Le changement

Le 23 mars 2010, le président Barack Obama a signé le Patient Protection and Affordable Care Act, la loi sur l’assurance maladie et les soins abordables, une réforme sur la santé de 906 pages connue sous le surnom d’Obamacare. Cela représentait, selon les mots qui ont échappé au vice-président Joe Biden à l’adresse de son patron, saisis par un micro ouvert, un « enjeu de taille » –pour l’histoire, Biden s’est précisément exclamé avec emphase : « This is a big fucking deal ! » Le dispositif Obamacare allait couvrir des millions de personnes jusque là sans couverture maladie, un pas de géant pour les Américains vers l’idéal démocratique de la santé pour tous. Cela incluait également des dizaines de dispositifs de moins grande envergure, destinés à enrayer l’envolée des coûts du système de santé et à transformer l’offre de soins dysfonctionnelle des États-Unis. Le genre d’enjeu de taille qui compose les mandats présidentiels majeurs, même si la loi a péniblement taillé sa route jusqu’au Congrès où elle n’a récolté aucune voix républicaine, et que peu d’Américains ont réellement compris ce qu’elle contenait.

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Barack Obama au moment de la promulgation d’Obamacare
Crédits : Pete Souza

Un nombre encore plus restreint d’entre eux a saisi l’objet du Health Care and Education Reconciliation Act, la loi sur la réconciliation entre les soins et l’éducation, le dispositif additionnel qui concluait officiellement le corpus de lois Obamacare. C’est un texte de loi étrange que les Démocrates ont ficelé pour contourner un blocage des Républicains. En substance, c’était un rajout de dernière minute – le New York Times a publié un article consciencieux à son sujet après la promulgation au Congrès – mais, ainsi que l’a fait remarquer Obama lorsqu’il l’a signé la semaine suivante à l’université de Virginie du Nord, il incluait un autre enjeu majeur. « Ce qui a été négligé dans tout ce battage, dans toute la comédie de la semaine dernière, c’est ce que cela change pour l’éducation », a-t-il déclaré. Oui, l’éducation. Discrètement glissée dans la manœuvre parlementaire qui a renfloué sa loi sur la santé figurait une réforme d’une toute aussi grande ampleur, portant sur le programme de prêts étudiants et son portefeuille de mille milliards de dollars. Lorsque Jill, la femme de Biden, professeure à l’université de Virginie du Nord, a introduit Obama ce jour-là, elle a qualifié la réforme de « texte de loi historique ». Quant au leader républicain John Boehner, de l’Ohio, il s’est exclamé : « Aujourd’hui, le président signera non pas un, mais deux textes destructeurs d’emplois passés en force par le gouvernement. »

L’Obamacare n’a pas réellement été un passage en force, mais cela a été le cas pour la refonte du système d’emprunt étudiant ; il a arraché le programme des mains de l’entreprise Sallie Mae et des autres prêteurs privés qui engrangeaient d’énormes commissions sans trop encourir de risque en retour. Le texte de loi a ensuite détourné ces économies de budget vers une augmentation de 36 milliards de dollars pour les bourses Pell dédiées aux étudiants à faibles revenus, ainsi qu’un effort aussi habilement dissimulé que considérable vers le soulagement de la dette étudiante, par un transfert de la charge des frais d’université depuis les emprunteurs en difficultés vers le contribuable. Tout cela formait les composantes de la révolution dans la manière dont les États-Unis allaient financer l’éducation supérieure, totalement occultée par le battage et la comédie qui avaient eu lieu autour du système de santé.

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Le portrait présidentiel officiel d’Obama en 2009
Crédits : Pete Souza

Durant ces sept dernières années, les Américains en ont entendu de belles à propos de Barack Obama et de son mandat, mais le contenu de sa politique intérieure et ses répercussions sur le pays restent largement incomprises. Il a mis sur les rails un certain nombre de révolutions discrètes – au contraire de certaines d’entre elles qui ont fait plus de bruit et qui n’ont que très peu changé l’ordre établi. Obama est souvent critiqué pour ses échecs et sa tendance à aller jusqu’au bout de sa rhétorique d’espoir de changement, qui a rallié tant de voix lors de son accession à la présidence. Mais un aperçu de ses réalisations montre que l’ère Obama a produit beaucoup plus de changements de fond que ne le réalisent la plupart de ses partisans et de ses détracteurs confondus. Il est vrai qu’Obama n’est pas arrivé à laisser derrière lui la politique partisane, dont il avait promis de se défaire pendant sa conquête « yes, we can » de la Maison-Blanche. Washington reste plus en proie aux politiques partisanes et aux divisions que jamais. Mais il a également promis un changement radical de la politique, se jurant de réinventer la manière dont les États-Unis traitent les problèmes comme la santé, l’éducation, l’énergie, le climat et la finance ; et cette promesse-là, il l’a tenue.

