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La supercherie
Le jour suivant, Mitchell et Reid sont partis pour Sedona, tandis que Wright est resté en arrière pour se débarrasser des déguisements et d’autres preuves potentielles. Il était censé tout brûler, mais finalement il a décidé de les jeter dans une benne à ordures que leur équipe avait déjà utilisée. En temps normal, Wright aurait attendu dans les environs pour s’assurer qu’un camion à ordures vienne vider la benne, mais cette fois-ci, il a eu peur d’un policier qui prenait son déjeuner dans le parking, et a filé. Plus tard dans l’après-midi, un couple de personnes âgées qui cherchaient des canettes en aluminium a fouillé la benne et remarqué un sac vert avec une perruque qui en sortait. Ils ont ouvert le sac pour trouver plusieurs perruques et des barbes, une bouteille de fond de teint CoverGirl, deux plaques d’immatriculation, un paquet de Winston Lights vide, et plusieurs sacs de Bank of America.
Il n’y avait rien dans le sac qui puisse directement conduire les policiers à un suspect, mais ils ont été en mesure de prélever une empreinte de pouce partielle sur l’un des sacs d’argent. Autre chose potentiellement utile : les papiers de location d’une voiture, ainsi qu’un exemplaire du faux permis qui avait servi à la louer, sur lequel figurait la photo très nette d’un homme aux oreilles décollées avec un début de calvitie. Avec l’argent du casse de Bank of America, le gang s’est mis à imaginer une nouvelle façon de vivre. Mitchell et Reid se sont concertés pour effacer tout signe distinctif, réfléchissant à la possibilité de la chirurgie esthétique pour dissimuler encore davantage leur apparence. Ils étaient prêts à arrêter les braquages de banques, mais ils savaient aussi que l’argent qu’ils avaient ne durerait pas toujours. L’un des avenirs possibles, qui semblait prometteur, était le trafic de cannabis. Reid avait passé son permis de pilote à Sedona, et il avait récemment acheté un avion, un Mooney 201 argenté, en liquide. Ils ont commencé à chercher des sites en Amérique centrale, en particulier au Belize, dans l’idée qu’ils pouvaient profiter de l’avion pour passer discrètement la frontière à basse altitude.
Quelques semaines après le cambriolage, Reid a entendu dire par des intermédiaires qu’un ami le cherchait. Donny Hollingsworth – alias Big John – avait eu une carrière réussie en tant qu’halfback des Rough Riders d’Ottawa dans la Ligue canadienne de football, avant de prendre sa retraite et d’entreprendre une vie encore plus réussie dans la criminalité. À Ottawa, il conduisait une Rolls Royce et était envié par beaucoup de jeunes criminels, y compris Stephen Reid. Mitchell ne lui a jamais vraiment fait confiance, mais il n’était pas méfiant au point de refuser de travailler avec lui. En vérité, Hollingsworth les avait aidés à revendre les biens volés du pillage de l’aéroport. Reid et lui étaient restés en bons termes, et lorsqu’ils s’étaient tous réunis à nouveau en Californie, Hollingsworth s’était révélé utile en aidant Reid à se procurer des armes à feu et d’autres outils pour les divers cambriolages du gang.
À présent, Hollingsworth avait des problèmes. Il était impliqué dans la fabrication de crystal meth dans une cabane à 145 km au nord-est de San Diego, où la police avait fait une descente après qu’un homme était mort en testant leur dernière fournée. Un citoyen inquiet avait vu Hollingsworth se débarrasser du corps sur le côté de la route. La police avait localisé la voiture et la cabane, et Hollingsworth avait tenté de s’échapper en sautant à travers une fenêtre en verre trempé. Il avait été arrêté et avait besoin de 80 000 $ pour l’aider à payer sa caution. Hollingsworth a promis de rembourser la caution sous 60 jours avec intérêts, et Reid a décidé d’aider un vieil ami dans le besoin. Il sentait que c’était la bonne chose à faire et que c’était bon pour son karma, puisqu’il pourrait lui-même avoir besoin d’une faveur un jour. Reid aimait passer ses journées dans son nouvel avion à survoler les mesas et les canyons autour de Sedona. Ensuite, il s’arrêtait souvent pour des chips et des margaritas au Maria’s, un restaurant mexicain près de l’aéroport, et c’est là qu’il se trouvait un après-midi d’octobre 1980 quand trois hommes en trench sont entrés. Ils ressemblent à des flics, s’est-il dit. Qu’est-ce qu’ils font ici ? Voyant qu’il ne se passait rien, Reid a décidé qu’il était seulement paranoïaque. Il est rentré chez lui en oubliant l’incident.
Pourtant, son premier instinct était bon. Les trois hommes étaient des agents du FBI, envoyés à Sedona pour suivre les traces du Stopwatch Gang tout en attendant les mandats d’arrêt. L’agent responsable de l’arrestation des braqueurs de banque les plus recherchés d’Amérique était Steve Chenoweth, à la tête du petit bureau régional de Flagstaff. Pendant le temps qu’il avait passé en Arizona, Chenoweth avait principalement travaillé sur des crimes violents, en se concentrant surtout sur les enquêtes liées aux cambriolages de banques. C’était un business florissant en Arizona. Chenoweth se souvient que l’État avait une moyenne de plus de 250 cambriolages de banques par an. Chenoweth s’est montré prudent tandis qu’il attendait l’ordre d’approcher le Stopwatch Gang. Chaque communiqué qu’il avait vu finissait par deux tampons inquiétants : « armés et dangereux » et « risque d’évasion ». Il savait où Reid et Wright habitaient au canyon Oak Creek, mais le terrain était escarpé et accidenté, et il n’y avait qu’un seul point d’entrée. Il était quasiment impossible d’entrer sans être vu. Chenoweth savait que les sujets, en particulier Reid, étaient populaires dans leur communauté. Alors pour éviter qu’on les prévienne, il n’avait parlé qu’à un seul shérif adjoint de ce qui se passait. Cette décision s’est révélée sage quand il a appris plus tard que l’un des amis les plus proches de Reid était un autre adjoint qu’il avait rencontré à une occasion dans un bar local. Le bureau a suivi la piste des hommes, mais n’a pas pu confirmer leur identité, jusqu’à ce qu’un informateur confidentiel leur révèle leur nom. Cela a permis au FBI de demander leurs empreintes aux autorités canadiennes, qui ont correspondu aux preuves relevées par les agents, notamment l’empreinte partielle laissée sur le sac des ordures. Le 30 octobre, un juge a délivré des mandats d’arrêt contre Stephen Reid, Patrick Mitchell et Lionel Wright pour braquage de banque et association de malfaiteurs.
Reid a été interpellé au matin du 31 octobre alors qu’il conduisait sa Camaro vers l’aéroport pour aller voler, et Wright a été arrêté chez lui « sans incident » – à part le fait qu’il était nu sur son lit quand les agents ont défoncé la porte. Selon un rapport du FBI, Reid « a admis son identité », alors que Wright, conformément à son caractère, « n’a pas admis son identité ». (Wright « est le seul des trois à ne jamais avoir parlé à personne de ses activités », me précise Chenoweth.) Les deux hommes ont été emmenés à San Diego et placés au centre correctionnel Metropolitan, une institution fédérale située en centre-ville. Étant donné le nombre d’évasions à leur actif, le juge a fixé la caution à 1,5 million de dollars. Le document d’inculpation énonçait : « Les sujets sont des fugitifs du Canada avec des mandats d’arrêts extradables […] supposément coupables de trente braquages de banques sur la côte ouest. » Le 1er novembre, les journaux de tout le pays annonçaient que Stephen Douglas Reid et Lionel Wright avaient été arrêtés, et qu’on ignorait où se trouvait leur célèbre partenaire. « Patrick “Paddy” Mitchell […] le complice des crimes et des évasions du duo, qui se sont déroulés dans un intervalle de plus de dix ans, a réussi à échapper à la chasse à l’homme », rapportait l’Ottawa Citizen.
