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Les fedayin
Cloîtré dans sa forteresse, Hasan éradiquait ses opposants un à un. Les Assassins utilisaient l’homicide comme une pratique politique viable. Dans le contexte des Croisades, les Nizârites possédaient des armées trop petites pour se défendre sur le champ de bataille face aux armées des grands empires islamiques et celles des royaumes latins. Hiérarchisés selon leur niveau d’endoctrinement, leur capacité à tuer de sang froid et leur loyauté, les fidaïs (terme arabe désignant les hommes de main du Vieux de la Montagne) s’appliquaient à propager la terreur dans toute la région. Armés de leurs poignards, ils attaquaient les palais comme les bas-fonds, les princes et les haut-gradés. Ils s’en prenaient, selon les circonstances, aux envahisseurs, à leurs frères ennemis, aux musulmans sunnites, aux Turcs seldjoukides qui occupaient le Khorassan, le Khwarezm, la Perse, le califat de Bagdad, une partie de l’Anatolie et de l’Asie Mineure, ainsi qu’à tout autre croyant non-musulman. Guillaume de Tyr a même précisé dans ses écrits qu’ils étaient armés de couteaux faits d’or pur.
Dans le système organisationnel ultra-pointu d’Alamût, Hasan était apparemment le seul en charge de sélectionner ses hommes de main. Plusieurs milliers de jeunes hommes, âgés de 12 à 30 ans, lui étaient dévoués corps et âme. Ils venaient de Syrie, d’Égypte, d’Arabie, de Perse. Hasan était l’unique détenteur terrestre des clés du jardin secret d’Alamût. De temps à autre, il élisait un homme, ou plusieurs, autorisé(s) à s’aventurer quelques heures dans les lieux. But dissimulé de l’opération ? Amener ses fidèles nizârites à relativiser l’importance de la vie sur Terre. Aucun fidaï ne restait plus d’une dizaine de jours dans les délices d’Alamût. C’était un renouvellement permanent. Ils en repartaient assommés par le haschisch et autres psychotropes. Le recours au haschisch constitue l’un des points essentiels de la légende qui s’est construite progressivement autour des Assassins. De nombreux auteurs y font référence, sans qu’aucune preuve tangible n’ait jamais été découverte.
Laura Minervini est professeure de philologie et de linguistique romane à l’université de Naples Federico II. Elle est également spécialiste des situations de contact linguistique et culturel au Moyen Âge et au début de l’époque moderne. Depuis des années, elle cherche à démêler le vrai du faux, afin de comprendre comment s’est construite la légende des Assassins et d’identifier ce qui relève de l’imaginaire. Selon elle, les sources arabes qui content l’histoire des Assassins ne font presque jamais référence au haschisch. Seules les sources latines insistent sur cet aspect. Supposément consommé sous forme de dragées, le haschisch aurait été la clé du processus d’endoctrinement pensé par Hasan-i Sabbah. Ingéré à leur insu par les fidèles, il agissait comme un puissant somnifère qui altérait les sensations. En arrivant, les recrues commençaient donc par dormir profondément pendant trois jours. Ils rouvraient les yeux dans le jardin enchanté, au milieu d’une nature luxuriante, entourées de mets, de breuvages divers et de houris, ces vierges du paradis décrites dans le Coran comme des êtres célestes. Les fidaïs se réveillaient alors avec l’impression d’être au paradis. Les houris ajoutaient à la beauté de la vie après la mort, suggérée aux fidaïs par cette mise en scène fantastique. Elles étaient circassiennes, géorgiennes, égyptiennes ou persanes. Certaines venaient d’Asie centrale, étaient ouïghoures, kalmoukes, kirghizes, chinoises, indiennes, japonaises ou andalouses, comme l’écrit Jean d’Ormesson dans La Création du Monde.
