La rencontre avec Michael
J’ai rencontré pour la première fois Michael le 12 avril 2012 lors de Pitch My Game (c’était le tout premier), un événement parisien durant lequel il a présenté le jeu qu’il venait de lancer : Space Disorder. Sa présentation n’était pas la plus intéressante et son jeu ne m’avait pas du tout emballé. À l’époque (comme aujourd’hui), je n’étais pas vraiment un adepte des jeux mobiles qui me semblent (j’utilise le présent) proposer une expérience superficielle. Néanmoins, des points très forts venaient contrebalancer cette impression mitigée : il y avait beaucoup de travail, beaucoup d’autonomie, pas de jargon financier fébrile. Pour lui, la recherche de la meilleure expérience de jeu possible était basée sur le bêta-test, le feedback, l’amélioration, et ce en boucle jusqu’à ce qu’on parvienne au jeu parfait. J’aime les gens qui n’ont pas peur de suer. Sa recherche d’une bonne expérience de jeu détonnait avec les autres créateurs qui cherchaient à faire « le meilleur Bomberman » ou « Terraria en plus gros ». Notons également que dans tous les jeux proposés, Space Disorder a été le seul à être fini et commercialisé, ce qui était bon signe.
Notre deuxième contact s’est fait en septembre 2012 lors d’une conférence que j’ai donnée à Lyon sur la fiction interactive – il était dans le public. La conférence a été très éprouvante pour moi qui, habituellement, ne sort jamais de mon appartement (et qui ne parle pas en public). Nos échanges ont été très brefs. Il m’a contacté dans les deux mois qui suivirent pour me proposer de développer un jeu ensemble. Pas de pitch mais juste deux graines : d’abord, un visuel qui est aujourd’hui le logo du jeu (et qui n’a pas changé depuis !) et l’idée de faire un jeu « à la Dune ». J’ai été un peu froid et poli au début, dans la mesure où je travaille en autonomie (je n’ai jamais été salarié) : j’ai des réticences à m’associer, d’autant plus sur un projet qui n’est pas de mon initiative. Néanmoins, par exercice intellectuel au début, j’ai proposé un type de jeu qui serait non pas Dune mais plutôt quelque chose qui rappellerait le voyage du Normandy de planètes en planètes dans Mass Effect 2 avec une dynamique de jeu de type Oregon Trail – un Star Control sans l’action ou un Deuteros avec une partie contemplative. Michael a bien reçu cette mini-ébauche, bien que j’imagine que cela devait être très flou dans sa tête, et m’a demandé une autre proposition sur un gameplay complètement différent, qui mettrait en jeu une intelligence artificielle dans un immense vaisseau.
« Ce document nous a inspiré et nous a guidé comme un phare. »
Je n’étais pas follement inspiré. Je pensais à ces jeux très ésotériques des années 1985-1992 comme Extase de Cryo/Virgin, quand Michael m’a rappelé en disant : « Non c’est bon, ta première proposition convient. » Ensuite, il m’a demandé d’écrire un document qui raconterait, comme une histoire ou une review de jeu vidéo, le futur jeu tel qu’un joueur le vivrait une fois qu’il serait fini. Ce qui est extraordinaire dans ce document fondateur, c’est qu’un an après, et après des centaines et des centaines de remises en question et de changements, le jeu final est extrêmement proche de l’expérience décrite dans ce document. Je vais faire beaucoup de compliments à Michael tout au long de ce récit, mais il a imprimé une méthodologie de travail très pertinente qui nous a permis de ne pas nous disperser. Ce document nous a inspiré et guidé comme un phare. Ma prochaine étape fut d’écrire complètement le scénario du jeu, avec, consigne de Michael, si possible plusieurs fins. J’ai bouclé cet exercice la nuit du 24 décembre 2012. Le lendemain, Michael me répondit, complètement emballé par l’histoire.
Il y a un ADN dans cette histoire. En mai 2012, une graphiste du nom de Fanette Mellier m’avait demandé de rédiger pour elle un « livre dont vous êtes le héros » sur le thème de l’espace, qu’elle mettrait en forme dans le cadre de son année de résidence à la Villa Médicis, qui avait justement imposé une thématique liée à l’espace. En juin, je lui ai livré un document qui me semblait très carré, où j’ai développé tout ce que je pense être de plus astucieux et beau en terme de littérature interactive (le livre sera publié en avril 2014). Entre autres contraintes, je devais écrire dans une relative rigueur scientifique, et de fait, le livre sera adjoint d’une mini-encyclopédie que j’ai rédigée et qui explique les fondements rationnels des différents points de l’intrigue.
Ce travail a profondément marqué voire figé ma vision terrible et réaliste de l’univers. Je suis sorti de l’écriture très déprimé, avec des convictions intimes qui ne relèvent pas de la fiction mais de constats scientifiques et même d’intuitions enfouies que nous refoulons : comme quoi la vie est un accident, l’intelligence une anomalie ou une illusion. Que chaque jour, chaque humain meurt car la plasticité de son cerveau le modifie en un autre pendant les phases de sommeil. Et qu’enfin, viendra un jour où tous les soleils mourront et nulle vie ne sera plus possible, et toute trace de civilisation disparaîtra – le fait donc que tout acte est ultimement vain et dénué de sens. Ce sont des vérités physiques, perturbantes. Face à cela je pense que je pourrai raconter mille histoires de science-fiction dans ma vie et raconter mille fois la même – c’est dans ces principes et cette ambiance que baigne Out There.
À cette époque, le jeu s’appelait Drifter. Michael a fait des recherches et il y avait déjà un jeu intitulé Drifter sur l’espace, avec un kickstarter florissant. Donc on l’a appelé Faraway. Même problème. Alors Michael a trouvé ce nom : Out There, et je suis très jaloux de ne l’avoir pas trouvé moi-même – parce que c’est un super nom. Il s’est finalement avéré qu’un autre jeu dans l’espace s’appelle Out There Somewhere, devenu public quand nous avions déjà commencé à communiquer sur le nôtre, alors nous n’avons rien pu faire.
Courant janvier 2013, nous n’avions pas encore posé une seule ligne de code d’Out There et nous avons longuement discuté sur des questions de financement. Michael avait été plutôt échaudé par son expérience avec l’éditeur de Space Disorder et la question – naturelle – du financement participatif s’est posée. Pas de chance pour Michael : il se trouve que je suis éthiquement contre le financement participatif que j’estime toxique pour la création. C’est toujours le cas alors que j’écris ces lignes, mais si j’avais su à quelles difficultés nous allions être confrontés par la suite, je pense que j’aurais ravalé mes principes stupides et ma fierté. Bien souvent, il m’est arrivé de me maudire pour cette décision.
Le fait est que si Michael voulait travailler avec moi, je lui imposais un mode de financement qui était le suivant : on finance tout nous-mêmes afin de faire le jeu que nous voulons nous, sans aucune influence extérieure, point final. Et pour manger ? Eh bien en marge du travail sur Out There, nous faisions des travaux rémunérés. Dans l’absolu, je pense toujours que c’est le mode le plus sain pour produire un jeu qui a la véritable flamme des jeux de la période dorée 1980-90 – mais aussi pour s’enrichir à la régulière, selon une équation toute bête : on ne peut pas vendre sélectivement un jeu sur iOS, donc la mécanique du kickstarter n’est pas applicable, or c’est sur iOS que les ventes sont les plus importantes.
Michael a toujours été courtois en dépit des soucis qui viendraient par la suite, mais je sais qu’il m’a maudit, haï, détesté à chaque fois qu’il a souffert financièrement. Cela dit, de temps en temps, il lui arrive de s’exprimer sur le monde du jeu vidéo, des éditeurs ou des distributeurs. Il dit ce qu’il pense vraiment sans ambages, avec une liberté totale, et même une certaine rage qui est à la base de tout effort créatif, et cela, il le peut, car nous sommes (encore) indépendants et autonomes.
Enfin, à chaque fois que nous avons dû supprimer ou modifier des features (éléments) du jeu, la seule question que nous nous posions était « est-ce que cela améliore l’expérience de jeu ? » et non pas « mince, comment on va dire à nos backers que cette feature ne sera pas dans le jeu final ? » Rappelons que la grosse attente en matière de jeu spatial mobile était Star Command, backé à des niveaux pharaoniques, et que seules 30 % des features promises étaient dans le jeu final. Michael n’est pas encore assez vieux ou fatigué de la vie pour souhaiter s’enrichir de façon aussi scandaleuse (au final, il aime moins l’argent que moi, comme vous le verrez). Dernier point financier : nous sommes à 50/50 en termes de répartition de bénéfices, modulo des équilibrages suivant nos statuts fiscaux.
Nous sommes en début 2013 et Michael défriche un peu les bases abstraites du jeu, stocke un peu de trésorerie en remplissant des missions à coté et moi, je fabrique des documents de gameplay. Il y en a actuellement 120 : ce sont des fiches individuelles de 1 à 10 pages qui expliquent chacune des aspects de gameplay du jeu avec les équations et les termes et les phrases en anglais et en français de chaque écran. Le jeu prend (sur le papier) vraiment corps. Michael m’autorise à inclure des échanges avec des aliens, et je rêve toutes les nuits de faire enfin une Arche du Captain Blood moderne, jouable, carrée avec ces échanges suggérés. J’imagine un astronaute débarquant sur une planète inconnue, et posant sur le sol des runes collectées dans l’espace et permettant de faire des phrases du style « Moi », « Vouloir », « Carburant ». Michael estime que c’est trop proche du traducteur universel de Captain Blood alors on revoit le système avec un alphabet syllabique alien dont j’écris l’algorithme. Je me suis basé sur des chaînes de caractères en langages exotiques (Star Wars s’était inspiré du tagalog pour son langage Ewok) sur Google Translate. Le rendu est très cool. Enfin, pour poser les choses, je fabrique en PHP une pseudo interface du jeu pour que Michael ait une base de travail et je passe du temps à fignoler la carte des étoiles qui se réinitialise à chaque partie. L’espacement progressif des étoiles doit être au service du gameplay (puisqu’on doit trouver des technologies et les construire pour atteindre des étoiles plus lointaines). Et des routes stellaires, parfois se terminant en impasses, doivent se créer sans se chevaucher.
