Parmi les États qui composent les États-Unis, neuf ont légalisé l’usage de cannabis, dix l’ont dépénalisé, quatorze l’autorisent dans un cadre thérapeutique. Au Canada, le gouvernement a annoncé vouloir le légaliser au printemps, et non plus le réserver aux soins. En Australie, on manquerait de cannabis médical pour répondre à la demande. En Europe, plusieurs États se sont engouffrés dans la brèche ouverte par les Pays-Bas. L’Espagne a ouvert ses fameux Cannabis Social Clubs. Le Portugal a dépénalisé toutes les drogues. L’Allemagne vient de légaliser l’usage thérapeutique du cannabis. En France, où culture, commerce et consommation sont lourdement pénalisés, rien n’a véritablement changé depuis les années 1970. Et le débat se ranime à chaque fois que l’élection présidentielle se rapproche. Celle de 2017 ne fait pas exception. Mais les partisans de la légalisation du cannabis ont-ils vraiment des représentants crédibles parmi les candidats déclarés ?
Les inflexibles
À droite, sans surprise, les partisans de la légalisation du cannabis ne se bousculent pas. François Fillon, toujours donné favori malgré les suspicions d’emplois fictifs pesant sur son épouse, s’est prononcé contre la dépénalisation. Le candidat des Républicains estime que la politique conduite dans les pays « qui ont dépénalisé le cannabis n’a pas les résultats qu’on veut bien lui donner ». « Aux Pays-Bas, la question fait débat », affirmait-il en janvier 2016. « On ne peut pas dire que là où c’est dépénalisé, il y a moins de consommateurs. » Le débat parlementaire évoqué par François Fillon concernait en réalité la culture du cannabis, qui vient d’être légalisée, et non la consommation. Celle-ci a bel et bien diminué aux Pays-Bas depuis la mise en place de sa politique de tolérance en 1976, quoique très légèrement. Au Portugal, où la dépénalisation de l’usage des drogues date de 2001, elle a globalement augmenté, mais nettement régressé chez les adolescents. Si « on ne peut pas dire que là où c’est dépénalisé, il y a moins de consommateurs », on ne peut pas affirmer l’inverse non plus. D’autant que la France se place en tête du classement européen en matière de consommation de cannabis. François Fillon, qui a pourtant fait de l’économie le thème majeur de sa campagne, ne semble pas s’intéresser aux possible retombées d’une légalisation. Selon un récent rapport du think tank libertarien Cato Institute, les États américains ayant autorisé la consommation de cannabis ont récolté des bénéfices aussi importants qu’inattendus en termes de recettes fiscales. À titre d’exemple, le Colorado a récolté 135 millions de dollars pour les seuls consommateurs récréatifs en 2015. L’année précédente, le chômage avait fortement diminué dans cet État de l’Ouest. Et le marché immobilier a explosé à Denver, capitale du Colorado.
La toute jeune industrie du cannabis est une industrie florissante. En témoigne le groupe Privateer Holdings, qui a levé 82 millions d’euros en 2015. Créée en 2010 à Seattle, Privateer a été la première entreprise à exporter du cannabis médical dans le monde. « C’est un marché qui représente environ 100 milliards de dollars », assure le président-directeur général du groupe, Brendan Kennedy. « Il évolue très rapidement, au fur et à mesure que les pays assouplissent leur législation. C’est génial qu’autant d’entre eux s’engagent dans cette voie : les États-Unis, le Canada, le Portugal, et maintenant l’Allemagne. » L’ouverture de ce dernier marché est une véritable aubaine pour Privateer, qui possède par ailleurs une filiale récréative, Marley Natural. « Le cannabis récréatif pèserait 200 milliards de dollars, mais ce marché-là est plus difficile à estimer car il est en grande partie illicite », explique Kennedy. Malgré ces chiffres alléchants, Nicolas Dupont-Aignan, Michèle Alliot-Marie et Henri Guaino sont tous du même avis que François Fillon. Sur Twitter, Alliot-Marie a qualifié le débat sur la légalisation de « tarte à la crème » du Parti socialiste. Pour Guaino, une telle mesure constituerait un « désastre moral ». Quant à Dupont-Aignan, il n’a pas hésité à traiter les partisans de la légalisation de « collabos » en novembre 2016. Mais c’est le parti de Marine Le Pen qui a les mots les plus durs pour le cannabis. Le Front National, qui publie régulièrement des communiqués sur le sujet, « ne veut pas d’une jeunesse camée ». Dénonçant une « complaisance » et un « laxisme d’État », accusant le cannabis de causer « isolement, perte de motivation dans la recherche d’une formation ou d’un emploi, ou encore baisse de 8 points du quotient intellectuel », le parti d’extrême droite préconise « un durcissement de la législation » et croit pouvoir démanteler les réseaux, alors même que la politique française en matière de lutte contre le cannabis figure déjà parmi les plus répressives en Europe.
