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Entre de bonnes mains
Quand il est devenu clair que le gouvernement mexicain avait radouci sa position concernant l’extradition d’El Chapo aux USA, des représentants des sept districts américains ayant de lourdes accusations à porter contre lui ont présenté leurs dossiers devant le bureau central de Washington. Chacun d’eux a longuement expliqué pourquoi il devait avoir le privilège d’accueillir ce qui sera à tous les coups un jugement éprouvant et très coûteux. Vu de l’extérieur, le processus ressemble à la bataille pour accueillir les Jeux olympiques. Presque chaque semaine, nous avons eu le droit à des gros titres sur le sujet – dans le San Diego Tribune : « El Chapo pourrait-il venir à San Diego ? » Dans le Miami Herald : « Miami pourrait être la ville d’accueil du méga-procès d’El Chapo. »
Chicago, qui a déclaré El Chapo l’ « ennemi public numéro un », a un moment semblé être un candidat solide. Les preuves de son dossier contenaient apparemment une profusion d’écoutes téléphoniques. Concord a également annoncé sa candidature en fanfare, avec une histoire qui aura au moins servi d’actu choc : une opération d’infiltration, un informateur du FBI en mission secrète dans les montagnes de Sinaloa et une conversation à la nuit tombée avec El Chapo lui-même. Brooklyn, néanmoins, était le favori depuis le début.
En effet, ses accusations portent sur l’intégralité de l’opération du cartel de Sinaloa, accusant El Chapo et ses co-conspirateurs de diriger « la plus vaste opération de trafic de drogue du monde ». Des politiciens corrompus ainsi que des membres des forces de l’ordre sont impliqués, ainsi que les infâmes sicarios : des tueurs à gage employés par les cartels pour collecter des dettes, infliger des châtiments et instiguer la terreur à l’intérieur comme à l’extérieur des rangs. Le dossier d’accusation, qui a été déposé pour la première fois en 2009 et rendu public en 2014, recouvre plus de deux décennies d’activité, identifiant 84 cargaisons de cocaïne différentes – pour 247 212 kilos de produit – et une fortune de 14 milliards de dollars amassés par les chefs de l’opération. Cet argent sera sujet à une saisie du gouvernement si l’affaire vient à être prouvée et les avoirs découverts.
Jusqu’à ces dernières semaines, le dossier accusait également El Chapo et les autres de douze meurtres, incluant l’assassinat en 2008 de Roberto Velasco Bravo, l’ancien directeur des enquêtes liées au crime organisé du Mexique. D’après Proceso et Insight Crime, l’affaire aurait été la première en son genre : un baron de la drogue mexicain jugé dans un tribunal américain pour le meurtre de Mexicains au Mexique. L’accusation a demandé à la cour de mettre en pratique une juridiction extraterritoriale – une doctrine juridique ésotérique d’abord développée par les tribunaux maritimes, mais qui s’applique également (en théorie) aux offenses commises contre tout individu lié aux missions de l’armée ou de la diplomatie américaines, comme celles qu’ont menées la DEA, le FBI et Pentagone contre les cartels. C’était un projet ambitieux depuis le départ, qui a largement été perçu comme de la surenchère au Mexique, malgré ses bonnes intentions, et possiblement dangereux pour les relations entre les États-Unis et le Mexique.
Le 11 mai, sans en faire grand cas, le parquet de Brooklyn a rédigé une autre accusation qui omettait les douze accusations pour meurtre et les remplaçait avec d’autres, moins controversées territorialement, stipulant que les accusés avait conspiré en vue d’assassiner « des personnes qui représentaient une menace pour le cartel de Sinaloa ». Les accusations de présider à une organisation du crime organisé, les centaines de milliers de kilos de cocaïne et les 14 milliards de dollars sont restés. Ainsi donc, la raison simple pour laquelle El Chapo pourrait être envoyé à Brooklyn plutôt qu’à San Diego ou Concord est celle-ci : les charges qui pèsent contre lui là-bas sont précises et ambitieuses. Selon l’estimation du département de la Justice, les preuves sont là pour soutenir l’accusation.