Michael prend les choses en main fin février 2013. S’il va beaucoup coder, dessiner et animer, il sera toujours préoccupé en première mesure par la communication du jeu. Dès le premier screenshot, il aura une stratégie de communication internationale sur le jeu qui nous profitera énormément. Il faut souligner l’importance aujourd’hui de cette dimension de communication. Un ami développeur du nom d’Étienne Perrin a créé un jeu français très bien fichu : Zorbié. Il n’a pas communiqué du tout dessus. Huit cents ventes. Bien communiqué, le jeu aurait obtenu de dix à cent fois plus de ventes. Ce n’est pas simplement dire « j’existe » mais plutôt « chers joueurs, nous sommes en train de nous défoncer pour vous offrir quelque chose de fou, d’unique, nous espérons que vous allez aimer ! » Au final, ne pas communiquer sur son jeu, c’est avoir un manque d’amour pour ce que l’on fait et ses futurs joueurs. J’ai toujours eu peur de saouler les gens qui me lisent avec Out There, et je les remercie d’avoir supporté mes rappels réguliers, mais c’est pour eux et pour les faire rêver qu’on travaille !
Un point sur nos relations avec Michael. Nous passons de 30 à 60 minutes par jour au téléphone. Nous ne parlons que d’Out There. Tout notre temps est porté sur le jeu et non pas à d’autres sujets. À vrai dire, il est monté à Paris courant juin et j’ai pris (pendant une heure) un Coca-Cola avec lui, mais je crois qu’on n’a fait que parler d’Out There. C’est un comportement proche de la folie, mais il témoigne de notre implication à réussir ce jeu.
Au fur et à mesure que Michael défriche mes documents de jeu, nous échangeons sur la pertinence de mes propositions. C’est là que m’est apparue l’importance de connaître ses classiques. Pour prendre un exemple concret : j’ai imposé le fait que dans le vaisseau, le stock prenne de la place au même titre que les moteurs ou le télescope. Ce qui fait que si vous construisez un module de terraformation, vous aurez moins de place pour le carburant ou l’oxygène. Avant de se lancer dans le labyrinthe de code pour implémenter cela, Michael m’a dit son fameux gimmick : « Non mais… T’es sûr que ça va marcher, que ça va être amusant ? » Et la réponse était oui, parce que ça marchait par exemple dans Frontier: Elite 2. Le ton monte parfois entre nous : Michael veut un tutoriel. Cela me semble évident aujourd’hui mais à l’époque je trouve cela complètement en décalage avec la férocité du gameplay d’un rogue-like. Il me dit « fais-moi confiance » après des échanges vifs, et je lui fais un tutoriel scénarisé. Il ne veut pas qu’il soit scénarisé, et là c’est moi qui dis « fais-moi confiance ». Beaucoup de choses sont nées de compromis – pas toujours doux.
Je n’attends pas que le temps passe de mon coté : après un mini voyage à Rome dans le cadre du livre dont vous êtes le héros, sur l’espace justement, et sa finalisation, je me lance dans l’écriture des aventures et des entrées de journal. Chaque étape du voyage stellaire de notre héros sera ponctué par un captain’s log à la Star Trek qui renforcera l’ambiance ou au contraire le plongera dans une aventure à choix multiples pas toujours heureux (à la Kobayashi Maru). D’un point de vue de structure narrative, Out There n’est pas sans rappeler une série TV qu’on regarderait dans le désordre : une aventure aléatoire par système, avec une toile de fond prégnante qui se déplie doucement.
« Michael bosse beaucoup et dort peu, et je me dis que son sommeil est plus important que le vaisseau donc je ne dis rien. »
Afin d’intensifier nos efforts de communication, Michael stoppe tout développement technique pour produire un trailer. À l’époque, nous n’avions pas de musicien. Un studio nous prête gracieusement l’une de ses musiques pour illustrer les images du jeu : Cleophas, des types très doués de Montpellier, auxquels on doit beaucoup. Ce trailer est important car Michael souhaite présenter le jeu à un événement français sur Lyon.
Je vais raconter une anecdote concernant le trailer. Michael avait fait un vaisseau original (le Nomad, qui tire son nom de Terminus les Étoiles) qui ressemblait un peu à un phallus. Michael bosse beaucoup et dort peu, et je me dis que son sommeil est plus important que le vaisseau donc je ne dis rien. Et puis tout est très sexuel dans ces univers très pulp : les épées des gars torse nu de Frank Frazetta s’entrechoquent, les vaisseaux sont oblongs avec des réacteurs. En fait, depuis l’époque dorée de Astounding Stories (avec des auteurs comme Fritz Leiber qui aujourd’hui ont psychanalysé les pénis omniprésents dans leurs propres récits, jusqu’aux Final Fantasy) où les héros ont des épées plus grandes que leurs corps et dont la garde kendo se tient dans le prolongement de leur entrejambe. Les symboles sexuels évidents sont quasi une norme. Mais un de ses proches est tombé dessus et il m’a engueulé en disant qu’il ne voulait pas être le type du vaisseau-phallus, qu’il aurait fallu que je lui dise, et il a dû puiser dans ses dernières ressources physiques pour tout refaire. Le trailer a cartonné, générant le chiffre modeste, mais à l’époque très encourageant, de 10 000 vues YouTube.
D’allant, Pocket Gamer, Indie Statik et surtout Touch Arcade, qui est le plus gros média sur les jeux mobiles parlent d’Out There, et en bien. Pocket Tactics écrit un bel article sur nous et met en avant quelque chose qui nous semblera évident par la suite : que Out There porte certaines valeurs – le fait qu’il n’y ait pas de combat par exemple. Il faut voir que le marché mobile est plutôt un supermarché où tout comme les marques de lessives, il y a non pas des individualités de jeux mais des individualités de typologies de jeu : tower defense, FarmVille-like… Les jeux se ressemblent et c’est donc la plus grosse machine marketing, ou celui qui a un copain chez Apple qui se démarque. Out There est – ou en tout cas semble – différent.
Un journaliste de Wired nous demande de lui envoyer le jeu dès qu’il sera fini. Un jour de mars, Michael m’appelle sans y croire : Rock Paper Shotgun a repéré le jeu et souhaite qu’Out There figure dans le salon Rezzed à Birmingham. Le stand est offert ! Seuls quatre jeux mobiles seront sélectionnés internationalement, dont nous. C’est une reconnaissance incroyable, le type de reconnaissance constante qu’on obtiendra de l’Angleterre, de l’Allemagne, des pays de l’Est, de l’Asie, qu’on obtient à l’heure où j’écris ces lignes des États-Unis, mais qu’on n’obtiendra vraisemblablement jamais en France, essentiellement parce que nous ne sommes pas assez normatifs, procéduriers, courtisans ou – et je parle surtout de moi – parce qu’on ne sait pas bien fermer notre gueule quand il le faut.
Investir sans argent
C’est aussi le début des investissements. Non seulement on bossait sur Out There donc on ne gagnait pas d’argent, mais en plus, il fallait payer le voyage, l’hébergement, etc. Donc trouver des ressources à coté. Dans cette période, il m’est arrivé par exemple, suite à un malheureux concours de circonstances, d’avoir à payer un poster grand format 80 euros et cela a été un réel problème à l’époque, j’avais envie de tout casser à cause de cette somme absolument ridicule, mais bon, c’était une autre époque. Nous étions encore dans une dimension de guérilla de la com et il fallait qu’on explose tout.
J’ai proposé l’idée plutôt cool de faire un flyer dont vous êtes le héros. Les avantages sont nombreux et profonds. Parce qu’en fait, l’Angleterre, c’est la patrie des Défis Fantastiques, du Warhammer 40 000, de Sir Ian Livingstone ! Et puis cela nous permettait d’introduire le caractère narratif mais aussi de gestion des ressources dans une courte aventure. Le top a été de créer un flyer qui visuellement reprenait la maquette des Penguin Books avec le liseré supérieur vert et il a même été ajouté des petits défauts factices d’usure sur le bord du flyer que l’on voit dans les anciens livres dont vous êtes le héros. Le travail a été remarquablement fait, à titre gracieux, par un professionnel. Michael n’a pas été content car j’ai pris le papier le moins cher, mais sinon cela en jetait un max. En somme, le flyer disait : « Cherchez pas, on est des vrais. »
C’est à cette époque que Michael m’a dit : « Mec, va falloir traduire le jeu en anglais. » Je pense que vous avez compris qu’à ce stade, on n’avait absolument pas de quoi se payer un traducteur. Je n’avais pas tout écrit à l’époque, mais le fichier d’aventures devait contenir au final 28 000 mots, donc a minima c’était un investissement de 2 500 euros. Alors j’ai dû m’y mettre. J’ai rédigé par le passé un jeu en anglais appelé Works of Fiction, une expérimentation basée sur la simultanéité. Quelqu’un avait commenté « on voit clairement que le jeu a été écrit par un non anglophone », ce qui ne m’avait pas trop gêné mais qui plus tard, devait mortifier la personne qui s’occuperait de la relecture du texte. Je plains Michael, parce que le code, quand cela marche, ce n’est pas l’éclate, mais quand cela ne veut pas marcher, c’est l’enfer. L’écriture d’aventures est devenue difficile. Pour résumer, il y a plusieurs typologies d’événements : les événements style journal de bord du capitaine qui sont là pour mettre dans l’ambiance. C’est ultra chouette, quoiqu’un peu déprimant. Ensuite, il y a les événements subis : vous êtes percuté par une comète de glace. J’ai écrit cela d’une traite, et je l’ai traduit ensuite.
