Utiliser l’innocence des enfants à des fins politiques peut s’avérer efficace. En 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de la victoire des Alliés, Averell Harriman est l’ambassadeur américain en poste en URSS. Il reçoit de la part des Pionniers soviétiques, une organisation pour enfants comparable aux scouts, une réplique en bois du Grand sceau des États-Unis en guise de présent. Mais ce cadeau empoisonné venait en réalité du gouvernement russe qui réussit alors, d’une main de maître, à placer les Américains sur écoute. Crédit : NSA Comme en Amérique, la surveillance est une longue histoire en Russie. « La notoriété des Russes pour la mise sur écoute et l’espionnage remonte aux tsars », écrit le politicien américain Henry J. Hyde. Dès 1832, lorsque James Buchanan – qui deviendrait le 15e président des États-Unis – était ambassadeur à Saint-Pétersbourg, il racontait : « Nous sommes constamment entourés d’espions, à tous les niveaux. On peut difficilement embaucher un domestique qui n’est pas un agent secret de la police. » Pourtant, en recevant son cadeau de la part des jeunes Russes, Averell Harriman ne se doutait pas qu’il allait permettre aux Soviétiques d’écouter ce qui se disait à la Spaso House (la résidence des ambassadeurs américains à Moscou). Et ce pendant sept ans. Crédit : wikipédia L’appareil dissimulé dans la gravure a été conçu par Lev Sergeyevich Termen, plus connu sous le nom de Leon Theremin, inventeur du thérémine. Après avoir vécu aux États-Unis, l’ingénieur revient en Russie juste avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale pour des raisons financières. De retour dans son pays, il est envoyé dans un camp sibérien pour travailler dans une charakcha, un laboratoire de la police secrète. Il y conçoit un système d’écoute basé sur le principe d’une cavité résonnante à haute fréquence, utilisé pour espionner la Spaso House. Le début du XXe siècle marque le développement des nouvelles technologies en matière de mise sur écoute et de surveillance. « The Thing », comme l’appelle les Américains, se compose d’une petite antenne et d’un cylindre ainsi que d’une fine membrane. Les agents soviétiques, en se plaçant à proximité de la résidence, peuvent actionner le micro et grâce à des fréquences radios, écouter ce que disent les diplomates américains. Un système étonnant de simplicité qui représente une avancée majeure à cette époque. « J’ai le sentiment qu’avec cette découverte, tout l’art de l’écoute intergouvernementale s’est élevé à un niveau technologique », écrivait Georges Kennan, l’ambassadeur en fonction lors de la découverte du mouchard. Le système d’écoute inventé par Theremin Au début des années 1950, deux événements mettent la puce à l’oreille du département d’État. D’abord, alors qu’ils surveillaient de leur côté la radio militaire russe, les opérateurs radios britanniques et américains ont été surpris d’entendre les voix de leurs propres diplomates sur les ondes… Ensuite, en 1952, la rénovation de la Spaso House par des ouvriers russes était une occasion trop évidente pour les renseignements soviétiques d’installer des micros pour espérer prendre au piège les Américains. La résidence est alors passée au peigne fin, mais aucun système de surveillance n’est détecté. « Soit il y avait un changement total de tactique de la part de nos hôtes Russes, soit nos méthodes de détection était dépassées », peut-on lire dans les mémoires de Kennan. Portrait de Georges Kennan, réalisé par Ned Siedler John Ford et Joseph Bezjian, deux techniciens de sécurité au département d’État, arrivent alors à Moscou pour procéder à des recherches plus poussées. Bezjian se fait passer pour un invité, agit comme tel, joue aux cartes et se promène dans la Spaso House tout en observant chaque employé et chaque recoin. La nuit, il cherche activement à démasquer le système d’écoute russe. Sans résultat, il décide de mettre en place une stratégie. Il demande à Kennan de s’installer dans son bureau et d’échanger avec quelqu’un sur des documents soi-disant classifiés. Pendant ce temps, Ford et Bezjian, armés de leurs appareils de détection, inspectent la demeure. Ils détectent alors un signal venant du mur où est accroché la réplique du Grand sceau. Après avoir réduit le mur en poussière à coups de marteau, Bezjian comprend que « The Thing » est dissimulé dans la gravure en bois. « En quelques instants, c’était fini. Tremblant d’excitation, le technicien a extrait un petit appareil, pas plus grand qu’un crayon, des débris du Grand sceau », raconte Kennan. Il décrit le sentiment étrange que cette découverte lui a procuré, l’impression d’être en présence d’une personne invisible, de presque entendre la respiration de celui qui l’espionnait. Crédit : wikipédia Ces sept ans d’espionnage ont permis aux Russes « d’obtenir des informations spécifiques très importantes qui se sont révélées avantageuses dans la prédiction et dans l’action des politiques du monde, et ce pendant la difficile période de la guerre froide », révèle un membre des renseignements soviétiques. En effet, des personnes importantes se sont déplacées à Moscou et rendues à la Spaso House pendant ces années, notamment le général Eisenhower. Une dizaine d’années plus tard, en 1960, l’URSS abat un avion américain U-2 qui volait au dessus de son espace aérien. La Russie organise une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies et accuse les États-Unis d’espionnage. Seulement, Henry Cabot Lodge, Jr., l’ambassadeur américain, dévoile l’affaire du Grand sceau au Conseil de sécurité et à la presse, prouvant que les Russes aussi espionnent les États-Unis. « C’est celui qui dit qui y est », ça marche aussi en politique. Henry Cabot Lodge Jr au Conseil de sécurité des Nations unies. Crédit : spymuseum Source : Memoirs, 1950-1963 de Georges Frost Kennan Sa célébrité n’est peut-être qu’une couverture.