La genèse du SETI
J’aimerais commencer par l’aspect historique. Quand considérez-vous que la science a rencontré la fiction ?
Généralement, on fait remonter la naissance de la science-fiction à des gens comme Jules Verne, au XIXe siècle. Mais la science-fiction a seulement été rendue possible après la Renaissance, lorsqu’on a commencé à percevoir l’avenir différemment du présent. Si vous viviez en France il y a mille ans, la vie de vos enfants était similaire à la vôtre, pour toujours, on ne s’attendait pas à un changement.
Ce n’est qu’à partir de la Renaissance que ces attentes ont commencé à surgir, lorsqu’on a commencé à apprendre à manipuler le monde physique. C’est à ce moment-là que la science-fiction a pris tout son sens, car désormais ce n’était plus de la simple fiction, c’était de la fiction qui prédisait un avenir différent. Quant à l’idée des extraterrestres, elle est très ancienne : il y a 2 500 ans, les Grecs évoquaient déjà le fait qu’il y avait des dieux, des hommes et même des animaux dans les étoiles. L’idée qu’il y a quelqu’un là-haut remonte à loin ; l’idée que nous sommes capables de les trouver, en revanche, est assez récente. Je la situerais autour de 1860, lorsqu’un duo de physiciens européens s’est intéressé au fait d’entrer en contact avec les habitants de Mars ou de la Lune.
À quand remonte la création de l’institut ?
L’idée de SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence), de la recherche d’une intelligence extraterrestre, remonte aux années 1900. Marconi, le premier inventeur de la radio, et Nikola Tesla, qui menait aussi des recherches sur les ondes radio, pensaient tous deux avoir entendu des Martiens sur les ondes. Cette idée est donc ancienne, elle date d’il y a 100 ans. Mais les expériences modernes de recherche d’une intelligence extraterrestre ne datent que de 1960, un peu plus de vingt ans avant la création de l’institut. À l’origine, il y a une expérience réalisée par Frank Drake, qui a fondé le groupe et travaille encore ici avec nous. En 1960, il a lancé le projet Ozma, d’après le nom d’un personnage de roman célèbre. Il a passé plusieurs semaines à attendre des signaux, et c’est ce qui a donné naissance à la recherche extraterrestre moderne. L’Institut SETI a vu le jour en 1984. Il a été mis en place suite à l’intention de la NASA d’investir de l’argent dans un projet de recherche d’une intelligence extraterrestre – il s’agit donc plus d’une avancée bureaucratique que scientifique.
Vous avez évoqué Nikola Tesla. À l’époque, il n’était pas vraiment pris au sérieux à ce sujet. Pourquoi les gens se sont subitement mis s’intéresser à ces questions ?
Je ne pense pas que cela ait un rapport avec Tesla, qui avait fait erreur sur certains points : il pensait qu’il serait possible de distribuer de la puissance électrique aux gens, disons aux citoyens parisiens, sans utiliser de fils électriques. Il a réalisé de nombreuses expériences, mais cela s’est révélé plus compliqué que prévu. Sans compter qu’il est mort d’une regrettable manière… Mais bref, cela n’avait rien à voir avec la recherche extraterrestre.
Si ces expériences ont pris moins d’importance pendant longtemps au XXe siècle, c’est parce qu’on a appris que la Lune était privée d’atmosphère, et que l’atmosphère sur Mars était quasi-inexistante, qu’il y faisait très froid. On ne se voyait plus devenir les futurs Martiens, et écouter la radio dans l’espoir d’en entendre ne servait plus à rien dans la mesure où il n’y en avait pas. Pendant longtemps, les gens se sont dits : « OK, oublions ça. » Mais à partir des années 1960, les transmissions radio se sont améliorées, et on a bien mieux compris le fonctionnement de ces systèmes ; il y avait de grandes antennes, on assistait à un renouveau.
Pouvez-vous me parler de l’équation de Frank Drake ?
