Depuis qu’un étrange objet volant s’est écrasé près de Roswell, aux États-Unis, en 1947, un grand nombre de personnes cherchent sans relâche des preuves de vie extraterrestre sur notre propre planète. Et ils peuvent le faire sans même quitter leur salon, grâce à Google Earth. Créé en 2004, le logiciel de Google, qui permet de visualiser la Terre grâce à un assemblage d’images satellitaires, semble leur fournir régulièrement de nouveaux arguments pour étayer leur théorie absconse : les extraterrestres sont parmi nous. Pour appuyer leurs déclarations, les ufologues profitent bien souvent de la faible résolution des images disponibles. Car si certaines métropoles sont rendues avec une précision stupéfiante, la modélisation d’une bonne partie de la planète est encore relativement floue. Cette modélisation, initialement réalisée par le logiciel Trimble SketchUp, est aujourd’hui générée automatiquement par des algorithmes. Pourtant, outre les ovnis et autres traces d’une prétendue civilisation extraterrestre, elle a permis des découvertes tout à fait sérieuses, notamment dans les zones les plus difficilement accessibles du monde. Les obsédés d’E.T. persistent à l’ignorer, mais c’est là que la technologie de Google prend toute son ampleur.

Le terrain de chasse

En parcourant le monde avec Google Earth, on peut tomber sur le signal « lieu d’intérêt rare pour les extraterrestres ». Celui-ci marque par exemple une structure architecturale étonnante à l’est du Caire. Visible aux coordonnées « 30° 1’14.40″N 31°43’17.49″E », elle se compose de deux bâtiments en forme de pointes, entourés par des cercles énigmatiques, et semble tout droit sortie d’un décor de Star Wars. Dans une vidéo postée en avril 2016 sur la chaîne YouTube secureteam10, qui est suivie par près de 840 000 personnes et animée par l’ufologue américain Tyler Glockner, le narrateur se demande si cette structure ne marque pas l’entrée d’ « une base souterraine secrète ». Beaucoup de commentateurs se montrent sceptiques, d’autant qu’elle se trouve à proximité d’une autoroute, mais certains y ont tout de suite vu une « base d’ovnis » du gouvernement égyptien. Dans le doute, autant croire n’importe quoi, semble dicter leur logique. Dans une vidéo postée un mois plus tard, Tyler Glockner prétend cette fois démasquer un vaisseau extraterrestre au fond de l’océan Pacifique, au large de la Californie. Lui aussi repéré grâce à Google Earth, il s’agirait d’un véhicule de forme circulaire d’un diamètre de 4,5 kilomètres, se déplaçant en zigzags sur une distance de 74 kilomètres. « Quel objet de cette taille bouge sous l’océan en zigzaguant de la sorte, comme s’il était contrôlé par une intelligence artificielle ? » demande le narrateur de la vidéo d’une voix pénétrée. Chasseur d’extraterrestres argentin, Marcelo Igazusta est quant à lui convaincu d’avoir trouvé un ovni de forme pyramidale au fond de l’océan Pacifique, cette fois au large du Mexique. Il est relayé par un autre chasseur d’extraterrestres bien connu, Scott Waring, fondateur du site UFO Sightings Daily, qui affirme que cette pyramide est à la fois « parfaite » et gigantesque en se basant sur l’ombre perceptible sur Google Earth. « Les humains n’auraient jamais pu construire une telle pyramide », écrit-il avec aplomb. « Seuls des extraterrestres ont pu réussir à fabriquer une structure aussi massive. » Le verdict est sans appel. Mais le terrain de chasse de prédilection des ufologues reste l’Antarctique. Cette région de glace est tellement nimbée de mystère que trois points visibles sur le cratère d’un volcan enneigé ont suffi à faire croire qu’elle était le lieu d’une forme de vie extraterrestre. Deux d’entre eux ressemblent à des débris tandis que le troisième laisse penser à une cavité contenant un objet non-identifiable. « Des gens pourraient dire qu’il s’agit d’une base d’ovnis militaires secrète », commente le narrateur d’une vidéo postée en novembre 2016 sur la chaîne YouTube thirdphaseofmoon, qui est suivie par plus de 390 000 personnes. « Cela se pourrait. Quel endroit parfait pour avoir une base militaire extraterrestre au milieu d’un volcan. »