Lorsqu’on additionne les lois de ses deux premières années, hyperactives, lorsque les Démocrates tenaient encore le Congrès, ainsi que toutes les actions méthodiques de l’exécutif de ces cinq dernières années, après que les Républicains lui ont entravé la voie législative, cette présidence a été conséquente : un profond changement de cap initié par une mobilisation sans relâche du gouvernement. En tant que candidat, Obama a souvent été taxé de beau-parleur, un virtuose des belles paroles sans véritable réalisation à son actif. Mais depuis qu’il a pris ses fonctions, au cœur d’une sévère crise économique, il s’est révélé être un faiseur, un politicien tourné vers l’action au quotidien, qui a souvent sous-estimé la communication sur les actions qu’il a menées. Ce qu’il a réalisé modifie la façon dont les Américains produisent et consomment l’énergie, la façon dont les médecins et les hôpitaux les soignent, les standards académiques de leurs écoles, et la trajectoire fiscale à long terme du pays. Les personnes homosexuelles peuvent à présent servir ouvertement dans l’armée, les assureurs ne peuvent plus refuser de couvrir quelqu’un en raison de son état de santé antérieur, les fournisseurs de cartes de crédit ne peuvent plus imposer de frais cachés et les marchés ne croient plus que les géants de la banque sont trop gros pour qu’on les laisse s’écrouler. Les installations d’énergie solaire ont augmenté de 2 000 % et les émissions de carbone ont chuté malgré une croissance de l’économie. Même des Républicains comme Ted Cruz et Marco Rubio, qui espèrent succéder à Obama et s’attaquer à ses réalisations, se sont plaints durant leurs campagnes respectives qu’il avait accompli la majeure partie de son programme. « Le changement a bien eu lieu », dit Ron Klain, qui a officié en tant que chef de cabinet de Biden à la Maison-Blanche, puis comme responsable de la gestion de la crise Ebola nommé par Obama. « Il serait bon que davantage de gens en prennent conscience. »

Dans un environnement médiatique obsédé par le conflit qui n’est pas précisément idéal pour une analyse pertinente de la politique, la méthode technocratique de changement d’Obama a eu tendance à se faire plus opaque que, disons, le plan de Donald Trump concernant l’érection d’un mur le long de la frontière mexicaine ou la promesse d’une université gratuite pour tous par Bernie Sanders. Parfois, cette complexité a jeté un voile sur son ambition. Dans d’autres cas, cette ambition n’a pas survécu à la rhétorique d’Obama ; car tout n’a pas changé sous la présidence d’Obama. Par exemple, il a longuement prêché l’élimination de programmes trop dilapidateurs, mais mis à part la suspension du F-22 fighter jet, un hélicoptère présidentiel au coût outrancier, et la fermeture d’un agent de régulation corrompu et irrécupérable – l’Office of Thrift Supervision, ou Bureau de contrôle de l’épargne –, il n’a pas fait grand chose en ce sens.

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Le président Obama défend sa réforme sur la santé devant le Congrès
Crédits : Lawrence Jackson

