À la lisière de la forêt de Rambouillet, dans le village des Mesnuls (Yvelines), une cabane en bois est nichée dans les arbres qui s’élèvent autour d’une grande maison. C’est sur ces hauteurs, au milieu des bourgeons, que Yann Arthus-Bertrand a passé le confinement, un confinement « de luxe », abstraction faite d’une petite infection. Mais le coronavirus n’a pas empêché le très médiatique photographe de « beaucoup travailler », donc de beaucoup observer le monde décroître à la faveur d’une pandémie.
Il a ainsi pu se délecter de la baisse de la pollution induite par les mesures prises contre la propagation de la maladie. Mais l’ambassadeur des Nations unies pour l’environnement craint que tout cela ne soit que temporaire. À l’occasion de la Journée internationale de la biodiversité, célébrée ce vendredi 22 mai 2020, Yann Arthus-Bertrand nous donne ses prévisions en clair-obscur de l’avenir de la planète.
Vous avez eu le coronavirus en avril. Comment allez-vous ?
Je suis en pleine forme. En fin de compte, on ne connaît pas grand-chose de cette maladie, on en découvre au quotidien. Par exemple, j’étais couvert de boutons sur le ventre et sur le dos, ça me grattait de partout. Mon dermatologue me disait que ce n’était pas le Covid. Aujourd’hui je suis certain du contraire, parce que c’est arrivé exactement au moment où je ne mangeais plus. J’avais mal au crâne et j’ai dormi pendant huit jours. Quand je prenais une cuillère de moutarde dans la bouche, je ne sentais rien, j’avais complètement perdu le goût et l’odorat.
Donc les experts et les contre-experts découvrent des choses chaque jour et on a l’impression que plus ça va, moins on n’en sait. Pour le moment, je ne peux que suivre les recommandations au jour le jour, j’ai 74 ans donc je suis une personne à risque mais je ne suis pas du genre inquiet. Je pense que l’épidémie va s’atténuer, d’autres imaginent qu’on va devoir vivre avec le Covid toute notre vie.
La pandémie révèle-t-elle des déséquilibres de notre environnement ?
Plus on est nombreux sur la planète, plus les épidémies se diffusent. Les virus sont là depuis toujours et jouent un rôle de régulateur lorsqu’un animal est endémique. Dans l’océan, on observe parfois des blooms, c’est-à-dire la concentration de beaucoup de plantes et d’espèces à un même endroit. À chaque fois, des virus arrivent pour réguler tout ça. Je pense que c’est leur rôle.
Cela dit, notre façon de vivre favorise leur émergence : les élevages industriels sont par exemples des nids à virus. C’est ce que montre l’écrivain américain Jonathan Safran Foer dans son livre We Are the Weather: Saving the Planet Begins at Breakfast. Il y a aussi une étude publiée en 2018 dans la revue Frontiers in Veterinary Science qui fait le lien entre l’intensification des élevages de poulets en Asie et l’apparition de maladies. C’est normal et c’est d’ailleurs pour ça que les bêtes reçoivent des tonnes d’antibiotiques contre les maladies.
Le pangolin est un animal qui était interdit à la vente, qu’on ne pouvait pas chasser ni exporter, et pourtant les Chinois continuaient de le proposer sur les marchés. Autant c’est difficile d’arrêter le braconnage en Afrique parce que la survie de certaines personnes est en jeu et qu’il y a beaucoup de corruption, autant la Chine a la possibilité d’interdire ce genre de choses.
On voit la fermeté avec laquelle ses dirigeants ont fait face au virus, donc je pense que s’il avaient voulu interdire la vente d’animaux sauvages ils auraient pu le faire. Ça fait 30 ans qu’ils renâclent à interdire les cornes de rhinocéros, l’ivoire, les ailerons de requin et le reste. Si le Covid-19 vient du pangolin, ils auront des comptes à rendre. [Jeudi 21 avril, la ville de Wuhan, épicentre originel du coronavirus, a enfin interdit la consommation d’animaux sauvages.]
Le confinement a-t-il eu des bienfaits ?
