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En 2011, Don Foss – sûrement le vendeur de voitures d’occasion le plus riche de l’histoire – a commandé un film de 30 minutes sur sa vie qu’il a ensuite posté sur YouTube. The Don Foss Story s’ouvre sur l’un de ses spots publicitaires des années 1970, dans lequel un acteur joue son rôle. Le véritable Don Foss, gros et dégarni, explique qu’il se serait volontiers joué lui-même si seulement il avait ressemblé à Robert Redford. À la fin de la réclame, on nous présente le narrateur du film. « Aujourd’hui, je vous emmène à la rencontre d’un homme tout à fait remarquable », dit-il avant de flatter le milliardaire de l’industrie automobile. « Don, vous n’êtes ni plus ni moins que l’incarnation du rêve américain. Je suis sûr que tout le monde meurt d’envie de savoir comment vous avez fait. » Ce que Don Foss a fait, c’est qu’il a quasiment inventé le système de crédit automobile à risque – ou subprime –, un marché qui représente annuellement plus de 100 milliards de dollars. D’abord concessionnaire puis fondateur de l’entreprise spécialisée dans la vente de crédits automobiles Credit Acceptance, Don Foss « a été le premier à voir tout l’argent qu’il y avait à se faire en facilitant l’achat de voitures qui auraient autrement fini à la casse par des familles défavorisées », explique un consultant de longue date pour l’industrie automobile. https://www.youtube.com/watch?v=wah9p824nYg The Don Foss Story présente les choses un peu différemment. On y insiste beaucoup sur la noblesse qu’il y a dans le fait de permettre à des gens de contracter des crédits que leur aurait refusés n’importe quel autre organisme de prêt. Mais sans Credit Acceptance et ses imitateurs, comment feraient ces gens-là pour se rendre au travail, pour accompagner leurs enfants à l’école ou emmener mamie au centre de dialyse ?

En 1995, le Wall Street Journal a publié un article en première page sur « ces pratiques de prêt que J.P. Morgan lui-même désavouerait ». Les parts de Don Foss dans Credit Acceptance valaient alors 550 millions de dollars, et les actions de la société se vendaient à 21 dollars l’unité. Aujourd’hui, leur prix tourne autour de 200 dollars. L’essentiel de cette croissance a eu lieu depuis 2008, non pas en dépit de la crise économique mondiale mais principalement grâce à elle. Lorsque des millions d’Américains se sont retrouvés à la rue après avoir été dépossédés de leurs maisons et que des millions d’autres ont perdu leur emploi, une vaste clientèle aux dossiers financiers désastreux a vu le jour pour Don Foss. Le montant des sommes allouées à ces emprunteurs à haut risque (qui représentent aujourd’hui près d’un quart de la totalité des crédits automobiles) a plus que doublé depuis 2009, comme l’indique la banque fédérale de New York. Les prêts automobiles, tout comme les hypothèques, peuvent être regroupés et vendus aux investisseurs de Wall Street. C’est donc tout naturellement que ces obligations de prêts automobiles à haut risque se sont substituées aux obligations de prêts hypothécaires subprimes tombées en disgrâce.

En 2009, les financiers de l’industrie automobile ont vendu pour trois milliards de dollars de ces obligations sur les marchés financiers. En 2014, ce chiffre s’élevait à 22 milliards de dollars. Bien que le marché des prêts automobiles à risque ne soit pas assez important pour menacer de faire s’effondrer l’économie, le parallèle avec la débâcle des hypothèques est évident. Les défauts de paiement et les saisies sont en hausse dans l’industrie, et on fait également état de demandes de prêts frauduleuses. Huit banques au moins sont soupçonnées d’avoir augmenté les taux d’intérêts de clients afro et latino-américains. Des acteurs du secteur de premier plan comme Ally Financial et Fifth Third Bank (la neuvième plus grande banque des États-Unis) ont récemment déboursé près de 200 millions de dollars afin de récuser ce type d’accusations. « De tous les produits financiers, le prêt auto est celui qui est le plus sujet à controverse », m’a confié la sénatrice démocrate du Massachusetts Elizabeth Warren au printemps dernier. « Le marché est aujourd’hui saturé de normes de souscription laxistes, de politiques de prêts agressives et discriminatoires, et on observe de plus en plus de saisies de biens. » Voici donc la véritable histoire de Don Foss : le parcours parfois remarquable et souvent dérangeant d’un pionnier du prêt automobile, qui nous aide à mieux comprendre comment l’Amérique en est arrivée là – en priant pour que l’histoire ne se répète pas.