Le mois d’avril suivant, Reid et Wright – qui ont tous deux plaidé coupable – ont été condamnés par la Cour fédérale à 20 ans de prison pour le braquage à main armée de la Bank of America. Le procureur fédéral a salué la condamnation, décrivant le duo comme « des braqueurs de banque extrêmement compétents et dangereux, qui continueront à l’être ». L’identité de l’informateur du gouvernement n’a jamais été révélée pendant le procès. Après la condamnation, les avocats de Reid et Wright ont travaillé sur un arrangement qui impliquait la restitution d’une partie de l’argent volé. Lorsque l’arrangement a été réduit à néant, les hommes ont appris que toute l’affaire était liée à Big John Hollingsworth. Suite à son arrestation au labo de crystal meth, Hollingsworth a demandé à son avocat de proposer un marché à la DEA (l’Agence de lutte contre la drogue américaine). Si les procureurs diminuaient sa caution et envisageait une réduction des charges, a proposé son avocat, Hollingsworth « serait en mesure d’identifier et de provoquer l’arrestation des individus impliqués » dans le braquage de la Bank of America. Selon le dossier de l’affaire de Mitchell répertorié au FBI, Hollingsworth s’est laissé aller à des fanfaronnades. « Ils sont décrits comme de véritables professionnels pouvant devenir des tueurs », a dit son avocat au FBI. « Ils portent en général des gilets pare-balles et des armes automatiques. » Hollingsworth a donné de nombreux détails pour prouver la véracité de ses déclarations. Il savait, par exemple, que les responsables avaient acheté des perruques et des barbes dans une boutique de matériel de tournage de la vallée de San Fernando, et que les deux hommes principaux étaient « du genre plus vieux et paternel » pour l’un, et de « large stature et dotée d’une personnalité du genre Wyatt Earp » pour l’autre. Hollingsworth a ajouté que ces mêmes personnes avaient récemment cambriolé une grande bijouterie – un casse qu’il avait lui-même orchestré, ce qu’il a omis de mentionner – et qu’ils étaient responsables « d’autres braquages de banques » à San Diego. « Je sais exactement qui ils sont », a assuré Hollingsworth aux agents. « Et je sais où ils sont. »
Reid était furieux de la supercherie de Hollingsworth, et il a attiré l’attention de la cour sur un point qui a modifié toute la perception de l’affaire. La première personne qu’il avait appelée après son arrestation était Hollingsworth, recherchant ainsi un retour rapide d’une faveur qu’il lui avait récemment accordée. C’était Hollingsworth, l’homme dont le témoignage secret avait permis de former le dossier de l’accusation, qui avait engagé l’avocat de Reid pour lui. Et c’était Hollingsworth, connu au sein de la cour sous le nom de monsieur X, qui avait fait office d’intermédiaire secret dans la tentative de restitution de l’argent volé – argent qui avait disparu pendant le transfert. Le juge a assigné à Reid et Wright un nouvel avocat, qui a conclu un accord avec les procureurs pour que leur peine soit réduite de moitié. L’affaire Hollingsworth était embarrassante pour le FBI et le tribunal. Selon Reid, l’immunité de Hollingsworth ne concernait que son arrestation pour la crystal meth, alors après la disparition de l’argent lors du transfert, les procureurs ont ordonné à Reid et Wright de témoigner durant l’audience d’un grand jury sur quelques-unes des autres activités criminelles de Hollingsworth. Ils ont refusé, même s’ils auraient pu échanger des informations contre des remises de peine ; Hollingsworth était un homme libre.
En revanche, ils ont été accusés d’obstruction et ont été condamnés à purger 11 mois supplémentaires en plus de leur condamnation. « Deux mauvais actes n’équivalent pas à un bon acte », me confie Reid. « Je sais qu’une personne normale considérerait que ne pas témoigner est stupide », dit-il, mais il explique qu’il avait un code d’honneur, et qu’il passait avant sa haine pour l’homme qui les avait livrés à la police. Reid et Wright auraient pu faire appel, mais ils ont choisi de ne pas le faire. « Nous n’avions pas l’argent », explique Reid. Sa stratégie était simple : purger sa peine, rester irréprochable, puis « rentrer dans son pays lors d’un accord d’échange de prisonniers, et s’évader une fois de plus ».
Une belle histoire
Évidemment, Reid et Wright ont été détenus séparément. Wright a été envoyé à Leavenworth, une prison de haute sécurité au Kansas, tandis que Reid, considéré comme à risque d’évasion extrême, a reçu un traitement inhabituel. Peu après sa condamnation, on lui a mis ce qu’il appelle une « chaîne fantôme ». Pendant 11 mois, Reid a été transporté un peu partout dans le pays, de prison en prison, souvent à quelques jours d’intervalle, sans être informé d’où il allait ou de combien de temps il allait rester. Une nuit, il dormait dans une prison de comté à McAlester, dans l’Oklahoma, et la suivante il était parti pour Lacuna, au Texas.
L’objectif était de le faire disparaître, de rendre sa position impossible à pister. Après presque un an, il a fini dans le pénitencier fédéral de Marion, dans l’Illinois, la prison la plus sécurisée du système. Marion était bâtie pour détenir les 500 criminels les plus dangereux du système carcéral, et la population initiale était surtout composée de transferts d’Alcatraz. Ce n’était pas un lieu propice à la reconversion. Les prisonniers n’y étaient pas autorisés à travailler et passaient la plupart du temps en cellule d’isolement. Reid savait qu’il n’y avait aucune chance de s’échapper de Marion, alors il a œuvré avec application à mériter un transfert au Canada. Il a écrit des lettres et fait pression sur le consulat, demandant toutes les faveurs qu’il pouvait à ses vieilles relations d’Ottawa. Finalement, le 6 mai 1983, après deux ans à Marion, Reid a été renvoyé chez lui, à Millhaven, où il a rejoint Wright, à qui on avait aussi accordé le transfert. À Millhaven, Reid a développé une fois encore une réputation de favori aussi bien auprès des détenus qu’auprès de l’administration. Il a dirigé le département sportif, qui a mis en place les équipes de hockey et de baseball de la prison, ainsi que le réseau illégal de paris sportifs. Il jouait un rôle majeur dans le trafic et la distribution de haschisch, et servait d’intermédiaire dans les conflits entres prisonniers et gardiens. « J’étais connu comme le maire de Millhaven en quelque sorte », dit-il.