Il existe cependant une réponse plus compliquée, une fois que vous avez pelé toutes les couches de la bureaucratie – les notes en marge, les mandats d’arrêt provisoires, les enquêtes sur la dualité, la spécialité, et une flanquée de doctrines légales obscures –, l’extradition est une question de diplomatie, et la diplomatie tend à mettre à ébullition quelques relations, ainsi que la confiance qu’elles inspirent. Quand sept districts fédéraux différents réclament ensemble le même prisonnier – dans ce cas précis, le plus célèbre narcotrafiquant du monde –, la responsabilité est entre les mains du procureur général. Ce dernier, soutenu par du personnel haut placé et par le bureau des Affaires internationales du département de la Justice américain, est celui qui doit décider de l’accusation la plus solide, et désigner les procureurs les plus à même de garantir une condamnation, afin qu’elle et ses représentants puissent se tourner vers leurs homologues au Mexique – le procureur général, le ministre des Affaires étrangères, le président Peña Nieto – et assurer à toutes les parties impliquées qu’El Chapo sera remis entre de bonnes mains. Le procureur général actuel est Loretta Lynch, une native de Brooklyn, qui occupait précédemment le poste de procureur du district est de New York.
Don Quichotte
Dans le monde des poursuites du crime organisé, Brooklyn est une terre sacrée, comme Shaolin ou un stade de foot mythique. La ville de New York est divisée entre deux districts fédéraux : Manhattan et le Bronx font partie du district sud ; Brooklyn, le Queens et Staten Island sont dans celui de l’est. Chaque district a son propre procureur général et sa propre personnalité. Le district sud, qui a sa propre histoire de condamnations de membres de la mafia, plus particulièrement dans les années 1980, est mieux connu pour ses affaires de cols blancs : délit d’initié à Wall Street, fraude boursière et corruption politique. Le district est, de son côté, a su préserver une image moins lisse. Brooklyn est l’endroit où John Gotti a fini par être condamné ; où Vincent « Chin » Gigante, le boss de la famille Genovese – qui errait dans les rues en pyjamas dans l’espoir de convaincre en plaidant la folie – a été jugé apte à être jugé et condamné pour racket ; où la famille Bonnano a été renversée ; même chose pour Vyacheslav Ivankov, le chef de la mafia russe, et Dandeny Muñoz Mosquera, qui servait de maître assassin au cartel de Medellín et a aidé à faire sauter un vol de ligne Avianca avec 107 personnes à bord. Brooklyn est aussi l’endroit où les membres de gangs locaux comme MS-13, les Bloods et les Latin Kings sont régulièrement condamnés pour tout un panel d’accusations, et où 41 personnes (pour le moment) ont été accusées de racket et de fraude électronique en liaison avec l’enquête sur la FIFA.
El Chapo prend son mal en patience dans une cellule à l’extérieur de Juarez, en lisant Don Quichotte.
Dernièrement, le district est a tourné son attention vers les cartels mexicains. Au sein de la Division criminelle du bureau du procureur général, il y a une section dédiée aux affaires internationales de stupéfiants et de blanchiment d’argent. Ses membres sont régulièrement affectés à des équipes spéciales s’attaquant aux trafiquants de drogue. Rien que l’année dernière, le bureau a condamné trois membres haut placés d’un réseau de blanchiment d’argent contrôlé par Sinaloa. Il est également parvenu à décrocher l’extradition de Tirso Martinez-Sanchez, un grand expert en logistique qui avait travaillé avec les cartels de Sinaloa, de Juarez et Beltran Leyva.
Si vous examinez un récent communiqué de presse du département de la Justice américain annonçant la condamnation ou le plaidoyer de culpabilité contre un narcotrafiquant international, vous tomberez probablement sur le nom d’un enquêteur ou d’un assistant du bureau du procureur du district quelque part dans les remerciements. Le bureau du procureur général à Brooklyn abrite certains des adversaires les plus féroces et les plus accomplis du crime organisé, et jusqu’à récemment, Loretta Lynch – la conseillère juridique la plus haut placée des États-Unis, à qui il revient d’assurer aux fonctionnaires comme aux citoyens du Mexique que ses meilleurs éléments sont sur l’affaire d’El Chapo – était à la tête du bureau. Elle connaît les procureurs là-bas. Elle en a formé un certain nombre elle-même. Le dossier d’accusation de 2014 a été monté sous sa vigilance. Elle connaît bien l’affaire du district est de New York contre El Chapo : ses forces, ses pièges potentiels et comment on prendra soin de les éviter. Le genre de familiarité qui inspire la confiance. Et à cette étape du processus – tandis qu’El Chapo prend son mal en patience dans une cellule à l’extérieur de Juarez, en lisant Don Quichotte, en songeant aux nombreux tunnels qu’il a creusés, et au fait que les fonctionnaires du Mexique comme des États-Unis se tiennent sur leurs gardes (on les comprend) –, la confiance est capitale.