Les indécis
La pénalisation de la culture, du commerce et de la consommation du cannabis en France remonte au 31 décembre 1970. Depuis, il y a eu quelques circulaires et des amendements, mais aucune évolution législative notable. Aujourd’hui, le simple usage du cannabis est passible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Cette sévérité n’est pas du goût de candidats aussi éloignés que Nathalie Arthaud, porte-parole de Lutte ouvrière, et Jacques Cheminade, fondateur de Solidarité et progrès. Tous deux semblent néanmoins incapables de prendre une position claire en ce qui concerne la dépénalisation du cannabis. Arthaud n’exclut pas la possibilité de la légalisation, mais se définit comme « une militante antidrogue » et pense que « la jeunesse a mieux à faire que de chercher des paradis artificiels ». Cheminade refuse de se prononcer de manière définitive. Quant à Emmanuel Macron, il est difficile à suivre sur le sujet. Au début du mois de novembre 2016, le fondateur du mouvement En marche ! explique à Mediapart que l’ampleur du trafic plaide « plutôt » pour une dépénalisation du cannabis, tout en affirmant que cette mesure entraînerait « un déport vers les drogues plus dures » et ne résoudrait donc pas « le problème de santé publique ». Quelques semaines plus tard paraît son livre Révolution. Il considère alors que le régime des contraventions serait suffisant pour sanctionner l’usage du cannabis – ce qui constitue bien une forme de dépénalisation dans la mesure où la consommation ne serait plus passible de prison.
Puis, le 16 février 2017, Emmanuel Macron apparaît soudain fermement opposé à la dépénalisation. Interrogé par le journal Le Figaro, il dit ne pas y « croire », même lorsqu’elle concerne des « petites doses ». La semaine suivante, son lieutenant Gérard Collomb suggère sur RTL qu’il est favorable à la dépénalisation. Personne ne comprend plus rien. En fait, Collomb a raison : Macron est bien favorable à la dépénalisation. Mais il préfère utiliser un autre terme, la contraventionnalisation, lorsqu’il défend sa proposition de limiter la sanction de l’usage du cannabis à une amende « immédiate » de 100 euros. Simple précision, ou coquetterie de langage destinée à amadouer la partie de l’électorat la plus hostile au cannabis ? Quelle que soit la réponse à cette question, les policiers peuvent déjà faire payer une amende en cas de petit délit, afin d’éviter un passage devant des tribunaux engorgés. Ce passage reste d’ailleurs théorique dans la plupart des cas, puisque la procédure est rarement utilisée. Tout comme la peine de prison. « Les sanctions pénales pour usage de stupéfiants se sont largement diversifiées », souligne en effet l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies. « Elles apparaissent globalement moins tournées vers la privation de liberté (rare pour des faits de simple consommation), au profit de sanctions financières. L’usage de stupéfiants est, ainsi, de plus en plus massivement traité par des peines d’amende. »
Les militants
À gauche, deux partis militent activement pour la légalisation du cannabis : le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et Europe-Écologie-Les-Verts (EELV). Aujourd’hui représenté par Philippe Poutou, le NPA s’est prononcé pour la légalisation dès sa création en 2009, et il relaie l’Appel du 18 joint chaque année. De son côté, EELV, qui est représenté par Yannick Jadot, a été fondé par le plus célèbre des sympathisants du mouvement en France, Daniel Cohn-Bendit.