En 1984, Millhaven était un endroit encore plus violent qu’il ne l’avait été en 1977, lorsque les mauvaises conditions de vie avaient poussé Reid et Mitchell à commencer à comploter pour s’évader. Un hiver, après une série d’attaques au couteau, notamment le meurtre du gardien de but de son équipe de hockey, l’état mental de Reid s’est dégradé. Il est devenu colérique et déprimé. Il a arrêté tous ses boulots de prison et ses fraudes, et a commencé à écrire, remplissant des pages entières d’un bloc-notes jaune. « Au début, c’était juste des mots sur du papier, ensuite des phrases éparses, des expressions de colère, d’amertume, de perte d’espoir, page après page, le crayon s’enfonçant dans le papier avec la force de ces mots qui jaillissaient de moi-même », a écrit Reid plus tard. « Ensuite, une histoire a commencé à émerger. »
En quelques mois, il a terminé l’ébauche d’un roman qui parlait d’un gang de braqueurs de banque mené par Bobby, un personnage qui ressemblait beaucoup à Stephen Reid, et son acolyte Denny, une version légèrement voilée de Lionel Wright. Dans une cellule voisine, Wright tapait les pages tandis que Reid les écrivait, sans jamais commenter l’histoire en elle-même. Vers la fin du livre, Bobby tuait Denny. Après avoir donné les pages à Wright, dit Reid, il s’est assis et a écouté le tapotement des touches ralentir, puis s’arrêter. Quelques minutes plus tard, Wright est apparu à la porte de sa cellule. Il avait l’air désabusé, dit Reid. Reid ne savait pas quoi faire du manuscrit. À cette période, un professeur en criminologie de l’université de Waterloo nommé Fred Desroches a demandé à Reid de s’entretenir avec lui pour un livre sur les braqueurs de banque les plus notoires du Canada. Reid, se rebiffant d’abord, a finalement accepté, mais à une condition. Il voulait que le professeur lise son manuscrit. Desroches a accepté et était assez intrigué par ce qu’il a lu pour le transmettre à l’écrivain séjournant à l’internat de Waterloo, la poète et romancière Susan Musgrave. Musgrave a adoré le livre. Elle a écrit un déluge de lettres à Reid — trois dès le premier jour — lui disant qu’elle était « enthousiasmée par sa voix ». Elle a choisi un extrait à publier dans une revue littéraire, et Reid, reconnu pour autre chose qu’un crime pour la première fois depuis son enfance, était fou de joie. Il a répondu à Musgrave avec un paquet contenant 13 lettres, ainsi que le premier de nombreux poèmes : « Les roses sont rouges/Les violettes sont mortes/Et vous le serez aussi/Si vous ne venez pas bientôt/PS : Apportez un tas de drogues. » Musgrave était elle aussi en plein bouleversement de son côté ; son mariage (avec un trafiquant de cannabis) venait de mal finir, après que son mari avait été arrêté et s’était converti au christianisme en prison. Elle a commencé à rendre visite à Reid à Millhaven, et l’a aidé à transformer le manuscrit en roman qu’elle a ensuite emmené chez son éditeur, qui a acheté le livre en se basant uniquement sur les 90 premières pages et a signé un contrat avec Reid pour qu’il en écrive deux autres. Reid et Musgrave sont rapidement tombés amoureux l’un de l’autre. « Nous avons échangé des lettres en cascade, c’était ce genre d’amour passionné », dit Reid. « C’était très frustrant, physiquement. » Quand son séjour à Waterloo est arrivé à sa fin, Musgrave est retournée chez elle sur l’île de Vancouver, et a entrepris de faire pression sur le directeur de la prison régionale pour que Reid soit transféré à l’ouest, dans une prison plus proche d’elle. Elle m’a confié qu’elle avait été réprimandée par le directeur de prison, qui lui a demandé pourquoi une femme aussi accomplie qu’elle voulait perdre son temps avec un « malfrat » comme Reid. Mais finalement, il a accédé à sa requête et a poussé Reid à saisir l’opportunité de recommencer à zéro. Reid a été transféré dans l’établissement Kent, en Colombie-Britannique, où Musgrave lui rendait visite toutes les semaines. « Nous avons travaillé sur son livre, qui a atteint plus de 400 pages », a écrit Musgrave plus tard. « Et nous avons travaillé sur notre relation amoureuse, qui a atteint son apogée. »
Lorsque l’appel de Reid pour une libération conditionnelle a été rejeté, Musgrave a proposé qu’ils se marient pour pouvoir demander des « visites familiales » de trois jours dans un mobile home sur le sol de la prison. En 1986, quand le roman de Reid, Jackrabbit Parole, a été publié, le couple est tout de suite devenu célèbre ; la Société Radio-Canada a filmé et diffusé des scènes de leur mariage en prison à l’antenne. Cette année-là, Reid a été transféré de nouveau, dans l’établissement William Head, près du logement de Musgrave sur l’île de Vancouver, et en mai 1987, on lui a accordé la liberté conditionnelle.
Case départ
Pendant ce temps, Lionel Wright avait encore sept années à passer en prison. Il devait purger une plus longue peine à cause de sa première condamnation pour la drogue, et il était moins enclin que Reid à exploiter le système en sa faveur. Il a fait une seule demande de libération conditionnelle, et après se l’être vu refusée, il n’a plus réessayé. Étrangement, Reid comprenait pourquoi. « Lionel est quelqu’un de réservé. Il ne sait pas comment – où alors ça ne l’intéresse pas – amener les gens responsables de son cas à penser qu’il a changé. » La dernière fois que Reid a vu Wright, c’était à Kingston, peu après sa libération en 1994. Pendant un certain temps ensuite, une carte postale de Wright est arrivée de temps à autre, et puis, Reid dit : « Un jour, j’ai remarqué que Lionel était parti. Les lettres n’arrivaient plus, comme s’il s’était tout simplement évaporé. Vous ne savez même pas qu’il est parti jusqu’à ce que quelqu’un demande : “Où est Lionel ?” Bonne question. Où est Lionel ? » Pendant ce temps, Paddy Mitchell était toujours en cavale. Depuis le jour où Reid et Wright avaient été arrêtés à Sedona, Mitchell fuyait. Il avait quitté la ville, pour rendre visite aux parents de sa petite amie dans l’Iowa, lorsque ses amis avaient été arrêtés. Après avoir appris qu’ils étaient en garde à vue, Mitchell a pris l’avion pour retourner en Arizona, et, certain qu’il serait lui aussi arrêté, s’est emparé des 300 000 $ en liquide restants du gang dans leur coffre. Ensuite, il a commencé sa carrière en solo.
Sans ses anciens partenaires, Mitchell est devenu le braqueur à main armé accompli qu’il n’avait jamais été auparavant. Il a commencé en Floride et s’est dirigé vers l’ouest, frappant plusieurs grands magasins, ainsi qu’une banque à Hot Springs, dans l’Arkansas, avant d’être arrêté, ironiquement, en Arizona, suite à un cambriolage bâclé dans un magasin de Phoenix. Mitchell a été accusé de braquage à main armée et amené devant le tribunal de nuit, où un juge, qui ignorait totalement que l’un des dix fugitifs les plus recherchés du FBI se tenait devant lui, a fixé la caution à 16 500 $. Mitchell a appelé leur vieil ami de Dundee, qui est arrivé à Phoenix avec 20 000 $ et a donné l’argent à un garant de caution judiciaire, libérant Mitchell – qui a ensuite repris les cambriolages de banques.
Un an plus tard, le FBI l’a rattrapé, cette fois-ci en Floride. Il a été emmené en Californie, détenu et condamné à dix ans de prison pour le cambriolage de la Bank of America de San Diego, 20 ans pour le vol de 200 000 $ d’une banque dans l’Arkansas, et 18 ans pour le braquage à main armée du grand magasin de Phoenix. Il devait encore purger 20 ans au Canada pour le vol de l’or. L’avocat fédéral de l’Arizona a refusé un accord qui aurait permis à Michell de purger toute sa peine dans un établissement fédéral, où il avait le plus de chance d’être renvoyé au Canada, et il a été envoyé dans un pénitencier de haute sécurité à Florence, dans l’Arizona. Personne ne s’était jamais évadé de Florence, mais Mitchell ne comptait pas pourrir dans une autre prison violente. Lors de sa quatrième année, il a escaladé les conduits d’aération surplombant la salle des visites de la prison, et a rampé vers la liberté avec deux autres détenus, en passant juste au-dessus du bureau du gardien en sortant. Finalement, Mitchell s’est enfui aux Philippines, a pris l’identité de Gary Weber, un enquêteur d’assurances prospère. Puis il a épousé une femme qu’il a rencontrée là-bas et a eu un deuxième fils, Richard. Il a vécu heureux, dans une grande maison dans les montagnes, à Luçon, pendant cinq ans, en retournant aux États-Unis de temps à autre pour cambrioler des banques et alimenter son train de vie. Puis, en 1993, America’s Most Wanted a rediffusé un épisode sur lui. Un couple avec qui Mitchell était en bons termes aux Philippines a vu l’émission pendant des vacances à Hawaï, l’a reconnu, et a appelé le FBI. Le temps que les agents localisent la nouvelle maison de Mitchell, il avait encore disparu.
