Les propos ayant servi à réaliser cette histoire ont été recueillis au cours d’un entretien avec Neville Johnson. Les mots qui suivent sont les siens.
Une vocation
J’ai construit ma carrière en Californie. J’ai grandi à Los Angeles, où je suis allé au lycée jésuite de Loyola. J’ai d’abord été diplômé de l’université de Californie à Berkeley, où je me suis passionné pour le journalisme, et par la suite, je suis allé étudier le droit à la Southwestern School of Law. J’en suis ressorti diplômé en 1975. Mon envie de devenir avocat remonte à mes 12 ans. Un ami de mon père, un grand avocat, est devenu juge à cette époque et j’ai alors réalisé que c’était le métier idéal pour moi, qui adore débattre et argumenter. En parallèle de cette vocation, j’ai toujours été fasciné par la pop culture contemporaine. Les films, la télévision, le rock… À l’école de droit, j’ai compris que je pouvais intégrer cette passion à la profession juridique. Ainsi, pendant mes études, je me suis focalisé au maximum sur l’industrie du divertissement et des domaines comme les droits d’auteurs et la propriété intellectuelle.
Lorsque j’ai débuté ma carrière, je ne m’intéressais qu’aux négociations de contrats dans l’industrie musicale. J’ai eu mon premier poste dans un cabinet qui travaillait avec des artistes comme Fleetwood Mac et de grandes maisons de disque. Après ça, j’ai passé un an en tant qu’avocat commis d’office pour les mineurs délinquants, puis j’ai travaillé pour un autre cabinet pendant environ un an et demi. C’est là-bas que j’ai commencé à m’occuper des contentieux en plus des négociations de contrats. J’ai fondé mon propre cabinet en 1978, avec un associé qui a travaillé avec moi jusqu’en 2005. Je m’occupais quasi exclusivement de contrats et de ruptures transactionnelles de contrats de travail. En 1981, je suis devenu l’avocat de Yoko Ono, et pendant plusieurs années je me suis essentiellement occupé des droits d’auteur des Beatles. Et puis, en 1984, quelqu’un est entré dans mon bureau et m’a raconté qu’il s’occupait d’un litige avec le groupe Earth, Wind & Fire. Cela m’a convaincu de me lancer sérieusement dans les affaires de contentieux. C’est une vraie passion, je n’ai pas eu le choix. L’industrie du divertissement m’a choisi. Je savais très jeune que je deviendrais un avocat, et que je travaillerais dans l’industrie du divertissement. Je pensais passer ma vie entière à négocier des contrats, mais une chose en entraînant une autre, je me suis lancé dans le droit des contentieux.
Toute personne qui devient avocat doit apprendre les bases du droit : les procédures civiles, les preuves, les contrats… Pour s’impliquer dans l’industrie du divertissement, il faut étudier les champs qui lui sont propres : le copyright, la diffamation et la vie privée. Et il faut avant tout comprendre le fonctionnement l’industrie elle-même, ses codes et ses acteurs. Ainsi, quand j’ai débuté dans la musique, j’ai appris qui étaient les acteurs de l’industrie musicale et comment elle fonctionnait légalement, humainement, commercialement ; et je continue d’apprendre chaque jour, comme c’est le cas pour l’industrie du cinéma et de la télévision. Mais plus important encore, il faut se constituer un réseau solide – et ce quels que soient la profession ou le domaine visé. Il faut rencontrer un maximum de personne. On m’a dit un jour que la chose la plus importante pour un avocat était d’avoir des clients. Il faut donc être capable de faire sa promotion pour que les gens connaissent vos compétences et sachent quels services vous pouvez leur rendre. Les avocats existent car les individus ou les compagnies ne peuvent pas régler eux-mêmes les problèmes auxquels la société les confronte. Aux États-Unis, le système juridique est régi par le common law. Mon métier consiste à aider les gens à naviguer dans les eaux troubles de ce système et à faire face à des situations cruciales et difficiles. Être au fait de la loi et y être sensible permet de comprendre et d’intégrer le cadre social de son pays et de ceux des autres. Connaître son histoire juridique et ses erreurs passées permet de saisir quels progrès ont été réalisés et quels autres restent à accomplir. Être avocat me permet également de faire face à tous les problèmes de l’existence, de la naissance à la mort, car la loi intervient à toutes les étapes d’une vie.