Bien sûr. Frank Drake était astronome, diplômé de Harvard. Il avait 30 ans lorsqu’il a réalisé cette expérience. Il travaillait à l’Observatoire national de radioastronomie, en Virginie-Occidentale. L’observatoire avait acheté une nouvelle antenne, car ils avaient prévu d’en construire de très grandes, mais ils avaient besoin d’en avoir une pour commencer. Le directeur de l’observatoire a dit à Frank Drake : « Vous devriez réfléchir à une expérience avec laquelle nous pourrions l’utiliser. » Et Drake s’est dit : « Voilà une idée : s’il y a quelqu’un là-haut, peut-être a-t-il un émetteur radio. Aussi pourquoi ne pas utiliser cette antenne en la pointant en direction de certaines étoiles proches de nous ? » Et c’est ce qu’il a fait, il l’a dirigée vers deux étoiles proches, chacune de ces étoiles se trouvant à 10 ou 12 années-lumière – en astronomie, c’est une courte distance. Il espérait recevoir des signaux, avec une installation très simple. Au total, l’expérience a coûté 2 000 dollars, ce qui, comparé aux standards actuels de la science, n’est vraiment pas cher. Cela a suscité un grand intérêt, tellement que l’année suivante, il a donné une conférence au même endroit, à 100 mètres de là où il avait réalisé son expérience. Il s’est dit qu’il avait besoin d’un programme, d’un plan pour cette conférence, et c’est là qu’il a eu l’idée de cette équation désormais connue sous le nom d’équation de Drake, qui serait le programme de la conférence. Son but était simplement d’essayer d’estimer les chances que nous avons d’entendre un jour quelque chose.
Dans cette équation, « fp » représente le nombre de planètes qui abritent la vie, n’est-ce pas ?
Oui. C’est une série de termes. L’idée est la suivante : c’est comme de se demander combien il y a d’étudiants à la Sorbonne, par exemple. Pour trouver le résultat, il faut considérer le nombre d’admis en première année à la Sorbonne, chaque année. Ensuite, il faut multiplier ce nombre par le nombre moyen d’années d’études à la fac : quatre ans, en général. Cela vous donnera le nombre d’étudiants. Frank Drake a procédé de la même façon : pour savoir combien de nouvelles sociétés naissent chaque année dans la galaxie, il faut compter le nombre d’étoiles en formation par an dans notre galaxie, la fraction de ces étoiles possédant des planètes, celles qui sont propices à l’apparition de la vie, celles qui l’abritent effectivement, la fraction de ces planètes sur lesquelles est apparue une vie intelligente – des choses comme ça. Ensuite, il multiplie cela par la durée de vie moyenne de ces civilisations, de ces Klingons – comme le nombre d’années où vous restez à la Sorbonne. Cela correspond au « L » à la fin de l’équation : la durée de vie moyenne d’une société. Si vous multipliez ces deux chiffres, cela vous donne le nombre de sociétés qui émettent des signaux à travers la galaxie en ce moment alors que vous vous trouvez là, assise dans votre appartement.
Et à titre personnel, comment en êtes-vous venus à travailler pour l’institut ?
Petit, je m’intéressais aux extraterrestres, comme la plupart des enfants je crois. J’ai étudié l’astronomie pendant longtemps, aux États-Unis et en Europe. Mais la recherche d’une intelligence extraterrestre utilisait les mêmes techniques et m’intéressait plus encore. Avant de partir vivre en Californie – pour des raisons totalement différentes –, je suis allé à une soirée à Brooklyn. Là-bas, j’ai rencontré des personnes travaillant pour l’Institut SETI qui m’ont demandé si je cherchais un boulot. Et voilà.
Biologique ou mécanique ?
Quand on parle de communication extraterrestre, pourquoi suppose-t-on qu’ils parleraient les premiers ?
« Nous ne pouvons pas exister sans informer l’univers de note présence. »
Il se peut tout à fait qu’ils ne parlent pas en premier, mais s’ils ne le font pas, on ne les entendra pas ce soir. C’est un effet de sélection ; beaucoup de gens demandent : « Pourquoi partez-vous du principe que les extraterrestres disposent de technologies radio, peut-être qu’ils n’en sont qu’au stade de Neandertal. » Peut-être que c’est le cas pour beaucoup d’entre eux, mais si c’est le cas on n’en entendra pas parler, pas vrai ? Par conséquent, on ne recevra de réponses que de la part de sociétés évoluées. Évidemment, nous pourrions émettre un signal dans l’espace – l’idée a déjà été évoquée, beaucoup de gens aimeraient le faire –, et dire quelque chose comme : « Salut les gars, nous sommes les habitants de la Terre et nous aimerions beaucoup que vous rejoigniez notre club de lecture. » On pourrait faire ça.