Reid a joué le rôle d’un agent de la Brink’s dans le film franco-canadien Four Days en 1999.
Chassé de son exil confortable, Mitchell a fui de nouveau aux États-Unis, et, lors de son dernier acte en tant qu’homme libre, il a commis le braquage le plus bâclé de sa vie, à Southaven, dans le Mississipi. Son plan consistait à créer une diversion en passant plusieurs appels d’alerte à la bombe, mais la police locale n’est pas tombée dans le piège et s’est mise à surveiller les banques de la ville de plus près. Quand Mitchell s’est enfui de l’une d’elles en portant des lunettes rehaussées de pampilles colorées et 160 000 $ en liquide, il a rapidement été arrêté, et sa longue vie de criminalité s’est finalement terminée. Lors de son procès, il a été condamné à 65 ans de prison à Leavenworth.
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En 1987, à l’âge de 36 ans, Reid a été libéré de prison et a emménagé dans la petite maison de Musgrave – que la famille appelle la maison arbre, à cause de l’énorme sapin de Douglas qui traversait le milieu de la cuisine – dans le village côtier de Sidney. Il a élevé sa jeune fille avec elle, et en 1989, ils ont eu une autre fille ensemble. Pendant dix ans, ils ont vécu une vie idyllique dans cette petite maison recouverte de plantes grimpantes, située derrière un portail en bambou, avec vue sur Saanich Inlet, une petite baie pleine de palourdes jaunes et de Petits Garrots. L’eau y est claire, et lors des nuits précédant une pleine lune, Reid allait patauger et prendre un bain spirituel, un rituel de purification qu’il avait appris d’amis indigènes pendant qu’il purgeait sa peine à William Head. Reid fabriquait des meubles et bricolait autour de la maison. Il arrachait les mauvaises herbes, plantait des fleurs et a commencé à construire une maison sur un terrain que Musgrave avait acheté sur les îles de la Reine-Charlotte, installant une porte de chambre forte de banque en clin d’œil à son passé. Jackrabbit Parole est devenu un bestseller, et Reid et Musgrave étaient célèbres au sein des cercles littéraires canadiens, aussi bien pour leur mariage peu conventionnel que pour leur succès littéraire. Reid a écrit deux pièces de théâtre, enseigné dans une université locale, et même joué le rôle d’un agent de la Brink’s ayant déjoué un cambriolage dans le film franco-canadien Four Days en 1999. Quand sa fille de dix ans a vu le personnage de Reid tirer sur le cambrioleur, elle a dit : « Papa a tiré sur le gentil ! » Il a été nommé pour une Commission royale, le Forum citoyen sur l’unité nationale, et le Service correctionnel du Canada l’a engagé pour enseigner l’écriture créative aux détenus et les conseiller sur la manière de reprendre leur vie en main. Il était, littéralement, le modèle national de la réintégration. Reid et Musgrave ont sympathisé avec les meilleurs écrivains et universitaires du pays, et Reid a savouré son rôle de bandit réformé sauvé par la littérature. Il voulait désespérément croire qu’il était un grand écrivain et qu’il était recherché pour son travail. Cependant, le temps a passé, et il s’est mis à se poser des questions sur cette attention, soupçonnant les gens d’être plus intéressés par sa légende que par lui.
Un soir, Reid se souvient avoir assisté à une fête avec Musgrave dans une belle maison appartenant à « des personnes âgées du monde des lettres de Toronto ». Il y avait des plats raffinés et un plan de table, ainsi qu’un violoncelliste dans le coin de la pièce. Tandis que la nuit avançait, les conversations sont passées de la littérature à la politique, mais Reid n’était inclus dans aucune d’entre elles. Il était assis là comme une personne de second plan jusqu’à ce que, à la fin de la soirée, la femme de l’hôte se retourne vers lui et lui dise : « Maintenant, racontez-nous des histoires sur la vie en prison. » Il s’est senti comme un clown, un divertissement pour un groupe de snobs, pas plus important que le violoncelliste dans le coin de la pièce. Pire encore, il n’a pas émis d’objection ; il a joué son rôle, dit Reid. « Je les ai émoustillés avec des gros mots et des histoires de prison. » L’antidote à ce sentiment, c’était bien sûr l’écriture d’autres livres. Mais 13 ans avaient passé et il n’avait pas publié de suite à Jackrabbit Parole. « Je courais après l’idée d’être célèbre, mais je ne faisais pas ce qui peut vous rendre célèbre : affronter la difficulté de s’asseoir seul dans une pièce », m’a-t-il confié. « Je voulais être écrivain, mais je ne voulais pas écrire. » Reid s’est enfoncé davantage dans la dépression, et le jour de son 49e anniversaire, il buvait un café à l’extérieur d’un bistrot quand il est tombé sur une vieille connaissance.
Reid venait de quitter un repas réunissant chaque année des auteurs, où il ne s’était pas senti à sa place, quand l’homme est arrivé et l’a invité à son appartement, soi-disant pour lui présenter sa petite amie. Reid a parfaitement compris ce qui se passait. L’homme était clairement défoncé à l’héroïne, et en peu de temps, Reid l’était aussi. Il a vomi en prenant la voiture pour rentrer, et lorsqu’il a passé le seuil de la porte, Musgrave a tout de suite reconnu son regard vide. « Elle s’est repliée dans notre chambre à coucher, a fermé la porte et a pleuré », a écrit Reid plus tard. « Mon gâteau d’anniversaire sur la table, entouré de cadeaux, soulignait une solitude encore plus grande. » Quelques jours plus tard, il est retourné dans l’appartement de cet ami, d’abord pour fumer de l’héroïne, ensuite la sniffer, avant de s’abandonner au confort familier de l’injection dans le bras. Il a commencé bien vite à s’injecter de la cocaïne et de l’héroïne en même temps. Les deux drogues prises ensemble, un speedball, se complètent l’une l’autre, donnant au toxicomane la capacité de consommer des quantités bien supérieures, si bien que Reid a vite été complètement consumé. Grâce à ses vieilles relations de gangsters dans l’est, il avait accès à de la cocaïne pure et de l’héroïne de haute qualité. Il a commandé des drogues par onces et contracté des dettes auprès de tous ses amis toxicomanes, toujours trop défoncés pour penser à collecter leur dû. Les dettes se sont rapidement accumulées, et bientôt, Reid a dû aux trafiquants environ 90 000 $. Dans les affres de l’addiction, il était trop fier pour demander plus de temps. Au lieu de cela, il a décidé de rembourser sa dette par le seul moyen qu’il connaissait : il aller braquer une banque.
Speedball
Le 9 juin 1999, juste avant 9 heures du matin, Reid était assis sur les toilettes, dans une station-service Shell, se préparant un speedball qu’il s’est ensuite injecté dans l’avant-bras gauche. La montée des drogues a été quasi-immédiate. Reid a titubé vers l’extérieur et s’est laissé tomber sur le siège passager d’un beater Chevy volé, conduit par un ami toxicomane nommé Allan McCallum, avec « les cheveux en bataille et le regard fou – typique de l’amateur », s’est souvenu Reid plus tard.