Ce qui est intéressant, c’est qu’on n’avait le droit d’acheter que l’essentiel. Nous avons donc vu un mouvement de décroissance se former grâce ou à cause du virus. Pour les écolos comme moi, c’est génial : il n’y avait plus d’avions ni de voitures, on entendait les oiseaux, on faisait du circuit court, quelque part c’est tout ce dont on avait envie.
Mais malheureusement, on ne peut pas arrêter l’économie parce qu’on dépend tous de la croissance. Je pense que ça va recommencer comme avant parce qu’on en a tous besoin. La croissance est une tyrannie et comme on ne se prépare pas à ses conséquences, on est désemparés lorsqu’elles nous tombent dessus. J’imagine qu’à l’heure actuelle, le PDG d’Air France est bien mal.
Il n’y aura donc aucune leçon tirée de la crise ?
C’est quand même un moment où, en vivant de façon différente, on a un peu réfléchi. Les agents immobiliers reçoivent beaucoup de demandes pour visiter des maisons à la campagne. C’est plutôt une bonne chose. Je pense qu’il faudra apprendre à dégonfler les villes car il faut une énergie folle pour nourrir Paris.
Il y a une centaine d’années, la capitale était nourrie par des aliments qui venaient de la région, maintenant ils viennent du monde entier. Pour le moment, on parle beaucoup des circuits courts mais on en est très loin. Avec le prix de l’énergie qui reste bas, on ne cherche pas à faire autrement.
Faut-il compter sur les conférences pour le climat ?
Je suis ambassadeur de bonne volonté du programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et j’ai beaucoup cru aux conférences pour le climat, surtout à la Cop 15 de Copenhague, en 2009. Mais j’ai compris comment ça marchait.
En fin de compte, ce sont de grandes réunions de copropriétaires où tout le monde râle pour les mêmes choses en disant que c’est pas de sa faute mais de la faute de l’autre. C’est insupportable. Le fait que l’Accord de Paris (Cop 21) ne comprenne ni le mot pétrole, ni le mot charbon, ni énergie fossile – sinon les pays producteurs n’auraient pas signé –, montre bien son immense hypocrisie.
En 2050, alors que tous les signataires seront morts où à d’autres postes, il faudra que chaque Français émette deux tonnes de CO2. Aujourd’hui, on en émet 12 donc je ne vois pas comment ce serait possible. Il suffit d’un aller-retour à New York pour émettre deux tonnes de CO2. Ça veut dire qu’on n’aura plus le droit d’aller à New York ?
Je ne vois pas comment on pourrait faire des avions propres, qui voleront avec des biocarburants ou de l’électrique. Il y a un déni à ce sujet et c’est ce que je dénonce dans le film que je suis en train de faire, Legacy. Cette tyrannie de la croissance nous empêche d’agir.
À quel niveau doit être impulsé le changement ?
Lutter contre le changement climatique serait très simple : il faudrait arrêter d’utiliser des énergies fossiles. Il suffirait que la France décide de réduire de 5 % ses importations chaque année. On est incapables de faire ça, comme on est incapables d’arrêter de manger de la viande industrielle étant donné qu’on est des gros producteurs. Lutter contre son économie réelle, c’est compliqué : la France exporte des produits agricoles et des avions – et je pense d’ailleurs qu’on n’écoulera pas beaucoup d’Airbus dans les années à venir.
Tout le monde veut manger bio et avec des circuits courts mais on n’est même pas capables de payer le prix du lait à un paysan pour qu’il vive. Il travaille tout les matins, sept jours sur sept, en sachant qu’il va perdre de l’argent. C’est scandaleux.
On n’arrêtera pas le changement climatique mais personne ne le dit jamais vraiment. Des scientifiques sérieux parlent de 5 à 7 degrés en plus à la fin du siècle. On ne voit pas vraiment les différences, donc c’est un déni : on ne veut pas croire ce qu’on sait tous. Je refuse de signer des tribunes pour que le monde d’après soit meilleur tant qu’on n’a pas apporté de solutions concrètes.
On vit un peu dans la banalité du mal : on prend l’avion ce n’est pas grave, on mange de la viande industrielle ce n’est pas grave… On le vit tous, moi le premier, et en fin de compte il faut qu’on revienne à une banalité du bien. C’est un vrai travail personnel.
Couverture : Yann Arthus-Bertrand/Facebook