Sicario
Malgré tout, c’est une situation curieuse. Durant son séjour, El Chapo sera probablement incarcéré au Metropolitan Detention Center (le MDC) au bord de l’eau à Sunset Park, en bas de la rue qui mène à Industry City. Le MDC est un endroit aussi triste qu’énorme. J’avais l’habitude d’y aller pour rendre visite à des clients, mais jamais dans le quartier de très haute sécurité (ADMAX), qui a été conçu pour détenir les individus suspectés d’avoir contribué et encouragé les attaques du 11 septembre, et où ils garderont probablement El Chapo une fois qu’il sera arrivé. J’ai vu quelques photos des cellules ADMAX. L’ameublement est économe : une petite table, des toilettes, une douche. Les cellules sont équipées de lits superposés, donc il se pourrait qu’il ait un colocataire, même si ce ne sera probablement pas le cas.
Dans l’ADMAX, les détenus peuvent être confinés en cellule jusqu’à 23 heures par jour. Le moindre de leurs mouvements, à l’intérieur ou hors de la cellule, est enregistré en vidéo. Lors de ses comparutions, El Chapo verra peut-être un peu de Brooklyn, car il sera transféré du MDC jusqu’au palais de justice sur Cadman Plaza, une distance d’environ 6,5 kilomètres au cœur d’un Brooklyn en pleine gentrification : Greenwood, Boerum Hill, Brooklyn Heights. Le transport sera assuré par les US Marshals, l’agence chargée de le transférer depuis le Mexique. J’ai récemment parlé avec Lenny DePaul, un ancien US Marshal adjoint, à propos des dangers que représentaient le fait de s’occuper de prisonniers à haut risque comme El Chapo. Il m’a raconté que la logistique serait un « cauchemar de sécurité ». DePaul est l’ancien chef de l’équipe des US Marshals de New York affectée aux fugitifs régionaux, une brigade de 265 hommes qui pourchassent les fugitifs sur le territoire et à l’étranger, avant de les ramener pour qu’ils soient jugés. Avant ça, en 1992, il était l’agent affecté à la sécurité de John Gotti pendant son procès RICO à Brooklyn, qui a duré plus de deux mois. DePaul m’a semblé être le genre d’hommes à avoir vécu plusieurs cauchemars de sécurité, le genre à plus ou moins savoir comment les choses étaient faites. Je lui ai donc demandé comment se déroulerait le scénario El Chapo.
« Il y aura des équipes du SWAT », m’a-t-il expliqué. « Des renforts du NYPD, des groupes d’intervention spéciaux. Quand on a affaire à des types d’une telle envergure, on veut aller aussi vite que possible, avec un cortège de cinq ou six véhicules, des éclaireurs et des snipers en place. » Avec Gotti, qui était détenu à Manhattan, le pont de Brooklyn a été la section la plus difficile du transport, raconte DePaul. Il devait être fermé chaque matin quand le cortège le traversait. Pour El Chapo, la route la plus directe, me semble-t-il, est de remonter la Troisième Avenue, de passer la tarterie Four & Twenty Blackbirds, Hank’s Saloon, puis de prendre à gauche vers Flatbush. Mais prendre la route la plus directe n’a rien à voir avec ça, explique DePaul. Les Marshals devront préparer de très nombreux itinéraires, les sécuriser, et en changer tous les jours. Ils pourraient même utiliser des leurres : de faux convois voyageant sur des tracés alternatifs pendant que le véritable cortège est sur la Quatrième Avenue, ou sur la voie express reliant Brooklyn au Queens, selon le trafic. Ce dont les agents doivent absolument se rappeler, dit DePaul, c’est que tout peut arriver. « On ne peut pas baisser sa garde. Il se peut très bien que rien n’arrive pendant les trois premiers mois du procès, mais malgré tout il faut garder l’œil ouvert et le bon, il faut être prêt. Utiliser des itinéraires différents, des contre-snipers, et toutes les tactiques de diversion qu’on connaît. » Qu’en est-il d’une évasion ? Cela correspond bien à « tout » quand on connaît l’histoire d’El Chapo.