Nous l’avons déjà fait d’une certaine manière, non ?
Nous le faisons à longueur de temps, nos paraboles domestiques le font tous les jours. Donc nous pourrions faire ça, mais si la société la plus proche se trouve à 500 années-lumière de nous, les signaux mettront 500 ans à leur parvenir, et s’ils répondent, il faudra à nouveau attendre 500 ans pour recevoir le message. C’est un peu long pour réussir, personne ne veut décrocher le prix Nobel dans 500 ans ! Donc oui, nous pourrions émettre des signaux, mais il est peut-être plus intéressant de commencer par écouter, afin de voir si quelqu’un nous en envoie déjà.
Qu’en est-il des messages qui ont déjà été envoyés ?
Comme ceux des sondes Pioneer ? Elles se déplacent dans l’espace à environ 12 km par seconde –pas par heure, par seconde, ce qui est plutôt rapide, mais très lent pour atteindre d’autres systèmes étoilés. Il leur faudrait quelque chose comme un million d’années pour cela. Et personne ne les trouvera, ils ne sont pas très gros. Je ne vois pas comment les extraterrestres pourraient les trouver.
Pensez-vous qu’il peut être dangereux d’émettre des messages, sachant que ces extraterrestres pourraient être hostiles ?
Certaines personnes le prétendent. J’ai écrit des articles à ce sujet, et je ne pense pas que cela soit plus dangereux que ce qu’on fait déjà. Nous émettons déjà des signaux aux extraterrestres. N’importe quel extraterrestre qui viendrait ici pour causer des problèmes serait capable de détecter toutes ces transmissions commises par mégarde, non-intentionnelles si vous préférez, comme les radars de l’aéroport Charles de Gaulle qui diffusent notre présence à tout moment. Ce sont des émetteurs assez puissants, en vérité, et on ne veut évidemment pas les éteindre. Nous ne pouvons pas exister sans informer l’univers de notre présence, c’est pourquoi je ne suis pas très inquiet à ce sujet.
Les formes de vie extraterrestres que vous recherchez doivent-elles être nécessairement intelligentes ?
Celles qui ne le sont pas n’envoient pas de messages.
Bien sûr, mais ne souhaiteriez-vous pas en découvrir malgré tout ?
D’autres personnes travaillent ici, au bout du couloir, qui sont à la recherche d’une vie sur Mars notamment. Il se peut que Mars soit habitée – ou l’ait été –, mais il faudrait un microscope pour apercevoir cette vie, qui doit être microbiologique. Mais cela serait malgré tout intéressant car nous pourrions affirmer : « Eh, regardez, la vie existe aussi sur cette planète ! » La biologie est partout, ce serait donc bien de le savoir. Mais à l’institut, nous sommes à la recherche d’une vie intelligente – si des extraterrestres peuvent construire un émetteur radio, alors ils sont intelligents. Tout comme nous.
Lors d’une de vos conférences, vous évoquiez le fait que cette vie pourrait ne pas être biologique : il pourrait s’agir de machines.
Je pense qu’il y a de bonnes chances, si nous interceptons des signaux, pour qu’ils n’aient pas été envoyés par une intelligence biologique. Au cours des cinquante prochaines années, nous allons possiblement inventer l’intelligence artificielle – beaucoup de gens qui travaillent dans ce domaine pensent même que cela pourrait mettre moins de cinquante ans. Vous savez comment nous sommes, une fois que ce sera fait, nous demanderons à cette machine : « OK, maintenant c’est à toi de concevoir la prochaine. » Et quinze ans plus tard, vous obtenez une machine plus intelligente que tous les êtres humains réunis. Si nous sommes capables de faire cela en l’espace d’un siècle ou deux après l’invention de la radio, je pense que la plupart des extraterrestres auront fait quelque chose de semblable. Honnêtement, je pense que si nous détectons un signal, il ne sera pas biologique – quoi que vous pensiez de cette idée.
Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?
Ça m’inquiète, car je pense que lors de ce siècle-ci, nous allons cesser d’être les êtres les plus intelligents de la planète, et je ne sais pas comment nous allons réagir à ça… mais nous pourrions découvrir que cela s’est déjà produit de très nombreuses fois dans l’univers.
