LISEZ ICI LA PREMIÈRE PARTIE DE L’HISTOIRE
Impastato
La population italienne ne s’est pas montrée aussi clémente. L’interview de Giuseppe sur une grande chaîne nationale lors de la promotion de son livre a été taxée de « choix atroce », de popularisation offensante de la mafia, et d’insulte aux familles des victimes de Riina. De nombreuses librairies du pays ont refusé de vendre le livre, mais Giuseppe ne compte malgré tout pas s’en excuser.
« Je suis déçu par les institutions et terriblement en colère. Boycotter mon livre est un exemple de plus de la façon dont les gens en Italie, à commencer par la police, ont décidé de faire de moi le méchant de l’histoire, sans possibilité de rédemption », dit-il. Un des détracteurs de Giuseppe, Giovanni Impastato, condamne autant ses paroles que ses actes. Il est d’avis qu’il diffuse « un message ambigu au sujet de la mafia en décrivant son père comme une victime des institutions ». Impastato a 63 ans. Il est né au sein d’une famille de mafiosi, tout comme Giuseppe. « Tout le monde devrait être clair sur le fait que la Cosa Nostra est faite de criminels qui méritent d’être punis », dit-il. Contrairement aux Riina, il a pris la décision de dénoncer publiquement sa famille et de reprendre les rênes de la campagne anti-mafia initiée par son frère, Peppino. Ce dernier a été brutalement assassiné par la Cosa Nostra en 1978 à Cinisi, leur village natal en Sicile. Le père de Giovanni et Peppino, Luigi Impastato, était un mafioso affilié à la mafia de Cinisi, dirigée par le boss Gaetano Badalamenti. Les Impastato entretenaient également des liens familiaux étroits avec la mafia sicilo-américaine. Mais après que Peppino a été tué pour ses actions anti-mafia, Giovanni et sa mère Felicia, qui est morte en 2002, ont décidé d’envoyer un message clair à la communauté mafieuse en la dénonçant. Ils ont transformé leur maison de Cinisi en local pour une association anti-mafia, aujourd’hui appelée Casa Memoria Peppino e Felicia Impastato. « Le jour de l’enterrement de Peppino, elle a fermé la porte au nez à nos parents mafiosi et leur a dit de ne jamais revenir. La porte de cette demeure est restée ouverte depuis lors, et aujourd’hui nous sommes là pour éveiller les consciences et venir en aide à quiconque se trouvant dans une situation similaire à la nôtre », explique Impastato dans son bureau de la Casa Memoria, à Cinisi. Pour lui, Giuseppe et les autres fils et filles de la Cosa Nostra sont nés du mauvais côté de la barrière, mais ils ont le choix – si cornélien et douloureux soit-il.
Lui et sa mère sont un cas rare en Italie. Ils ont dû se battre sur trois fronts simultanément : contre leur propre famille, contre des criminels sans scrupules et contre les institutions corrompues. « La Sicile était très différente dans les années 1970. Tout d’abord, la Cosa Nostra ne ressemblait pas à ce qu’elle est aujourd’hui. Elle suivait un code de conduite précis qui a été totalement mis à mal par les mafiosi de Corleone comme Riina », explique Impastato. « Et puis les politiciens et l’église étaient de mèche avec la mafia. Peppino a été tué en 1978 par les hommes du boss Badalamenti, mais le gouvernement italien ne l’a condamné pour son meurtre qu’en 2002. Ma mère et moi avons finalement pu trouver la paix, mais il aura fallu attendre 24 ans », dit-il.
Casa Memoria
Giuseppe Riina Jr, pour sa part, a le sentiment que lui et sa famille ont été « injustement » persécutés par la société. « Je paye pour les erreurs de mon père parce que mon nom est Riina. Combien d’hommes de ma génération vont-ils devoir être punis ? » demande-t-il. D’après lui, c’est aussi la raison pour laquelle il a demandé à être tenu à l’écart de Corleone et de la Sicile à sa libération de prison en 2012, pour effectuer ses années de conditionnelle. « Tout le monde connaît mon nom et ma famille en Sicile. Corleone, où vivent encore ma mère et ma plus jeune sœur, est une petite ville », dit-il.