Je demande à DePaul s’il a déjà eu affaire à un problème aussi épineux par le passé, et il me raconte l’histoire d’un fugitif qu’il a un jour traqué jusqu’au Costa Rica, un membre du gang des 40 voleurs qui a simulé une crise d’asthme dans l’espoir de pousser les autorités à le conduire à l’hôpital, où ses amis s’apprêtaient à tendre une embuscade au convoi. Mais DePaul dit que lui et l’un des autres Marshals ont reniflé la supercherie. Malgré cela, il ne pense pas qu’il y ait un grand risque qu’une telle chose arrive sur le sol américain. Pour lui, une tentative d’évasion à Brooklyn de la part d’El Chapo serait « tout à fait impossible ». Alors pourquoi employer les tactiques de diversion ou les leurres ? Ces précautions, dit-il, visent à empêcher que quelqu’un n’assassine le prisonnier. Les Marshals tentent de garder en vie leurs prisonniers – comme Gotti ou El Chapo – et en assez bonne forme pour qu’ils puissent assister au procès. Ils ont la même inquiétude quand ils prennent en chasse des fugitifs. « C’est notre gagne-pain », dit DePaul en parlant des Marshals. « On met de sales types en taule. Mais dans tous les cas il faut que personne ne soit blessé. Tout le monde doit rentrer chez soi sain et sauf, même les méchants. »
L’histoire
« History est prête à raconter l’histoire du baron de la drogue Joaquin “El Chapo” Guzmán. » C’était le chapô d’un article paru récemment dans le Hollywood Reporter. « History » est la chaîne histoire américaine – une division d’A&E Networks, dirigée conjointement par The Hearst Corporation et Disney –, et l’article annonçait le développement d’une nouvelle série à propos de la vie d’El Chapo Guzmán, baptisée #Cartel. La série est développée par Chris Brancato, l’ancien showrunner de Narcos, la saga sur Pablo Escobar, et de la série biblique épique d’ABC, qui n’aura pas fait long feu, Of Kings and Prophets. Le hashtag dans le titre de la série est significatif. « Le show », a confié Brancato au Hollywood Reporter, « est une métaphore des vies que nous donnons à voir sur Internet, des mois secrets que nous révélons au cours de communications supposément privées, et des risques qu’il y a à se vanter sur les réseaux sociaux. » Il y a deux semaines, Univision et Netflix ont annoncé qu’ils uniraient leurs efforts pour produire leur propre série, intitulée El Chapo, dont la première saison devrait être diffusée en 2017. Telemundo en développe une, également. Le mythe d’El Chapo se porte bien, semble-t-il. Comment se porte l’homme ? On le saura bien assez tôt.
Le 9 mai, une cour fédérale au Mexique a décrété que l’extradition d’El Chapo était légale et qu’on pouvait y procéder. La requête a été déposée en lien avec l’accusation de San Diego, la première affaire américaine portée contre El Chapo, en 1996. Puis un autre jugement – celui-ci en lien avec le dossier monté par El Paso – s’est à nouveau prononcé en faveur de l’extradition. Le 20 mai, le ministre des Affaires étrangères du Mexique a ajouté son approbation au concert de voix, disant qu’il avait reçu « des assurances suffisantes que la peine de mort ne serait pas appliquée si M. Guzmán Loera était extradé et jugé aux États-Unis ». (Le Mexique, comme de nombreux pays, n’extrade pas ses citoyens quand l’exécution leur pend au nez.) Il reste encore quelques étapes, mais le processus est bien engagé, et les fonctionnaires du gouvernement semblent tenir compte du commandement du président Peña Nieto d’ « en finir au plus tôt avec l’extradition de ce délinquant extrêmement dangereux ». Le département de la Justice américain n’a pas encore indiqué s’il avait l’intention de poursuivre avec le dossier de San Diego ou d’El Paso ou s’il y a encore d’autres requêtes formelles en cours de traitement au sein du système judiciaire mexicain. On ne sait pas non plus s’il optera pour une extradition d’El Chapo sous les auspices d’une seule accusation, consolidée plus tard par d’autres dossiers en l’envoyant pour un second tour de jugement dans un autre district fédéral – à Brooklyn, par exemple. Le procureur général Lynch a seulement bien voulu dire qu’elle pensait qu’une résolution était « imminente ». On attend de voir si l’extradition et le jugement de ces éminents barons de la drogue mexicains auront un réel impact, s’ils ralentiront la distribution de la drogue ou qu’ils réduiront la violence qui a pris une grande partie de l’Amérique latine à la gorge.