Une autre personne insiste sur le fait que l’une des tâches visibles a l’apparence d’une soucoupe volante ayant été submergée par la glace. Le même mois, thirdphaseofmoon faisait également état d’une pyramide de style égyptien au Pôle Sud avec une vidéo incluant des clichés prétendument pris à partir de Google Earth. La vidéo suggérait que cette pyramide contenait une base extraterrestre et qu’elle était la raison réelle de la visite du Secrétaire d’État américain John Kerry, qui venait souligner les effets du changement climatique sur l’Antarctique. Nombre d’ufologues conspirationnistes sont persuadés que cette pyramide, qui serait en réalité une simple montagne rocheuse, est un vestige de la cité mythique de l’Atlantide. D’autres pensent qu’elle est liée à des activités nazies qui auraient été tenues secrètes pendant toutes ces années. Une montagne ? Trop facile !

Agressé par E.T.

Une légende raconte que les nazis ont dissimulé des œuvres d’art dans une base souterraine en Antarctique, où ils mettaient également au point des soucoupes volantes, et que les forces alliées n’ont eu de cesse de la détruire. Se basant sur une mission allemande menée en janvier 1939 et les différentes opérations militaires qui ont eu lieu au Pôle Sud, cette légende s’est si largement répandue sur Internet que le géologue et océanographe britannique Colin Summerhayes s’est fendu d’un article de 21 pages pour la désosser. Il explique notamment que c’est le secret entourant initialement les opérations militaires qui a permis aux gens « de construire un mythe d’une vaste base allemande en Antarctique », précisant qu’ « il n’est plus difficile de séparer la réalité du fantasme, bien que beaucoup trouvent séduisant de ne pas le faire ».   

L’ufologue conspirationniste Tyler Glockner fait bien entendu partie de ceux-là. En janvier dernier, il a consacré au moins deux vidéos utilisant des images de Google Earth au « mystère » de l’Antarctique sur sa chaîne YouTube secureteam10. La première montre une sorte d’immense escalier le long d’une montagne enneigé. « Je ne crois pas que ce soient réellement des marches, mais elles sont à mon avis trop parfaitement construites pour être des dunes naturellement créées par le vent. Étrangement, elles ne ressemblent pas au paysage dessiné par le vent aux alentours et elles n’apparaissent qu’à un seul endroit à 100 kilomètres à la ronde, nulle part ailleurs », affirmait alors Glockner.
La seconde vidéo montre des « pyramides » enneigées ainsi qu’un objet circulaire dépassant d’une grotte dans la montagne. Pour Tyler Glockner, il s’agit indubitablement d’une soucoupe volante. « L’ultime preuve d’une technologie secrète stockée au Pôle Sud ? » fait mine de demander le youtubeur. « C’est une découverte explosive et à mon avis l’un des éléments les plus évidemment artificiels et anormaux que nous ayons trouvés au Pôle Sud », ajoute-t-il, expliquant que les images lui ont été envoyées par l’un des abonnés de secureteam10 sur Twitter.
Ces vidéos sont loin de convaincre tout le monde, même au sein de la foisonnante communauté des ufologues conspirationnistes. « Le propriétaire de secureteam10 a été filmé en train de falsifier des vidéos », m’assure MWV, créateur du site UFO International Project – qui refuse de donner sa véritable identité après avoir reçu des menaces de mort. Il estime par ailleurs que Google Earth est un outil de recherche peu fiable : « Beaucoup d’images satellitaires me sont envoyées, mais je suis toujours un peu dubitatif, car ce n’est pas une ressource “live”. De mon côté, je pense qu’on ne peut pas clarifier ce qu’est un objet à partir de tels clichés. »
Lui-même affirme avoir vu un ovni le 11 novembre 2011 à 23 h 11 – qui s’écrit 11:11 pm en anglais, créant ainsi une symétrie parfaite entre la date et l’horaire. « Depuis ce jour, ma vie a changé », me dit-il, « je suis devenu obsédé par l’idée de découvrir la vérité. J’étais dans le Gloucestershire au Royaume-Uni, c’était un énorme objet triangulaire qui avait des lumières dorées palpitantes en-dessous de lui. Il ne faisait pas de bruit et il est apparu pour disparaître aussitôt dans le ciel, comme s’il s’était fondu dans le décor. »
John Mooner, lui, prétend carrément avoir été enlevé par des extraterrestres au cours de l’année 2016. Et il entend le prouver avec des images de Google Earth. « Je me suis dit que j’allais regarder l’endroit où j’ai été repéré par l’ovni et j’ai cherché quelque chose qui sortait de l’ordinaire », a-t-il raconté au tabloïd britannique The Sun en janvier dernier. « Ce que j’ai vu m’a laissé sans voix. » Sur les images satellitaires fournies au journal, on ne distingue que des éclats de lumières au-dessus de son quartier résidentiel de la ville de Torquay. Mais il affirme qu’en zoomant, elles permettent également de voir un alien gris le frapper au visage.

