À l’heure où les Américains se rendent aux urnes pour les élections de mi-mandat, ce 6 novembre 2018, le président des États-Unis fait la chasse aux fausses informations sur Twitter. « Il y a une rumeur, colportée par les Démocrates, selon laquelle [le candidat républicain] Josh Hawley du Missouri a quitté prématurément [mon congrès à] l’Arena hier soir. C’est une fake news », assure Donald Trump. La veille, justement, le fondateur d’internet Tim Berners-Lee se disait préoccupé par les mensonges diffusés lors de l’élection présidentielle du milliardaire. Les tentatives de mystification viennent de toutes parts. Lors du Web Summit 2018, Berners-Lee suggère donc aux internautes de signer un nouveau « contrat pour le web », définissant un cadre à respecter.
Au lendemain de son discours, d’autres intervenants de la conférence internationale dédiée aux technologies alertent contre la persistance des fausses informations sur internet. Si le mensonge fait partie de la nature humaine, « l’économie de l’attention manipule les gens de manière à en faire sortir le pire », juge Mitchell Baker, la présidente de Mozilla. Or les pouvoirs publics sont encore loin de saisir le problème à bras le corps. Et les plate-formes comme Facebook « disaient encore il y a un an que ce n’était pas leur problème », regrette le PDG du quotidien britannique The Guardian David Pemsel. « Elles ont réalisé leur responsabilité il y a à peine un an. » Depuis lors, la lutte contre les fake news s’organise.
Destabilisés
« Emmanuel Macron, candidat préféré de l’Arabie saoudite à l’élection présidentielle. » C’est le titre explosif d’un article mis en ligne par le site du quotidien belge Le Soir le 24 février 2017. Il porte la signature, reconnaissable entre toutes, de l’Agence France-Presse, et on y lit que le député socialiste belge Philippe Close affirme que « le royaume d’Arabie saoudite a décidé de financer plus de 30 % de la campagne d’Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle 2017 ». Une information aussitôt reprise par plusieurs sites d’extrême droite, ainsi que par la députée frontiste du Vaucluse Marion Maréchal-Le Pen.
⚠FAKENEWS – Hier j’ai appris avec étonnement que mon nom était cité dans un article relatif au financement de la campagne @EmmanuelMacron pic.twitter.com/dPZqbyzmv8
— Philippe Close (@PhilippeClose) February 28, 2017
Mais le site qui a publié l’article n’est pas réellement le site du Soir. L’Agence France-Presse dément en être la source. Et Philippe Close se dit étonné d’apprendre que son nom est « cité dans un article relatif au financement de la campagne » d’Emmanuel Macron. Cet article est en fait l’un de ces faux article, ou fake news, qui ont été nombreux à polluer la campagne présidentielle de 2017. Mais sa victime a également été le vainqueur de l’élection, et aujourd’hui l’heure de la revanche semble sonner. « Nous allons faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles », a en effet déclaré Emmanuel Macron le 3 janvier dernier.
« Les plateformes se verront imposer des obligations de transparence accrue sur tous les contenus sponsorisés afin de rendre publique l’identité des annonceurs et de ceux qui les contrôlent, mais aussi de limiter les montants consacrés à ces contenus », a-t-il poursuivi. « En cas de propagation d’une fausse nouvelle, il sera possible de saisir le juge à travers une nouvelle action en référé permettant le cas échéant de supprimer le contenu mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l’accès au site Internet. »
Par ailleurs, les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel « seront accrus pour lutter contre toute tentative de déstabilisation par des services de télévision contrôlés ou influencés par des États étrangers ». Difficile de ne pas y déceler une menace à l’encontre des médias russes RT et Sputnik, qu’Emmanuel Macron avait déjà accusé de se comporter « comme des organes d’influence […] et de propagande mensongère » en mai 2017. D’autant que RT avait commencé à diffuser des informations en continu en français deux semaines auparavant seulement… Mais le président français n’est pas le seul à déclarer la guerre aux fake news, et leurs relais sont pléthore.