Je démêle les mensonges des gens, je suis comme un détective.
Lorsque vous êtes juriste, vous apprenez constamment de nouvelles choses, notamment quand vous travaillez dans le droit des contentieux. Quand j’étais dans le droit du travail, je m’occupais uniquement des contrats dans la musique, c’était devenu très répétitif. Toujours le même contrat, encore et encore… Et quand je représentais un artiste, je ne bénéficiais quasiment d’aucun pouvoir. Les grandes compagnies et les maisons de disques étaient si puissantes qu’elles dictaient leurs propres termes. J’avais beau faire de mon mieux, cela se passait toujours de la même façon. Dans le droit des contentieux je suis toujours en train d’apprendre, de rencontrer de nouvelles personnes, de découvrir de nouvelles façons de gérer l’industrie du divertissement. Je démêle les mensonges des gens, je suis comme un détective. Mon métier consiste à découvrir qui dit la vérité et qui ne la dit pas. Je n’affirme pas que mes clients sont toujours du bon côté, mais aller au fond des choses et comprendre tous les tenants et les aboutissants d’une affaire demande beaucoup de persévérance et de perspicacité. C’est un des nombreux aspects passionnants de ce métier. Les plus grands drames humains se déroulent dans un tribunal. Deux personnes sont face à face et l’une d’elles ne dit pas la vérité… Déterminer qui a tort et qui a raison est le travail du juge et des jurés, une grande partie du mien consiste à réussir à atteindre le procès et passer au travers de toutes les tentatives du camp adverse de nous décourager. Le travail de la défense est de m’en empêcher.
L’argent
Mon associé actuel, Douglas Johnson – avec qui je n’ai aucun lien de parenté –, a une vingtaine d’année de moins que moi. Il a commencé au cabinet en tant que stagiaire il y a 18 ans et depuis, il a presque toujours travaillé pour moi. Alors, lorsque mon premier associé est parti, Douglas l’a tout naturellement remplacé. Mes autres associés sont cinq avocats jeunes et brillants qui travaillent dur. Nous travaillons en équipe, un peu à la manière d’une rédaction de magazine. Tout ce que nous faisons, nous le faisons en collaboration : nous travaillons à plusieurs sur chaque affaire, chacun à son niveau, et nous partageons constamment les informations obtenues à chaque nouvelle étape. Avant d’accepter une affaire, nous devons en premier lieu déterminer si elle en vaut la peine, s’il y a assez d’argent en jeu. Une fois lancés, nous faisons appel à un expert pour déterminer ce qui est juste ou non dans la comptabilité, nous passons en revue la loi, et parfois nous essayons de négocier avant de lancer les hostilités. Ces dernières années, nous faisons quelque chose d’inhabituel dans l’industrie du divertissement : nous lançons des recours collectifs contre les studios de cinéma, notamment pour réclamer une meilleure rétribution de nos clients sur les produits vidéo. Cette pratique qui consiste à sous payer les artistes doit cesser. C’est pourquoi je réunis des équipes d’avocats pour combattre celles des studios.