Peut-être que ce sera le cas. Ou peut-être que les cartes seront rebattues, que de nouveaux boss feront leur apparition, que de nouvelles alliances seront négociées, et que de nouvelles chasses à l’homme seront engagées. Les drogues trouveront toujours leur chemin vers les veines de l’Europe et des États-Unis. Les civils vivant le long des routes du trafic et de la production – Venezuela, El Salvador, Guatemala, Honduras, Michoacán, Veracruz, Sonora – feront toujours les frais quotidiens de la violence, de la cupidité et de la dépravation. Des gens s’enrichiront sur tout cela. La plupart demeureront pauvres. Des milliers trouveront la mort. Des séries télé seront produites. El Chapo fera son entrée dans un tribunal de Brooklyn, en jogging ou dans quelque chose de plus élégant, si le juge l’y autorise, et une équipe bien organisée de procureurs tentera de l’amener à répondre d’une petite partie des crimes qu’il a commis. Cela, nous dit-on, est l’histoire que l’Histoire est prête à raconter.
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Brooklyn Bound », paru dans Guernica. Couverture : El Chapo à Brooklyn. (Création graphique par Ulyces)
CE TEXAN DIRIGEAIT LE CARTEL D’ACAPULCO
Edgar Valdez, dit Barbie, est le seul Américain à avoir rivalisé avec les cartels mexicains. Barbare et richissime, il se voyait comme un chic type.
I. Narco Polo
Par une chaude matinée de mai il y a de cela quelques années, Edgar Valdez – un baron de la drogue qu’on surnommait La Barbie – s’est réveillé dans l’une de ses maisons d’Acapulco. Dans les années 1950, cette station balnéaire était le lieu de villégiature favori des stars américaines : Frank Sinatra était un habitué des salons des hôtels, Elizabeth Taylor y célébra son troisième mariage –sur huit –, et John Fitzgerald Kennedy avait choisi l’endroit pour passer sa lune de miel avec Jacqueline. Si l’aspect glamour d’Acapulco s’est estompé au cours des années 1980, la ville est restée une destination touristique populaire jusqu’à très récemment. Tout a changé quand les cartels mexicains ont fait du bord de mer paradisiaque d’Acapulco l’un des fronts les plus violents de la guerre des drogues. En tant que chef du plus puissant des cartels de la ville, Barbie a fait fuir les célébrités à tout jamais et tétanisé de peur les touristes dont les bateaux mouillaient dans le port, leur ôtant toute envie de s’aventurer dans les rues de la ville. Il s’en voulait un peu, mais ainsi va le monde, selon lui : il faut manger ou être mangé. Barbie a la peau mate et tient son pseudonyme de sa fière allure et de ses yeux verts. Il passait pour être un homme jovial, bien que susceptible de se changer subitement en bête féroce assoiffée de sang. À 31 ans, il avait toujours le corps massif et sculpté du linebacker de football américain qu’il avait été à l’université : 1 m 77, 95 kg. Il gardait chez lui une vitrine contenant une soixantaine de Rolex et autres Audemars Piguet incrustées de diamants, mais contrairement à la plupart des narco-trafiquants, il ne s’était pas laissé pousser la barbe et ne portait pas de bijoux en or. Il s’habillait plus volontiers comme un Latino distingué en vacances, préférant les polos au sigle représentant un cavalier et son maillet, comme ceux que portaient les jockeys argentins.