Les aventures sont difficiles à écrire pour plusieurs raisons. Chez moi, j’ai des tonnes de bouquins techniques liés aux jeux de rôles qui s’appellent des adventure seeds, des milliers et des milliers de résumés d’intrigues potentielles réunies en thématiques style amour trahi, vengeance d’un membre de la famille, rencontre avec une puissance supérieure. Mais ces ouvrages, quasi tous américains, sont post années 1990 donc très axés sur les relations avec les Personnages Non Joueurs.
Or Out There, c’est l’histoire d’un mec complètement seul. Impossible de coller de l’amour trahi ou une cité en péril dans un coin. J’ai commencé par écluser les magazines scientifiques. C’est là, bizarrement, que j’ai trouvé les idées les plus saugrenues, comme la planète Caramel (que Michael détestait, mais que j’ai finalement réussi à imposer) ou la nébuleuse composée d’alcool qui a un goût de rhum à la framboise et qui nous vaut notre classement 12 ans et +. Ensuite j’ai revu les épisodes de Star Trek Classic, le genre d’épisode insupportable aujourd’hui, où l’équipage essaie pendant une heure de communiquer avec une amibe géante de l’espace. Là, c’était un bon terreau parce que les histoires étaient vraiment dans l’esprit pulp, l’homme et la technologie contre le danger bizarroïde de l’espace. Et enfin, j’ai utilisé les éléments purs des écrivains de l’époque Astounding. Il y a d’horribles hommes ailés que j’ai tirés d’un recueil de nouvelles SF de Roumanie, des questions cosmologiques profondes que l’on retrouve chez Frederik Pohl, des créations aliens très naïves des tous débuts d’Asimov comme une civilisation vivant au cœur d’un soleil. Il y a aussi des temples étranges et des créatures protéiformes malveillantes qui rappellent les shoggoths de Lovecraft – et également des thématiques de races dégénérées chères à cet auteur. Et bien entendu, le cœur du jeu et le quotidien atroce du héros, solitaire dans la nuit, reprend les premières pages de Terminus les Étoiles. Il y aussi ce ressort narratif final résolument années 1920-40, où rien n’est dit, rien n’est résolu, rien n’est compris. On voit de loin « les éclairs se refléter sur les glaciers », pour reprendre l’expression de Arthur C. Clarke, mais rien n’est expliqué comme dans les séries modernes, les aventures se terminent avec un gros « FIN ? » comme dans Flash Gordon – cela étant, la réponse est la plupart du temps incluse dans l’arc narratif général. Tout cela pour dire que rien dans le jeu ne dépasse les années 1960 !
Écrire les aventures, les choix multiples, les conditions, l’intégration équilibrée dans le gameplay et ensuite les traduire en anglais, cela m’explosait la cervelle. Souvent, la phrase anglaise était très moche alors j’écrivais un truc différent – donc oui, certaines aventures sont exclusives à la version française. À cette époque, une interprète très douée m’avait dit : « Pour bien écrire en anglais, il faut écrire des phrases toutes petites, comme si on expliquait des choses simples à un enfant de cinq ans. » J’ai pensé d’abord qu’elle méprisait les Anglais. Et puis j’ai essayé. En français, j’avais donc des choses tarabiscotées du style : « Dans le firmament ténu des étoiles, mes senseurs distinguent une construction singulière aux angles étranges, émettant un curieux rayonnement que je ne peux identifier. Alors que je m’approche lentement, je m’interroge sur les merveilles et les dangers qui m’attendent dans bla bla bla… » En anglais cela donnait : « Une station stellaire. Elle semble abandonnée. Je décide de l’explorer. » Et du coup cela rend très badass le style anglais.
« Michael est un type ultra pessimiste, très longtemps dans notre collaboration, le succès du jeu était pour lui un gros point d’interrogation. »
Revenons à Rezzed. Rezzed se passe au printemps et il a fallu produire très rapidement un jeu qui marche, ce qui n’est pas évident. Cela déséquilibre le développement, mais c’est très stimulant car cela donne des pics d’activité dans le travail et au final on a enfin un petit bout de jeu qui fonctionne. Michael s’est donné à fond : il a codé dans l’avion, dans la chambre d’hôtel, jusqu’au bout pour pouvoir présenter in extremis une version jouable du jeu. Il a notamment produit en deux semaines la base des graphismes du jeu qui sont actuellement ceux utilisés. Donc Michael a pu faire tester le jeu à tous les visiteurs du salon et nouer quelques liens capitaux avec des journalistes-clef et certaines personnalités intéressantes du jeu vidéo – par exemple des gros Youtubers, détail qui prendra une importance par la suite. Avant même qu’il ne rentre, il m’avait déjà envoyé un feedback de gameplay. Il était globalement positif, à savoir : le jeu accroche les joueurs. Les aventures sont longues, mais les joueurs prennent le temps de lire. Les joueurs rient parfois, comme quand par exemple le héros se dit que les humains ne lui manquent pas, mais les hamburgers si. Et du coup, on a créé un achievement (trophée à débloquer) en rapport avec cette aventure particulière. En somme, tout ce qui avait été fait collait. Rezzed aura eu un autre impact concernant la musique, dont je parlerai.
Mais avant cela nous avons inscrit le jeu à IndieCade, un festival de jeux indés. C’est un concours payant (80 euros), ce n’est pas rien. Maintenant on avait été sélectionnés par Rezzed via Rock Paper Shotgun, alors pourquoi pas ? Michael, éternel pessimiste, n’y croyait pas mais pourtant c’est lui qui a insisté pour qu’on participe au concours. La raison m’est apparue rapidement : le jury d’IndieCade, ce sont des pointures. En gros, vous payez 80 euros et vous avez par exemple un journaliste de The Verge, un développeur de jeux indés américain influent et un éditeur qui joue à votre jeu. Je me souviens qu’il fallait remplir un document d’instructions pour comprendre le jeu. J’avais juste écrit : « Attendez le cœur de la nuit. Mettez la plus belle musique que vous connaissez. Jouez à Out There. Puis après, éteignez les lumières. Marchez doucement vers l’extérieur, et admirez le chant irrésistible des étoiles. » Nous n’avons pas gagné IndieCade mais nous avons été proches de la sélection finale et quelques jours après nous avons eu un journaliste de The Verge qui nous a contactés et qui nous a dit : « Hé les petits gars, dès que votre jeu est fait, vous me l’envoyez ok ? » Hourra !
À la suite de Rezzed, nous avons vécu un drame heureux concernant la musique d’Out There. On avait déjà un sentiment très positif vis-à-vis de Cleophas qui avait fait la musique du trailer. Et au moment où on était sur le point de se taper dans la main, on reçoit un message d’un certain Siddhartha Barnhoorn qui se propose de faire la musique et l’environnement sonore du jeu. Ledit Siddhartha avait fait la musique d’un jeu nommé Antichamber, vendu à un million d’unités, qui était une sorte de saint Graal pour Michael – en ce qui concerne la musique. Siddhartha nous avait connu grâce à notre com sur Rezzed et le trailer (encore une fois, l’importance cruciale de la com). Par ailleurs, et nous l’apprendrions plus tard, mais sur le moment on n’en avait rien à faire, il travaillait alors sur la musique d’un jeu appelé The Stanley Parable, qui devait connaître par la suite le succès qu’on lui sait. Bosser avec Siddhartha, c’était s’attirer un musicien de bonne qualité et avec un nom, certes difficile à écrire, mais qui avait déjà collaboré à un hit, donc c’était bon pour la com. Siddhartha a demandé un pourcentage fixe pas minus minus sur les recettes. Michael était tenté mais moi cela m’ulcérait. Michael est un type ultra pessimiste, très longtemps dans notre collaboration, le succès du jeu était pour lui un gros point d’interrogation et il voyait un succès pour Out There en milliers d’euros. Je lui ai parlé du cas où nous vendrions dix mille ou cent mille unités, et la somme allouée à Siddhartha atteignait des sommets très élevés.
