La DARPA – l’agence affiliée au département de la Défense américain spécialisée dans la recherche de nouvelles technologies militaires – étudie depuis dix ans le pouvoir suggestif des memes et leur application pour des opérations de propagande. La mise en application la plus ahurissante de ces études a eu lieu l’année dernière.
En 2016, les memes ont tenu un rôle inédit, mais décisif, dans la dernière campagne présidentielle américaine. Ces illustrations (majoritairement celles du camp de Donald Trump à l’effigie d’Hillary Clinton) se sont révélées être un puissant vecteur de désinformation.
Jeff Giesea est entrepreneur et consultant américain, spécialiste de la tech. Il est également l’auteur d’un article intitulé “It’s Time to Embrace Memetic Warfare”, publié en 2015 alors que la campagne de Trump commençait à décoller. Dans ce mini-essai, qui a vraisemblablement compté parmi les livres de chevet des responsables de campagne de Trump, Giesea explique qu’il est temps de prendre conscience de l’importance des memes dans une stratégie de communication, et d’apprendre à les maîtriser. « Il est temps de se lancer dans la guerre des memetics », dit-il.
Mais si Jeff Giesea est le premier dont les préconisations ont un retentissement public, d’autres avant lui ont souligné le potentiel dévastateur des memes. En 2005, Michael B. Prosser, lieutenant colonel du corps des Marines américains, l’affirmait déjà dans un document qui listait les préconisations pour les futures méthodes de communication de l’armée. Il parlait alors d’un outil pouvant servir à « comprendre et anéantir une idéologie ennemie » ainsi qu’à « gagner contre les masses de citoyens indécis ».
Un an après, la DARPA commissionnait un programme d’études sur les memetics, qui devait durer environ quatre ans. Le docteur Robert Finkelstein, fondateur du Robotic Technology Institute, ainsi que d’autres chercheurs en cybernétique, ont été mis sur le coup.
Ces travaux ont permis de dresser une classification précise de l’efficacité des memes dans quatre catégories : propagande, persistance, entropie et impact.
Crédits : DARPA
L’armée américaine s’est d’abord servie de ce programme de recherche en 2013, alors que l’État islamique (EI) n’était encore qu’une menace grimpante. L’ennui, c’est que dans un premier temps, le programme a offert une vitrine de communication supplémentaire à l’organisation djihadiste.
La DARPA en a donc conclu que les memes utilisés dans des contextes de guerre semblaient favoriser les soulèvements. Car, par nature, ils sont faits pour affaiblir ceux qui, d’ordinaire, détiennent le monopole de la bonne parole et centralisent l’autorité. En clair, les memes encouragent le désordre, pas la stabilité.
La campagne de Donald Trump reposait justement sur un appel à une « rebellion » contre les élites politiques et à un rejet de l’establishment, incarné par le camp des Démocrates. À grand renfort de memes à l’effigie d’Hillary Clinton, Trump a progressivement fragilisé la stabilité du système politique américain, jusqu’à le renverser en remportant l’élection. Depuis, son fils, Donald Trump Jr, s’amuse à distiller des memes de son père en commander in chief inébranlable.
Crédits : Donald Trump JR / Instagram
En novembre, la victoire de Trump en a surpris beaucoup. Pourtant, le « tuto pro-memes » publié par Giesea en 2015 aurait pu être perçu comme un signe avant-coureur à prendre au sérieux.
« Pour beaucoup d’entre nous, dans l’univers des réseaux sociaux, il paraît évident que de nouvelles tactiques de communication plus agressives et une lutte renforcée grâce à des memes et des trollings sont un moyen grâce auquel il est peu coûteux et aisé de détruire la morale de nos ennemis communs », avait-il prévenu.
Source : Motherboard / Buzzfeed News