Et il y aura une grande guerre contre les machines, nous finirons par les interdire et hop, on se retrouvera dans Dune…
Je n’en suis pas sûr ! Après tout, vous n’êtes pas en guerre contre les scarabées qui peuplent votre jardin, même si vous êtes bien plus intelligente qu’eux. Vous ne faites simplement pas attention à eux. Je ne suis pas sûr que les machines nous accordent beaucoup d’attention, à ce stade.
C’est effrayant.
Peut-être allons-nous devenir leurs animaux de compagnie. Je ne suis pas contre, ça impliquerait de dormir beaucoup et de se faire nourrir par quelqu’un d’autre !
Vous dites également que le genre humain est apparu sur Terre il y a peu de temps, et qu’il y a donc peu de chances qu’on soit au courant de notre présence ailleurs dans l’univers.
C’est ce que je pense, oui. Aux États-Unis, un tiers de la population considère que les extraterrestres sont là – soucoupes volantes, ovnis, etc. Un tiers de la population française le pense également, c’est la même chose en Europe. Il serait très intéressant que ce soit avéré, mais hélas les preuves ne me semblent pas très valables. Il est probable qu’ils ne soient pas encore au fait de notre existence, car s’ils vivent à 100 années-lumière d’ici, ils n’ont pas encore pu détecter les radars de la Seconde Guerre mondiale, par exemple. Ils ne savent toujours pas qu’Homo Sapiens vit ici, car il est difficile de nous trouver à moins de chercher des choses aussi précises que nos émetteurs radars ou nos télévisions. Ils ne sont pas difficiles à trouver, mais on ne peut le faire que si on est proche d’eux, pour que les signaux aient eu le temps d’arriver. Je pense qu’il y a peu de chances pour que les extraterrestres sachent que les hommes sont là. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter en pensant qu’ils vont débarquer et vous enlever pour vous manger, pour s’adonner à des expériences de reproduction ou quoi que ce soit de ce genre… Ils ne savent pas que nous sommes ici – une inquiétude de moins à avoir.
De notre côté, peut-être regardons-nous dans une zone trop proche de la nôtre ?
L’univers est beaucoup, beaucoup plus vaste que la partie sur laquelle nous concentrons nos recherches, c’est vrai. Nous cherchons seulement dans notre propre galaxie, et seulement dans les parties les plus proches, mais c’est comme chercher de nouveaux animaux, par exemple – vous chercheriez en France dans un premier temps, mais vous pourriez vous dire : « Mais non, on ne devrait pas commencer par chercher en France, allons voir en Australie ou ailleurs. Pourquoi ne pas commencer par-là ? Vérifions cet endroit d’abord, puis nous pourrons élargir nos recherches au fur et à mesure. » Il y a donc beaucoup d’autres endroits où chercher, mais d’un autre côté, si on ne trouve aucun animal à proximité, peut-être qu’il n’y en a aucun non plus dans les zones plus éloignées – au moins, commençons par les zones les plus proches. Pour ce qui est des univers parallèles, ce serait formidable mais nous n’avons aucun moyen de les explorer.
Moyens et théories
Quelles techniques utilisez-vous précisément ?
Nous faisons principalement ce qu’on appelle de la « SETI radio » : nous utilisons des antennes, comme dans le film Contact – j’ai d’ailleurs été consultant sur le film, comme beaucoup de mes collègues. Nous utilisons simplement les antennes de l’Allen Telescope Array : 42 antennes situées au nord de la Californie, à environ 500 km de San Francisco. Nous les dirigeons vers des étoiles situées à proximité. Nous planchons également sur une expérience nous permettant de repérer des lumières laser clignotantes dans le ciel. Et pas seulement en direction des étoiles proches mais partout, car personne ne sait d’où ils pourraient venir. Mais nous sommes en train de mettre au point cette expérience, pour le moment nous utilisons uniquement des antennes.
Comment votre travail est-il perçu à travers le monde ?
Bien, je pense. Il arrive que je reçoive des mails de gens disant : « Vous perdez votre temps », ou bien : « Vous gaspillez mon argent » – ils pensent que nous fonctionnons grâce à leurs impôts, ce qui n’est pas le cas. Mais je reçois très peu de mails de ce genre, 99 % des gens qui m’écrivent trouvent notre travail intéressant et me font même des suggestions de recherche. Les gens s’intéressent à tout ça, évidemment. Je pense que nous sommes conditionnés par nature à nous intéresser à la découverte de ce qui se trouve « de l’autre côté de la colline », car il y a des centaines de milliers d’années, lorsque nous vivions en Afrique, il était capital de savoir qui vivait de l’autre côté de la colline. Ils pouvaient surgir et prendre possession de vos terres, ou ne prendre que les femmes – mais dans tous les cas, il était important de le savoir.