Vous allez dire qu’on est des salopards de se partager un trésor potentiel (il n’en était rien à l’époque) et d’être radins avec le musicien qui a une dimension artistique, donc potentiellement inquantifiable. Ce dernier problème (de la qualité artistique inquantifiable) se règle rapidement puisque nous lui avons donné l’autorisation de commercialiser la BO de Out There et de se réserver 100 % des bénéfices ainsi réalisés. Restait la question de donner un plafond de rémunération. Et puis dans le fond, restait la question de le choisir lui et pas un autre. On a fait appel à trois autres musiciens : Cleophas, un groupe parisien d’electro à la mode et un créateur de musiques de jeu vidéo très talentueux (et très enthousiaste sur le sujet). Les sommes demandées étaient en gros toutes les mêmes. Nous avons choisi Siddhartha à la fois pour des raisons de com et aussi parce que sa musique collait parfaitement au jeu, mais cela a été moralement très difficile, notamment vis-à-vis de Cleophas. Cela étant, nous donnions beaucoup personnellement dans le projet, nos fins de mois étaient très difficiles, et, d’allant, les décisions étaient très faciles – comme me l’a dit Michael a l’époque, « j’ai une femme et deux gosses, je dois bosser pour financer le jeu, je dois lui donner les meilleures chances, point barre » – et il est beaucoup moins cynique et salopard que moi quand je m’y mets. Donc nous avons accepté le pourcentage sur les recettes demandé par Siddhartha en lui imposant une limite maximum. Il l’a acceptée sans discuter. En fait, il voulait juste faire la musique du jeu. Deuxième conséquence positive de Rezzed, Eurogamer nous contacte et nous offre un stand gratuit sur Eurogamer Expo, à Londres, pour l’automne. Décidément, les Anglais nous appréciaient ! C’étaient des très bons signes.
Un stagiaire nous a approché : Thibault. Il bosse à une école de game design à Bastille qui est justement l’école qui abritait le Pitch My Game où j’ai rencontré Michael pour la première fois. J’aime bien ces coïncidences – elles sont bien pour l’Histoire. On lui a dit qu’il ne serait pas payé, et on lui a aussi dit qu’il ferait des boulots ingrats, du style remplir des excels et envoyer des mails, mais il a accepté de bosser avec nous, et je pense qu’il ne l’a pas regretté. Michael était le seul interlocuteur de Thibault pour ne pas qu’il ait des instructions divergentes, mais les décisions le concernant étaient prises ensemble. Et, oui, il s’est tapé des kilomètres d’excel à défricher, ce qui allait devenir un capital très important de notre travail : les coordonnées de chaque journaliste jeu vidéo existant sur la planète. Il a créé des discussions dans les forums de science-fiction, de jeux vidéo – la guérilla – et il nous a accompagné aux salons – à ses frais, mais l’expérience était me semble-t-il exceptionnelle pour un première année qui veut faire des jeux vidéo son métier.
Un événement majeur se profilait : la Gamescom. Événement important du monde du jeu vidéo européen, en Allemagne, à la date complètement saugrenue du 15 août. Et là, on n’était pas invités, donc pas chauds bouillants. Il se trouve que via divers intermédiaires, Ubifrance avait monté une sorte de package pour faciliter le fait d’avoir un stand là-bas. La France était à l’honneur sur la Gamescom. Je précise pour ceux qui ne connaissent pas Ubifrance qu’il s’agit d’une institution française pour aider les entreprises françaises à l’export. Et à ce titre, nous avions un prix relativement intéressant, c’est-à-dire qu’au lieu de payer 3 000 euros, nous aurions à payer 1 200 (mais la remise venait d’un autre intermédiaire). Cela n’a pas été une décision facile, mais nous avions l’espoir de rencontrer des éditeurs de jeu, qui auraient donc facilité et la distribution (en faisant de la pub, en utilisant des contacts Apple pour avoir des features, etc.), mais aussi tout simplement le développement en nous donnant un chèque d’avance sur royalties et nous permettre de respirer. Michael a produit un deuxième trailer, bien plus efficace puisqu’il était composé en majorité de séquences de gameplay et vendait bien les points forts du jeu. Thibault a sué sur les mails à envoyer pour notre communiqué de presse et c’était plutôt pas mal vu que dès l’arrivée de Michael sur place, un site en ligne de relative importance avait déjà communiqué sur le jeu.
Je vous spoile la fin, la Gamescom a été une catastrophe qui a mis le projet tellement en péril que Out There a bien failli s’arrêter net. C’était d’abord un gros tas d’illusions. Oui, on est reçus par des tas d’éditeurs, comme Devolver, l’éditeur d’Hotline Miami. Ils sont tous extatiques devant le jeu – et l’ambiance festive des salons aide. Certains éditeurs nous proposent, dans la joie, de nous localiser gratuitement en russe, en chinois, etc. Sur le coup, on en a pour notre argent. Mais évidemment, la mise en pratique post-salon est tout à fait différente. Question journalistes, pas grand-chose en plein été. Nous avons eu cependant un élogieux article du Journal du Gamer que je remercie abondamment car il a été un fort soutien psychologique durant cette épreuve. L’ordinateur, la tablette, le matériel du projet ont été volés à la fin de l’expo. Rassurez-vous, ils nous ont laissé le poster à 80 euros (qui sera volé plus tard, chaque chose en son temps). Je précise les circonstances du vol : le matériel est confié aux responsables d’Ubifrance qui le mettent sous clef. Quand on redemande le matériel, il n’y en a plus. Et dans une grande tradition française, personne n’est responsable.
Il y a trois points majeurs dans cette catastrophe : d’un, nous perdons notre matériel de travail. Parce qu’évidemment, on n’a pas le luxe d’avoir plusieurs ordis, celui de Michael pour les démos est le même que son ordi de travail. De deux, nous perdons les sources récentes du jeu et un mois environ de travail. Je passe sur le fait qu’en plus, nos sources se baladent quelque part sur la Terre. De trois, et c’est le point le plus grave, Ubifrance et ses divers interlocuteurs nous ont traité avec le mépris le plus souverain. Quand nous avons parlé du vol, c’était un petit peu comme Marie-Antoinette qui suggérait aux affamés qui n’avaient plus de pain de manger de la brioche, ils ont eu l’air de dire : « Ah bon ? Seulement un ordinateur ? Seulement un petit iPad ? Mais pourquoi vous vous affolez mon bon ! » Cela nous apprendra à vouloir jouer aux riches et être aux cotés de gens trop riches pour comprendre les problèmes des développeurs indépendants. Nous étions démolis, Michael était en miettes. Il m’a dit texto « on arrête le projet », et de fait, il a coulé quelques jours où nous étions paralysés par la situation. Et puis la loi de Murphy aidant, j’ai eu un bouleversement dans ma vie personnelle pile à ce moment-là, je ne pouvais plus dormir chez moi pendant un mois et j’ai dû errer de canapés amicaux en canapés amicaux, avec un Eee PC pour bosser.
« Moi, je me lève par amour. J’aime les gens et j’aime leur donner des choses. »
Il a fallu réagir et prendre les problèmes un par un. Le premier était d’ordre psychologique. Ubifrance nous avait rendu très malheureux. Alors j’ai écrit quatre mises en demeure recommandées bien senties aux deux responsables du site d’Ubifrance, au grand patron et à leur service juridique – qui mêlaient à la fois réprimandes « vous aviez du matériel sous surveillance » à sollicitation institutionnelle « votre mission est de soutenir les entreprises ». Je leur demandais 3 000 euros, ridicule, n’est ce pas ? Mais cela nous a fait tenir. Je disais à Michael « t’inquiète tout va bien se passer » alors que je n’en savais rien. Et la violence froide de mon courrier les mettait face au mépris qu’ils nous avaient infligé, donc cela nous retapait un peu dans la tête. Ensuite, un problème matériel. Nous avons agité les réseaux qui nous avaient en bienveillance : Pitch My Game, GameDevParty, une brochette de chouettes gars qui ont fait passer le message. Le lendemain un très généreux donateur prêtait à Michael son iMac, sur lequel il travaille toujours. Un vrai conte de Noël. Enfin, le problème des fichiers de travail. On avait perdu les sources, mais on avait les fichiers compilés. On s’est esquinté le cerveau à les décompiler, sans succès. J’ai fait appel à un ami linuxien, Éric, un gars important de la scène de la fiction interactive française, qui a fait des merveilles, résolvant une situation qu’officiellement personne sur Internet n’avait réussi à faire. Nous lui devons beaucoup. En quelques jours, nous étions à nouveau opérationnels – à part que je travaillais depuis un canapé.
Sans surprise, Ubifrance s’est fendu d’un courrier (signé du président quand même) nous expliquant que pour tel point de loi lambda, dans la grande tradition française, personne n’était responsable de quoi ce soit et en tout cas surtout pas eux, et c’était non pour les 3 000 euros (le budget annuel de cette organisation était de 150 millions d’euros en 2005).
J’ai quelque chose de personnel à dire sur ce point. J’ignore où vous trouvez la force de vous lever le matin et de travailler. Peut-être par inertie, par structure de notre propre vie – pour payer le loyer comme on dit. Moi, je me lève par amour. J’aime les gens et j’aime leur donner des choses. Je suis très heureux que les gens prennent du plaisir avec Out There parce que j’aime faire rêver, j’ai l’impression de vivre quelque chose d’entier et de beau. Mais je me lève aussi par haine. J’étais très en colère contre le mépris de ces intermédiaires vis-à-vis de nous et de leur mission d’accompagnement des entreprises. J’ai travaillé comme un damné par la suite pour offrir le meilleur jeu possible, pour combattre cet ennemi invisible qui selon moi m’avait fait du mal (on trouve la motivation où on peut). La colère m’a fait tourner le cerveau à 200 à l’heure et pour occuper mes soirées (sur le canapé) pendant cette période, j’ai écrit Crise au Quai d’Orsay, un serious game qui a totalisé 2 000 000 de visites par la suite et qui aurait pu me rapporter, monétisé sur certains sites, au moins 10 000 euros. Un argent bienvenu, mais voilà, je ne l’avais pas fait. Douce ironie et leçon du destin sur ma bêtise : il vaut toujours mieux se concentrer à produire qu’à détruire.