Durant cinq à six jours, les recrues auraient eu le loisir de jouir de tous les plaisirs que le Vieux de la Montagne voulait bien mettre à leur disposition. Au terme de ce séjour aux faux semblants de divinité, les fidèles vouaient leur vie aux seuls désirs de leur maître, dans l’attente et dans l’espoir que la mort les ramène à cet invraisemblable paradis, empli de paresse et de luxure. Ils partaient ainsi sur les fronts d’Hasan, le plus souvent en Syrie, dans la ville de Bagdad ou en Perse. Le maître se faisait parfois passer pour une sorte d’ensorceleur, capable de leur rouvrir les portes du paradis d’Allah pour quelques heures. Un jour, Hasan aurait reçu la visite d’Henri Ier de Champagne, comte français qui aurait participé à la Deuxième Croisade aux cotés de Louis VII. À la fois curieux et fasciné par la dévotion des fidèles au culte du maître, le Comte lui aurait demandé son secret. Le Vieux de la Montagne aurait fait venir deux de ses fidèles. Il aurait ordonné au premier de se jeter dans le vide, en franchissant l’un des murs de pierre qui entouraient la forteresse. Sans hésitation, le premier se serait élancé. Le maître aurait ensuite demandé au second de se poignarder. Il se serait aussitôt exécuté. Les deux hommes seraient ainsi morts sans broncher.
Ces démonstrations d’autorité et de dévotion auraient fait partie intégrante de la stratégie de persuasion et d’exécution d’Hasan. Il en aurait fait, depuis l’établissement de sa demeure à Alamût, sa marque de fabrique, même si ces faits dépendent encore une fois de la véracité des sources latines. Selon la légende, le mode opératoire des fidaïs se résumait en trois techniques. Les préparatifs des crimes s’opéraient dans le plus grand secret, mais les meurtres étaient accomplis en public, au milieu des foules. La première technique s’appelait « l’assassinat spectaculaire ». Exigeante et fastidieuse, cette opération pouvait nécessiter jusqu’à deux ans d’entraînement. Elle exigeait de la rigueur dans la préparation et de la patience dans l’exécution. L’Assassin commençait par se déguiser, parfois en marchand, parfois en personnalité de haut-rang. Le but était d’infiltrer l’entourage de la future victime, afin de gagner sa confiance. Le fidaï passait alors à l’action au moment le plus opportun et exécutait sa victime. L’acte devait être le plus spectaculaire possible afin de marquer les esprits, de choquer les nombreux témoins, de répandre la terreur et de forcer le respect envers la secte des Assassins. Ces opérations, des « commandos-suicide », étaient appelées les fedayin. Ces missions de sacrifice terrorisaient les Croisés, les Sunnites et les Turcs.
La seconde technique supposément employée par les Assassins était celle de l’ « infiltration ». Elle était sensée créer chez la future victime un sentiment d’omniprésence de l’ennemi. Cette omniprésence, source profonde d’angoisse et de malaise, administrait une première dose de souffrance à la cible. L’Assassin s’adonnait ainsi, minutieusement, à appliquer jour après jour la doctrine de l’ubiquité, jusqu’à ce que la victime capitule et se donne la mort elle-même ou soit exécutée, à force de résistance. Source de craintes et de souffrances, ce deuxième processus jouait sur la violence psychologique. La légende raconte qu’un jour, le sultan Ahmad Sanjar, dernier de la lignée des seldjoukines turcs, aurait décidé de se lancer à l’assaut du Vieux de la Montagne et d’assiéger la forteresse d’Alamût. Ayant eu vent de la menace, Hasan aurait envoyé des fidaïs à ses trousses. Un matin, le sultan se serait réveillé et aurait trouvé, enfoncé dans sa tête de lit, un poignard monumental. Comprenant le message de menace, Sanjar aurait levé le siège et décidé d’envoyer ses représentants dans la forteresse afin qu’il négocient avec Hasan. Une fois sur place, les émissaires auraient pris conscience de la véracité des menaces qui planaient sur Sanjar. Tous vêtus de blanc, coiffés et ceinturés de rouge, des milliers de fidaïs se seraient tenus face à eux, disposés en garde d’honneur, pour accueillir la délégation. Sur simple ordre d’Hasan, deux disciples se seraient exécutés aux pieds des visiteurs.