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Une image de The Don Foss Story

Scandale

Foss avait 22 ans quand il a ouvert son premier parc de voitures d’occasion, dans une rue de Detroit pleine de concessionnaires. C’était en 1967. À l’époque, les constructeurs automobiles comme General Motors et Ford ne prêtaient qu’à des clients aux dossiers solides, et les banques refusaient purement et simplement d’accorder des crédits aux résidents des quartiers afro-américains de la ville. Depuis le début, Foss – dont le père était vendeur de voitures d’occasion lui aussi – s’est attelé à répondre aux besoins des travailleurs pauvres, au moyen de crédits à priori peu avantageux pour lui. Mais il avait un secret : il atteignait l’équilibre grâce à l’acompte déboursé par le client, avant de marger sur les paiements mensuels et les décisions judiciaires pesant contre ceux qui ne pouvaient plus payer. Il a bientôt ouvert d’autres concessions dans la région de Detroit et a engagé un comédien pour le présenter dans ses publicités comme un homme souffrant de « négaphobie » : incapable de refuser quoi que ce soit, même aux gens présentant des dossiers financiers catastrophiques. Dans la pub qui ouvre The Don Foss Story, le faux Don Foss est assis derrière un bureau. Il donne l’air d’être un homme d’affaires sérieux, jusqu’au moment où il recule sa chaise et révèle qu’il porte un pantalon de pyjama et des chaussures de clown. Des chanteurs de gospel donnent alors de la voix : « Don Foss vous met au volant d’une voiture ! Grâce à Don Foss, prenez le chemin le plus facile ! »

Cinq ans après avoir ouvert sa première concession, Foss a lancé Credit Acceptance. La nouvelle société serait en charge du financement et du recouvrement pour les 17 concessionnaires qu’il possédait dans six États du pays. Le montant des intérêts qu’il pouvait légalement facturer à ses clients n’était limité que par les lois de l’État dans lequel la voiture était vendue – quand il y avait une limite. « La première semaine, j’étais le vendeur de voiture sympathique », raconte Foss au narrateur de son biopic, « et les suivantes je me transformais en collecteur de dettes assoiffé d’argent. » En 1989, Credit Acceptance a commencé à se présenter comme un prêteur à l’échelle nationale, impatient de travailler avec d’autres concessionnaires pour vendre des voitures aux personnes défavorisées.

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Keith McCluskey
Crédits : McCluskey Chevrolet

Prenez Keith McCluskey, par exemple : il vendait à tout casser 15 voitures d’occasion par mois dans sa concession McCluskey Chevrolet avant l’arrivée de Foss à Cincinnati. La raison à cela était simple : les gros créanciers comme General Motors Acceptance Corp. rejetaient la plupart de ses dossiers, ses clients justifiant de trop faibles revenus. Et puis il a reçu un prospectus de Credit Acceptance, qui lui promettait de soutenir financièrement pratiquement n’importe qui. Dans The Don Foss Story, McCluskey estime qu’il s’agit probablement du moment le plus important de sa carrière. Credit Acceptance prêtait à des clients dont les revenus se limitaient aux allocations, à des adolescents, et même à des gens ayant récemment déclaré faillite. Avec l’aide de Foss, raconte McCluskey, il s’est rapidement retrouvé à la tête du plus grand concessionnaire Chevrolet de l’État. Foss a fait entrer Credit Acceptance en bourse en 1992. C’est à cette époque que l’avocat de l’Ohio Ron Burdge, qui poursuivait en justice un vendeur de voitures d’occasion, a mis la main sur une copie du manuel d’entreprise de Credit Acceptance. Il a réalisé, avec un mélange d’effroi et d’admiration, qu’ « ils avaient créé un système remarquable pour récupérer jusqu’au moindre centime de leurs clients ». Sur les 300 employés de Credit Acceptance, 200 environ travaillaient comme collecteurs, et l’entreprise harcelait les emprunteurs en souffrance avec l’efficacité d’une machine. Et si cela ne suffisait pas, un avocat de la société attaquait les clients en justice pour réparations – incluant des intérêts supplémentaires et les frais de justice. Ils saisissaient alors directement l’argent sur le salaire du débiteur, si l’État le permettait. « Ils faisaient les choses à une échelle jamais vue », dit Burdge, qui a utilisé ce qu’il avait appris lors d’autres procès l’opposant à la compagnie.