En revanche, le cannabis a l’habitude de diviser le Parti socialiste, où il s’est imposé comme un enjeu important lors de la dernière primaire. C’est finalement le camp favorable à la légalisation qui l’a emporté en la personne de Benoît Hamon, élu avec près de 60% des voix le 30 janvier 2017. Celui-ci justifie sa position avec des arguments portant à la fois sur la sécurité et la santé publiques : « Il faut tuer les trafics à la source et protéger nos citoyens des pratiques des dealers. J’utiliserai les 568 millions d’euros annuels utilisés pour la répression à des fins de prévention et d’information sur les risques associés à cette consommation. »
Un discours proche de celui de Jean-Luc Mélenchon, qui était au Québec lorsque le gouvernement canadien a annoncé son intention de légaliser le cannabis en 2017, et n’est vraisemblablement pas revenu indemne de ce voyage. « Ce qui est important, c’est de voir comment on règle le problème de santé que pose le fait de fumer du cannabis », a déclaré le candidat de La France insoumise dans une vidéo postée sur sa chaîne YouTube en décembre 2016. « Je ne suis pas favorable au cannabis, mais je suis favorable à la légalisation du cannabis parce que je ne suis pas favorable au cannabis. Sauf que si un produit est interdit, on ne peut pas faire de campagne contre. » Ni Poutou, ni Jadot, ni Hamon, ni Mélenchon ne semblent vouloir mettre en avant la dimension thérapeutique du cannabis, qui est pourtant cruciale. « Le cannabis est connu pour diminuer différents symptômes, comme la nausée et les vomissements, notamment lors des chimiothérapies », rappelle Catherine Jacobson, qui dirige les essais cliniques de Tilray, filiale de Privateer Holdings dédiée au cannabis médical. « Quand on interdit le cannabis médical, on interdit à des gens très malades, et que rien ne soulage, d’aller mieux. » Convaincue que cette plante a « un énorme potentiel », Jacobson s’est intéressée au cannabis dans l’espoir de pouvoir soigner un jour son propre enfant, qui souffre de très graves crises d’épilepsie – le cannabidiol a eu des effets miraculeux sur certains patients. Ses travaux visent notamment à établir des standards de qualité des produits, ainsi qu’à définir quelles formes sont les plus adaptées aux différents cas, entre la poudre, le spray et la pilule. Et d’après elle, l’entrée de la France dans le groupe de pays qui autorisent le cannabis médical serait déterminante pour la recherche clinique : « Plus le marché s’ouvrira, plus nous serons en mesure d’avancer dans la bonne direction. » Nicolas Matyjasik, coordinateur de la campagne de Benoît Hamon, reconnaît que le candidat socialiste pourrait davantage parler de l’usage thérapeutique du cannabis, « en faisant par exemple le lien avec les questions de la fin de vie et de la gestion de la douleur ». « Mais nous sommes encore en train de travailler sur la question du cannabis », précise-t-il.
La plupart des candidats ne semblent pas totalement fixés sur le sujet. Les nombreux exemples venus d’outre-Atlantique montrent pourtant que la réalité n’impose pas de choix draconien. Au Canada, tandis que la légalisation du cannabis devrait entrer en vigueur au printemps prochain, son usage médical est permis depuis 2001. Aux États-Unis, les prescriptions thérapeutiques sont progressivement autorisées depuis les années 1990, jusqu’à l’être aujourd’hui dans près de la moitié des États du pays. Une dissociation des usages est possible et la frontière entre cannabis médical et récréatif n’est pas nécessairement poreuse. Il y a sans doute matière à un débat plus riche, et peut-être plus informé qu’il ne l’est aujourd’hui. Quelle qu’en soit l’issue.
Couverture : Une jolie plante colorée.