Pendant ces crises, les neurones déchargent de façon massive et synchrone », explique Christophe Bernard, chercheur à l’Institut de neuroscience des systèmes, en faisant appel à l’image d’un « orage électrique dans le cerveau ». « L’épilepsie est la pathologie cérébrale la plus fréquente après la migraine », ajoute-t-il. Selon l’Organisation mondiale de la santé, elle touche environ 50 millions de personnes à travers le monde. « Il existe de nombreuses formes de médicaments, mais dans 30 % des cas l’épilepsie résiste à tout traitement. Pour ces patients, il reste la stimulation du nerf vague ou du cerveau, ou la neurochirurgie quand c’est possible. » Ou encore le cannabis médical. Et plus précisément le cannabidiol (CBD), un des constituants du cannabis. Nettement moins célèbre que le tétrahydrocannabinol (THC), celui-ci a des effets thérapeutiques sans les effets hallucinogènes de la plante. C’est en tout cas ce qu’une étude récente semble indiquer, et il a d’ores et déjà permis à la petite Charlotte Figi, parmi d’autres patients épileptiques, de « mener une vie normale ».

Charlotte Figi et sa mère
Crédits : Famille Figi

Charlotte’s Web

L’histoire de Charlotte Figi a été révélée au monde par un reportage de la chaîne CNN en août 2013. Née en 2006 au Colorado, la petite fille était atteinte d’une forme rare et grave d’épilepsie d’origine génétique, le syndrome de Dravet. Elle avait tout juste trois mois lorsque la première crise est survenue. À l’âge de cinq ans, elle souffrait de plusieurs centaines de crises par semaine et elle avait cessé de se développer normalement. Elle ne pouvait plus ni marcher, ni parler, ni s’alimenter. Désespérée, sa mère, Paige, a alors décidé de recourir au cannabis médical, qui est autorisé au Colorado depuis novembre 2000. Mais il lui a d’abord fallu convaincre deux médecins d’en prescrire à Charlotte, plus jeune patiente jamais enregistrée pour ce type de traitement aux États-Unis. « Tout le monde disait non, non, non, non, non », a confié Paige à CNN, « et j’ai continué à appeler et à appeler. » Puis il a fallu trouver le bon dosage. « Nous étions des pionniers dans cette histoire ; nous faisions de Charlotte un cobaye. C’est une substance illégale au niveau fédéral. Pour être honnête avec vous, j’étais terrifiée. » Finalement, 6 à 8 milligrammes de CBD par kilogramme de poids corporel et par jour se sont avérés suffisants pour éliminer les crises de Charlotte, qui a progressivement recommencé à se développer, à marcher, à parler, à manger – et à rire. « Je ne l’avais pas entendue rire pendant six mois. Je n’entendais plus sa voix du tout, juste ses pleurs. » Le CBD était administré à Charlotte sous forme d’huile, et extrait d’une variété de cannabis à très faible teneur en THC. Ses cultivateurs, les six frères Stanley, l’ont baptisée « Charlotte’s Web » et ils ont fondé à Colorado Springs une association caritative destinée à fournir du cannabis thérapeutique à des personnes atteintes de différentes pathologies – l’épilepsie, bien sûr, mais aussi la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, le cancer. « Le cannabis est connu pour diminuer différents symptômes, comme la nausée et les vomissements, notamment lors des chimiothérapies », disait à Ulyces en février dernier Catherine Jacobson, directrice des essais cliniques de Tilray, filiale dédiée au cannabis médical du groupe Privateer Holdings.

Ses travaux visent notamment à établir des standards de qualité des produits, ainsi qu’à définir quelles formes sont les plus adaptées, entre la poudre, le spray et la pilule. Elle-même s’est intéressée au cannabis dans l’espoir de pouvoir un jour soigner son enfant de l’épilepsie. Hélas, dans son cas, le CBD n’a pas permis d’enrayer le cours de la maladie… Car comme le souligne Christophe Bernard, « il est possible que ça ne marche que sur certains patients », et « il faut démontrer un effet sur les crises par des essais cliniques en double aveugle », mais « les chercheurs sont très ouverts sur la question » et le CBD apparaît aujourd’hui comme une réelle « piste thérapeutique ».

Le Qanûn

Le cannabis aurait en fait été utilisé pour traiter l’épilepsie pendant des milliers d’années avant d’être éclipsé par la médecine occidentale moderne. Le plus célèbre des médecins arabes, Ibn Sīnā, plus connu sous son nom latin Avicenne, mentionne en effet cet usage de la plante aux alentours de l’an 1000 avant Jésus Christ, dans son ouvrage encyclopédique, le Qanûn. Or cet ouvrage, traduit en latin au XIIe siècle de notre ère, fut considéré comme une référence pour l’enseignement de la médecine en Europe jusqu’au XVIIe siècle. Outre les maladies neurologiques telles que l’épilepsie, il préconise l’usage du cannabis pour le traitement des règles douloureuses et les accouchements difficiles.