Comme je l’ai dit plus haut, tous nos contacts de la Gamescom ont coupé court, à l’exception d’un éditeur asiatique très solide qui ne pouvait rien dire sans jeu complet, ce qui était relativement normal. Michael a eu des soucis d’argent et une pression familiale importante à ce moment-là. Nous avons convenu de sortir le jeu en novembre, ce qui représentait beaucoup de travail pour moi car je n’avais pas encore tout écrit et traduit, et un travail colossal pour Michael. Concrètement, il ne pouvait pas finir le jeu tout seul. Nous nous sommes donc attiré la compétence d’un codeur, Aurélien, pour dégrossir le travail – les passages complexes comme la gestion de sauvegarde, de la mémoire, des éléments très importants quand on a un jeu qui doit marcher sur Kindle par exemple. Comme nous n’avions pas d’argent (je suis désolé de me répéter), Aurélien est intervenu gratuitement pour nous pendant un mois, dans un cadre contractuellement défini, et nous nous sommes engagés de notre côté, Michael à faire la com de son futur jeu, et moi à écrire histoire et dialogues. Aurélien a fait des choses fantastiques. Il a allégé la sauvegarde et recodé le système de gestion interne de stocks et d’échange de vaisseaux. Nous sommes pleinement satisfaits de son intervention et nous avons hâte de nous montrer à la hauteur pour rembourser son investissement.
C’est à cette époque que j’ai commencé la relecture de ma traduction avec une professionnelle de la traduction qui a accepté de le faire gracieusement. Il y aurait au total (je n’avais pas fini l’écriture) 28 000 mots à relire en français et 24 000 en anglais. Je pensais que cela allait prendre cinq jours. Je me suis mis en face d’elle à écrire et elle lisait, corrigeait, etc. Au bout de 15 minutes, je lui ai demandé où elle en était afin de pouvoir faire une estimation du temps total. Elle en était à la première phrase. Cela a pris plusieurs mois – elle ne pouvait le faire qu’en marge de son métier, et parfois ce n’était pas que de la relecture : j’avais pensé à la phrase mais j’avais oublié d’en écrire quelques mots. Elle était parfois désespérée de mon anglais et réécrivait des passages. Le fait aussi que des passages anglais et français ne correspondaient pas du tout la perturbait. Mais le résultat est bon. Sur les 24 000 mots anglais, lors de la bêta, nous avons eu au maximum une vingtaine reportés. Chapeau.
La recherche d’un concept amoral
Eurogamer Show. Voilà Michael et Thibault à nouveau en vadrouille à l’étranger. Eurogamer nous a donné un bon contact avec le public, et nous a fait rencontrer à la fois des journalistes clefs de l’industrie du mobile mais aussi des Youtubers qui devraient nous recontacter par la suite. Seule ombre au tableau, notre poster a été volé à la fin du salon. Mais d’ici la sortie, il n’y aurait pas de nouveau salon, donc il avait fait son œuvre (et j’espère qu’il est sur le mur d’un fan à l’heure actuelle et pas dans une poubelle, sinon ce serait trop dommage !). Il nous a été difficile de remercier Thibault pour son investissement à la hauteur de sa participation. Il se trouve que j’avais chez moi un scan ultra haute résolution de la couverture originale de la boîte de Monkey Island réalisé par Steve Purcell et que j’en avais imprimé un poster grand comme une fenêtre. Je l’ai détaché du mur pour lui offrir quand je suis allé à son école récupérer mon iPad. Ce n’était pas grand-chose, mais…
Après Eurogamer, nouvelle alerte rouge. Michael est financièrement dans l’impasse et vit difficilement la situation avec sa famille. À cette époque, j’ai essayé de lui refiler des jobs qui me parvenaient sur Paris. Il était impératif que notre jeu sorte le plus rapidement possible pour que nous puissions en vivre, mais il apparaissait que le jeu serait fini ric-rac au jour prévu – donc sans bêta test, sans effort de com, sans préparation. Novembre était un mois infernal au point de vue de la concurrence. Non pas que nous soyons en concurrence avec Call of Duty, mais il y a fatalement moins de place pour parler de nous dans les médias. Il nous est apparu à cette date que le jeu ne pourrait pas sortir avant début 2014, même s’il était terminé. Il a fallu de part et d’autre refaire des échéanciers (de notre vie personnelle) pour tenir financièrement jusqu’à cette nouvelle date. Le jeu était terminé dans une version non peaufinée dans les détails, mais le cœur du gameplay était là. J’ai donc passé de longs mois à tester et retester le jeu. Il était très dur. Beaucoup d’équations n’étaient pas équilibrées avec les changements réalisés à la volée au fil de la création. Le bêta test fermé, entre nous, nous a mis face à des problèmes fondamentaux passionnants pour un game designer.
Je vais évoquer quelques pistes, mais elles furent nombreuses et quotidiennes. Le jeu est dur au début, mais il apprend au joueur à avoir un bon vaisseau pour être à l’aise et dominer la galaxie. Et à ce moment ? Comment augmenter le challenge ? Une mauvaise idée (mais qui semble bonne intuitivement) est de créer une variable qui rend l’univers plus dur au fur et à mesure que vous devenez puissant. Vous consommez moins de fuel ? Le fuel devient plus dur à trouver. C’est en pratique une très mauvaise idée, car elle ne fait pas illusion et donne l’impression au joueur d’avoir la tête sous l’eau, d’être prisonnier de règles injustes qui changent continuellement. Vous ne pouvez pas revenir à l’endroit où vous avez été humilié en jouant les gros bras, parce que dans cet endroit c’est devenu plus dur qu’avant. Oblivion a été détesté pour cela. En plus, il est important que l’univers soit consistant en dépit de votre action, qu’il évolue suivant une règle qui est distincte de votre action. Nous avons préféré donc un jeu à la difficulté lissée et non graduelle, avec des changements d’objectifs pendant le parcours. Le rogue-like se prête à l’imagination et à l’imposition par le joueur de ses propres règles. Aussi incroyable que cela puisse être, des gens finissent Nethack sans tuer d’ennemi.
Autre exemple, toujours pour guider les joueurs vers le chemin du plaisir, on a réfléchi au fait de mettre sur son chemin un vaisseau imposé avec plus d’espace, plutôt que de distribuer les vaisseaux abandonnés au hasard. Mais quand on y réfléchit deux minutes, si cela allégeait la souffrance d’une première partie, cela rendrait très ennuyeuses les suivantes. Il fallait surprendre le joueur. Nous voulions que le joueur découvre de l’Omega, une substance magique qui permet de remplir les soutes de carburant et qu’il l’utilise comme tel… jusqu’à ce qu’il s’aperçoive, plus tard dans le jeu, qu’il pouvait en avoir un usage encore plus utile, comme réparer un équipement cassé. Et se maudire d’avoir rempli son réservoir de carburant avec. Puis encore de s’apercevoir, plus tard, que l’Omega lui permettait de traverser des trous noirs pour faire de grands voyages. Et se maudire d’avoir utilisé l’Omega pour réparer un équipement. Il y a une mise en scène narrative de la structure du gameplay. Nous avons fait en sorte que si votre moteur intergalactique se casse, vous deviez démonter votre télescope pour en reconstruire un et donc aller jusqu’aux dernières extrémités pour survivre, en vous auto-cannibalisant pour trouver l’énergie de continuer. Nous voulions anéantir le système de valeurs financières qui nous est familier en faisant en sorte que vous deviez choisir entre stocker de l’or ou du fer, du platine ou de l’oxygène, et que bien entendu, le fer et l’oxygène soient cruciaux dans votre aventure.
« On a essayé d’être à la Paris Games Week. On nous a laconiquement dit qu’on s’y prenait trop tard. »
À ce moment Michael a voulu refaire entièrement le système de dialogues. Il a eu une très bonne idée, et j’ai tout de suite créé les éléments nécessaires pour qu’il puisse l’implémenter. Non seulement avant le système était compliqué, mais ce que j’ai énormément aimé dans la demande de Michael, c’est qu’elle avait une vraie valeur humaniste. Aujourd’hui, vous rencontrez des aliens qui vous parlent dans une langue étrangère. Vous devez essayer de comprendre ce qu’ils veulent. En gros, ils vous demandent tous à leur façon « êtes-vous un ami ? » Et notre héros a du mal à dire oui, parce que parfois ils disent plutôt « êtes-vous un ennemi ? » Le fait qu’on doive essayer de comprendre quelque chose d’étranger, de nouer un lien, c’est une belle valeur – même si le joueur au final le fait pour sa propre survie. J’avais d’ailleurs créé un système assez terrien de karma. Si vous vous comportiez comme un salaud, votre réputation se faisait savoir dans la galaxie et les aliens vous accueillaient avec des armes – une idée qui vient droit de Captain Blood. L’idée n’a pas pu être implémentée parce qu’elle modifiait l’équilibre du jeu et induisait par conséquent un nouveau temps de test que nous ne pouvions pas nous permettre, mais je suis satisfait que le jeu soit profondément amoral. Le joueur peut donc anéantir des mondes habités en transformant leur soleil en trou noir – parce qu’il a besoin de ce trou noir, par exemple, pour faire un saut spatial. Il n’est pas jugé pour cela et c’est le thème fondamental du jeu quand on comprend l’histoire globale, mais de même qu’il lui est de plus en plus difficile de dire « ce qui m’arrive est vraiment injuste ! » Le jeu est donc devenu assez agréable. Les parties duraient parfois plusieurs heures.