C’est un métier intellectuellement très stimulant, parfois amusant, et parfois lucratif. Et si vous parvenez à combiner les trois, c’est que vous êtes un très bon avocat. Je pratique le droit depuis maintenant quarante ans, on peut donc raisonnablement dire que c’est toute ma vie. Être avocat, plaider au tribunal, cela m’a sauvé la vie. Le droit m’a offert une destinée, une profession, une identité, une voie à suivre. Un but. Nous essayons tous de trouver notre place dans ce monde, et c’est une attraction puissante et incontrôlable qui m’a mené à cette profession, à ma juste place je crois. J’ai toujours eu cette passion intense pour les affaires. Et les années passant, j’ai grandi, mûri, je me suis créé un vaste réseau dans le monde des affaires, même hors de l’industrie du divertissement. Je connais des avocats et des juristes dans toute la Californie et le reste du monde – j’ai notamment beaucoup travaillé en Europe. Désormais, je suis capable à cette étape de ma vie de réunir tout cela, et les combats que je mène sont de plus en plus grands. C’est excitant, je joue à un très haut niveau dans mon domaine et je contribue à des changements positifs. Le monde change sans cesse, et le droit évolue avec lui. Chaque jour, il existe de nouveaux moyens d’abuser les artistes, de trouver des moyens de ne pas les payer. Les écrivains – surtout eux –, les acteurs, les producteurs et les réalisateurs sont tout en bas de la chaîne alimentaire dans cette industrie. Mais je ne travaille pas uniquement dans l’industrie du divertissement, mon cabinet s’occupe aussi du droit des consommateurs. Nous défendons des personnes qui ont été abusées par des banques ou des compagnies d’assurance, ou bien dont la vie privée a été violée. J’ai également de solides connaissances pratiques en journalisme et en matière de lois relatives à la diffamation et à la protection de la vie privée. J’ai gagné une affaire qui a fait beaucoup de bruit aux États-Unis, impliquant le droit à la vie privée. Une célèbre émission, Primetime, avait utilisé des caméras cachées pour enquêter sur mes clients qui étaient des voyants et des cartomanciens. J’ai remporté le procès : c’était la première fois dans toute l’histoire des États-Unis qu’on exigeait plus d’un dollar de réparations auprès des journalistes pour atteinte à la privée, et la première fois que des dommages et intérêts supérieurs à neuf dollars étaient obtenus !
J’ai perdu en appel, mais l’affaire est remontée jusqu’à la cour suprême de Californie. Nous avons finalement gagné à l’unanimité. Cette affaire est depuis étudiée dans toutes les écoles de droit en Amérique et elle a contribué à faire admettre que les journalistes n’ont pas le droit d’enfreindre la loi pour collecter des informations, qu’ils sont des citoyens comme les autres. Je me suis occupé de plusieurs cas de diffamation au fil des ans. En ce moment, je suis en procès avec The National Enquirer, un tabloïd américain qui a publié une série d’articles clamant que notre cliente avait eu une liaison avec Barack Obama alors qu’elle était en charge de sa campagne pour le Sénat. Je m’occupe également de vol d’idée et de violation de copyright. Nous avons beaucoup de cas de producteurs qui ont eu une idée de concept dont ils ont fait part à d’autres producteurs et créateurs, qui l’ont volée par la suite. Dans les cas de violation de la propriété intellectuelle, je travaille sur des chansons qui sont des tubes, des hits mondiaux, mais qui n’en ont pas moins été volées à mes clients. Ces cas sont toujours passionnants. Nous collaborons avec des musiciens et des experts en musicologie qui analysent les partitions note par note et déterminent les similarités. Je ne fais jamais la même chose, tout est toujours différent, quelle que soit l’affaire ou le client. Quant aux affaires d’idées volées, lorsque des producteurs sans scrupules s’emparent d’idées qui ne sont pas les leurs, c’est dans l’ADN de l’industrie, car c’est l’idée qui aura du succès. Et cela n’arrive pas uniquement dans le cas de séries télévisées ou d’émissions classiques, c’est de plus en plus dans la téléréalité. C’est un milieu compétitif où les limites de la loi sont souvent franchies. J’ai toujours détesté les brutes et les petits tyrans qui utilisent leur pouvoir de façon injuste. La loi est un spectacle dont les buts idéaux sont la justice et l’égalité. J’identifie donc de quel côté elles se trouvent et qui est la victime, faible face au système, qui a été manipulée ou abusée. Je repère également les grosses compagnies, les maisons de disques et les studios de production audiovisuelle, qui sont chaque fois représentés par de gigantesques et prestigieux cabinets d’avocats. Je n’ai jamais choisi de travailler de ce côté-ci de la barrière, je n’ai même jamais saisi la moindre opportunité de m’engager sur cette voie.
