LISEZ ICI LA PREMIÈRE PARTIE DE L’HISTOIRE
L’ordinateur de Neil Armstrong
L’ordinateur était allumé au lancement de la fusée car il fallait veiller à ce que l’appareil suive exactement la trajectoire définie. Le Block II avait pour mission de guider les hommes jusqu’à la Lune. Pour aller sur la Lune, ils avaient besoin de savoir où ils allaient mais également où ils se trouvaient, afin de conserver la bonne trajectoire jusqu’à destination. C’est l’ordinateur présent dans le module lunaire qui était chargé de relever le plus grand défi : il devait faire atterrir l’appareil à la surface du satellite. C’était une manœuvre extrêmement complexe à réaliser. Le module devait réaliser son approche tout en ralentissant. En progressant au ralenti, l’engin utilisait davantage de carburant et par conséquent, son centre de gravité se déplaçait. Il aurait été impossible pour un être humain de veiller à maintenir la bonne trajectoire tout en régulant l’utilisation du freinage et de la consommation de carburant. C’est pourquoi la tâche incombait à l’ordinateur, qui veillait à ce que l’appareil conserve le bon angle d’approche pour atterrir sans encombre. Les astronautes ont toutefois repris les commandes dans les derniers instants. L’ordinateur aurait pu accomplir la tâche sans souci, mais comme ils pouvaient manœuvrer en regardant par le hublot, ils ont préféré s’en remettre à leurs compétences pour alunir. Les humains sont des êtres fiers.
Après avoir lu ce livre sur le fonctionnement de cet ordinateur sans précédent, et sachant qu’il avait été sauvé de la casse par un collectionneur texan, j’ai fait des recherches sur Google pour retrouver sa trace. Son propriétaire – qui souhaite rester anonyme – vendait aux enchères sur eBay certains modules de l’époque, mais pas l’ordinateur en lui-même. Lorsque j’ai vu sur les photographies le code « flight 202 », mon cerveau a fait tilt et j’ai su qu’il s’agissait du premier micro-ordinateur à être allé dans l’espace. J’ai acheté un de ces modules de rope memory et j’ai convaincu le collectionneur de me laisser examiner l’artefact plutôt que de le vendre. Il m’a fallu un an et demi pour déchiffrer ce que contenaient ces modules, mais j’ai pu en extraire les données et récupérer le logiciel de guidage du vol AS-202.
À présent, nous essayons de déchiffrer les instructions qui lui étaient envoyées pour comprendre véritablement le fonctionnement de l’ordinateur. Je me souviens de la première fois où j’ai eu la chance de l’ouvrir. Je mentirais en vous disant que je ne tremblais pas. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’ouvrir le module de navigation et guidage d’une fusée Apollo. Il y avait plus d’une vingtaine de visses à retirer avant de soulever la coque et j’étais si excité que j’en devenais maladroit. Pourtant, je devais l’ouvrir avec le plus grand soin. C’est un sentiment difficile à décrire, mais lorsque j’ai ôté la dernière visse et que j’ai enfin retiré le capot, j’ai eu le souffle coupé. L’intérieur ressemblait à de l’or, c’était tellement parfait… J’ai dû ressentir la même chose que les archéologues qui ont ouvert le sarcophage de Toutankhamon. L’ordinateur était resté scellé depuis des décennies. La seule petite différence avec une momie, c’est que nous avons la possibilité de le ramener à la vie. J’ai ouvert l’ordinateur, pris des mesures et extrait certains de ses modules avec une infinie délicatesse. Je possédais des schémas électriques de l’Apollo Guidance Computer et il était exactement comme ils le décrivaient. Je suis convaincu qu’il nous sera possible de le remettre totalement en marche. Nous voulons y parvenir avant le 50e anniversaire de l’alunissage de 1969. Y arriver serait un exploit remarquable, mais ce n’est pas impossible. Il est aujourd’hui exposé à l’USS Hornet Museum, le porte-avion musée d’Alameda, en Californie. Mais il serait triste qu’il finisse ses jours dans un musée américain, les gens du monde entier devraient pouvoir admirer cette merveille. Il reste peu d’artefacts de cette époque et il est capital de les préserver.
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après un entretien avec Francois Rautenbach. Couverture : Le Block II ouvert par Francois Rautenbach.
LOUIS POUZIN N’A PAS INVENTÉ INTERNET, MAIS SANS LUI, IL N’Y AURAIT PAS D’INTERNET
Louis Pouzin, 85 ans, a créé les protocoles sur lesquels repose l’Internet moderne. Histoire d’un visionnaire dont les créations ont façonné les réseaux d’aujourd’hui.
Pour les clients du café, cet homme aux allures de vieux dandy ou de lord anglais, à la moustache et aux cheveux gris, n’est qu’un parisien comme un autre. Un digne grand-père, peut-être. Mais ont-ils conscience que c’est lui, Louis Pouzin, qui a inventé le protocole à l’origine d’Internet ? Y pensent-ils une seconde, tout en manipulant leur smartphone, évidemment connecté au réseau mondial ? Louis Pouzin, 85 ans, n’a pas inventé Internet. Mais sans lui, Internet n’existerait pas. Paradoxal ? Pas tant que cela. Car une invention n’a pas besoin d’être brevetée pour vivre sa propre vie. Et parce que si nombre d’inventeurs sont passés à la postérité, beaucoup d’autres sont restés dans l’ombre. Par choix, par modestie, ou par un fâcheux coup du sort. Il est maintenant temps de rétablir la vérité de la création d’Internet. Croyez-le ou pas, mais si aujourd’hui nous parlons de « l’Internet » et du TCP/IP, et non de « Catenet » et du « datagramme », c’est grâce, ou à cause des PTT. C’est une longue histoire. Qui commence dans les années 1940. À l’époque, l’ordinateur n’existe pas encore.
I. De Bull aux USA
Louis Pouzin a grandi au milieu des outils, dans la scierie de son père. « Il achetait des arbres et vendait le bois coupé. Il y avait des machines à vapeur, des scies, une affûteuse, une forge… C’était un paradis », raconte le vieil homme. Tout en buvant son café, il se souvient : « Dès mon plus jeune âge, je bricolais. Pour le plaisir. Je réparais des serrures, des horloges. » Cet amour pour le bricolage et l’invention ne le quittera jamais. Bon en maths, il passe son bac avec mention, et parce qu’il veut par-dessus tout avoir un diplôme mais sans vraiment avoir de métier en tête, il travaille comme un acharné et intègre les rangs de l’École polytechnique en 1950, à 19 ans. Diplômé de « l’X » deux ans plus tard, il rejoint la CIT (Compagnie industrielle des téléphones), ancêtre d’Alcatel. « Ingénieur débutant, je m’occupais de la fabrication, d’assurer l’arrivée des pièces et de leur qualité. Un vrai apprentissage du milieu de l’industrie », raconte-t-il.