La mosquée vide
Autour de la Kaaba, le monolithe noir de jais situé au centre de la Grande mosquée de La Mecque, quelques fidèles prient face à des barrières. En ces premiers jours de ramadan, les fidèles se massent habituellement par centaines. Mais la pandémie de coronavirus (Covid-19) a vidé ce lieu sacré de l’islam. « Affligé » par la situation, le roi Salmane d’Arabie saoudite a suspendu les prières collectives et imposé un couvre-feu afin d’assurer la « protection de la vie et de la santé des peuples ». Sans ces communions, le jeûne n’en est que plus dur pour les musulmans du monde entier.
Le ramadan est le 9e mois du calendrier hégirien, sur lequel se base la religion musulmane. C’est durant cette période que les croyants s’abstiennent de boire et de manger pendant 30 jours en tentant d’adopter un comportement irréprochable, à l’image de celui de leur prophète Mahomet. La tradition veut que jeûner permette de se mettre à la place du pauvre, de celui qui est dans le besoin. C’est aussi l’occasion de se repentir et d’approfondir sa foi. Ce rituel constitue l’un des cinq piliers de l’islam avec l’aumône, le pèlerinage à la Mecque, la prière et l’attestation de foi.
Cette année, le mois de ramadan a débuté le 24 avril 2020, en pleine période de confinement. Une situation en contradiction avec l’esprit de rencontre et de convivialité associé à la tradition, car le jeûne s’accompagne habituellement de moments de communion. Les musulmans se réunissent dans les mosquées et organisent des repas copieux en famille ou entre amis le soir, au moment de l’iftar qui désigne la fin de journée. Or, les rassemblements étant interdits et les lieux de culte fermés, les musulmans vont devoir pratiquer leur jeûne dans des conditions exceptionnelles.
Une prière discrète
En soi, le jeûne n’est pas directement affecté par le contexte actuel, si ce n’est pour les malades atteints du coronavirus. Bien évidemment, ces derniers sont dispensés de jeûne tout comme les autres personnes atteintes d’une maladie, mais aussi les personnes âgées, les femmes enceintes ou les enfants qui ne sont pas en capacité de se plier à la pratique. Le confinement ne change pas grand-chose à cette règle, si ce n’est que le nombre de jeûneurs pourrait diminuer à cause de l’épidémie.
En Égypte, la mosquée Al-Azhar a annoncé que le virus ne pouvait pas servir de prétexte à rompre le jeûne, sauf à apporter la preuve scientifique que l’eau prévient la maladie. Selon l’imam jordanien Fa’ek Thyabat, le coran ne donne pas d’indication claire sur le ramadan en cas de pandémie. « Il y a un hadith qui dit : “Si vous entendez parler d’un fléau quelque part, alors n’y allez pas. S’il se produit où vous êtes, alors n’en bougez pas.” »
Le plus grand changement auquel les musulmans doivent faire face est sans conteste l’interdiction des rassemblements. Non seulement les musulmans les plus croyants sont censés prier cinq fois, que ce soit seul, ou en groupe, mais en période de ramadan, ils doivent le faire à la mosquée, après avoir coupé le jeûne. Cette prière de groupe est appelée tarawih.
Avec les mesures de confinement actuelles, ce rassemblement n’est plus possible. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a donc appelé à la responsabilité de tous les religieux en maintenant les mosquées fermées et il incite les fidèles à pratiquer leurs prières journalières chez eux. « C’est la seule attitude responsable et conforme aux principes et aux valeurs de notre religion dans ce contexte d’épidémie », indique-t-il.
En Indonésie, les autorités ont interdit le mudik, une procession qui voit des dizaines de millions de personnes rendre visite à leurs familles à la fin du jeûne. Alors que les mosquées d’Israël et de Palestine ont fermé, au même titre que les synagogues et les églises, la Turquie n’est pour l’heure pas en quarantaine complète. Mais elle a tout de même interdit aux familles de voyager et d’organiser des repas. Au Royaume-Uni, le Conseil musulman britannique a encouragé les croyants à organiser un iftar virtuel sur les réseaux sociaux ou via des applications de visioconférence.
L’interdiction des rassemblements est aussi un lourd fardeau à supporter pour les familles les plus généreuses. D’habitude, lorsque l’heure de l’iftar approche, c’est le moment de mettre les bouchées double, voire triple pour faire plaisir à sa famille, ses proches, ses voisins. Pendant la journée de jeûne, les mains s’activent en cuisine pour préparer des repas traditionnels. Lesquels peuvent être partagés avec les proches, de tous horizons.
Un mal pour un bien
Après le repas familial de l’iftar, les plus jeunes avaient pour habitude de se retrouver un peu plus tard dans la soirée pour partager un second repas. Pour Irvin, 21 ans et habitant en Seine-Saint-Denis, l’heure est déjà à la nostalgie. « Avec le confinement, on perd l’ambiance qui caractérise cette période de ramadan. On avait l’habitude avec mes amis de se retrouver, partager le reste de la nuit ensemble en discutant et en rigolant de tout et de rien. Le confinement me fait réaliser la chance qu’on avait de vivre ces moments qui semblent anodins en temps normal. C’est un peu un mal pour un bien », dit-il.
De plus, le mois de ramadan est l’occasion pour les musulmans de faire preuve de solidarité, d’offrir à ceux qui sont dans le besoin et donc de respecter un des piliers de l’islam qu’est l’aumône. Chaque année, de nombreuses mosquées et associations caritatives organisent des repas de rupture du jeûne et les partagent avec les personnes les plus démunies, qu’importe leur confession. Une habitude fortement compromise cette année par les mesures de restrictions des déplacements et des rassemblements.
« De nombreuses idées alternatives sont d’ores et déjà en cours d’élaboration pour que l’esprit de partage de ce mois béni perdure malgré les difficultés. Des distributions de repas répondant aux restrictions en vigueur pourront faire l’objet d’une concertation avec les autorités locales de notre pays et faire appel à l’entraide entre les différents acteurs associatifs », déclare le CFCM.
À Dearborn, dans le Michigan, les familles musulmanes ont trouvé un autre moyen de communier. Plutôt que de se réunir, elles ont placé des décorations lumineuses sur leurs maisons, avant d’inviter les autres à en faire de même. Ce défi qui aura lieu jusqu’au 11 mai se diffuse sur les réseaux sociaux via des photos des logements illuminés. Et le public peut même voter pour les 10 plus beaux ornement, quartier par quartier.
En France, le plan de déconfinement qui sera mis en place à partir du 11 mai prochain pourrait permettre aux musulmans de passer les dix derniers jours du mois de ramadan dans des conditions un peu plus habituelles. Même si l’ouverture des lieux de culte ne devrait pas se faire dès le 12 mai, il permettrait aux familles musulmanes de se réunir, en nombre limité, pour célébrer les ruptures de jeûne mais aussi et surtout, la fête de l’Aïd Al-Fitr marquant la fin du ramadan.
Cet événement, marqué par une prière collective mais aussi des échanges de vœux, pâtisseries et autres présents, sera assurément moins grandiose que d’habitude. Mais comme le dit Irvin, c’est peut-être un mal pour un bien.
Couverture : Abdullah Arif