Cela implique de faire un choix, car si vous décidez d’aller à l’encontre d’une grande compagnie, il y a fort à parier que plus aucune d’entre elles ne voudra plus jamais vous engager, car elles en déduisent que vous êtes opposé à leurs principes et à leur mode de fonctionnement. Par exemple, si vous êtes l’avocat d’un employé victime d’un accident du travail, vous ne pourrez jamais être à l’avenir l’avocat de la société inculpée. C’est ainsi que les choses fonctionnent aux États-Unis, dans un sens comme dans l’autre. Je me suis retrouvé impliqué dans l’industrie du cinéma grâce à mes clients, ce sont eux qui sont venus à moi. Des auteurs, des acteurs, des producteurs créent une émission ou une série à succès, qui rapporte beaucoup d’argent, mais ne touchent pas le moindre centime dessus. Ils viennent donc me trouver avec cette question qui les taraude : « Où est mon argent ? »
Les royalties
Pour ne pas rémunérer correctement les artistes, les studios se rendent coupables de pratiques fondamentalement malhonnêtes, en désaccord avec les contrats signés. Peu d’émissions réalisent des profits. Et quand elles y parviennent, c’est souvent des années après leur créations. Le seul moyen de quantifier ces bénéfices est alors de réaliser un audit. Cela peut prendre plusieurs années et les audits coûtent extrêmement chers. Ils coûtent entre 20 000 et 30 000 dollars, et les artistes ne dépensent pas autant d’argent s’ils ne sont pas sûrs que cela en vaille la peine. Mais il y a un autre facteur qui entre en jeu : les artistes sont terrifiés à l’idée de s’opposer aux studios, qui pourraient alors les blacklister. Parmi les affaires qui m’opposent à Universal, je suis actuellement impliqué dans un conflit les opposant au producteur Glen Larson, qui a lancé un très grand nombre de séries célèbres aux États-Unis comme K-2000, Quincy ou Magnum. Quincy a duré huit saisons, entre 1976 et 1983, elle figurait à l’époque dans le top cinq des meilleures émissions américaines. Mais Universal assure que cela n’a pas rapporté d’argent… Comme cela semble hautement improbable, nous les poursuivons pour leur mauvaise comptabilité. (Il y a d’autres grosses affaires sur lesquelles je travaille dont je n’ai pas le droit de parler.)
J’attaque également les studios pour prise abusive d’intérêts. Ils ponctionnent sur les revenus des émissions des intérêts qu’ils ne devraient pas prendre et se remboursent de l’argent qu’ils n’ont jamais emprunté. Ils exigent également des taxes de diffusion, sans que ce soit prévu par les contrats. Des mesures doivent donc être prises. Dans l’une des affaires que nous avons eues, plus l’émission rapportait d’argent, plus son déficit augmentait. Ce n’est pas juste, c’est contraire aux principes américains, il ne doit pas être possible de signer un contrat qui stipule que vous perdrez toujours de l’argent. Les studios utilisent tous les trucs et coups tordus possibles. À chaque fois qu’il y a deux chemins possibles pour une histoire de comptabilité, ils choisissent la voie qui leur rapporte le plus, sans le moindre sens de la logique ou de la justice. En matière de comptabilité, le monde entier se réfère à ce qu’on appelle les principes comptables, qui dictent les codes qui régissent les rentrées et les sorties d’argent d’un service comptable. Il en va ainsi dans le monde entier. Mais pas pour l’industrie du cinéma, qui n’utilise pas les principes comptables. Ils disposent de leurs propres codes absurdes qu’ils ont créé eux-mêmes, et depuis les quinze ou vingt dernières années, ils n’appellent même plus les bénéfices des bénéfices. Ils appellent ça une « compensation au quota ». C’est injuste envers les artistes, car ce sont eux qui travaillent le plus et le plus dur pour arriver là où ils en sont, et bien souvent sans faire de profits. Aussi, quand ils en font, ils devraient pouvoir profiter de cet argent sur une base juste. Mais les studios ne veulent rien savoir.
Je suis actuellement sur six affaires avec les studios, toutes des recours collectifs.