La troisième et dernière technique était celle de la « superstition ». Elle consistait à faire circuler et à alimenter progressivement, religieusement, une quantité incroyable de mystères, de légendes urbaines et de croyances à l’égard des Assassins, afin de dissuader, de déstabiliser et de terroriser l’ennemi. À l’apogée de la secte, la vérité était indissociable de la fabulation, tant les fidaïs s’appliquaient à étoffer leur légende jour après jour. C’est encore le cas aujourd’hui et c’est sûrement cette troisième et dernière technique qui rend si dense le mystère qui entoure la secte des Assassins. Un autre point essentiel de la légende cristallise les débats : l’étymologie du nom « Assassins ». Au fil du temps et des récits, plusieurs explications aux origines diverses ont émergé. Une première hypothèse avance que ce terme proviendrait du mot arabe ḥašāšīn (« Haschischins », ceux qui fument du haschisch). « Le nom “Assassins” n’est pas un nom islamique. Dans le monde islamique, on les appelle les Hérétiques chiites. On trouve très rarement le terme “Assassins” dans les sources arabes, et jamais dans les sources persanes. Dans le monde arabo-musulman, ils sont appelés les alzanadiqa (ce qui signifie “hérétiques”) », explique Laura Minervini, qui ne croit pas beaucoup au bien-fondé historique du terme. Une autre hypothèse avance que le terme pourrait simplement provenir du nom de leur chef : Hasan. Pour Jacques Paviot, on ne relie quasiment plus aujourd’hui l’étymologie du mot Assassins au haschisch. « L’origine du nom proviendrait en fait d’un terme évoquant le mépris, qui a été appliqué pour la première fois aux nizârites par le calife fatimide. Le mot désignerait les notions de “proscrits, parias, venant de la populace” », dit-il.
Enfin, une autre théorie désigne le terme « Assassins » comme un dérivé du mot berbère iassassen, qui signifie « ceux qui surveillent » et qui sont fidèles à Asās (« le gardien » en berbère) et aux fondements de la loi. Amin Maalouf, écrivain franco-libanais et académicien, y est également allé de son hypothèse. Dans son roman Samarcande, qui met notamment en scène le personnage d’Hasan-i Sabbah, il avance que le mot proviendrait du terme arabe asâs, qui signifie « la base », « le fondement ». « D’après les textes qui nous sont parvenus d’Alamût, Hasan aimait appeler ses adeptes Assassiyoun, “ceux qui sont fidèles au Assas”, au “Fondement” de la foi, et c’est ce mot, mal compris des voyageurs étrangers, qui a semblé avoir des relents de haschisch », écrit-il dans Samarcande. Libre donc à chacun de se raccrocher à l’histoire qui excite le plus son imagination. Car si la secte des Assassins fascine autant, c’est notamment parce qu’elle fait partie d’un imaginaire orientaliste qui exerce depuis toujours une attraction puissante sur le monde occidental. Les sources étrangères au monde musulman ont progressivement créé une image des Assassins originale et intéressante. « Elle fait appel au cœur, aux songes, à l’imaginaire qu’on avait du monde oriental dans nos contrées. Il y a quelques bribes de réalité et une grande part de légende. Et c’est inévitable », conclut Laura Minervini.
Mort et résurrection des Assassins
La mort a rattrapé Hasan-i Sabbah au printemps 1124. Il serait tombé malade en mai. Toujours vif et perspicace, le Vieux de la Montagne aurait alors confié les rênes de son organisation à l’un de ses proches lieutenants : Kiya Buzurg-Ummîd. Après avoir passé 35 années à tenir le petit monde d’Alamût d’une main de fer, Sabbah serait mort à l’âge de 90 ans. Sur le moment, sa disparition n’a pas entamé la suprématie de son œuvre et de son empire. Sa secte lui a survécu un temps, établissant même de nouveaux fiefs et élargissant sa zone d’influence. Dans les années 1200, les meurtres organisés et les intimidations ont continué. Les successeurs d’Hasan, soucieux de maintenir la secte à son plus haut niveau d’influence et de puissance, auraient orchestré des assassinats toujours plus sanglants et spectaculaires. Certains écrits de l’époque rapportent que, durant la Troisième Croisade, Louis IX et Richard Cœur de Lion seraient entrés en contact avec les Assassins pour orchestrer de minutieuses exécutions. Mais parmi les historiens spécialistes de cette époque, familiers des sources arabes, les Assassins n’étaient pas à proprement parlé des tueurs à gage qu’on payait pour exécuter des adversaires. Cet aspect-ci relèverait de la légende. La chute des Assassins est venue des Mongols. À partir de 1237, ces derniers ont régné en maître sur la Perse et l’Asie centrale. Progressivement, ils ont assiégé un à un les fiefs ismaéliens. En 1256, la forteresse d’Alamût s’est rendue sans combat à l’armée mongole d’Houlagou Khan, le fondateur de la dynastie mongole des Houlagides, signant la fin de la secte des Assassins.