Vous remarquerez qu’il y a un parallèle amusant entre notre pauvre héros qui est toujours limite dans ses moyens et qui se plaint de sa situation et nous, les créateurs du jeu, avec notre objectif en tête et jamais assez de moyens pour l’atteindre !
On a essayé d’être à la Paris Games Week. On nous a laconiquement dit qu’on s’y prenait trop tard. On a demandé de participer au concours du meilleur jeu pour la PGW. On nous a envoyé un formulaire qu’il fallait remplir. À la main. Et renvoyer, timbré, par la poste. La France. Du coup, cela nous a découragé – pas de coller un timbre, mais d’interagir avec des gens qui demandent de renvoyer un truc en papier, en 2013, dans le monde du jeu vidéo dématérialisé. C’est terrifiant. D’ailleurs, je me suis plaint gentiment sur un forum spécialisé à ce sujet, disons, sur le ton de l’humour, et Michael m’a demandé de calmer le jeu : cela pourrait indisposer des gens importants. La France.
D’ailleurs, un peu plus tard, il y a eu les European Indie Game Days (EIGD) avec une session de Pitch My Game dedans, et j’avais l’occasion de pitcher Out There. J’y suis allé, j’ai été très mauvais, mais c’est là où j’ai fait la connaissance d’Étienne Perrin, développeur qui a beaucoup de passion et de bonnes idées. Cela étant, à un moment je quitte l’assemblée pour passer un coup de téléphone, et je me fais courser dans le couloir par un distributeur de jeux qui était intéressé et qui croyait que je partais en douce. Bon signe. Dans le cadre des EIGD, il y avait le concours du meilleur jeu, avec de très chouettes entrées. Out There n’était nominé nulle part. En revanche, dans la catégorie du « jeu le plus original » il y avait Exodus, un metroidvania standard, avec cependant la notable qualité d’avoir été réalisé par des étudiants chapeautés par un type appartenant à je ne sais quelle association française du jeu vidéo. La France. Sachez que si demain les EIGD nomment votre jeu comme « l’un des plus originaux », vous avez un jeu qui est au moins aussi bon qu’un metroidvania standard réalisé par des étudiants.
Pendant cette période, des éditeurs nous ont contacté. Déjà nous avons cet éditeur pour l’Asie avec lequel nous avons tissé des liens étroits. Le marché asiatique est très particulier, à la fois hermétique (le Japon), enclin au piratage (la Chine), avec des données de localisations très variables : traduire le jeu en japonais coûterait 5 000 euros et en chinois seulement 1 000 euros. L’éditeur asiatique nous a dit : « Signez avec nous, on localise et commercialise votre jeu sur l’Asie, et suivant la plateforme, on vous donne 50 % à 75 % des bénéfices. Et ne posez pas de question ! » Le « posez pas de question » était relatif au piratage. Le jeu serait piraté, c’est un fait, et c’était incontrôlable : pas mal de créateurs de jeu avaient du mal à l’accepter. Cependant, notre interlocuteur est un grand nom qui administre Playism, le Steam du Japon, alors on a passé un accord avec eux.
D’autres éditeurs sont venus à nous, des grands noms du mobile, et des grands noms tout court – des boîtes aux jeux desquelles je jouais quand j’avais 12 ans ! C’était fou. Michael avait été un peu échaudé de sa collaboration avec un éditeur sur Space Disorder, et on voyait mal ce qu’ils pouvaient nous apporter en plus étant donné le suivi positif que la presse donnait à notre jeu, sinon un slot sur Steam. Après divers atermoiements, on demande aux éditeurs une avance sur royalties assez faible puisque l’équilibre serait atteint sur 5 000 ventes. On se disait avec Michael que si on ne faisait pas 5 000 ventes avec Out There, on pouvait aller se pendre ! De toute manière, pour vous dire à quel point nous avons Michael et moi une collaboration professionnelle et pas amicale, c’est que Michael m’a très souvent dit cash que si le jeu ne se vendait pas rapidement après sa sortie, il romprait toute collaboration avec moi – ce qui me convient complètement. Les éditeurs ont dit non, sauf un (le gros mobile, qui nous correspondait bien) qui a fait mine de ne pas avoir reçu le mail – ce qui est une façon habile de dire qu’ils réfléchissaient. Par contre, ils ont tous contre-proposé la même chose, sans les avances sur royalties. Et nous avons fait mine de pas avoir reçu leur mail.
« Michael avait manœuvré tel un comploteur florentin pour obtenir le Saint Graal du développeur mobile. »
Autre nouvelle grinçante dans ce morne mois de novembre, on apprend l’air de rien que Faster Than Light sort sur iPad « early 2014 ». Moi ça m’a fiche un coup, j’étais tellement abattu que j’ai envoyé un mail de soutien mental à Michael croyant qu’il était au 36e dessous. Mais ce n’était pas le cas. Il s’en moquait. Il faut dire que nous ne sommes pas FTL, mais que FTL a tellement marqué les mémoires que souvent les gens nous prenaient pour le clone de FTL qu’ils attendaient sur iPad. Et longtemps, quand on tapait sur Google « Android FTL » ou « iPad FTL », on tombait sur Out There, tout simplement parce que des sites avaient titré : « Out There is not FTL (but a great game) ! » Pour ajouter des tas de cerises au gâteau, FTL reviendrait avec du contenu additionnel scénarisé par une méga pointure, le mec qui a écrit les textes de Planescape: Torment. En bref, on était déjà deux contre le monde entier avec rien du tout dans les mains, et comme dans un manga complètement fou un challenger arrivait avec les plus gros atouts possibles sur notre terrain. Mais comme vous le verrez, tout n’était pas acquis pour eux.
Enfin, Michael avait manœuvré tel un comploteur florentin pour obtenir le Saint Graal du développeur mobile : le mail et contact du responsable des features de l’Apple Store Europe. Contre une contrepartie que nous n’évoquerons pas, mais pour vous dire la toute puissance d’Apple et des étalagistes de jeux sur l’Apple Store, ce même contact nous a été proposé contre un pourcentage de notre jeu et nous avons sérieusement failli accepter. Oui, un email contre un pourcentage du jeu. Ce monde est fou, non ?
Début décembre, nous avions une petite première version du jeu presque présentable. On en a fait notre bêta, qui couvrait 25 % du jeu. Michael a contacté la société Humble afin de vendre le jeu dans un bundle pour Android. Pour iOS, ce n’est pas possible, c’est Apple Store qui décide de tout – on peut vendre un jeu contre un prix, et c’est tout. On a donc mis le jeu en vente discrètement, sans l’annoncer, dans le cadre d’une précommande Android qui donnait accès à la bêta pour 3,99 dollars. Il était convenu que nous annoncions le tout en fanfare le 7 janvier pour ne pas que notre communication soit absorbée par la turbulence de Noël.
Michael avait une vision : celle de conquérir et de choyer le marché Android. En effet les développeurs mobiles privilégient iOS. Parce que iOS fait plus de ventes et plus de transformations en vente dans le cas d’un modèle freemium. Par ailleurs, Apple, il faut les caresser dans le sens du poil. Si vous sortez un jeu d’abord sur Android, ils auraient, dixit la rumeur (sur laquelle tous les éditeurs se fondent), des réticences à promouvoir votre jeu. Donc il a voulu aller à contre-courant en proposant une démo et un bundle spécial Android, pour séduire le marché.
Cette mise en vente a déclenché plusieurs choses. C’est là que le conte très triste et pénible de notre aventure voit son tournant heureux, donc nous pouvons ranger les mouchoirs. On a tout de suite vendu des jeux. Et pas mal. Et ensuite, on en a vendu dans la durée, sur tout le mois. Pour donner une idée, car j’ai juré à Michael de ne jamais dévoiler nos chiffres, nous pulvérisions au fil des heures certains paliers : nous avons remboursé nos investissements financiers, nous avions fait plus de ventes que la plupart des jeux indés français à leur sortie, puis dans toute leur vie… notamment Space Disorder. Sur des préventes. Android. Sans communication. Première conséquence, Humble est tout de suite revenu vers nous en disant « hum hum, mais dites donc c’est plutôt sympa tout ça » et nous a dit cash qu’ils nous voulaient pour le Humble Store, dès le deuxième jour d’exploitation (sans communication, rappelons-le).
De façon invisible, notre succès s’est répandu un peu partout dans le petit monde de la distribution de jeux vidéo, et toutes les plateformes sont venues à nous petit à petit, sauf Steam, mais nous n’avons pas encore de version PC… En conséquence de cette conséquence, on a rapidement dit un « non » définitif aux éditeurs laissés en stand-by. Deuxième conséquence, nous avons eu une vraie récompense, c’est-à-dire le feedback des joueurs. Nous avons eu rapidement, par mail, et sur les commentaires des forums, des dizaines, des centaines de commentaires positifs, voire ultra positifs. Vous allez me dire, ils ont acheté le jeu, ils ne vont pas nous basher (quoique…), mais ils allaient en dire du bien partout. Par exemple sur un forum russe qu’il nous a été impossible de joindre car il bloque notre IP, des gens cliquent sur un lien qui vraisemblablement dit du bien de nous et provoque des ventes en continu.
Les joueurs se sont même échangés des trucs et astuces et des foires aux questions plutôt bien trouvées pour réussir la bêta ! En plus du feedback qui est une récompense du travail fourni, le jeu marchait. Pas beaucoup de bugs – certains signalés n’en étaient pas ! Beaucoup de gens nous informaient que si on se posait sur une planète habitée et qu’on la forait, alors on ne pouvait plus parler aux aliens. C’était une feature en fait : si des mecs viennent saccager votre maison, vous n’allez par leur faire des cadeaux ! J’ai monté rapidement un forum sur Internet et nous avons pu centraliser toutes ces demandes et Michael a fait en sorte que le forum soit accessible depuis le jeu.