L’une de nos principales missions est ainsi de s’assurer que les artistes sont payés justement. Et grâce aux recours collectifs, nous sommes capables d’aider ceux qui ne pourraient autrement pas s’aider eux-mêmes, pour des raisons politiques ou économiques. Un contentieux coûte des centaines de milliers de dollars, pour gagner au final 15 ou 20 000 dollars. Avec cette tactique, je fais en sorte que cet argent leur revienne, je le fais pour eux. Dans de nombreux pays, comme la France ou l’Allemagne, il y a des lois qui assurent une date de paiement pour les artistes, notamment pour les auteurs et parfois pour les acteurs et les réalisateurs. Ils sont payés lorsque leur travail est diffusé dans leur pays, au cinéma ou à la télévision. Les studios de cinéma collectent l’intégralité de cette part depuis des années et la garde pour eux. À la fin des années 1990, les syndicats ont établi des accords avec les studios sur les parts à partager. Mais cela est en désaccord avec les lois américaines sur le copyright. Les membres des syndicats, les auteurs et les réalisateurs de la Writers Guild of America et de la Directors Guild of America, sont venus me voir car les syndicats récupéraient cet argent mais ne le redistribuait pas. Sur plus d’une décennie, ils ont ainsi récupéré plus de 50 millions de dollars en ne payant pas leurs adhérents. Je suis donc allé leur réclamer cet argent. Ils ont lutté férocement pendant plusieurs années, mais nous avons fini par réussir à obtenir l’argent des syndicats et par mettre en place un système qui assure aux artistes d’être rétribués équitablement à l’avenir. C’est l’une des affaires dont je suis le plus fier. Je travaille actuellement sur six affaires impliquant les grands studios, toutes des recours collectifs. Je représente des centaines d’artistes, d’auteurs, d’acteurs, de producteurs… Les copies vidéos – à l’époque il s’agissait de cassettes VHS – sont arrivées sur le marché à la fin des années 1970. Les deux premières années, il s’agissait vraiment d’un produit de niche, mais c’est rapidement devenu quelque chose d’énorme. Et en 1981, les studios de cinéma ont compris que ces copies vidéo allaient être une source énorme de profits. Quand la vente de ces copies a débuté, une compagnie en particulier a décidé de ne redistribuer que 20 % du bénéfice total des ventes à la Twentieth Century Fox, pour le droit de distribuer ses produits. Le studio a alors sauté sur l’occasion pour déclarer que tous les contrats stipuleraient désormais que les artistes devaient être payés sur 20 % des ventes à la diffusion uniquement. Bien évidemment, les représentants des artistes ont dit que c’était injuste, qu’ils devraient toucher des royalties sur 100 % des ventes. Mais le studio était si omnipotent qu’ils ont simplement dit : « C’est à prendre ou laisser, ce n’est pas une négociation. » Et c’est ainsi que sont calculées les royalties sur les ventes de copies vidéos depuis 1981. Mais qu’en est-il des artistes et de leurs productions d’avant 1981 ? Toutes les stars de cinéma et les personnes qui ont participé à l’industrie avant cette date ? Ce sont eux que je représente actuellement, ils ont des accords qui leur garantissent normalement d’être payés sur 100 % des ventes, mais les studios ont arbitrairement décidé qu’ils rémunéreraient tout le monde sur la base de ces 20 %. Qu’importe ce qu’ils ont décidé en 1981, un contrat est un contrat. Nous réunissons tous les clients que nous représentons, toutes leurs expériences et tous les arguments éthiques que nous trouvons ; nous avons même contacté des avocats qui opèrent hors de l’industrie du divertissement. Nous sommes décidés à changer le système. Cela dure depuis des années maintenant, et nous venons tout juste de régler une affaire avec Universal. Mais nous continuons notre combat, il nous reste encore cinq autres cas.