Alamût, cette bâtisse majestueuse qui était devenue au fil des décennie un lieu de culte et de vénération de l’ismaélisme, a été entièrement rasée. Sa bibliothèque pléthorique, qui regorgeait de nombreux livres scientifiques et d’outils de recherche perfectionnés, a été incendiée. Cela explique en partie la maigreur des sources historiques dont on dispose aujourd’hui, qui a donné libre cours à l’élaboration d’une légende si populaire. La technique de la « superstition », qui faisait partie du protocole d’action des Assassins dans leurs grandes années, fonctionnera encore pendant des siècles, puisqu’une incroyable quantité de récits de voyages et de légendes romanesques sont inspirés de la secte des Assassins. Dans son roman Alamut, sorti en 1938, Vladimir Bartol dresse le portrait psychologique et religieux de deux personnages qui, dans le contexte historique de l’époque, prennent part à la secte des Assassins de différentes manières. Mais dans l’interprétation de cette œuvre, le contexte historique des années 1930 est très important. L’auteur slovène aurait cherché, au travers de ce roman, à mettre en garde contre les processus d’endoctrinement et de manipulation de la pensée qui peuvent mener au fanatisme. Bartol s’est servi de son roman pour dénoncer à la fois le totalitarisme stalinien et la nomination d’Hitler au poste de chancelier.
Une œuvre en entraînant une autre, le roman de Vladimir Bartol a largement inspiré une création d’un autre genre, dont l’énorme retentissement a porté la légende des Assassins vers d’autres sphères. Le jeu vidéo Assassin’s Creed, dont la première version a été éditée en 2007 par le studio français Ubisoft, est en partie inspiré de faits historiques, en partie de la légende des disciples d’Hasan-i Sabbah, mais aussi et surtout du roman Alamut. Patrice Désilets, concepteur et directeur créatif du jeu, nous éclaire sur le processus créatif qui a donné vie à ce monument du jeu vidéo. « À l’époque de la conception d’Assassin’s Creed, je venais de terminer la réalisation de Prince of Persia : Sands of Time. Au départ, j’ai reçu le mandat de concevoir une suite pour console next gen’. Je cherchais deux choses : un personnage d’action plus concret qu’un Prince et à sortir quelque peu de l’univers des Mille et une nuits. Je me suis souvenu d’une lecture de collège à propos des sociétés secrètes [le roman de Vladimir Bartol, nda] dans laquelle il y avait la description de l’histoire des Assassins et du Vieux de la Montagne. Je me suis dit que si nous tenions un Assassin comme personnage principal, qui devait aller chercher un Prince, nous avions trouvé le bon filon », explique t-il. Le jeu est basé sur l’histoire d’un jeune Syrien, Altaïr ibn al-Ahad, qui fait son entrée dans la secte des Assassins. Mais le concepteur avoue avoir pris de grandes libertés avec l’histoire réelle, s’en inspirant en la romançant fortement. Dans l’univers d’Assassin’s Creed, les éléments historiques sont centraux, mais avec un petit twist conspirationniste. « Le passé pour moi est un univers fantastique, tant nos sociétés actuelles sont différentes. Nous nous sommes donc concentrés à recréer le passé avec les contraintes bien réelles de la technologie », raconte Patrice Désilets.