Trois ans plus tard, quand un reporter du Wall Street Journal est arrivé dans le Michigan pour écrire un article sur Foss et son entreprise, il n’était pas rare de trouver des clients aux prises avec des taux d’intérêts atteignant 30 %. L’article explique que les emprunteurs payaient généralement deux fois ce que la voiture avait coûté au vendeur, et bien souvent les véhicules rendaient l’âme avant que le crédit ne fût remboursé. Plus tard, Credit Acceptance et d’autres prêteurs à risque exigeraient même des emprunteurs qu’ils installent un coupe-circuit sur le démarreur permettant à la compagnie d’immobiliser le véhicule à distance – « de quoi garantir que le crédit auto serait le premier que les gens paieraient tous les mois », juge un ancien gestionnaire financier de chez Ford. Credit Acceptance finance aujourd’hui les ventes de milliers de concessionnaires de véhicules d’occasion à travers les États-Unis, et le succès de Foss a inspiré de nombreux imitateurs : Capital One, Santander et Wells Fargo ne sont qu’une petite partie des grands acteurs du secteur, qui se sont jetés sur le business des crédits automobiles subprimes. « Je n’avais pas réalisé qu’en entrant en bourse, vous révéliez à tout le monde comment fonctionne votre entreprise », a avoué Foss lors d’une interview. Mais Foss n’était pas épié que par ses concurrents, et un duo d’avocats de Kansas City allait lui causer de sérieux problèmes. Bernard Brown, la quarantaine, travaillait comme avocat indépendant spécialisé dans les affaires de fraude automobile. Dale Irwin, de six ans son aîné, était un ancien avocat commis d’office qui travaillait pour une petite société spécialisée dans le droit des consommateurs. En 1996, ils ont coopéré pour engager un recours collectif contre Credit Acceptance au nom de 14 000 habitants du Missouri, qui accusaient l’entreprise de Foss d’une série d’infractions – qu’il s’agisse de saisies de véhicule sans avertissement préalable, ou de faire payer aux clients les plus pauvres des centaines voire des milliers de dollars de plus en honoraires fictifs et surplus d’intérêts.

Il aura fallu plus d’une décennie de bataille judiciaire, mais Credit Acceptance a fini par payer.

Le demandeur principal était Marvin Fielder, employé d’une boutique de spiritueux de Kansas City, marié et père de quatre enfants. Le vendeur avait dit à Fielder que le prix total de la Honda Prelude de 1985 qu’il avait acheté était de 5 700 dollars, mais d’après la plainte, quand Fielder a lu ce qui était écrit en petits caractères au bas du contrat ce soir-là, il a découvert qu’il devrait en réalité payer plus de 7 000 dollars. Il est retourné chez le concessionnaire le lendemain, mais le vendeur a refusé de lui accorder le deal dont ils avaient convenu à l’origine. Il a donc rapporté la Honda. Credit Acceptance, qui avait financé la vente, a saisi la voiture et l’a revendue. Mais pas sans poursuivre Fielder en justice afin qu’il paie l’intégralité de la somme exigée par le prêt – ils affirmaient qu’il en était redevable même s’il avait conservé le véhicule moins de 24 heures –, plus des charges additionnelles. « Ils se comportaient comme des cow-boys, ils inventaient des choses au fur et à mesure », dit Brown.

D’après les dossiers juridiques, Credit Acceptance a répliqué en arguant que Fielder et les autres plaignants avaient accepté les termes de l’accord en conscience, et qu’ils avaient apposé leurs signatures sur un contrat ayant force obligatoire. Personne ne leur avait mis de pistolet sur la tempe. Au cours des discussions, Irwin et Brown ont mis la main sur des documents montrant qu’au milieu des années 1990, près de 80 % des clients du Missouri de Credit Acceptance étaient en souffrance depuis plus de 90 jours, un nombre incroyablement élevé – le taux moyen pour les créanciers auto est d’environ 5 %. Une bonne partie des 14 000 plaignants avaient été poursuivis à titre individuel par Credit Acceptance et tombaient sous le coup de décisions judiciaires dont les amendes avaient été gonflées, disaient les avocats. « Quand on étudiait l’une de ces affaires, on avait l’impression d’être devant un devoir d’école de droit, ceux dans lesquels le professeur nous demandait de repérer le plus de violations possible », raconte Irwin. La plus évidente d’entre elles était que Credit Acceptance faisait payer aux clients en souffrance des intérêts plus élevés que ne le stipulait le contrat d’origine. Il aura fallu plus d’une décennie de bataille judiciaire, mais Credit Acceptance a fini par accepter de payer 12,5 millions de dommages et intérêts à ses clients, et d’effacer 75 millions de dollars de dettes en cours. L’accord prévoyait que chacun des six plaignants recevrait 5 000 dollars, tandis que Brown et Irwin ont touché trois millions par tête. L’entreprise a également accepté un contrôle judiciaire de trois ans conduit par les avocats. « C’était une bonne journée, après 11 ans de travail », dit Brown.

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VERS UNE NOUVELLE CRISE DES SUBPRIMES ?

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Traduit de l’anglais par Mariam Lmaifi, Nicolas Prouillac, Arthur Scheuer, Nathalie Delhove et Gwendal Padovan d’après l’article « Car Trouble », paru dans Mother Jones. Couverture : Un concessionnaire de voitures d’occasion (Kurt Bauschardt).