Les artistes
Depuis que le cinéma a été inventé, cela a toujours été rude pour les artistes, et ce n’est pas prêt de s’arranger. Un des plus grands problèmes est que les studios exigent que tous les conflits passent en premier lieu par ce qu’ils appellent « un arbitrage privé ». Ils s’expriment devant un juge privé et tout ce qui y est dit est strictement confidentiel. C’est un problème énorme auquel nous faisons face, car cet arbitrage coûte une fortune, le médiateur est payé à l’heure, entre 500 et 900 dollars de l’heure. S’ils veulent tout garder secret, c’est parce que cela leur permet de ne pas avoir de précédent…
La loi se base sur les précédents : pour prendre une décision, les juges ont besoin de consulter des situations similaires. Un précédent facilite également la possibilité d’obtenir un procès pour une infraction ou une cause qui a déjà été poursuivie en justice. Quand il est question d’arbitrage privé, cela devient impossible car tout est tenu secret. Le problème, c’est que les artistes n’ont aucune influence, à l’exception de quelques superstars. Et cela n’inclut pas uniquement les acteurs, mais également les auteurs, les réalisateurs et les producteurs. Il y a tant de personne sans emplois qui accepteraient n’importe quel accord, n’importe quel contrat, quel qu’il soit… Il existe des syndicats qui représentent les réalisateurs, les auteurs et les acteurs, mais ils ont leurs propres soucis à gérer, notamment avec les négociations collectives. Nombre d’entre eux affirment sans détour qu’ils ne sont pas aussi puissants qu’ils le devraient pour défendre et assurer les droits de leur membres. Nous avons fini par poursuivre ces syndicats, car ils ne faisaient pas du bon travail en termes de rémunération. Ils accordent uniquement à leurs membres ce qu’ils appellent les « taxes à l’étranger », d’obscures royalties constituées des droits d’auteurs et de diffusion à l’étranger, plutôt que de payer leur véritable part. On parle d’une centaine de millions de dollars qu’ils n’auraient pas versés aux artistes.
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Le 30 juin, Apple a lancé son service de streaming musical. Les trois premiers mois d’utilisation étant gratuits, ils avaient l’intention de ne pas rémunérer les artistes sur cette période. Les artistes ne seraient pas payés pour leur travail, cela coûterait trop à Apple. Apple, qui a quelque chose comme 80 milliards de dollars sur son compte en banque. Taylor Swift s’est fermement opposée à cette décision. Elle est certainement aussi bonne femme d’affaires que chanteuse. Je suis ravi qu’elle ait pris la parole et elle avait totalement raison. C’est une des rares artistes à être assez influente pour se battre, et je pense que tout le monde est d’accord avec elle. Les musiciens connaissent vraiment des temps difficiles. L’industrie de la musique est passée de 12 milliards de dollars de bénéfice par an à environ 7 milliards, en grande partie à cause du piratage. Plus personne ne veut payer pour la musique. Il est donc encore plus nécessaire pour eux de faire respecter leur droit à être payé justement. Heureusement, il existe des solutions légales pour aider les artistes à obtenir au tribunal l’argent qui leur revient de droit, et Taylor Swift aide à mener l’offensive. Les gens ne se rendent pas toujours compte que l’art, le cinéma, les séries télévisées, les livres représentent environ 3 % du PIB d’un pays. L’influence culturelle d’un pays est trop importante que les artistes et ceux qui vendent leur art ne soient pas payés justement. Comment peut-on faire fonctionner une affaire sans salaire ?
Toutes les choses que j’ai accompli dans ce domaine font que le soir, lorsque je range les armes et que j’arrête d’être avocat, je peux dormir tranquille en sachant que j’ai fait quelque chose de bien pour l’industrie, en obtenant des rémunérations plus juste pour ses acteurs. J’ai également eu l’impression de laisser ma marque dans l’histoire du droit lorsque j’ai obtenu le droit à l’équité et au respect des sujets dans la pratique du journalisme. Mais il est nécessaire d’avoir une vie équilibrée, il est impossible travailler dur tout le temps. Il y a bien d’autres joies dans l’existence que celle d’être avocat. Plus je vieillis et plus je réalise à quel point il est important d’avoir une vie bien remplie et variée. Je suis le leader d’un groupe de rock, j’écris des livres sur le droit, je suis marié à une femme magnifique et je suis entouré de nombreux amis. Il y a des années, pour me présenter à un inconnu, la première chose que j’aurais dit de moi était que j’étais avocat. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui.
Traduit de l’anglais pas Clémence Postis. Couverture : Un milliard de dollars. Création graphique par Ulyces.