Le gouvernement brésilien, notamment, a annoncé dans un tweet datant du 9 janvier la mise en place d’une unité spéciale au sein de la police fédérale pour lutter contre les fake news en prévision de l’élection présidentielle d’octobre prochain, avec pour objectif « d’identifier et de punir les auteurs de “fake news” à l’encontre ou en faveur des candidats ». Le cadre juridique de ce programme reste flou cependant, ce qui laisse craindre des abus. Abus contre lesquels l’Union européenne tente pour sa part de se prémunir.
Les 40 experts
La Commission européenne a annoncé, le 15 janvier dernier, qu’elle mobilisait pas moins de 40 experts « de tous horizons » sur la problématique des fake news. Présidé par Madeleine de Cock Buning, professeure à l’université d’Utrech, le groupe est d’abord chargé de circonscrire cette problématique, avant de définir les responsabilités des parties prenantes, et de formuler différentes recommandations. « J’attends de ce groupe un rapport clair, structuré, sur la valeur ajoutée d’une approche européenne », précise la Commissaire européenne à l’Économie et à la Société numérique, Mariya Gabriel, qui veut à tout prix « éviter une grande fragmentation » des États membres de l’Union sur le sujet.
Parallèlement, la Commission a lancé une consultation publique en ligne, qui prendra fin le 28 février prochain. « Comment distinguez-vous des informations vérifiées des fake news ? » demande-t-elle aux internautes. « Quelles sources ou quels relais d’information vous paraissent les plus fiables ? Des outils de signalement d’un faux article sont-ils utiles ? » Combinées aux résultats des travaux du groupe d’experts, les réponses doivent permettre à la Commission de déterminer, « au printemps 2018 », quelles pratiques sont les plus efficaces pour lutter contre les fake news, mais aussi qui a le premier rôle à jouer dans cette lutte.
S’agit-il de l’Union européenne ou des gouvernements nationaux ? Des médias et des journalistes ou des citoyens eux-mêmes ? Ou bien encore Facebook et Twitter ? Leurs algorithmes sont en tout cas régulièrement accusés de faciliter la manipulation des opinions publiques. Des chercheurs de l’université d’Oxford ont ainsi observé un usage massif des réseaux sociaux pour promouvoir des mensonges, de la désinformation et de la propagande dans neuf pays différents : la Russie, la Chine et Taïwan, les États-Unis, le Brésil, le Canada, l’Allemagne, la Pologne et l’Ukraine.
À Taïwan, des milliers de comptes Twitter se sont coordonnés pour mener campagne contre le président Tsai Ing-wen en diffusant de la propagande chinoise. En Russie, 45 % des comptes Twitter très actifs sont en réalité des bots. « Il y a un immeuble à Saint-Pétersbourg avec des centaines d’employés et des millions de dollars de budget dont la mission est de manipuler l’opinion publique », indique l’un des chercheurs, Philip Howard. « Il s’agit de semer la confusion. Il ne s’agit pas forcément de diffuser de fausses informations mais de rendre les gens tellement indifférents à la politique qu’ils n’ont plus envie de s’engager. »
Le Trust Project
Certainement piqué au vif par la critique des chercheurs, Facebook a mis en place un dispositif de signalement des fake news. D’abord aux États-Unis, puis en France, avec le concours de huit médias : Le Monde, l’Agence France-Presse, BFM-TV, France Télévisions, France Médias Monde, L’Express, Libération et 20 Minutes. Ce dispositif permet aux utilisateurs de « faire remonter » les informations qu’ils pensent être fausses. Ces informations sont alors vérifiées par les médias partenaires. Si deux d’entre eux établissent qu’elles sont bel et bien fausses, elles sont marquées d’un drapeau et ne peuvent plus être partagées sans que les utilisateurs de Facebook ne soient alertés par l’ouverture d’une fenêtre.
Par ailleurs, « si des pages partagent de façon répétée des articles considérés comme des fausses informations, ces pages ne seront plus autorisées à faire de la publicité sur Facebook », annonçait la firme en août 2017. « Si ces pages arrêtent de partager des fausses informations, elles pourront de nouveau être autorisées à faire de la publicité », ajoutait-elle. « Les fake news font du mal à tout le monde. Elles rendent le monde moins bien informé et elles entament la confiance. » Puis, en novembre, Facebook, comme Twitter et Google, annonçait sa participation au Trust Project, une initiative internationale réunissant 75 organisations médiatiques et visant à établir des critères de qualité pour les informations.