Comment réagiriez-vous si demain, vous receviez des signaux ?
On passerait au moins une semaine à effectuer des vérifications, sans y croire tant que quelqu’un d’autre ne les aura pas vus de ses yeux. On appellerait les gens d’un autre observatoire radio – celui de Meudon, par exemple. On les appellerait et on dirait : « Regardez. » Et s’ils les voient aussi, on y croira davantage, et on le dira à tous les autres. Tout le monde voudra diriger son télescope dans cette direction, pour essayer d’en savoir le plus possible. Et à ce stade, je pense qu’on aurait l’argent pour construire un meilleur matériel.
Cela a-t-il déjà eu lieu, ou presque ?
Il n’y a pas de « presque », dans ce domaine. Mais il nous est arrivé d’avoir de fausses alertes, alors qu’on pensait qu’il s’agissait peut-être de signaux. C’est une situation intéressante, mais aucun de ces signaux n’était réel, évidemment.
En janvier dernier, des signaux ont été captés qui ont créé une grande agitation.
Oui, des signaux ont été détectés par les observatoires radio, en particulier un, en Australie, qu’ils ont appelés « sursauts radio rapides », mais personne ne sait précisément ce que c’était. Viennent-ils vraiment de l’espace ? Sont-ils seulement dus à une interférence sur Terre ? Et s’ils viennent effectivement de l’espace, que sont-ils ? Des collisions de trous noirs ? Il y a beaucoup de possibilités, et personne ne sait vraiment s’ils ont quelque chose à voir avec les extraterrestres… ce qui signifie que ce n’est sûrement pas le cas.
Certains émettent l’hypothèse que des civilisations anciennes ont été en contact avec des extraterrestres. Que pensez-vous de ces théories ? (Je vous ai vu dans Ancient Aliens !)
Non, je ne pense pas que nous ayons reçu la visite d’extraterrestres par le passé. Pour commencer, ils ne sont pas si anciens, ils parlent des Égyptiens, mais ça ne remonte qu’à 5 000 ans. Ça ne fait pas très longtemps, c’est comme si c’était hier ! Ces gens regardent les pyramides et se disent : « Oh, les extraterrestres ont dû aider les Égyptiens, ils étaient trop stupides pour le faire eux-mêmes. » Mais c’est fou ! En voyant Notre-Dame, se disent-ils : « Les Français n’ont pas pu construire cela, ils ont dû recevoir l’aide des extraterrestres ! » Qu’allez-vous répondre à cela ? « C’est vrai, c’est compliqué, je ne pense pas qu’ils en aient été capables » ? Je ne pense pas. On ne dirait pas non plus à propos du Colisée à Rome : « Oh, les Romains n’ont pas pu construire ça, ils n’étaient pas intelligents pour le faire. » Les Égyptiens n’étaient pas plus stupides que les autres, ils ont très bien pu le faire eux-mêmes. Cette idée résulte du fait que ces choses sont immenses, impressionnantes et demandent beaucoup de travail – vraiment beaucoup de travail –, mais pour Notre-Dame, c’est la même chose. Cela ne signifie pas que les Français ne l’ont pas construite, et il n’y a aucune preuve que les extraterrestres aient quoi que ce soit à voir là-dedans… Et puis cela n’a tout simplement pas de sens. Si vous étiez une bande de Klingons, viendriez-vous sur Terre en vous disant : « OK, voilà ce qu’on va faire : on va aider ces hommes à empiler des blocs de calcaire pour construire ces gros bâtiments pointus, afin qu’ils puissent y enterrer leurs morts. » Je pense que c’est idiot, très idiot.
Que pensez-vous d’Ancient Aliens ?
C’était drôle. Il serait intéressant de pénétrer dans une pyramide et d’y trouver un téléphone portable extraterrestre. Là, je me dirais : « Attends un peu, ça peut nous être utile ! » Mais on n’a rien trouvé de tel, rien que les Égyptiens n’auraient pu construire eux-mêmes.