Dernière conséquence, le bruissement léger de nos ventes a attiré des prédateurs. Plusieurs personnes se sont rappelées que nous existions et que peut-être nous avions des besoins. Exemple, une personne approche Michael et lui propose 10 000 euros tout de suite en échange de 10 % du jeu. Avec ce que vous avez lu, vous avez envie de rire à une telle proposition, mais nous étions usés et affaiblis à cette époque, et Michael a essayé de me convaincre que c’était une bonne idée, tellement il était KO par sa situation personnelle et hyper fébrile (parce que nous ne touchons pas l’argent tout de suite, mais en fin de mois, et pour Apple deux mois après). Et nous avons dû aussi nous battre contre ce type de parasitage mental, qui n’avait rien à faire alors que nous devions finir le jeu ! Des fois il se mettait en colère parce qu’il était sous pression, et moi j’avais la haine (encore !) contre ces gens qui nous avaient ignoré tout le long de l’histoire et maintenant qu’on vendait, se jetaient sur nous ! C’est à Rezzed, Rock Paper Shotgun, The Verge et Pocket Gamer qu’il fallait donner 10 % ! Eux, dès le début, nous avaient soutenus !
On vivait tous les deux des moments très fébriles. Michael a vécu cette angoisse très étrange des gens qui viennent de gagner au loto et qui n’y croient pas, et que cela perturbe : il me disait « ok, on fait plus de ventes chaque jour, mais et si ça s’arrêtait ? » ou « ok on fait des ventes sur Android mais le jour où cela sortira sur iPhone ? » ou « aura-t-on le temps de finir le jeu ? » (alors qu’on n’avait aucune date imposée par un éditeur justement !) ou encore « mais si on a trop d’argent, est-ce qu’on aura envie de fabriquer des jeux encore ? » (cette phrase dite sur un ton de désespoir sincère). Je me souviens qu’un jour je lui ai paraphrasé pour le calmer les vers de Kipling : « Il faut accepter victoire et défaite, ces deux menteurs d’un même front. »
La fin d’année est arrivée dans une certaine douceur, avec les mécaniques du jeu, qui, au fil des feedbacks, atteignaient un point d’équilibre agréable. Et juste avant Noël, nous avons eu deux cadeaux : Touch Arcade et Indie Statik ont placé Out There dans les « jeux les plus attendus de 2014 ». C’était un cadeau miraculeux des joueurs. Je dis des joueurs, parce que ces classements ont été réalisés par la communauté de joueurs et pas par le staff. Touch Arcade, est, rappelons-le, le site de référence mondiale des jeux mobiles. Ils avaient sélectionné cinq jeux, nous étions le 4e. Et nous étions devant Faster Than Light – qui n’était même pas cité. Plus que la reconnaissance et l’assurance de ventes, ce classement était un outil formidable pour la suite. Quel magazine refuserait ne serait-ce que de tester le jeu avec une telle carte de visite ? Ils seraient bien obligés de nous recevoir, nous les deux pouilleux sans argent, et sans doritos. Niveau financier, à titre personnel, j’ai eu deux petites aides. Je n’ai rien demandé à ma famille mais ils m’ont un peu aidé, et EDF m’a mis sur la liste des tarifs spéciaux pour personnes dans le besoin, d’office.
La mystique
Le 7 janvier, nous avons annoncé officiellement l’existence de la bêta, ce qui a boosté encore une fois les préventes et donné lieu a pas mal d’articles. J’ai accepté (bon, j’ai demandé) de prendre en charge toute la com de Out There à partir de ce point. Michael est un vrai control freak question com, ce qui est pas mal parce que j’ai tendance à dire ce que je pense aux mauvaises personnes quand la passion me prend, ce qui est un péché capital dans le secteur. Il a eu beaucoup de mal à me déléguer ce point et cela a donné lieu à pas mal de disputes. Nous savions déjà que le jeu allait sortir le 27 février. On avait prévu trois, quatre articles et communiqués mêlant screenshots, trailer et interviews. Dans la réalité, cela a été complètement différent, une vraie tornade. Michael m’a dit un jour au détour d’une conversation téléphonique que je devrais peut-être contacter des Youtubers, c’est-à-dire des gens qui font des vidéos de jeu vidéo. Je n’en avais jamais vraiment vu, sauf pour Dark Souls où j’aime bien voir le skill des gens à haut niveau.
J’ai pris une demi-journée pour comprendre la situation. Et j’ai eu une vision. Tous les Youtubers de la planète devraient jouer à Out There et faire une vidéo du jeu. Ni plus, ni moins. Ce serait mon jeu à moi. J’ai commencé à faire des listes, à relier les Youtubers entre eux suivant qu’ils étaient amis – ou collègues de travail. Des structures pyramidales. Des sectorisations (minecraft / strategy / FPS / pays / humour / review sérieuse, etc.). Tout en haut, j’avais le boss suprême, PewDiePie, 20 millions d’abonnés. Avec 20 millions d’abonnés, si seulement 1 personne sur 1000 achète le jeu, ça fait 20 000 ventes, soit 80 000 dollars. Pour une petite vidéo, 20 minutes de la vie de ce mec. Dans les faits, le taux de transformation n’est pas de 1 pour 1000, il est plus important ! Il suit une loi logarithmique qui fait que les petits Youtubers déclenchent un peu de ventes, les gros plus de ventes mais pas proportionnellement plus. Mais chaque Youtuber représentait de l’argent, c’est sûr. J’avais aussi mes mini boss, avec certains qui sont tombés comme Aquasyris, un Français qui nous a fait des vidéos géniales, et At0mium qui – hélas – n’est jamais tombé, et pourtant c’était la porte ouverte à jeuxvideo.com, mais nous verrons cela plus tard.
« C’était la démonstration de mes théories sur la toxicité du financement participatif ou du système de subventions. »
J’ai commencé à créer des techniques persos. Je sais que si on met quelques mots d’allemand dans un mail à un Youtuber allemand, il trouvera cela mignon. Il était important de toujours personnaliser un maximum ses mails. Des mots excitent plus que d’autres : si on se présente en tant que développeur, c’est plus marquant que créateur d’un jeu. Si on parle de preview version, cela donne un coté pro qui excite une certaine tranche de Youtubers. Et évidemment, dès qu’un Youtuber avait eu la gentillesse de faire une vidéo, je sollicitais ses amis. J’ai vécu comme un possédé pendant un mois. Je me levais, j’allais courir 2,9 kilomètres autour du Jardin des Plantes, et je me mettais devant le PC et devant mes fichiers de Youtubers jusqu’à ce que j’aille me coucher le soir. J’en ai eu mal au dos un jour et j’ai dû passer une partie du temps à travailler debout. Michael était furieux que j’écrive à des Youtubers qui n’avaient que 500 abonnés par exemple (ce qui n’est plus vraiment représentatif étant donné l’importance de Twitch aujourd’hui) ou qui étaient tchèques ou coréens. Mais pour moi, je devais prendre les petits pour avoir les moyens puis les gros, et de toute façon, je les voulais tous.
Je disais à Michael au téléphone « oui, désolé, je ne le ferai plus » mais je ne le pensais pas du tout, j’avais le regard farouche, il ne pouvait pas comprendre mon objectif, ma quête mystique. Il ne comprenait pas. Il n’y avait pas de petit Youtuber, car chaque Youtuber, dans mon délire donquichottien secret, c’était un cocktail molotov envoyé sur les locaux d’Ubifrance. C’était la démonstration de mes théories sur la toxicité du financement participatif ou du système de subventions. C’était un poing dans la gueule du système, et je déteste le système ! Mais si Michael n’était pas très content, ma folie a payé et il m’a lâché du lest quand j’ai eu quelques résultats. Au moment où j’écris ces lignes, nous avons eu 60 longplays de Out There et nous en avons 30 en gestation, sur un panel de Youtubers allant de 500 à 150 000 abonnés – mais je n’ai attaqué aucun Youtuber de plus de 200 000 pour le moment. Je n’ose pas dire le nombre de Youtubers que j’ai dû harceler pour avoir ces 60 longplays parce que ce n’est pas à mon avantage, mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Il faut voir que nous sommes un jeu mobile, et faire un longplay est beaucoup plus compliqué que pour un jeu PC.
Youtube n’a pas seulement généré des ventes et amélioré la notoriété du jeu. Il a eu deux impacts importants. Déjà, pas mal de pigistes, voire des journalistes de jeu vidéo sont Youtubers en secret, parce que le métier change, et ils s’adaptent. Donc quand on a attaqué le sprint final des communiqués de presse, on était parfois en terrain conquis – on envoyait un message du type « voulez-vous tester Out There » et il nous répondait : « Héhé je suis XXX sur Youtube, j’ai fait votre preview, envoyez-moi donc la version complète ! » Un bonheur.