La forêt intacte

Comme Tyler Glockner, Marcelo Igazusta, Scott Waring et MWV, Seth Shostak cherche un indice de vie extraterrestre. Mais il ne le cherche pas sur Terre, ni même dans l’espace proche : il tente de capter des signaux émis par des êtres intelligents dans l’espace lointain, qu’ils soient délibérés ou accidentels. Et surtout, Seth Shostak est un éminent astronome qui officie dans le cadre du projet de recherche sur la vie extraterrestre de la NASA. « Il est impossible de prendre au sérieux aucun des ufologues qui trouvent des ovnis et autres “preuves” de vie extraterrestres sur Google Earth à tout bout de champ », me confirme-t-il sur Skype, en direct des locaux de la célèbre agence spatiale américaine.

« Tout simplement parce que les satellites qui alimentent Google Earth ne prennent des clichés que de manière très occasionnelle : si je regarde devant ma maison, j’y verrai la voiture que j’avais il y quelques années. Ce serait donc une chance incroyable de capturer un ovni. Sans parler de plusieurs ovnis. Cela voudrait dire que notre planète regorge d’extraterrestres. Et pourtant, nous sommes des milliers de scientifiques à les chercher en vain, dans toute la galaxie et au-delà. Ce serait tout de même étrange que nous ne les croisions jamais. D’autant que certains endroits du monde sont, eux, constamment photographiés par les satellites pour des raisons militaires et que ces clichés n’ont jamais révélé aucun ovni. » Ils n’ont effectivement jamais révélé la présence d’ovni, mais ils ont permis à des journalistes et des citoyens de s’informer et d’informer le monde sur les conflits les plus difficilement couverts par les médias. Comptable britannique au chômage en 2011, Eliot Higgins est ainsi rapidement devenu un spécialiste de la guerre en Syrie pour le New York Times et l’organisation Human Rights Watch. Aujourd’hui, il est à la tête de l’équipe qui alimente Bellincat, site dédié à l’investigation grâce aux données en libre accès et aux outils disponibles sur Internet. Et Google Earth figure toujours parmi les plus efficaces de ces outils. Il a notamment permis de localiser un des camps d’entraînement de Daech en 2015, en comparant ses images avec les photographies publiées par les djihadistes.

Le camp de concentration de Yodok en Corée du Nord

Et si certains endroits stratégiques, comme la Maison-Blanche, sont floutés par Google, le géant du Web permet de se faire une idée assez précise des lieux les plus inatteignables du monde. Il donne ainsi un aperçu détaillé de la capitale nord coréenne, Pyongyang : ses places, ses écoles, ses hôpitaux, ses parcs… À l’extérieur de la ville, la carte reste clairsemée. Elle signale néanmoins les fameux camps de concentration dans lesquels le régime communiste enferme ses opposants, ainsi que des usines et un centre de recherche nucléaire. Google propose même d’aller sur Mars depuis 2009 – un nouveau terrain de chasse pour les ufologues, qui ont cru y trouver des structures architecturales. « C’est comme lorsqu’on regarde les nuages, on finit toujours par y trouver des formes familières », s’amuse Seth Shostak. Google Earth a par ailleurs permis des découvertes intéressantes pour la communauté scientifique. En 2005, des scientifiques des jardins botaniques royaux de Kew cherchent une zone où lancer un projet de conservation d’espèces au Mozambique avec le logiciel, lorsqu’une large tache verte attire leur regard. Ils viennent en fait de repérer une zone forestière et montagneuse d’environ 7 000 hectares alors jamais explorée par l’être humain, le mont Mabu. Celui-ci a été parcouru trois ans plus tard par le biologiste Jonathan Timberlake et ses photographies témoignent de la grande variété et de la rareté des espèces animales et végétales qui y vivent. Elles n’ont en revanche capturé aucun extraterrestre, ni ovni, ni mystérieuse pyramide.


Couverture : De « mystérieuses » structures en Égypte.