Le phở (prononcer « feu ») est le plat national du Viêt Nam. Il se compose de nouilles de riz, cuites dans un bouillon de bœuf pendant des heures et aromatisées. Véritable fierté nationale, il est consommé dès le matin par l’ensemble de la population, et se déguste tout au long de la journée. Auteur américaine de livres de cuisine d’origine vietnamienne, Andrea Nguyen raconte dans un livre à paraître en 2017 l’étonnante évolution du plat, au gré des bouleversements qu’a connu le pays. Apparu au XXe siècle, le phở est relativement nouveau au vu des 3 500 ans d’histoire du Viêt Nam. Selon l’auteure, on doit la création du phở à un concours de circonstances. Au début du siècle, le Viêt Nam fait toujours partie de l’Indochine française. Différents peuples interagissent dans la zone : Français, Vietnamiens, mais aussi des Chinois issus de provinces frontalières. Le bœuf, alors utilisé pour l’agriculture, est vite réquisitionné par les Français pour sa viande. Les colons revendent ensuite à des prix dérisoires les restes d’os et de cartilages aux bouchers de Hanoï. Les vendeurs de soupes voient dans ce nouvel aliment bon marché l’occasion de diversifier leurs recettes. La soupe populaire, appelée xao trau, s’adapte et des marchands chinois la vendent à leurs compatriotes qui, en remontant le Fleuve Rouge, disséminent petit à petit le plat dans tout le Viêt Nam. Les viêtnamiens consomment le pho à toute heure du jour. L’histoire du phở prend ensuite un tournant plus politique. Les Français quittent le pays en 1954 après la défaite de Diên Biên Phu, et le Viêt Nam se divise. Au nord, les communistes interdisent le plat, accusé de gâcher du riz dans cette période de rationnement. Mais la population y tient trop et petit à petit, les vendeurs ambulants s’organisent, préparent le plat en cachette et le revendent en sous-main. En 1964, les États-Unis interviennent dans le conflit qui oppose alors le nord communiste au sud démocrate. Selon Andrea Nguyen, cela entraîne un nouvel impact sur le plat. En temps de guerre, il n’y a presque plus de viande pour faire le phở. Les vendeurs appellent ce phở dénaturé le khong nguoi lai : du « phở sans pilote ». En effet, l’armée américaine envoie leurs premiers drones pour photographier le nord du pays, et pour les Vietnamiens, le phở sans viande est aussi absurde que ces avions sans pilotes ! Le phở se consomme traditionnellement avec des baguettes, la cuillère étant autorisée pour les moins adroits. Autant d’histoires qui témoignent de l’influence des phénomènes historiques sur cette recette traditionnelle. Une fois encore, à la fin de la guerre en 1975, la nourriture est rationnée, mais les portions sont réduites et le phở devient plus raffiné. Nguyen rapporte ainsi ces anecdotes qui montrent l’attachement indéfectible des Vietnamiens à leur plat. Tout au long de l’histoire du pays, il s’est adapté aux influences : coloniales, migratoires, etc. Cela aide à comprendre la difficulté qu’a eue l’auteure à répertorier le plat et à le catégoriser selon les régions, les traditions et les méthodes de cuisson. On trouve de nombreux vendeurs de phở dans les rues d’Hanoï, la capitale du Viêt Nam. Elle voit dans le phở à la fois le symbole d’une tradition et celui du changement : « Il réconforte autant qu’il provoque. » Même quand certains essayent de changer la recette en remplaçant le bœuf par du poulet (phở ga), c’est que le gouvernement régule la vente de viande de bœuf. Le phở au bœuf reste le préféré des Vietnamiens, même si les jeunes n’ont pas peur d’innover et inventent aujourd’hui leurs propres recettes : en salade, en rouleaux, etc. Après la réunification des nord et sud Viêt Nam en 1975, de nombreux habitants ont émigré, exportant la culture du phở dans le monde entier et l’exposant à de nouvelles nombreuses modifications. https://www.youtube.com/watch?v=7SjoE5F8EbY The Pho Cookbook, d’Andrea Nguyen, sortie prévue en 2017 Quarante ans après, sa fille reporter s’est lancée sur ses traces. ↓