La chose la plus évidente ayant été négligée par Obama a été de mettre en place une nouvelle ère d’enthousiasme public envers l’action du gouvernement et le Parti démocrate. Il a été réélu avec une marge confortable, mais les Républicains conservateurs ont repris les deux chambres du Congrès et ont opéré d’importantes conquêtes à la tête de différents États, surfant sur une puissante vague d’hostilité au pouvoir fédéral. Cet héritage pourrait mettre en péril certains dispositifs de loi d’Obama si un Républicain était élu pour lui succéder. Cela a déjà eu pour effet de contrecarrer les mesures de contrôle des armes qu’il voulait mettre en place et la réforme sur l’immigration, tout en contraignant Obama à accepter des coupes radicales dans le budget. Mais il est important de noter qu’Obama a souvent obtenu ce qu’il voulait, concernant des politiques qui avaient pour la plupart été préconisées par des Démocrates (et parfois des Républicains modérés) depuis des décennies, avant de glisser entre leurs doigts pour disparaître du radar. Il est de notoriété publique qu’Obama a renfloué les constructeurs automobiles, instauré un énorme programme de relance de l’économie, signé la plus considérable révision des réglementations bancaires depuis la Grande Dépression, mis à l’arrêt le pipeline Keystone XL et présenté une réglementation carbone historique pour lutter contre le changement climatique. Mais peu d’Américains sont conscients des avancées de son administration dans la répression des organismes de faux diplômes, de l’inefficacité des moteurs industriels et des conflits d’intérêts des conseillers en investissement. Le site internet d’Obamacare a été un désastre, mais peu de gens savent qu’Obama a engagé certains des meilleurs ingénieurs de la Silicon Valley pour remédier à ses dysfonctionnements, afin de tester et d’amorcer un service numérique américain, un effort colossal pour faire entrer la technologie du gouvernement dans le XXIe siècle.

J’ai passé beaucoup de temps à étudier les obscurs changements de politique de l’Obamasphère. J’ai écrit un livre sur cette impulsion Obama, Le Nouveau New Deal, et j’ai assisté l’ex-secrétaire du Trésor Tim Geithner à la rédaction de ses mémoires. Mais même si le sous-titre de mon livre est L’Histoire secrète du changement pendant la période Obama, je n’avais pas conscience de la portée de ce changement avant d’avoir parcouru des centaines de pages de rapports et interviewé des dizaines de ses auxiliaires passés et actuels pour l’écriture de cet article. Je me rappelais que le président Bill Clinton avait mené une croisade pour que l’organisme de contrôle des produits alimentaires et des médicaments régule le tabac, mais j’étais passé à côté du fait qu’Obama l’avait au final concrétisé. Je savais qu’Obama avait doublé les normes de rendement du carburant pour les voitures, et je savais même qu’il faisait pression pour qu’une myriade de mandats de moindre envergure portant sur l’efficacité soient adoptés. Mais j’étais loin de me douter qu’une seule de ces règles, ciblant les appareils d’air conditionné d’entreprise, allait à elle seule réduire la consommation d’énergie des États-Unis d’1 %.

L’approche d’Obama a fini à la fois par galvaniser ses adversaires républicains et par décevoir beaucoup de  Démocrates.

En interne, Obama a mis un point d’honneur à se démarquer dans son approche de celle, plus « petit joueur », de Clinton, déclarant à ses assistants qu’il ne s’était pas porté candidat pour promouvoir des uniformes scolaires. Prenez ces 800 milliards de dollars de relance, qui ont donné le ton de sa présidence – du genre à viser la Lune, lors de son tout premier mois. Son objectif principal était de sauver l’économie, mais ainsi que son chef de cabinet Rahm Emanuel aimait à le dire, cette politique était également agrémentée des succès d’une administration entière. Au contraire, Clinton s’était débattu sans résultat lors de son mandat pour un plan de relance d’à peine 16 milliards de dollars, soit juste l’équivalent des projets de lignes haut débit et du train à grande vitesse, qui ne sont que deux des nombreuses composantes du plan de relance d’Obama. Un vétéran qui a officié aux côtés des deux présidents a résumé leur différence par le fait que Clinton mettait davantage en valeur les résultats de son travail, tandis qu’Obama était trop occupé pour ça à cause de son travail. « Les gens disaient toujours : “Pourquoi ne parle-t-on pas de cette super réalisation ? Sous Clinton, on s’en serait glorifié pendant des semaines !” » se remémore Jon Favreau, l’auteur des discours d’Obama lors de son premier mandat. « La réponse était habituellement : “Parce qu’il y a des millions d’autres choses sur le feu.” »