« Je suis blessé par le fait qu’il ne se soit pas dressé contre la mafia et son père »
Il insiste sur le fait qu’il a vécu ce qu’il appelle une « condamnation à vie en blanc ». Il veut dire par là que n’importe qui aurait pu aller trouver la police et l’accuser de n’importe quoi, il aurait à chaque fois été traité comme un criminel. « C’était un cauchemar », dit Giuseppe. « J’avais besoin de mettre les voiles et de laisser derrière moi toutes ces années d’écoutes téléphoniques, d’observations, de fausses accusations et d’ignorance. » En dépit de la preuve de son implication dans des activités illicites avec d’autres mafiosi, Giuseppe affirme encore après toutes ces années que lui et son père étaient innocents. Il estime que les preuves en question n’étaient basées que sur des accusations verbales proférées par des indics. Il ajoute que l’image populaire de la mafia ne correspond pas à la réalité. « Mais je ne veux pas en dire trop à ce propos car je sais que je serai mal compris. Tout ce que je peux dire, c’est que si la mafia n’avait pas été là, qui aurait aidé les Siciliens à trouver du travail ? » « Je ne me rappelle pas le moment exact où j’ai réalisé qui mon père était, qui nous étions tous. Ça a été un processus lent et progressif. Je n’ai jamais été en colère contre lui. Pourquoi devrais-je l’être ? Tout ce qui m’importe, c’est que nous sommes une famille. C’est lui ma famille », conclut Giuseppe avant de quitter le Caffè Pedrocchi, refusant de parler des victimes de son père au prétexte que ce qu’il dirait pourrait être utilisé contre lui.
Giovanni Impastato est déconcerté par les propos de Giuseppe Riina Jr. « Je n’ai rien contre son livre. Tout le monde doit être libre d’écrire et de publier ce qu’il veut. En revanche, je suis agacé et blessé par le fait qu’il ne se soit pas dressé contre la mafia et son père », dit-il. « Je n’ai jamais cessé d’aimer mon propre père, mais j’ai dû reconnaître publiquement que c’était un criminel. C’était mon devoir envers mon frère et la société. Pourquoi ne fait-il pas de même ? Casa Memoria le soutiendra dans cette démarche si il revient à la raison. »
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « What do you do when you’re born into the Italian Mafia? », paru dans Al Jazeera. Couverture : Le village de Corleone.
LA CAVALE DE TRENTE ANS D’UN ASSASSIN DE LA CAMORRA NAPOLITAINE
Comment un boss de la mafia napolitaine est-il parvenu à échapper à la police durant toutes ses années ? Au cœur d’un jeu d’espions italien.
Quand l’agent du SISMI – Servizio Informazioni e Sicurezza Militare, le service secret italien, réformé en 2007 – entre dans ce bar de Casoria comme chaque matin, le barman ne lui adresse pas un mot. Étrange, se dit-il. Après un bref coup d’œil à sa montre, il passe commande. « Comme d’habitude, merci. » Appuyé au même comptoir, un autre homme attend son café. Le 007 l’observe furtivement. L’inconnu pose péniblement le bras droit sur le zinc en s’aidant de l’autre main. Et lui retourne le coup d’œil. Ils se tournent en même temps, s’examinent un long moment. Et ils sourient tous les deux, tandis que la tasse de café monte lentement jusqu’à leurs lèvres. L’agent des services secrets l’a reconnu. Cela fait des années qu’il suit sa trace. Mais ce jour-là, hors de question de sortir les menottes. « Il était clairement protégé par des gorilles armés », me raconte aujourd’hui le personnage principal de cette rencontre, désormais à la retraite. « Il aurait suffi que je mette la main à la poche pour me retrouver criblé de balles. »