Une vie pure
« Le Costa Rica, sans ingrédients artificiels. » C’est un slogan publicitaire, celui d’un clip de l’Institut costaricain du tourisme (ICT) enchaînant des paysages spectaculaires : volcans majestueux, plages paradisiaques, eaux turquoise et forêts luxuriantes. Mais contrairement à beaucoup de slogans publicitaires, il semble refléter la réalité de ce qu’il vend : une destination où l’environnement est préservé, par ses habitants comme par ses touristes. Car le Costa Rica s’est bel et bien imposé comme la référence mondiale du tourisme vert. Son président de la République, Luis Guillermo Solís, a même été nommé ambassadeur de l’Année internationale du tourisme durable en 2017.
Ses prédécesseurs ont mené une rigoureuse politique environnementale depuis les années 1950. Résultat, l’écosystème du Costa Rica représente à lui seul 5 % de la biodiversité de la planète. Plus de 30 % de la superficie de ce petit pays est protégée au travers de la vingtaine de parcs nationaux qui lui valent son image verte. Une image qui semble fructueuse. En effet, le Costa Rica s’est également imposé comme la première destination touristique d’Amérique centrale, devant le Guatemala et le Panama. En 2016, 2,9 millions de personnes ont visité le pays.
Ce tourisme a notamment permis de sauver le village de Quebrada Arroy après la propagation d’un champignon toxique qui a détruit les plantations de vanille et de cacao dont il vivait en 1995. Plus de 90 % de la communauté travaille maintenant pour l’auberge écotouristique Los Campesinos, qui se compose de dix cabanes en teck et en cèdre. Plusieurs villageois détiennent une certification de guides pour les activités de plein air, telles que la descente en rappel dans la rivière Savegre. Et tous cultivent des aromates, des fruits et des légumes, ou bien élèvent des poules et des cochons – au milieu des arbres, des iguanes, des toucans et des papillons multicolores.
À 250 kilomètres de là, au pied du volcan Turrialba, une autre auberge écotouristique, le Guayabo Lodge, recense près de 120 espèces d’oiseaux tropicaux sur son terrain, entretenu sans pesticide. Le personnel composte, recycle, récupère. Et accueille des visiteurs depuis 15 ans, sous la houlette d’une anthropologue néerlandaise, Rossana Lok. « J’ai acheté une petite propriété ici, avec l’idée de recevoir trois ou quatre visiteurs, de temps en temps », explique cette dernière. « Puis, c’est devenu un projet social et environnemental pour la communauté de Santa Cruz et pour la planète », affirme-t-elle.
Encore un peu plus loin, au pied du volcan Arenal, les visiteurs se promènent sur le lac du même nom à bord d’un pedal board, sorte de paddle muni d’un guidon, et dégustent de l’ananas en compagnie d’un guide qui les les a salués d’un pura vida, « vie pure », l’expression favorite des Costaricains. En tout, leur pays compte 116 volcans, dont cinq en activité. Et ils ne constituent pas seulement des attractions touristiques. Ils produisent 10,2 % de l’électricité du Costa Rica. Cela s’appelle la géothermie. Il s’agit de puiser la chaleur dans les entrailles des volcans, sans qu’aucune violence ne soit pour autant faite à la terre.
L’énergie des éléments
La première source d’électricité du Costa Rica, c’est l’eau. Elle fournit en effet 78,2 % de l’électricité du pays. Le barrage Arenal, avec sa capacité de stockage de 2,5 milliards de mètres cubes, est la plus grande réserve d’eau artificielle d’Amérique centrale. Il alimente à lui seul trois usines hydrauliques. « Mais le réchauffement climatique et le phénomène météorologique d’El Niño menacent la régularité des pluies », souligne le directeur de la communication de l’Institut costaricain de l’électricité (ICE), Elbert Duran. « Pour éviter de recourir aux combustibles fossiles polluants, l’ICE a dû diversifier sa production d’énergies propres. »
Outre la géothermie, le Costa Rica compte donc également sur l’éolien, qui fournit lui aussi 10,2 % de l’électricité, et le solaire, qui en fournit 0,8 %. Un cocktail qui lui a permis de s’alimenter proprement pendant 326 jours en 2017, comme l’annonçait le 15 décembre dernier la chaîne de télévision costaricaine publique Teletica. Le pays battait ainsi son record de 2015, année durant laquelle il avait déjà vécu 299 jours en n’utilisant que de l’électricité verte. Des prouesses qui s’inscrivent dans le cadre d’un plan énergétique décidé par le pays il y a à peine plus de dix ans, et dont l’objectif affiché est de devenir neutre en carbone d’ici 2021.