Il y avait six pâtés de maisons entre la station-service Shell et Cook Street Village, une petite allée de boutiques et de restaurants à l’ombre des ormes située dans un quartier résidentiel de Victoria. La cible de Reid, la Banque royale du Canada, se trouvait à une extrémité. En théorie, c’était un bon choix, en grande partie pour sa position. En quelques virages rapides dans les calmes rues résidentielles, ils seraient au Beacon Hill Park de Victoria, un périmètre de 80 hectares de bois et de prairies ondoyantes, où il serait difficile de les repérer. À partir de là, ils disparaîtraient dans la ville de l’autre côté. Reid a tiré sur une paire de gants lâches qui ne lui allaient pas, appuyant sur les interstices entre ses doigts jusqu’à ce qu’elles rentrent aussi bien que possible.
Par le passé, il aurait choisi des gants en fonction de sa capacité à ramasser une pièce de dix cents, mais cette fois-ci, Reid n’a pas pris la peine de vérifier la qualité du matériel. Il a tiré sur les coutures d’un survêtement tout abîmé pour révéler son uniforme improvisé – un blouson d’université bleu, sur lequel il avait formé le mot police en lettres tordues avec du ruban adhésif jaune, et une fausse casquette de baseball SWAT. Dans son sac en toile, il portait un fusil à pompe calibre 12 muni d’une crosse, un pistolet à canon long calibre 22, et un Magnum 44 qu’il a placé dans un étui à sa taille. Sous un drap à l’arrière se trouvait la pièce de chasse, l’arme de dernier recours – un AK-47 fabriqué en Chine muni d’un chargeur banane bourré de cartouches recouvertes d’acier. McCallum s’est arrêté dans un petit parking derrière la banque pendant que Reid mettait un masque en plastique transparent avec des joues et des lèvres peintes en rouge. Il est sorti, a passé la porte d’entrée et crié : « Tout le monde à terre. Ceci est un cambriolage. Il me faut quelqu’un pour ouvrir le coffre, apporter les sacs de dépôt de nuit, et déverrouiller la porte de derrière. » Une femme s’est redressée sur les coudes et a répondu d’une voix calme, presque désolée : « Les coffres forts ne peuvent pas être rouverts avant une heure, les sacs de dépôt de nuit sont déjà partis, et la clé de la porte de derrière est dans le bureau du milieu, premier tiroir à droite. »
Tout l’argent liquide qui restait à la banque se trouvait dans la caisse du guichet principal, a-t-elle dit, et Reid l’a ouvert d’un coup pour révéler « une pitoyable pile de billets de cinq et de dix ». Reid se tenait là, vidé et désespéré au milieu de la banque, avant de remarquer une porte qui, il le savait après avoir fait du repérage dans tant de banques, menait à la pièce derrière les guichets automatiques. Reid a ordonné au directeur de la banque d’ouvrir la porte et de vider les caisses de la machine dans son sac en toile. Presque cinq minutes s’étaient écoulées depuis qu’il était entré dans la banque, mais les drogues affectaient sa perception du temps. Lorsqu’il est ressorti avec 93 000 $ et les a jetés dans le coffre de la voiture de McCallum, il ignorait totalement à quel point il avait été lent. Avant de s’installer sur le siège passager, Reid a remarqué une policière, en short, qui se tenait sur le trottoir. Son arme de service 9 mm était pointée sur sa tête. « Fonce ! » a crié Reid, sautant dans la voiture, et McCallum a conduit la Chevy hors du parking puis à travers une courte rue jusqu’à un carrefour, où il a viré à gauche, et quelques virages plus tard, s’est enfoncé dans le parc. McCallum a pris de la vitesse à un tournant avant d’écraser brusquement la pédale de frein pour éviter de rentrer dans l’arrière d’une calèche tirée par des chevaux et remplie de touristes. La tête de Reid a percuté le tableau de bord. La voiture a rebondi hors de la route, puis sur une piste cyclable avant de s’arrêter au niveau d’un rang de poteaux métalliques. Reid se souvient de McCallum assis au volant, haletant, l’air d’avoir abandonné. Reid, lui, était désespéré. Une voiture de police était à présent juste derrière eux, ainsi qu’un policier à moto. Reid a allongé la jambe gauche vers l’accélérateur et l’a enfoncé. La Chevy a émis un bruit métallique entre les poteaux puis est repartie sur la piste cyclable. La manœuvre a suffi pour semer la voiture de patrouille, mais le policier à moto les poursuivait toujours. Reid ne se souciait plus de l’argent. Il voulait seulement s’échapper.
Et donc, il a fait une chose qu’il n’avait jamais faite pendant sa longue carrière de criminel – il s’est penché sur le sol et s’est saisi d’une arme à feu avec l’intention ferme de s’en servir. Il a armé le fusil, s’est penché par la fenêtre ouverte et a ouvert le feu, en visant bien au-dessus des lumières clignotantes bleues et rouges de la moto. Le recul l’a repoussé à l’intérieur de la voiture, et la Chevy a foncé hors du parc puis dans la baie James, un quartier tranquille de petites maisons et d’immeubles. Le tir a ralenti le policier mais ne l’a pas arrêté. Reid avait été chanceux de cambrioler tant de banques sans avoir à tirer sur un policier à sa poursuite, mais cela ne voulait pas dire que le gang n’avait pas prévu l’éventualité. Il savait comment arrêter une poursuite. Il a ordonné à McCallum de foncer vers une route en longue ligne droite, puis de prendre un virage serré à droite et d’arrêter la voiture. McCallum a fait comme on le lui a demandé, et Reid est sorti et s’est tenu face au tournant, en attendant que la moto approche. Juste au moment où le policier a entamé le virage, Reid a tiré – vers le haut, a-t-il juré, pas dans le but de toucher le motard, mais de l’arrêter. Le policier a lâché sa moto lorsqu’elle a glissé sur l’herbe. Une foule de voitures de police s’est rapprochée d’eux, et un agent a tiré en retour. Reid a sauté dans la voiture et demandé à McCallum de conduire.
Reid s’est rendu compte qu’ils étaient piégés. Il a demandé à McCallum de s’arrêter, puis a abandonné la voiture (et l’argent) pour fuir à pied. McCallum s’est fait arrêter quelques minutes plus tard, tremblant derrière un buisson à moins de 100 mètres de la voiture. Reid a couru à travers des jardins et des maisons, et enfin dans un immeuble, où il a fait irruption dans un appartement du deuxième étage occupé par un vieil homme originaire de Serbie et sa femme. Reid savait qu’il n’avait nulle part où s’échapper et que ce n’était qu’une question de temps. Pendant que le chef de police de Victoria montait l’opération de recherche la plus lourdement armée de l’histoire de la ville, Reid a pris place et écouté le Serbe raconter des histoires des jours où il combattait pour la liberté, en fumant ses cigarettes roulées à la main. Finalement, Reid s’est assoupi sur un clic-clac et le couple s’est préparé pour sortir.
Plus de cinq heures après, l’équipe du SWAT est entrée. Ils ont trouvé Reid en train de ronfler. Reid s’est réveillé sur le sol de sa cellule, tremblant violemment, en crise de manque. Il pouvait encore sentir le gaz lacrymogène, et ses mains avaient été cassées lors de l’arrestation. « C’est la première punition », dit-il. « Si vous tirez sur un flic, on vous casse les mains. » Lors du procès qui a suivi, Reid a été condamné à 18 ans de prison ; même s’il montrait un comportement exemplaire, il devrait en purger au moins 12. Sa fille avait dix ans. À Flagstaff, dans l’Arizona, Steve Chenoweth a reçu un appel l’informant que la police de Victoria le recherchait. Lorsqu’il a rappelé, un inspecteur canadien lui a expliqué qu’ils détenaient Stephen Reid en détention provisoire pour braquage de banque. Chenoweth avait vu Reid une fois après sa libération, et l’agent avait été impressionné par ce qu’il était devenu. « Il avait du talent », dit Chenoweth. « Il était bien soutenu. Je me suis dit que ce type avait une bonne chance de réussir. » Quand on lui a annoncé que l’homme qu’il avait arrêté à Sedona presque deux décennies auparavant avait poussé la police de Victoria à recourir à leurs armes pour la première fois en 20 ans, Chenoweth n’arrivait pas à le croire. « Bon sang, vous auriez pu me mettre au tapis avec une plume », dit-il. « J’ai vraiment cru qu’il s’en sortirait.»