Pourtant, l’approche d’Obama, plus orientée vers l’action politique, a fini à la fois par galvaniser ses adversaires républicains, qui l’ont dépeint comme « un gauchiste à l’Européenne » lancé dans un désastre orchestré au niveau gouvernemental, et par décevoir beaucoup d’élites démocrates, qui ne voient dans sa présidence qu’une série de demi-mesures inefficaces. Son gouvernement a lutté pour tenter d’expliquer certains résultats complexes qu’il avait obtenus, comme les chambres de compensation pour les marchés dérivés, les règles portant sur la neutralité du Net ou le statut légal temporaire accordé aux immigrants sans papiers arrivés enfants aux États-Unis. Il a été difficile de s’en sortir dans les détails politiques quand tant de regards étaient tournés vers la Grande Récession, le renouveau des Républicains, les guerres de budget partisanes qui ont fait rage depuis 2011, ainsi que d’autres scandales à Washington. Sa politique étrangère – le retrait des troupes d’Afghanistan et d’Irak, la situation en Russie et en Syrie, les ouvertures à l’Iran et à Cuba, la mort d’Oussama Ben Laden, un traité économique côté Pacifique et l’accord global sur le climat à Paris – a également détourné l’attention de son travail sur l’intérieur. Mais après sept ans à voir les choses en grand, les résultats sont pour le moins évidents. L’économie perdait 800 000 emplois par mois lorsqu’Obama est arrivé au pouvoir ; elle bénéficie maintenant d’un record de 69 mois consécutifs de croissance de l’emploi dans le secteur privé, bien que les économistes soient en désaccord sur le rôle effectif d’Obama dans cette amélioration, et que l’augmentation des salaires se montre toujours très timide. Le déficit américain a baissé de presque 1 000 milliards de dollars, et la solvabilité à long terme de Medicare a été prolongée de treize ans. L’industrie automobile revenue d’entre les morts a produit 11 millions de véhicules en 2014. Les organismes fédéraux ne peuvent plus faire de discrimination contre les homosexuels, les femmes peuvent à présent servir dans l’armée et les riches paient davantage d’impôts. Une nouvelle autorité de protection financière des consommateurs réprime les courtiers en crédit peu scrupuleux, les prêteurs sur salaire et autres artistes de l’extorsion, et le système financier a beaucoup moins de marge pour les opérations hasardeuses.

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Les États-Unis ont considérablement réduit leurs émissions de carbone
Crédits : barackobama.com

Avant Obama, les Américains consommaient plus d’énergie par an ; à présent, ils utilisent moins d’énergie et une plus grande part de celle-ci est verte. Les importations de pétrole ont baissé de 60 % par rapport à 2008, plus d’un tiers des centrales à charbon ferment, et les ventes de DEL ont été multipliées par 50. L’augmentation des coûts de santé et le taux de personnes non couvertes ont chuté pour atteindre leur niveau le plus bas depuis un demi-siècle, et les médecins sont maintenant équipés d’iPad à la place de leurs blocs-notes. Les étudiants qui empruntent peuvent à présent limiter leurs mensualités à 10 % de leurs revenus charges déduites, et obtenir une remise de dette après 20 ans, des réglementations qui ont graduellement et presque en silence soulagé la crise d’endettement des étudiants. Neuf cours d’appel fédérales sur treize ont une majorité de juges nommés démocratiquement quand, en 2009, il n’y en avait qu’une seule. Les Américains peuvent ne pas être d’accord sur la part de mérite qui revient à Obama pour tout cela, ou s’il s’agit réellement d’un changement auquel ils peuvent croire. Mais le changement est bien là.

 La relance

Tôt dans sa transition présidentielle, Obama a organisé une séance de brainstorming avec son équipe des politiques à propos des accomplissements de son premier mandat. Pour tout examen objectif, Geithner a déclaré : « Ce que vous avez accompli va nous éviter une deuxième Grande Dépression. » « Ce n’est pas assez pour moi », a répliqué le président. « Je ne veux pas être défini par ce que je nous ai évité. » Cette attitude est révélatrice des deux premières années d’Obama au pouvoir, qui se sont caractérisées par la plus énergique profusion de législation depuis la Grande Société. Il voulait faire des choses, pas seulement en éviter. Il voulait être un Ronald Reagan de gauche. Et il croyait, selon les mots du maire de Chicago Rahm Emanuel, qu’il serait terrible de gâcher la crise.