Ibn Sīnā

C’est l’importante proportion des épilepsies résistantes à toute forme de traitement, stable depuis les années 1850, qui a poussé les chercheurs à se pencher de nouveau sur le cannabis, et ce dès les années 1970. Des études menées sur des animaux ont alors montré son efficacité contre les crises convulsives. Celle de la biologiste Melisa Wallace qui date de 2002, par exemple, a montré que les cannabinoïdes endogènes tels que le CBD inhibaient les contractions musculaires. Mais aucune étude d’envergure n’avait été menée sur l’homme. Et cela faisait cruellement défaut à la communauté scientifique. D’où le titre de l’éditorial qui accompagnait, en mai dernier, la publication de la première étude de ce type dans le New England Journal of Medicine : « De vraies données, enfin. » « Les rapports médiatiques anecdotiques de résultats spectaculaires, conjugués à l’attrait de l’utilisation d’un composé “naturel” et d’anciennes croyances liées à son utilisation récréative, plus le fait que le cannabis médical reste illégal dans plusieurs juridictions, ont rendu extrêmement difficile pour les médecins de donner des conseils dans ce domaine », estime l’auteur de cet éditorial, Samuel Berkovic, neurologue à l’université de Melbourne.

L’étude en question a été menée dans 23 centres aux États-Unis et en Europe, auprès de 120 enfants et adolescents atteints du syndrome de Dravet. Après quatre semaines d’observation, durant lesquelles le type et la fréquence de leurs crises étaient scrupuleusement notés, ils ont reçu pendant 14 semaines soit un placebo, soit un médicament contenant 20 milligrammes de CBD par kilogramme de poids corporel. Résultat, dans le groupe traité au CBD, le nombre médian de crises convulsives est passé de 12,4 à 5,9 par mois, soit une baisse de 52,4 %. Dans le groupe ayant reçu le placebo, le nombre médian de crises convulsives est passé de 14,9 à 14,1 par mois, soit une baisse de 5,4 %. Dans les deux groupes, des effets secondaires indésirables, comme de la diarrhée, des vomissements, de la fatigue, de la fièvre et de la somnolence, ont été signalés. Par ailleurs, le CBD ne s’est pas révélé totalement efficace. Il n’a par exemple pas réduit de manière significative la fréquence des crises non-convulsives, telles que les absences.

L’Epidiolex

Le médicament utilisé dans l’étude publiée par le New England Journal of Medicine en mai dernier, l’Epidiolex, est produit par GW Pharmaceuticals, qui avait auparavant obtenu de bons résultats dans un essai sur une autre forme d’épilepsie, toute aussi grave, que le syndrome de Dravet – le syndrome de Lennox-Gastaut. Le laboratoire, qui demande une autorisation de mise sur le marché pour l’Epidiolex dans les deux indications aux États-Unis, annonce dans un communiqué de presse être en mesure de remplir la dernière phase du processus en octobre prochain.

Crédits : GW Pharmaceuticals

« Avec maintenant une vision claire de notre autorisation à venir, nous faisons d’excellents progrès dans la préparation pour assurer un lancement hautement réussi en 2018 », affirme le PDG Justin Gover. « Outre l’Epidiolex, nous continuons à nous concentrer sur notre gamme de cannabinoïdes, où nous avons avancé sur plusieurs essais cliniques supplémentaires excitants. » GW Pharmaceuticals vise également le marché européen. L’Epidiolex pourrait donc être bientôt vendu en France, où la consommation, la vente et la culture du cannabis, même thérapeutique, sont interdites et lourdement pénalisées depuis le 31 décembre 1970. « Il n’y a pas besoin de changer la loi pour utiliser le CBD en médecine », explique Christophe Bernard. « Il faut juste qu’il démontre son efficacité et qu’il passe l’autorisation de mise sur le marché. » Pour le chercheur, ce n’est pas la question de la légalisation du cannabis qui se pose ici. « Le cannabis a des effets néfastes », dit-il. « Le CBD, qui lui pourrait être bénéfique, peut être extrait de la plante et synthétisé. »

Une version d’essai de l’Epidiolex
Crédits : GW Pharmaceuticals

Reste qu’en attendant la commercialisation de médicaments comme l’Epidiolex, de nombreuses personnes voudraient pouvoir utiliser de l’huile de cannabis pour soigner l’épilepsie de leurs enfants de manière sécurisée, et que la loi les en empêche. C’est le cas de Sandrine Simini, qui racontait en 2015 à L’Est Républicain avoir en vain demandé au président de la République l’autorisation de donner du CBD à sa fille Lola, dans l’espoir de la soulager.

« Si je l’obtiens et qu’il ne résout pas les pathologies de Lola, j’aurais fait tout cela pour rien », disait-elle. « Je pense qu’il faut aller plus loin. Le cannabis naturel, bien dosé, est reconnu comme plante thérapeutique dans d’autres pays. Il faudrait que je puisse accéder, sous contrôle bien sûr, aux deux possibilités. Ce n’est pas pour une consommation de loisir que j’entame toutes ces démarches, mais bien pour ma fille. »


Couverture : Le cannabis comme remède à l’épilepsie. (Ulyces.co)