Mais elles doivent beaucoup à la nationalisation du système de production et de distribution de l’électricité costaricain qui a, elle, été décidée dès 1949. Il s’agissait alors de donner au gouvernement les moyens de répondre à son obsession : assurer l’autonomie énergétique du pays qui, contrairement à ses voisins, ne peut compter ni sur d’importants gisements de pétrole, ni sur d’importantes sources de gaz. Et il est rapidement apparu que les énergies renouvelables pouvaient régler ses problèmes d’approvisionnement. Le Costa Rica a par exemple été l’un des tout premiers pays du monde à s’intéresser au potentiel de l’énergie éolienne. Encore aujourd’hui, la participation des entreprises privées au secteur énergétique est limitée à 30 % dans le pays.
Par ailleurs, mais toujours contrairement à ses voisins, le Costa Rica bénéficie d’un régime politique très stable. Il est indépendant depuis 1821 et considéré comme un modèle de démocratie en Amérique centrale. La dernière guerre civile de l’histoire du pays a eu lieu en 1948 et a abouti à l’abolition de son armée. Son PIB par habitant a triplé depuis les années 1960 et il affiche aujourd’hui l’un des taux de pauvreté les plus faibles d’Amérique latine et des Caraïbes. Il s’est paré d’un système de protection sociale de haut niveau et a investi dans l’éducation. Autant d’éléments qui encouragent les investissements étrangers. Et les gestes d’amitié. Le gouvernement japonais a par exemple offert aux autorités costaricaines une usine solaire expérimentale dotée de 4 300 panneaux photovoltaïques…
La course au bonheur
Mais l’exemplarité énergétique du Costa Rica ne concerne que l’électricité. Le chauffage et le transport y sont toujours assurés par le pétrole et par le gaz. Et le pays produit chaque jour environ 4 000 tonnes de déchets solides, dont 20 % ne sont pas traités, se retrouvant alors majoritairement dans les paysages qui peuplent les clips publicitaires de l’ICT. « Alors que le pays a montré l’exemple au monde en doublant sa couverture forestière, qui est passé de 26 % en 1984 à plus de 52 % cette année, aujourd’hui un cinquième des 4 000 tonnes de déchets solides produites chaque jour n’est pas traité et finit par faire partie du paysage du Costa Rica, polluant également les rivières et les plages », reconnaît en effet le gouvernement costaricain dans un communiqué daté du 18 juillet 2017.
« Être un pays exempt de plastiques à usage unique est notre mantra et notre mission. »
11 % de ces déchets solides sont des déchets plastiques. « Les plastiques à usage unique sont un problème non seulement pour le Costa Rica, mais aussi pour le monde entier. On estime que si le mode actuel de consommation se poursuit, d’ici à 2050 il y aura plus de plastique que de poissons dans l’océan si l’on mesure en poids. Pour cette raison, nous commençons un voyage pour transformer le Costa Rica en zone exempte de plastique à usage unique. » Celui-ci sera remplacé par des matériaux 100 % renouvelables ne contenant pas de pétrole et ayant la capacité de se dégrader en six mois maximum. Mais cette fois, le gouvernement compte sur la mobilisation du secteur privé.
« Être un pays exempt de plastiques à usage unique est notre mantra et notre mission. Cela ne va pas être facile, et le gouvernement ne peut pas le faire seul. Pour promouvoir ces changements, nous avons besoin que tous les secteurs – publics et privés – s’engagent à prendre des mesures pour remplacer le plastique à usage unique à travers cinq actions stratégiques : incitations municipales, politiques et directives institutionnelles pour les fournisseurs ; remplacement des produits en plastique à usage unique ; recherche et développement ; investissement dans des initiatives stratégiques. Nous avons également besoin du leadership et de la participation de tous : femmes, hommes, garçons et filles. »
Reste à savoir si cet appel sera entendu, et suivi d’effets. Une chose, néanmoins, est certaine : l’attachement d’une large partie de la population costaricaine à la beauté verdoyante de son cadre de vie a joué pour beaucoup dans le développement écologique du pays. Il pourrait de nouveau faire la différence. D’autant que ce cadre n’attire pas seulement les touristes – et donc l’argent –, il participe aussi au bonheur. C’est du moins ce que suggère l’Happy Planet Index (HPI), ou indice de la planète heureuse (IPH), qui est calculé à partir de trois éléments – l’empreinte écologique, l’espérance de vie et le degré de bien-être des populations – et qui place le Costa Rica à la tête des nations du monde dans leur course au bonheur.
La France, elle, se trouve en 44e position.
Couverture : Les paysages sublimes du Costa Rica. (DR)