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Obama face aux Républicains
Crédits : Pete Souza

Obama a commencé par une relance plus grande que le New Deal tout entier en dollars indexés. Largement tourné en ridicule à l’époque, de nombreux économistes reconnaissent à présent que ce shoot d’adrénaline à court-terme a considérablement aidé à mettre un terme à la « Grande Récession » : une aide record aux plus vulnérables qui a tiré immédiatement 13 millions d’Américains de la pauvreté ; une aide record aux États qui a évité le licenciement de 300 000 enseignants ; des projets de rénovation qui ont remis en état 67 600 kilomètres de routes, 2 700 ponts et près de 10 000 kilomètres de rails ; ainsi qu’environ 300 milliards de dollars de réductions fiscales pour des entreprises et des familles. Mais sans tambour ni trompette, la relance a également grossi le budget programme à long-terme d’Obama visant à remodeler le pays. Cela a eu pour effet de transformer le secteur américain de l’énergie propre, un injectant la somme incroyable de 90 milliards de dollars dans les énergies renouvelables et d’autres priorités vertes longtemps négligées, tout en donnant naissance à une nouvelle agence de recherche appelée ARPA-E, pour conduire des recherches avancées sur l’énergie. Le seul investissement qui a attiré l’attention des médias du pays était un prêt raté de 535 millions de dollars au fabricant d’énergie solaire Solyndra, mais c’est ce même programme de prêt qui a permis de financer neuf des plus grandes fermes solaires du monde, entre autres projets – le portefeuille global est prospère. La relance verte a permis de quadrupler la puissance éolienne américaine, de mettre les 400 000 premiers véhicules électriques sur les routes, et d’amorcer la transition vers une économie faible en carbone qui a aidé les États-Unis à faire pression lors de la COP21. Pendant ce temps, le Race to the Top, un programme de subventions concurrentiel récompensant l’innovation en matière d’éducation, a eu un impact encore plus rapide sur le secteur, inspirant la plupart des États du pays à adopter au moins certaines des réformes pour l’enseignement primaire et secondaire, afin d’augmenter leurs chances d’obtenir une subvention.

Il y a aujourd’hui une réaction de mécontentement grandissante à propos des expérimentations excessives, mais d’après le Secrétaire de l’éducation sortant Arne Duncan, « le programme a changé la donne dans l’éducation avant même qu’il ne soit lancé ». Dans le même esprit, un programme incitatif de 25 milliards de dollars dans la relance pour la technologie de l’information sur la santé a permis de faire passer le système médical américain à l’ère du numérique. En 2008, il concernait 10 % des hôpitaux et 20 % des docteurs, aujourd’hui les deux sont aux environs de 80 %. Les e-prescriptions sont omniprésentes, et la numérisation commence déjà à réduire les erreurs fatales et les tests superflus causés par le travail bâclé et les dossiers égarés ou introuvables. Il y a eu des problèmes de communications entre les systèmes électroniques, causant l’agacement profond de certains docteurs, mais Farzad Mostashari, l’ancien chef de l’information sur la santé d’Obama, est confiant et d’avis que la médecine en ligne produira inévitablement les gains d’efficacité que cela a apporté aux banques ou à la façon dont les gens se rencontrent. Il dit que la grogne lui a fait penser au sketch de Louis CK « Tout est merveilleux, personne n’est heureux », dans lequel l’humoriste se moque des passagers d’un avion qui se plaignent de la lenteur du Wi-Fi au lieu de profiter du miracle que voler représente. « Sérieusement, en cinq ans, nous avons changé une approche qui prédominait dans la médecine depuis 4 000 ans », dit Mostashari. La relance a également servi d’introduction à l’Obama-isme. La pureté n’était pas une priorité. Il avait besoin de trois sénateurs républicains pour éviter l’obstruction, aussi a-t-il cédé à leurs exigences, parmi lesquelles un système de plafonnement de 800 milliards de dollars et le retrait de 10 milliards de dollars d’initiatives destinées à rénover les écoles américaines. Mais la popularité n’était pas non plus une priorité. Il a constamment mis en garde ses conseillers politiques contre le fait de lui dire ce qui marcherait, et a tenu à ce qu’on lui laisse les rênes de la politique. Il attendait de ses experts qu’ils s’en tiennent à leur domaine respectif. ulyces-obamanation-06 Mais cette ligne directrice dans la politique d’Obama – qui veut qu’une politique basée sur des données et des preuves finisse inévitablement par payer – a fini par se montrer très défectueuse. L’un des exemples flagrants en ce qui concerne la relance était le Make Work Pay, une réduction des impôts de 800 dollars pour la plupart des travailleurs. Ses économistes voulaient distribuer l’argent aux bénéficiaires en ajoutant quelques dollars par semaine sur leurs bulletins de paie, car des études avaient montré qu’ils seraient moins tenté de dépenser ce petit cadeau s’ils réalisaient qu’on leur offrait. Ses conseillers politiques ont avancé qu’il serait fou de cacher des réductions d’impôts bénéficiant à la classe moyenne plutôt que d’envoyer aux Américains de grosses enveloppes avec le nom d’Obama dessus. Mais Obama a choisi le camp de son équipe des politiques, et des sondages à posteriori ont montré que moins de 10 % des gens étaient conscients de cette réduction d’impôts. La blague veut que la relance ait été conçue par des économistes, mise en œuvre par des experts, et aimée par personne. Et ce n’est pas la seule réponse d’Obama à la crise dont les résultats ont surpassé sa réputation politique. Son plan de sauvetage de l’automobile a sauvé General Motors et Chrysler de la banqueroute et il a aidé à raviver l’industrie du Midwest. Les tests de stress pour les grandes banques de Geithner, dont on s’est beaucoup moqué, ont stabilisé un système financier qui était toujours au bord de l’effondrement malgré les renflouements de Wall Street de Bush.