Susan Musgrave avait pleinement conscience que son mari avait de nouveau sombré dans la drogue, et dans les semaines précédant son arrestation, elle s’est préparée à quelque chose de terrible – elle s’est dit qu’il allait mourir. « Il avait fait trois overdoses en l’espace de deux semaines », dit-elle. « Il s’est réveillé sur le pont menant à Long Beach avec une aiguille dans le bras. J’avais l’habitude d’écouter à la porte pour voir s’il respirait. » Elle n’a jamais pensé que Reid braquerait une autre banque. Elle n’a jamais pensé non plus à le quitter. « Si j’avais une excuse pour quitter Stephen – s’il avait été un salaud violent qui se baladait avec d’autres femmes – je l’aurais fait », dit-elle. « Mais je sentais que c’était comme quitter une personne malade. Dès qu’il n’était plus sous l’emprise de son addiction, il redevenait la personne que je connaissais. » Musgrave n’avait jamais connu d’autres toxicomanes avant Reid, elle n’avait donc jamais été confrontée à la vérité brutale selon laquelle l’addiction ne s’arrête jamais. « Ce que j’ai appris », m’a-t-elle dit, « c’est que vous ne savez jamais rien des gens qui vous sont proches. » De retour en prison, Reid était plus bas qu’il ne l’avait jamais été, mais son désespoir représentait une chance de salut. L’une des conditions de sa condamnation en tant que criminel violent était la visite obligatoire d’un psychologue, et lors de ces séances, il a commencé à se confronter à son passé d’une façon nouvelle. Ceux qui connaissaient le Stopwatch Gang, qui avaient lu les livres et les articles de presse, et qui avait vu les reportages télévisés, ne connaissaient que cette version de l’histoire de Stephen Reid : un jeune toxicomane fugue de chez lui et braque des banques pour payer les frais de son addiction. Il rencontre deux autres criminels typiques, Paddy Mitchell et Lionel Wright, et ensemble, les trois gentlemen-bandits affûtent leur art du braquage de banque, dérobant avec panache et sans faire de mal à personne. Pour Reid, l’histoire correspond, le cambriolage devient son addiction – il est contraint de commettre plus de crimes. Mais cette addiction est plus intense que la vie. Il y a beaucoup de vérité là-dedans. « Pendant un braquage, vous êtes totalement vivant, d’une manière ancestrale », me dit Reid.
Reid a été, comme tant de criminels et de toxicomanes endurcis, une victime avant de devenir un coupable.
Cependant, lors de ses séances avec le psychologue de la prison, une histoire de son passé plus sombre, plus nuancée, a commencé à prendre forme. Après la mort de ses parents, Reid a décidé de partager cette histoire avec le public. « C’est là que je me suis senti assez libre pour écrire », m’a-t-il dit. « Ils auraient considéré ça comme leur échec. Je pense que je les avais déjà fait assez souffrir. » Reid a publié un recueil d’essais intitulé A Crowbar in the Buddhist Garden, dans lequel il fait la description de sa rencontre avec un docteur de la région nommé Paul, qui a fait des avances à Reid, alors âgé de 11 ans, en le faisant monter dans une Thunderbird décapotable et en l’invitant dans sa maison luxueuse. « Il avait des tapis rouges à poils longs et un réfrigérateur plein de choses comme du vin et du fromage », dit Reid. « Il est allé à Acapulco. » Paul s’est mis à donner de l’alcool à Reid, puis de la morphine, d’abord sous forme de pilules, et ensuite par injection. Il a aussi commencé à abuser sexuellement du jeune garçon. Reid est rapidement devenu accro, et il comptait sur Paul pour fournir les drogues. « Je vivais encore à la maison, partageais un lit avec mon frère, et mangeait du porridge au sucre brun chaque matin dans la cuisine pleine de monde », écrit Reid. « Mon histoire est plus que celle, interrompue, d’un garçon. Ce n’est pas ce que Paul m’a pris, c’est ce que j’ai gardé : le mensonge selon lequel la clé des portes du paradis était une seringue pleine. Avec les milliers de seringues que j’ai vidées dans mon bras depuis, les seules portes que j’ai jamais ouvertes sont celles qui mènent en prison. »
Quand Reid est arrivé à la puberté, Paul l’a rejeté pour d’autres garçons plus jeunes. Reid était devenu un véritable toxicomane à cette période, et il s’est fait rejeter par l’homme qui était sa source. Le reste de sa vie – la fugue de chez lui, les vols pour acheter la drogue, tout ce qui a suivi, peut être relié à ce moment. « Je m’en suis voulu pendant des années », me dit Reid lors de l’une de nos nombreuses rencontres. « En ressassant, comme si j’avais été un adulte prenant la décision d’avoir une relation avec cet homme. » Musgrave ne savait presque rien de l’abus sexuel jusqu’à l’arrestation de Reid, et même là, il ne le lui a raconté qu’avec hésitation, en divisant les informations en semi-vérités avant d’être totalement honnête avec elle. « J’imagine que chaque histoire a son horreur », m’a dit Musgrave. « Parfois ce sont de mauvaises décisions, mais pas toujours. Je suppose que c’est une mauvaise décision de monter dans la voiture avec un homme. » Mais en cela, l’expérience formative de la vie de Reid, il était, comme tant de criminels et de toxicomanes endurcis, une victime avant de devenir un coupable. Reid refuse de présenter sa vie en se mettant dans le rôle de la victime. Ce que Paul lui a fait, dit-il, était « monstrueux », mais il ne pouvait tenir l’homme responsable de tout ce qui s’est passé ensuite. « Je suis sûr que ça ne m’a pas aidé, mais j’ai toujours cru qu’on vivait dans l’arène des choix, et j’ai fait beaucoup de choix qui m’ont amené là où j’en suis maintenant », dit-il. Il se soupçonne d’avoir eu de bonnes chances de prendre de la drogue dans tous les cas. « J’ai aimé la drogue pour son côté hédoniste, et j’ai pris beaucoup de décisions en me basant là-dessus. La personne la plus égocentrique du monde est un toxicomane. J’ai grandi à une période narcissique, et je suis devenu tout ça. »
Recoller les morceaux
Au début de l’année 2014, Reid a été relâché de l’établissement William Head et placé en liberté conditionnelle de jour pour la durée finale de son incarcération. Il est libre d’aller et venir, tant qu’il rentre à la maison de réinsertion sociale avant 22 heures. Là, dans le manoir imposant mais mal entretenu d’un vieux médecin donnant sur le détroit de Juan de Fuca, Reid occupe une chambre aux murs nus et aux fenêtres en saillie faisant face au port. Il dort sur un lit simple et les jours où il n’a rien à faire, il trompe l’ennui en fabriquant des tambours, recourant à une méthode traditionnelle qui lui a été enseignée par des détenus indigènes en prison. Lorsque je le rencontre, Reid s’attend à être totalement remis en liberté au printemps, très probablement au milieu du mois de mars. En vérité, on lui a déjà accordé la liberté conditionnelle une fois auparavant, en 2008.