Quels sont les films qui se rapprochent le plus de la réalité d’un contact avec une vie extraterrestre, selon vous ?
Je ne pense pas que beaucoup s’en rapprochent. Les réalisateurs de films ne sont pas des scientifiques, ils ne souhaitent pas particulièrement présenter la science telle quelle est – et il ne s’agit pas de cela. Si vous voyez un film de super-héros, il ne s’agit pas de la réalité, c’est un film, une histoire, c’est pourquoi les extraterrestres sont généralement présentés comme des gens géniaux, des sortes d’êtres biologiques sentimentaux. Et je viens de vous expliquer le problème : la plupart des extraterrestres ne sont probablement pas du tout comme ça.
« Les Français ont le matériel, l’expertise et l’argent, mais ils ne font pas de recherche. »
Mais ce n’est pas grave, ce n’est qu’une histoire, ce n’est pas censé être la réalité mais du cinéma. Donc je crois qu’aucun de ces films n’est vraiment juste, mais dans le cas de Contact, je pense qu’au moins la science est plutôt exacte, car le scénario a été écrit par Carl Sagan – il connaissait la science, c’est pourquoi ce film la présente de façon plus exacte. Cela ne veut pas dire qu’il est plus juste pour autant. J’ai beaucoup aimé le premier Alien, celui de Ridley Scott. Il n’était pas très réaliste, mais cela n’a aucune importance.
Travaillez-vous en collaboration avec d’autres pays ?
On l’a fait, par le passé. Il y a 30 ans, toute cette entreprise de recherche d’une vie extraterrestre intelligente était beaucoup plus internationale, en particulier avec l’Union soviétique, qui était très active. Beaucoup des idées majeures pour la recherche extraterrestre se sont développées pendant l’Union soviétique. Mais pour ce qui est de faire des expériences, très, très peu de pays en ont fait – ni les Anglais ni les Français. Et ce bien que les Français possèdent le matériel. J’ai parlé de Meudon, mais il y a d’autres radiotélescopes : ils ont le matériel, l’expertise et l’argent, mais ils ne le font pas. J’ai vécu aux Pays-Bas et c’est la même chose : ils ont tout ce qu’il faut, mais ils ne font rien. Le seul pays européen à avoir fait de la recherche récemment est l’Italie, à l’université de Bologne. C’était principalement une expérience américaine, et vous devez vous demander pourquoi : c’est culturel. Aux Pays-Bas, ils se pensent trop censés pour tout ça. Ils le disent en néerlandais et cela signifie quelque chose de sensiblement différent, mais pour résumer ils s’expriment ainsi : « Laissons ça à ces fous d’Américains. » L’Amérique est une société de la frontière, nous avons des cow-boys ; il n’y en a pas aux Pays-Bas.
Une époque excitante
Pensez-vous que nous sommes dans un moment crucial pour la recherche ?
Personne ne sait si nous allons bientôt découvrir quelque chose – malheureusement, il n’y a pas de moyen de le savoir. On ne peut pas être sûr qu’on trouvera quelque chose un jour, pour être honnête. Mais d’un autre côté, si on considère la vitesse à laquelle le matériel se développe et la rapidité des recherches, selon moi, il est possible que dans les 20 années à venir, on trouve quelque chose. J’ai parié une tasse de café là-dessus, mais j’ai peut-être tort. C’est une supposition, principalement fondée sur la vitesse du progrès et de la technologie que nous utilisons.
Il y a de nombreuses cultures dans le monde pour lesquelles il est évident que des gens vivent dans les étoiles, même si cela ne se base pas sur des preuves scientifiques. Pensez-vous que tous les êtres humains sont optimistes en ce sens ?
Oui, je le pense. Des sondages réalisés aux États-Unis montrent qu’environ 80 % de la population pense que nous ne sommes pas seuls. Souvenez-vous que 30 ou 40 % pensent qu’ils sont déjà là, donc non seulement qu’il y a de la vie dans l’espace, mais que les extraterrestres nous rendent visite… Ces pourcentages ne changent pas beaucoup d’un pays à l’autre. Si vous prenez l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Europe, le Canada ou l’Amérique du Sud, c’est plus ou moins la même chose. Mais souvenez-vous qu’ils ont vu beaucoup d’extraterrestres à la télévision ou au cinéma, c’est pourquoi ils sont convaincus que tout cela est vrai. Ce n’est pas de la science, c’est de la culture populaire. Mais comme vous le savez, ces vingt dernières années, nous avons trouvé de nombreuses planètes orbitant autour d’autres étoiles. Je pense que cela vient confirmer l’avis de beaucoup, l’idée que s’il y a toutes ces exoplanètes, il doit également y avoir une présence quelque part.