Une étude récente a conclu que sans la suite de mesures d’urgence prises par le gouvernement américain, les pertes du PNB auraient triplé et le chômage aurait grimpé de 16 %. Et pourtant, ce sont précisément ces mesures d’urgence qui ont été le moteur du Tea Party anti-gouvernement à droite, tandis qu’à gauche cela a convaincu beaucoup de gens qu’Obama se souciait davantage des banques que du peuple. Ces convictions n’ont pas paru changer après qu’Obama a défendu des réformes compréhensives de Wall Street devant le Congrès, tout en aidant à concevoir de nouvelles réglementations bancaires internationales agressives connues sous le nom de Bâle III. Il est difficile d’expliquer dans quelle mesure des réformes comme les besoins de capital et de liquidités renforcés, les « dispositions testamentaires » pour le secteur bancaire, l’ « autorité de règlement ordonné », les « surtaxes SIFI » et un nouvel organisme de surveillance connu sous le nom de « FSOC » (Conseil de surveillance de la stabilité financière) ont aidé à réduire le risque de futurs plans de sauvetage, mais le résultat est que les géants de la finance ne jouissent plus de subvention liée au concept de « Too big to fail » (« trop gros pour faire faillite »). Ils l’utilisaient pour emprunter à des taux beaucoup plus bas que les petites banques car les créanciers estimaient – et ils avaient raison de le faire – que le gouvernement viendrait à la rescousse en cas de crise. Ce n’est plus le cas. Et le nouveau bureau d’aide au consommateur d’Obama est peut-être l’agence de régulation la plus influente depuis l’EPA : il a déjà collecté plus de 10 milliards de dollars d’amendes auprès d’acteurs du marché de la finance qui jouaient jusqu’ici d’une relative impunité.

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Une manifestation du Tea Party contre l’administration Obama
Crédits : Sage Ross

Néanmoins, les Républicains ont attaqué les politiques économiques d’Obama, disant que c’était un violent coup porté à la libre entreprise qui mènerait inévitablement à plus de plans de sauvetage. Dans le camps des Démocrates, beaucoup les ont critiquées car elles n’avaient pas démoli les méga-banques. Et si Obama a été déçu par le manque de reconnaissance publique pour le rôle qu’il a joué dans la sortie de la crise financière et dans l’évitement d’une crise supplémentaire, le public ne s’est pas enthousiasmé davantage pour l’accomplissement qui porte son nom.