Il s’apprêtait à retourner à son ancienne vie quand il a commis une erreur stupide, en commandant une bière pour accompagner son cheeseburger, un chaud après-midi de mai. La serveuse, qui avait déjà travaillé dans une blanchisserie de prison, savait que l’abstention de l’alcool était une condition de base de la liberté conditionnelle. Elle a rapporté la violation à l’agent de libération conditionnelle, et Reid a purgé 47 mois supplémentaires à William Head pour avoir violé leur accord. « Maintenant, je commande un Coca Light avec mon hamburger », dit-il. Ces jours-ci, Reid se lève tôt chaque matin et se rend à la treehouse où sa belle-fille, Charlotte Musgrave, vit avec ses deux jumelles. Reid s’occupe des enfants et aide à entretenir la maison ; il emmène sa vieille belle-mère, qui ne vit pas loin, à l’épicerie. À quelques semaines d’intervalle, l’agent de libération conditionnelle de Reid lui accorde la permission d’aller à Vancouver pour travailler sur sa pièce de théâtre, et pendant les vacances, on lui donne des permis plus longs pour prendre le ferry jusqu’aux îles, afin de rester avec sa femme. Mais la plupart des jours sont passés ici à Victoria, à essayer de construire une nouvelle vie tout en étant entouré de rappels de l’ancienne. « Je sors chaque matin et je vais tout de suite au tournant où cet homme se trouvait », a dit Reid, en faisant référence au policier à moto sur qui il a tiré dans sa tentative désespérée de s’échapper. « Ça me rappelle souvent ce jour-là. »
Ce braquage bâclé était le résultat d’une série d’erreurs, que Reid n’aurait jamais commises s’il avait été dans son état normal. Je suggère qu’à mes yeux, ça semble surtout avoir été le produit d’un manque de chance – manque de chance qu’une policière passe justement devant la banque lors d’une ronde à pied quand il la cambriolait, manque de chance qu’une autre voiture de patrouille se trouve à deux pas de là, et manque de chance que l’itinéraire de fuite qu’il favorisait ait été bloqué par une calèche tirée par des chevaux. Mais Reid sait que chacune de ces choses aurait pu être anticipée avec une préparation plus méticuleuse. « La plupart du temps, ce n’est pas que le manque de chance nous tombe dessus », explique-t-il. « C’est nous qui le provoquons. » Il regrette encore de ne pas avoir engagé une femme pour s’asseoir dans une grosse voiture à l’angle jouxtant la banque, avec l’instruction de se positionner au milieu de la route une fois que la voiture de fuite serait passée. À l’arrivée des policiers, elle aurait crié : « Oh mon dieu ! Ils sont partis par là ! » et indiqué la direction opposée. Son esprit est souvent revenu à la dizaine de balles qu’il a tirée sur l’agent de police à moto, un vétéran de 28 ans nommé Bill Trudeau qui était chargé de la circulation lorsqu’il a reçu l’alerte pour le braquage. Il jure qu’il n’a pas voulu lui faire de mal, qu’il avait visé vers le haut, trois bons mètres au-dessus du casque du policier. « Je voulais juste qu’ils arrêtent de me poursuivre », assure Reid. « Je savais ce que je faisais, même ça, ça a foiré. Seulement, je ne voulais pas qu’ils m’attrapent. » Dans ses cellules de prison, Reid se demandait souvent s’il n’avait pas prévu d’échouer. « J’ai détruit mes deux vies en même temps », dit-il – à la fois la personne et le personnage : Stephen Reid, le mari réintégré, et Stephen Reid, le braqueur de banque légendaire.
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L’après-midi de notre première rencontre, Reid et moi marchons le long d’une plage recouverte de bois flottant, à l’extrémité de la baie des Anglais, à Vancouver. Le vent hivernal souffle fort, et Reid a mis une écharpe de soie blanche couverte de petits cranes et de couronnes noirs autour du cou. Pendant le déjeuner, il a été heureux de revivre les jours de gloire avec moi, mais à présent il semble vouloir rétablir les faits. Pendant les nombreuses années qui se sont écoulées depuis que le Stopwatch Gang est apparu pour braquer des banques, dit-il, l’histoire des exploits du groupe est devenue un mythe. Concrètement, il y a des portions de l’histoire du Stopwatch Gang qui resteront toujours floues. La comparaison des versions provenant des entretiens avec Reid, des descriptions du livre de Mitchell, et de rapports divers a parfois apporté plus de questions que de réponses. Et le seul homme susceptible d’aider à clarifier les incohérences, Lionel Wright, est introuvable. Depuis sa libération en 1994, Wright n’a parlé à aucun journaliste. Ses amis l’ont perdu de vue, et je n’ai même pas été en mesure de déterminer dans quel pays il vivait. Mais ce qui dérange Reid n’est pas tant les détails du passé que dans la façon dont tout a été manipulé. « Ce que je comprends, c’est qu’il y a des faits et qu’il y a des vérités, et ce sont souvent deux choses très différentes », dit Reid. « On s’est fait un bon nombre de banques – pas autant que ce dont le FBI nous tient pour responsables. Dans mes moments de bravade, j’ai admis davantage que ce qu’on a probablement fait. Ce n’est pas si grand que ce que tout le monde suggère, mais on a vraiment marqué les esprits. On vivait comme des rock stars, et on a savouré cette période. »
Cependant, Reid ne peut plus tolérer l’idée selon laquelle ils n’étaient pas dangereux. On se souvient souvent de Paddy Mitchell comme d’un héros du peuple, « le bandit gentilhomme » au pistolet non chargé. Mitchell aimait raconter aux journalistes que le gang s’engageait toujours dans un braquage sans une cartouche dans la chambre de leurs armes, pour que personne ne puisse leur en voler une et s’en servir contre eux. L’histoire a été avancée pour prouver leur bienveillance intérieure. Et même s’il est vrai qu’aucun des trois hommes ne comptait tirer sur qui que ce soit, me dit Reid, le truc de la chambre vide, c’est « des conneries ». « C’est sûr qu’on aurait tiré sur quelqu’un si on y avait été obligé. Heureusement, on n’a jamais eu à le faire. » Mais il y a aussi un genre de mal psychologique qui semble inquiéter Reid. On dirait qu’il s’agite un peu, essayant de se libérer d’un poids. « Avant, je me consolais, quand je lisais les déclarations des témoins, quand je les entendais dire qu’ils se sentaient en sécurité entre nos main », dit-il. « Mais comment pouvez-vous vous sentir en sécurité quand quelqu’un vous braque un pistolet dessus ? » Voir les choses autrement, tout comme Reid auparavant, revient à éviter la réalité de ce que vous êtes et de ce que vous faites. « C’est du déni. Vous rentrez et vous mettez un tas de gens – parfois des femmes et des enfants – sur le sol, alors vous ne pouvez pas vous prendre pour un personnage romantique. On ne prend pas tout cet argent pour distribuer des bourses d’étude aux pauvres. On l’emporte à Vegas et on le dépense sur des prostituées et de la cocaïne ! »