Quelle a été votre réaction quand vous avez appris la découverte de Kepler 452b ?
Je l’ai su en avance, car certaines des personnes qui travaillent sur la mission Kepler sont également des employés de l’Institut SETI. Et il y a eu un précédent en mai 2014, lorsque l’équipe Kepler a annoncé la découverte de Kepler 186f – qui était à ce moment-là l’exoplanète la plus proche d’être une cousine de la Terre. Toutefois, Kepler 452b crée un engouement particulier car elle est en orbite autour d’une étoile qui pourrait être deux fois plus grosse que notre Soleil. Jusqu’ici, nous n’avons pas trouvé de meilleure « maison de vacances » hypothétique. Il sera difficile d’apprendre les choses les plus intrigantes à propos de ce monde – a-t-il une atmosphère ? A-t-il des océans ? – simplement parce qu’il est très éloigné. Mais il n’y a aucun doute sur le fait que nous découvrirons d’autres exoplanètes au cours de la décennie pour lesquelles nous serons capables de répondre à ces questions. C’est sans aucun doute une période très excitante pour observer les cieux.
Mais comme vous l’avez dit, ces planètes ont de grandes chances de ne pas être habitées, sinon on aurait déjà entendu quelque chose, n’est-ce pas ?
Celles de notre système solaire sont proches, et il se peut qu’elles abritent la vie, mais cette vie doit être microbiologique – elle ne construit donc pas d’émetteurs radio. Mais nous ne pouvons pas dire si des planètes situées à 10 ou 100 années-lumière sont habitées ou non par des êtres intelligents simplement parce que nous n’avons reçu aucun signal. Il se peut que nous n’ayons pas réglé l’émetteur à la bonne fréquence, que nous n’ayons pas été assez réactifs ou que nous n’ayons pas écouté au bon moment – il est possible de rater des signaux de bien des façons. Si on ne découvre aucun signal, cela ne signifie rien, malheureusement, c’est si on en découvre que cela veut dire quelque chose.
Parmi les autres personnes qui travaillent avec vous, y en a-t-il qui travaillent sur la façon de s’adresser aux extraterrestres une fois le contact établi ?
Notre groupe de recherche est très petit – 4 ou 5 personnes –, mais l’un d’entre nous s’intéresse particulièrement à ce qu’on pourrait dire aux extraterrestres. Il est psychologue et il a organisé des conférences à ce sujet. Que devons-nous leur dire, que nous sommes mauvais car nous faisons la guerre et que nous détruisons l’environnement ? Franchement, je ne sais pas si les extraterrestres s’intéresseraient à tout cela, mais il y a des gens qui pensent que nous devrions faire attention à ce qu’on dit. C’est comme si l’Empire romain nous racontait qu’ils ont fait la guerre contre tel ou tel peuple. Même s’ils étaient « mauvais », j’aurais malgré tout envie d’étudier Rome, évidemment ! Cependant, il y a des gens qui s’inquiètent à ce propos. Mon opinion personnelle est que si je devais communiquer avec les extraterrestres, je leur enverrais beaucoup de documents, beaucoup de matière. Je leur enverrais tout Internet à vrai dire, et je les laisserais comprendre les choses à partir de là. Car si vous voulez savoir ce qu’est un scarabée, il y a des photos, du texte, des vidéos, des sons… Un extraterrestre suffisamment intelligent saura y trouver ce qu’est un scarabée. On m’a dit qu’il y avait beaucoup de pornographie sur Internet, mais je ne pense pas que les extraterrestres s’en préoccupent. Après tout, je me fiche de voir des oiseaux tout nus dans mon jardin. Qu’ils continuent, ils n’ont pas besoin de porter de vêtements pour moi.
Traduit de l’anglais par Claire Ferrant d’après l’entretien réalisé par Caroline Bourgeret. Couverture : Le télescope ALMA. Création graphique par Ulyces.