Obamacare

Obamacare a signé la plus grande extension de l’accès aux soins de santé en Amérique depuis la création de Medicare et Medicaid, en 1965. Le système a déjà étendu la couverture médicale à quelques 18 millions d’Américains qui n’étaient pas assurés auparavant. Il a aussi refermé les failles que les assureurs exploitaient pour refuser la couverture aux Américains assurés lorsqu’ils tombaient malades. Et il a éliminé les co-paiements pour les programmes de renoncement au tabac, les pilules contraceptives, certains dépistages du cancer et d’autres soins préventifs. Comme Obama l’a déclaré, c’est cela qu’il voulait dire lorsqu’il parlait de changement. Mais derrière les gros titres sur l’accès aux soins, Obamacare a mis en place toute une série d’objectifs encore plus décisifs pour le système médical américain. Pendant des années, l’inflation des soins de santé aux États-Unis ont de loin dépassé l’inflation général, faisant porter un fardeau écrasant aux patients et aux compagnies tout en menaçant gravement le futur budgétaire du gouvernement fédéral. Les problèmes fiscaux à long-terme des États-Unis étaient presque entièrement liés aux soins de santé, et Obama était déterminé à « faire plier la courbe des coûts » des projections de dépenses de Medicare et Medicaid, qui montaient dramatiquement en flèche. Il a fait face à deux obstacles, dont le premier était politique. « Contrôler les coûts » sonnait comme un euphémisme pour « rationner les soins », et ses opposants républicains ont fait passer Obamacare pour un complot pour débrancher mémé, dépeignant le conseil indépendant qui pourrait recommander des modifications rentables à Medicare comme une « commission de la mort » bureaucratique. Et de nombreux Démocrates les prescriptions cadeaux étendant l’accès – une assistante d’Obama les surnomme les « bonbons pour la gauche » – aux conclusions qui menaçaient de réduire les revenus pour les docteurs, les hôpitaux et d’autres lobbys influents.

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Le président Johnson officialise la mise en vigueur de Medicare en présence de Harry Truman le 30 juillet 1965
Crédits : White House Press Office

L’autre obstacle au contrôle des coûts était que personne n’était certain de la façon dont il fallait procéder. Il y avait des dizaines d’idées en suspens, comme des remboursements Medicare réduits aux fournisseurs, une compétition accrue qui pourrait faire baisser les prix, et des incitations à promouvoir les visites à domicile et les médicaments génériques. Le Saint Graal était de trouver des alternatives à l’ancien système de rémunération à l’acte qui récompense les fournisseurs qui dispensent plus de soins au lieu de soins de qualité, comme des « paiements groupés » à un unique prestataire pour s’occuper de chaque épisode médical, ou des « organismes de santé responsables » qui recevraient des paiements fixes pour coordonner les soins pour des patients spécifiques. Mais personne ne savait si aucune de ces approches marcheraient, car aucune d’entre elles n’avait été mise en place auparavant. Obama a insisté pour les inclure presque toutes. Moins d’un quart de l’amendement était consacré à l’accès aux soins. Le reste était rempli avec la plupart des idées de contrôle des coûts en circulation, des nouvelles réglementations compétitives pour les fauteuils roulants jusqu’à un Centre de l’innovation gouvernemental où seraient testés les nouveaux modèles de paiements, en passant par une « taxe Cadillac » sur les régimes d’assurance-maladie coûteux parrainés par les employeurs. « Nous avons fait un genre de buffet rassemblant toutes les idées que les gens ont eu qui pourraient aider », explique Peter Orszag, l’ancien directeur du budget d’Obama. Et jusqu’ici, la courbe des coûts plie encore plus rapidement que ce dont les fonctionnaires de la Maison-Blanche avaient rêvé. Les soins de santé continuent à être de plus en plus coûteux, mais depuis 2010, le taux de croissance a ralenti si drastiquement que le bureau du Budget du Congrès américain a amputé ses prévisions des dépenses en matière de santé du gouvernement en 2020 de 175 milliards de dollars. Assez pour financer l’armée pour une année entière, ou l’EPA pour deux décennies. « Nous voulions lancer tout un tas de trucs contre le murs pour voir si ça accrocherait, ce qui sonnait probablement bidon », reconnaît Orszag. « Mais si ces résultats se confirment, ils changeront fondamentalement la trajectoire fiscale du pays. »

Obamacare reste largement conspué, bien que les tentatives des Républicains de l’abroger soient elles aussi impopulaires.