Ensuite, des mini communautés se sont créées autour du jeu. Le jeu se prête bien à YouTube car il est constitué de pleins de choix cornéliens et évidemment les commentateurs ne se privent pas de se moquer du joueur, du style « mais tu es idiot, mine plusieurs fois ! » ou « attends mais divise tes ressources avant de les consommer ! » C’est le cas pour Aquasyris qui a fait de lui-même cinq vidéos qui sont très drôles à visionner et qui dit donc : « Oui, comme vous m’engueulez pour que je mine plusieurs fois, voilà je le fais ! »
Nous sommes dans la phase dorée où le jeu nous échappe complètement et des joueurs viennent à fantasmer des possibilités. Un commentaire nous a surpris puisqu’il disait : « Vous devriez essayer de traverser les trous noirs, cela vous téléporte. » C’est quelque chose que nous réservions pour la version finalisée – mais dans son imaginaire, le commentateur le tenait pour acquis. Ou encore, un autre disait : « L’Omega peut être utilisé comme substitut d’un élément pour la création d’un module technologique, gardez-le ! » C’est faux, mais c’est une feature que nous avions implémentée puis retirée à cause du déséquilibre que cela entraînait. Poésie de l’imaginaire des joueurs impatients de jouer à Out There. On a implémenté les scènes cinématiques de fin. J’ignore si elles plairont. Mais elles nous ont donné des frissons. Il y a trois fins, dont une secrète, et je pense que cela vaut le coup d’aller à la fin du jeu – même si le voyage reste le plus important.
Humble Bundle n’est pas revenu vers nous, ce qui déchirait Michael. J’étais plutôt confiant car, en affaires, les Américains tiennent parole. Après beaucoup d’anxiété qui dégénérait parfois en disputes, Humble nous a envoyé leur contrat et nous étions heureux. Nous allions être au premier plan sur l’humble store. Nous l’avons annoncé autour de nous – presse, Twitter, Facebook –, personne n’en a eu rien à fiche.
La dernière semaine est arrivée avec son quota de bugs bloquants qui ont poussé Michael dans ses derniers retranchements. Problèmes de mémoire. L’implémentation des achievements a été particulièrement douloureuse. Un petit mot sur eux. Je les avais créés aussi pour qu’ils soient un outil de com autour du jeu. Le flyer qui disait « Cherchez pas, on est des vrais » ? Là c’était dix fois pire, avec des citations de Farscape, des titres de nouvelles de grands noms, des concepts de SF connus, etc. Et là Michael me dit : « Tes intitulés ne sont pas compatibles avec les normes iPhone. » Je me renseigne et un achievement pour iPhone doit faire… 14 caractères. Quatorze caractères ! Il a fallu vraiment triturer les possibilités pour garder la ligne de com. Le vrai problème, c’est de surtout tester les achievements. Il y a un système de sandbox Apple, mais c’est assez tordu à mettre en place – enfin, ce qu’il m’a semblé. La veille de soumettre le jeu à Apple, j’ai modifié (en l’allongeant) une fin. Quel stress.
Une heure avant la soumission à Apple, on modifie les spécifications d’un vaisseau trop puissant. Il était 2 h du matin, et on était au téléphone Michael et moi, à s’engueuler gentiment pour savoir s’il fallait que sa performance soit de 0.7 ou de 0.65. Ce qui me stresse moi, car j’aime bien que tout soit carré 15 jours à l’avance. Et puis on a envoyé le build, et je pense que Michael a dû dormir un jour entier.
Le lendemain de la soumission, on décroche un stand pour la PAX. C’était une initiative de Indie Mega Booth, qui sélectionne les meilleurs développeurs indépendants mondiaux – pour être présent sur le salon du jeu vidéo aux États-Unis. Et pas riquiqui, un espace avec de quoi mettre plusieurs ordis. Et tenez-vous bien : on est à coté de Twitch, en face de Double Fine, comme une métaphore subtile de notre vie, c’est-à-dire à coté des streamers, et en face de ma Némésis qui s’était gavée de crowdfunding – Michael les appelle d’ailleurs les « triple i ». J’ai prévu une grande bannière qui dirait « Pour voir comment réaliser un jeu vidéo avec quatre millions de dollars de moins qu’en face, venez ici. » C’est une excellente nouvelle pour le projet, un peu moins pour le porte-feuille. En gros, cela prend pas mal sur nos bénéfices déjà réalisés en précommandes, en comptant avion, hôtel et tout le reste. On confirme quand même et vaya con dios, nous sommes fiévreux de notre grande aventure, et pas là pour ouvrir un compte épargne.
À cette époque, j’ai rendez-vous avec un éditeur important pour signer un contrat concernant une bande dessinée, le Ruban Bleu (qui représente pour moi une aventure au moins aussi mouvementée et intense que Out There). C’était un apport en argent assez rapide de plusieurs milliers d’euros et j’en avais vraiment besoin pour passer février. Et, en accord avec le dessinateur, j’ai refusé la proposition (temporairement) parce que nous voulions présenter un meilleur projet. Mais la tentation de compromis a rarement été aussi forte – et rarement j’ai vécu un rendez-vous professionnel aussi tendu, mais c’était contre moi que je luttais. En somme, si le jeu ne se vend pas à la sortie, je vais être obligé de prendre un emploi salarié, ce qui marque aussi la fin d’un mode de vie qui permet ce type de création et d’aventure. Nous verrons bien, puisque que tout ce que vous lirez dans ces lignes sera écrit avant la sortie du jeu.
« L’objectif était que tous les magazines parlent de nous. »
Michael avait la tâche de faire des builds autonomes et de les placer sur les différentes plateformes de distribution – ce qui inclut également le fait de signer un contrat avec chacune d’entre elles, etc. – et il m’a demandé de m’occuper de la presse. Objectif : obtenir des reviews. Je l’ai fait comme mon projet Youtuber – que je menais en parallèle. L’objectif était que tous les magazines parlent de nous. Pas seulement les sites mobiles, les magazines de jeux vidéo, mais aussi les magazines généralistes et mêmes certains spécialisés dans autre chose, comme l’astronomie, mais qui pourraient être intéressés par le jeu. De même, aucune restriction géographique. J’ai ainsi appris avec surprise qu’il y avait trois revues papier de jeux vidéo en Iran (ainsi qu’un salon du jeu vidéo !) et deux en Turquie. Qu’il faut cliquer sur « Ote yhteyttä » sur un site en finnois pour les contacter.
Là, Michael s’est vraiment mis en colère contre mon sens de la priorité – alors j’ai dû faire des compromis (et des choses en secret). Il était aussi particulièrement fébrile car Apple tardait à valider le jeu et même si les journalistes nous demandaient des version review, nous ne pourrions pas les envoyer. Nous étions en grand froid la veille de la fameuse validation mais Michael avait raison d’être tendu : le jeu n’a pas été validé, pour une raison toute bête, Michael avait oublié de cocher la case précisant que nous avions implémenté des achievements. On a renvoyé un cycle de validation. Le pauvre Michael souffrait vraiment de cette situation.
L’approche de la presse est quelque chose de laborieux, avec ses murs dressés hauts, ses victoires, ses défaites. À Aurillac, la forteresse isolée de jeuxvideo.com qui se dresse comme un Mordor occidental impénétrable aux sollicitations. Le cimetière hanté des innombrables sites Android dont on ne sait s’ils sont morts ou vivants. Les cuirassés étincelants des sites américains qui n’ont même pas de formulaire de contact – si vous valez le coup, ils le savent déjà ! Nous avons eu de l’aide tout au long de notre aventure. Et là, j’ai encore eu de l’aide. Merci à toutes ces personnes, professionnels ou intermédiaires de la presse jeu vidéo qui ont participé à la réussite du projet en nous donnant le petit bout de corde qui manquait pour grimper au sommet, c’est-à-dire le contact essentiel.
Le jeu a été enfin validé par Apple. Pour vous dire l’état mental de Michael, nous avons eu la validation à 3 h du matin et il était éveillé, sur le pont, dans l’attente. Soulagement. Du coup, on a eu une centaine de codes promos à distribuer pour les reviews. Chose bizarre, on a eu des retours de reviews en milieu de partie. Des journalistes s’arrêtaient de jouer et nous écrivaient : « Attendez, mais ce jeu est bien ! », comme s’ils étaient surpris – ce qui devait être le cas dans leur routine consistant à tester des Candy Crush-like au kilomètre. Du grand bonheur.
Et puis Polygon nous a écrit : « On va essayer de caler un test d’Out There, dites-nous ce qui vous arrange. » Polygon ! Alors qu’il y a un an j’écrivais les documents de gameplay de notre futur jeu dont nous n’avions même pas le nom.
Et puis un gros, gros Youtuber – celui qui est juste en dessous de PewDiePie dans mon plan d’assaut – nous a écrit : « Euh, mes abonnés me demandent de faire un test de votre jeu, on fait quoi ? »
Et puis The Verge, The Guardian et Wired nous écrivent : « C’est bien la version finale ? Parce qu’on va faire le test. »
Alors bien sûr le jeu vidéo, spécialement sur mobile, c’est une grande loterie. On va peut-être se planter. Mais on aura fait tout ce qui était possible pour faire un bon jeu avec sincérité et labeur. La fin de l’histoire ne nous appartient pas ; elle appartient à vous qui lisez ces lignes. Bien sûr nous espérons gagner de quoi faire notre prochain jeu (nous avons déjà un line up prévu !), mais comme dans Out There, le voyage vaut autant que la fin.
À vrai dire, nous avons déjà été parfaitement comblés quant à nos efforts épuisants, lorsqu’après avoir vécu la grande aventure qu’offre Out There, l’un des plus grands sites de jeux vidéo nous a envoyé un simple mail constitué des cinq mots suivants : This is just fantastic, gentlemen.
FibreTigre a mis un point final à ce carnet de bord le 20 février 2014, sept jours avant la sortie de Out There.
Couverture : Out There, par FibreTigre et Michael Peiffert.