Ainsi, l’action est articulée autour de deux temporalité différentes. Dans le présent, Desmond Miles revit, grâce à une machine baptisée Animus, les actions de son ancêtre Altaïr. Dans le passé, l’action prend place en 1191, lors de la Troisième Croisade en Terre Sainte. Le joueur se retrouve donc dans la peau d’Altaïr, un assassin d’élite chargé de mettre un terme aux hostilités en exécutant plusieurs missions, dont l’assassinat des neuf personnes qui lui sont indiquées sur une liste. Il s’en prend à la fois aux Croisés et aux Sarrasins. Le joueur contrôle librement Altaïr dans plusieurs grandes villes arabes et perses : Damas, Jérusalem, Acre et Masyaf. Il s’agit d’un monde relativement ouvert dans lequel Altaïr peut se déplacer en voltigeant de toits en toits, ou interpeller des inconnus dans une foule, au risque que toutes ces actions ne modifient la tournure de l’intrigue. Dans le jeu, Hasan-i Sabbah devient Al-Mualim – qui n’est autre que le successeur véritable d’Hasan après sa mort. Au XIIIe siècle, il avait établi son fief à Masyaf, un autre village perse qui dans le jeu remplace Alamût comme quartier général des Assassins. Patrice Désilets explique qu’Alamût aurait renvoyé une image trop « militaire », tandis que Masyaf dégage plus l’atmosphère d’un village typique de l’époque. À sa sortie en 2007, le premier jeu Assassin’s Creed a reçu un accueil extraordinaire. Il a été salué pour sa direction artistique et ses graphismes très soignés, son univers original et la précision des scènes de combats. Certaines incohérences historiques ont toutefois été pointées dans le scénario et dans l’univers du jeu. Mais les concepteurs se sont défendus en précisant que la véritable histoire des Assassins avait seulement servi de base au jeu. Leur but n’était pas de coller trait pour trait à la réalité.
Cette année, les ramifications de la légende des Assassins continueront à se développer.
« Nous avons étudié les récits des Croisades de Richard Cœur de Lion et de Saladin pour les utiliser comme trame de fond. Mais nous avons imaginé le reste », ajoute Patrice Désilets. Le succès a néanmoins été immédiat. Le jeu s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaires dès sa première semaine d’exploitation. Au bout d’un mois, les chiffres avaient grimpé à 2,5 millions. Assassin’s Creed a réalisé une performance bien supérieure aux attentes de la société Ubisoft et s’est classé parmi les deux ou trois meilleures ventes PlayStation 3 et Xbox 360 dans la majorité des pays où il a été distribué. Ubisoft dit aujourd’hui qu’Assassin’s Creed premier du nom s’est écoulé à plus de huit millions d’exemplaires, toutes plateformes de jeu confondues. Patrice Désilets estime qu’entre 30 et 35 millions de personnes ont joué à son jeu. D’après le site torrentfreak.com, il s’agirait du troisième jeu le plus piraté de toute l’histoire du jeu vidéo.
Une suite a rapidement suivi. Assassin’s Creed II est sorti en novembre 2009, mais son intrigue prenait place en Italie durant la Renaissance, loin de l’univers mystique d’Alamût et du Vieux de la Montagne. Pourtant, le véritable credo des Assassins, « Rien n’est réel, tout est permis », est au cœur du second volet de la saga. Cette année, les ramifications de la légende des Assassins continueront à se développer. Une adaptation hollywoodienne d’Assassin’s Creed est sur le feu depuis quelques temps déjà, et sa sortie est prévue pour le 21 décembre. Le rôle principal est tenu par Michael Fassbender qui, comme dans le premier volet du jeu vidéo, interprétera à la fois un personnage du présent, Callum Lynch (Desmond Miles dans le jeu) et un personnage du passé, Aguilar (Altaïr dans le jeu). Marion Cotillard et Jeremy Irons font également partie du casting, tandis que Justin Kurzel est à la réalisation. Tim Wildgoose, chargé des costumes et des accessoires, a révélé lors d’une interview que les armes, costumes et décors du film étaient plus directement inspirés de l’art islamique que dans le jeu vidéo. Certains aspects du jeu vidéo, qui ont fait son succès et son sa marque de fabrique, devraient bien sûr faire partie intégrante du film.
L’impressionnante capacité des Assassins virtuels à utiliser les décors et l’environnement pour leurs cascades et déplacement devrait avoir la part belle dans les scènes d’action. Les combats, spectaculaires et sanglants dans le jeu, devraient l’être tout autant dans l’adaptation. Même si la production est restée très secrète sur les coulisses du tournage, Michael Fassbender aurait suivi un entraînement physique très intense pour incarner l’Assassin. Cependant, l’action du film se déroulera pendant l’Inquisition espagnole (instaurée en 1478), bien après la période des Croisades donc. Il semblerait qu’Hasan-i Sabbah ait emporté les mystères insondables de la secte des Assassins avec lui dans la tombe. C’est avec cette ruse ultime que le Vieux de la Montagne a marqué son mythe du sceau de l’immortalité.