Certaines de ces expérimentations en termes de coûts semblent aussi améliorer les soins. Un rapport récent a découvert que les infections nosocomiales avec baissé de 17 % depuis 2010, quand Obamacare a créé des incitations financières pour les hôpitaux qui les éviteraient. On estime que cette réduction a sauvé 87 000 vies et permis d’économiser 20 milliards de dollars. Un effort similaire pour favoriser une meilleure gestion des patients libérés a coïncidé avec un déclin du taux de réadmissions hospitalières qui permettent à 150 000 patients Medicare de plus de rester chez eux chaque jour, d’après Meena Seshamani, directrice de l’administration du bureau de la Réforme des soins de santé. Sous Obamacare, environ un cinquième des patients Medicare sont déjà passés à des alternatives au système de paiement à l’acte, et le but à atteindre est que la moitié du système paye pour la valeur plutôt que pour le volume d’ici 2018. Les hôpitaux du Maryland sont désormais payés via des « budgets globaux » qui incluent les soins en consultation, ils ne sont donc plus incités à admettre des patients dans leurs établissements juste pour remplir les lits.

Un article récent du Journal de la médecine de Nouvelle-Angleterre rapporte que les coûts hospitaliers dans l’État ont augmenté de moins de la moitié de ce qui était attendu durant la première année du programme, faisant économiser 116 millions de dollars à Medicare. Ce sont les signes que l’enchevêtrement complexe de changements d’Obama commencent peut-être à rationaliser un système irrationnel. Patrick Conway, le directeur du nouveau centre de l’innovation, m’a parlé d’une nouvelle expérimentation concernant l’indépendance au foyer, qui coordonne les visites des infirmières et des docteurs pour les patients fragiles ou handicapés – et a fait économiser à Medicare 3 000 dollars par bénéficiaire lors de sa première année. Un patient diabétique âgé qui avait eu 19 hospitalisations l’année précédente n’en a eu qu’une seule après avoir souscrit au programme. Obamacare reste largement conspué, bien que les tentatives régulières des Républicains de l’abroger soient elles aussi impopulaires. Les critiques républicains ont bruyamment tapé sur la fausse promesse qu’avait faite Obama – disant qu’il serait possible à tous les Américains qui aimaient leur régime actuel de le conserver –, sur un conseil d’Obamacare qui a déclaré les Américains en question seraient stupides, sur le fiasco du site Internet du programme, sur le très impopulaire « mandat individuel », sur les problèmes avec les échanges, les coopératives et d’autres nouveaux points de la réforme. Des patients se sont plaints des hautes franchises et de l’incertitude accrue ; de nombreux fournisseurs se sont montrés mécontents à propos des remboursements réduits ; et une frénésie de fusions est en train de remodeler l’industrie toute entière. La récente entente bipartite sur le budget a suspendu la taxe Cadillac, ainsi que la taxe d’Obamacare sur les appareils médicaux – un revers du contrôle des coûts.

Pendant ce temps, une bonne partie des Démocrates est encore agacée par le fait qu’Obama n’a pas forcé le passage de l’ « option publique », un assureur gouvernemental qui aurait pu aider à couper les coûts en se mettant en compétition avec le secteur privé mais n’a pas reçu 60 votes au Sénat. Le résultat de toute cette insatisfaction avec Obamacare, comme avec la reprise et les réformes financières d’Obama, a fait le lit de la victoire écrasante des Républicains lors des élections à mi-parcours de 2010, qui ont récupéré la Chambre des représentants. Au sein d’un gouvernement divisé, le président américain n’avait plus le pouvoir de faire avancer son programme à travers la législation – et l’opposition n’avait aucun intérêt à l’aider. Mais il était encore président.

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Obama une partie des deux camps
Crédits : Barack Obama/Flickr

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Traduit par Matthieu Volait, Gwendal Padovan, Marie-Audrey Esposito et Nicolas Prouillac d’après l’article « The Nation He Built », paru dans Politico. Couverture : Barack Obama s’adresse à ses concitoyens (barackobama.com).


POURQUOI LES RÉFORMES D’OBAMA ONT-ELLES ÉTÉ SI CRITIQUÉES ?

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