Car, comme le souligne la responsable de cette initiative, Sally Lehrman, « dans le monde connecté numériquement et socialement d’aujourd’hui, il est plus difficile que jamais de déterminer ce qui est une véritable information, une publicité ou même de la désinformation ». Les lecteurs, de plus en plus sceptiques, veulent « savoir quelles sont l’expertise, l’entreprise et l’éthique derrière une information ». Il s’agit donc de mettre au point des indicateurs de confiance pour les aider à « évaluer si l’information émane d’une source crédible en laquelle ils peuvent avoir confiance ».
Facebook et Google ont précisé qu’ils étaient déjà en train de tester ces « indicateurs de confiance ». Mais Twitter se montre bien moins disert sur le sujet. Au contraire de ses utilisateurs, qui sont nombreux à s’en emparer régulièrement. Parmi ces utilisateurs, se trouve Glenn Greenwald. Lui, c’est certain, n’est pas un bot. Ce journaliste politique américain, fondateur du site d’information The Intercept, a notamment publié les révélations d’Edward Snowden sur les programmes de surveillance de masse qui ont secoué le monde en juin 2013. Et il est catégorique : le projet de lutte contre les fake news annoncé par Emmanuel Macron dissimule un projet de « contrôle gouvernemental du web ».
Les Fake News Awards
Pour Glenn Greenwald, « depuis le départ, “fake news” est un terme rhétorique sans définition, ce qui rend les abus certains ». Mais à quelle époque correspond ce « départ » ? « “Fake news” semble avoir commencé à avoir une utilisation générale à la fin du XIXe siècle », affirme le dictionnaire anglais Merriam-Webster. « Une des raisons pour lesquelles “fake news” est un ajout si récent à notre vocabulaire est que le mot “fake” est tout aussi récent. “Fake” était peu utilisé comme adjectif avant la fin du XIXe siècle. Mais nous avions évidemment de fausses informations avant les années 1890, alors comment les appelions-nous ? Il y a sans aucun doute un large éventail d’expressions auxquelles les gens avaient recours lorsqu’ils ressentaient le besoin d’indiquer que les journaux avaient falsifié des informations, mais l’une des plus courantes était “false news”. » Et elle remonte au XVIe siècle.
Une des raisons pour lesquelles “fake news” est un ajout si récent au vocabulaire est que le mot “fake” est tout aussi récent.
D’après le dictionnaire Collins, qui l’a nommé « terme de l’année 2017 », c’est au cours des années 2000 que le terme « fake news » est apparu à la télévision américaine pour décrire « des informations fausses, souvent sensationnelles, diffusées sous le couvert de reportages ». Mais c’est lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 qu’il a accédé à une notoriété mondiale, en raison des soupçons d’interférences du gouvernement russe dans le débat médiatique en faveur du candidat Donald Trump. Ce dernier se l’est néanmoins approprié « pour s’attaquer au journalisme », selon Glenn Greenwald.
Il y a très fréquemment recours sur Twitter, de préférence en lettres capitales, et il a même prétendu l’avoir inventé. Alors même que sa seule et unique invention se trouve dans les « Fake News Awards », prix qu’il a décernés aux médias qu’il considère comme « les plus corrompus et les plus biaisés » le 18 janvier dernier. Une parodie dangereuse pour le sénateur républicain Jeff Flake, qui estime que « 2017 fut l’année où la vérité – objective, empirique, basée sur des faits – a été plus la plus bousculée et maltraitée dans l’histoire [des États-Unis], aux mains du personnage le plus important de notre gouvernement ».
De son côté, la responsable du pôle Journalisme et Technologie de l’organisation Reporters Sans Frontières, Élodie Vialle remarque que « les ennemis de la liberté de la presse » se servent « des déclarations du président Donald Trump sur les fake news pour justifier leurs politiques répressives ». Dès lors, comment s’étonner que la lutte contre les fake news ne suscite des inquiétudes ? En Allemagne, le gouvernement a été vivement critiqué après avoir fait voter, en juin 2017, un texte sanctionnant par de lourdes amendes les fausses informations et les propos haineux sur les réseaux sociaux. En France, on attend toujours le contenu exact de la loi voulue par Emmanuel Macron.
Couverture : Le labyrinthe des fake news. (Getty/Ulyces)