Pendant des années, Reid a cultivé le mythe du Stopwatch Gang. Il a contribué à perpétuer l’idée que le braquage de banque ne faisait aucune victime, car les banques étaient assurées. Beaucoup trouvaient irrésistible l’histoire d’un célèbre braqueur de banque qui a échappé aux forces de police nationales et a mené la grande vie grâce à l’argent volé pendant presque une décennie, explique Reid, et il a misé là-dessus. « J’ai joué le jeu de cette foutue histoire idiote du braqueur de banque qui prévoyait les choses méticuleusement pour que personne ne soit blessé. C’était une idée romantique, mais on a fait ça pour obtenir beaucoup d’argent. On ne voulait pas travailler pour le gagner. » « C’est un mythe que j’ai commencé à détester », poursuit Reid. « Je m’y suis perdu et je me suis finalement retrouvé très seul et séparé du monde. » Mitchell et Reid se sont régulièrement échangé des lettres durant des années, même quand Mitchell était en cavale. Inspiré par son vieil ami, Mitchell s’est lui aussi mis à l’écriture, derrière les barreaux. « J’ai besoin de toi, mon ami », a-t-il écrit à Reid en 1996. « La seule chose qui me permettra sortir d’ici et de retourner au Canada pour retrouver mes proches est une chose spectaculaire ! Et la seule chose à laquelle j’arrive à penser, c’est un livre. Je travaillerai d’arrache-pied, mais j’ai besoin de ton aide. »
Lors d’un rare appel téléphonique de Lionel Wright, Mitchell a parlé de ce qu’il faisait. La réaction de Wright a été la surprise – il se demandait, a écrit Mitchell dans une lettre à Reid, « pourquoi je tenais à ressasser toutes ces histoires du passé ». La réponse était simple. « Je ne connais rien de plus que ce que j’ai vécu – et c’est le sexe, la drogue, le braquage de banque et le rock and roll. » Lorsqu’il a terminé, Mitchell a envoyé un extrait de l’autobiographie à Reid, qui a dit qu’il en publierait une partie dans une revue littéraire qu’il éditait. Cependant, lorsqu’il a suggéré quelques modifications, Mitchell s’y est opposé, et l’écrit n’a jamais été publié. Reid n’a toujours pas lu l’intégralité du livre. « Il était mon meilleur ami du monde, et il le sait », me dit Reid. « Je l’ai connu d’une manière que personne d’autre ne connaît, d’une façon très nue. Je pense que je suis probablement en colère contre lui parce qu’il n’est pas authentique – et peut-être qu’il l’a été par la suite. Il a vécu jusqu’à l’âge que j’ai maintenant. » Enfermé avec peu d’espoir, Mitchell s’est concentré sur sa santé. Il a couru plus que jamais. Et il adorait s’en vanter auprès de son vieil ami, à présent libre et prospère. « On peut vivre encore 50 ans de plus sans être un poids pour qui que ce soit si on prend soin de nous-mêmes », a écrit Mitchell à Reid en 1996. « Maintenant ! Change tes habitudes. Vivre sainement, c’est ce qu’il faut. » Au début de l’an 2006, Mitchell a remarqué une bosse sous ses côtes. Il l’a fait savoir à l’équipe médicale de la prison, et on lui a dit de ne pas s’inquiéter. Lorsque la bosse a grossi, on lui a diagnostiqué un cancer et on l’a envoyé à l’établissement correctionnel fédéral de Butner, en Caroline du Nord, où tous les détenus malades sont placés. Sa dernière lettre à Reid est arrivée aux alentours de Noël. Elle était courte et quasi illisible, écrite sur une demi-feuille jaune. Sa dernière ligne : « Quelle vie on a eue, pas vrai ? »
Il est mort le 14 janvier 2007, à l’âge de 64 ans. La mort de Mitchell derrière les barreaux a profondément affecté Reid. « Ses bonnes vieilles lettres m’ont manqué, ces vagues d’enthousiasme de 15 à 20 pages sur tous les sujets allant de “l’incroyable buffet de salade ici à Leavenworth” aux joies de “courir un kilomètre et demi en huit minutes ! Juste avant la bouffe !” » a écrit Reid dans son essai, The Art of Dying in Prison (« L’art de mourir en prison »). Mitchell était grand-père lorsqu’il a finalement été arrêté. Son fils Kevin avait deux garçons, et Mitchell – avec le soutien de beaucoup de personnes, dont Stephen Reid – a prié le gouvernement américain de le transférer au Canada, afin qu’au moins ils puissent lui rendre visite et le connaître. On le lui a refusé cinq fois. « Pat et moi partagions des vies si inextricablement liées que sa mort semblait ouvrir pour moi la voie de l’acceptation de l’inéluctabilité de ma propre mort », a écrit Reid. « Il m’est devenu possible de regarder la fin de la vie en face. » Reid a lutté contre sa mortalité des années durant. Il a survécu à des overdoses multiples et, en 2009, a subi une chirurgie de pontage quintuplée, passant 14 heures sur le billard. Il a eu 65 ans le 13 mars 2015. Reid me jure qu’il ne fera pas tout capoter cette fois. « Je fais partie intégrante de ma famille maintenant », dit-il. « Des gens qui veulent de moi dans leur vie et ont besoin de moi. » Il y a une note de stupéfaction dans sa voix. Il a conscience du fait qu’il aurait dû tout perdre, mais que d’une façon ou d’une autre, miraculeusement, ce n’est pas arrivé. Il a reçu une nouvelle chance alors qu’il aurait dû ne plus en avoir, et il le sait. « Beaucoup de gens expriment des remords et pensent que puisqu’ils le font, ils sont des gens biens, au fond d’eux », explique Reid. « Il s’agit de bien plus que d’exprimer ou de ressentir du remords. Il s’agit de recoller les morceaux qui restent et d’avancer. Alors c’est ce que j’ai fait. »
Traduit de l’anglais par Imane Agnaou, Caroline Bourgeret et Arthur Scheuer d’après l’article « The Life and Times of the Stopwatch Gang », paru dans The Atavist Magazine.
Couverture : Stephen Reid aujourd’hui (Don Denton)
CE BRAQUEUR GREC EST INSAISISSABLE
Vassilis Paleokostas est l’un des hommes les plus recherchés d’Europe. Braqueur virtuose, généreux avec les plus démunis, il échappe aux autorités depuis 35 ans.
Les braquages ont repris un mercredi. Un homme masqué conduit un fourgon volé dans les rues tranquilles d’Aspra Spitia, en Grèce-Centrale, désordre d’immeubles blancs aux fenêtres noires et carrées, tel un jeu de dominos tombé dans le golfe de Corinthe. Après s’être garé devant une agence de la Banque nationale grecque, il pénètre dans l’enceinte du bâtiment armé d’un fusil AK-47. Il ordonne au personnel d’ouvrir le distributeur automatique de billets, dérobe 150 000 euros, et s’empare ensuite de 100 000 euros dans la caisse, avant de prendre la fuite.
Nous sommes en février 2010 et l’économie grecque traverse une crise causée, selon bon nombre de gens, par l’avidité et la corruption au sein des banques. Un homme était en train de les faire payer. En octobre, il est soupçonné d’être responsable des braquages de deux banques au cours de la même journée. À Eginio, près de Thessalonique, un voleur à main armée pénètre dans la Banque nationale grecque en défonçant les fenêtres, puis réitère son geste à la Banque agricole située à peine 100 mètres plus bas dans la même rue, et s’esquive avec 240 000 euros. Et puisque aucun blessé n’est à déplorer – fait inhabituel lors d’un braquage en Grèce –, les autorités tirent la conclusion suivante : « Il est fort probable que ce soit le fait de Vassilis Paleokostas. » En trente ans de délits, l’homme connu comme le Robin des Bois grec a dérobé des millions aux banques publiques et kidnappé des industriels pour distribuer généreusement de l’argent aux plus démunis. Bien qu’il ait peu de choses en commun avec d’autres bandits célèbres – comme Ned Kelly ou Billy the Kid –, revendiquant le fait de n’avoir jamais blessé personne durant l’un de ses exploits, il n’en demeure pas moins l’un des hommes les plus recherchés d’Europe. Un des ses anciens compagnons de cellules, Polykarpos Georgiadis, se rappelle de lui : « Les criminels arrachent les sacs à main des vieilles dames. Vassilis avait d’autres standards : c’est un bandit accepté socialement et un héros. » Mais tout comme Robin des Bois, Vassilis Paleokostas est méprisé par les autorités auxquelles il s’attaque. Elles font de lui le portait d’un terroriste violent, et les journalistes grecs ont jusque là été réticents à raconter son incroyable histoire.