Couverture : Un artwork de la saga. (Ubisoft)
AVANT SPARTACUS, CET ESCLAVE SORCIER ET CRACHEUR DE FEU DÉFIA L’EMPIRE ROMAIN
60 ans avant Spartacus, un esclave doué de talents exceptionnels fomenta la plus grande révolte que connut la République romaine et devint roi en Sicile.
I. Semer le vent
Les augures avaient été terriblement mauvais cette année-là. À Rome, une esclave donna naissance à un monstre : « …un garçon avec quatre pieds, quatre mains, quatre yeux, quatre oreilles et deux paires d’organes sexuels » – vraisemblablement un cas de jumeaux siamois. En Sicile, l’Etna entra en éruption « dans des éclairs de feu », crachant de la roche fondue et des cendres ardentes qui embrasèrent les grandes propriétés à des kilomètres à la ronde.
C’est dans ce climat apocalyptique que des troubles éclatèrent en Sicile, parmi les esclaves. Les présages trouvèrent alors du sens, car l’un d’eux était un monstre aux yeux des Romains. C’était un magicien qui crachait des flammes, tout comme le volcan, un mystique capable de prédire l’avenir. Ce futur prêtre-roi aux paroles messianiques adorait une déesse étrangère grotesque, et il mena son peuple à une révolte qui dura cinq ans. Il fallut cinq armées romaines pour la mater. Son nom était Eunus – qui peut se traduire par « le bienveillant » – et même s’il est aujourd’hui pratiquement oublié, Eunus était un chef comparable à Spartacus. À dire vrai, il était même supérieur à Spartacus, car si les deux hommes étaient tous deux des esclaves qui fomentèrent des guerres contre Rome (la révolte de Spartacus eut lieu six décennies plus tard), la rébellion d’Eunus était quatre ou cinq fois plus grande et elle dura presque trois fois plus longtemps. Il fonda un État, ce que Spartacus ne fit jamais, et tous les récits dont nous disposons indiquent qu’il inspirait une loyauté farouche, dans des proportions inégalées par le gladiateur thrace. Car contrairement à ce que ses portraits romancés racontent, Spartacus fut défait autant par la puissance des légions qui furent envoyées pour le détruire qu’à cause de dissensions entre ses rangs. La fin d’Eunus est une réminiscence tragique de la chute de Massada, la forteresse juive située au sommet d’une montagne de Judée, reprise par Rome autour de l’an 74 de notre ère. Les 960 derniers défenseurs de Massada choisirent de se suicider plutôt que de tomber entre les mains de leurs ennemis.
En Sicile, les 1 000 hommes choisis par l’esclave-roi pour former sa garde rapprochée se battirent pour échapper à l’encerclement, avant de s’entre-tuer dans un geste similaire une fois la situation réellement désespérée. Leur chef et ses quatre derniers hommes furent pourchassés jusque dans les confins des montagnes qui les avaient protégés pendant toutes ces années. Eunus apparaît pour la première fois en 135 avant J.-C. – ou peut-être était-ce 138 ; les sources sont imprécises et nous savons seulement que le soulèvement qu’il a mené commença une soixantaine d’années après la paix que Rome imposa à Carthage, à la fin de la Deuxième Guerre punique (218-202 av. J.-C.). Il était alors l’esclave domestique d’un homme appelé Antigène, un riche Romain qui vivait dans l’intérieur du territoire sicilien. Eunus était né libre : il avait été capturé puis amené sur l’île quelques années plus tôt, probablement par les pirates siciliens qui étaient à la tête d’un commerce d’esclaves florissant dans l’est de la Méditerranée. Nous savons peu de choses sur la vie de citoyen d’Eunus, mais les fragments de récits de sa rébellion assurent tous qu’il était doué d’une intelligence exceptionnelle et qu’il était doté d’un charisme singulier. Il avait la réputation d’être un prophète et de faire des prédictions lorsqu’il entrait en transe. Il était célèbre pour ce que les chroniqueurs historiques présentent comme un tour de passe, mais qui, lorsqu’on lit entre les lignes, est possiblement plus impressionnant et prodigieux. Il soufflait des étincelles et du feu lorsqu’il parlait, un effet qu’il aurait produit en enfouissant dans sa bouche une coquille de noix creuse et percée de trous, qu’il remplissait « de souffre et de feu ».