Dans la nuit du 13 octobre 1761, des cris retentirent depuis la boutique de Jean Calas, un marchand d’étoffes qui vivait et travaillait dans le centre de Toulouse. L’aîné des six enfants de Calas, Marc-Antoine, avait été retrouvé mort. C’était un jeune homme maussade mais plutôt beau garçon, qui aimait le billard et les jeux d’argent. Sa famille déclara qu’il avait été assassiné. Probablement passé par l’épée de quelqu’un qui s’était glissé dans la boutique depuis la rue pavée. Tandis que les enquêteurs étaient appelés, la foule se rassembla devant la porte d’entrée. Un médecin et deux chirurgiens mandés pour examiner le corps ne trouvèrent qu’une « marque livide sur le cou ». Ils signèrent un rapport niant le récit de la famille sur un possible intrus portant une épée. Ils conclurent ainsi que Marc-Antoine, âgé de 29 ans, avait été « pendu encore vivant, par lui-même ou par d’autres ».
Ces cinq derniers mots, « par lui-même ou par d’autres », marquèrent le début d’un mystère durable et d’une polémique célèbre, devenu le « crime du siècle » des années 1700 – un cliché en vogue à cette époque. Voltaire, le philosophe, dramaturge, propagandiste – « le plus grand amuseur de son époque » – et le plus grand des polémistes devint obsédé par cette affaire. Pendant des années, il travailla à effacer ce qu’il considérait comme une tache pour son pays, pour l’Église et pour les tribunaux. Finalement, quarante juges se réunirent à Paris pour examiner à nouveau l’affaire Calas. Il y a 250 ans, le verdict fut publié, retentissant encore et encore partout en Europe et bien au-delà. En faisant directement appel au peuple, Voltaire utilisa l’opinion publique pour lutter contre l’injustice. Selon certains juristes, cette affaire tristement célèbre marquait également les prémices du mouvement mondial en faveur de l’abolition de la peine capitale.
Les deux thèses
Le système judiciaire français du XVIIIe siècle offrait peu, voire aucune protection des suspects, et une rumeur pouvait s’avérer mortelle que la peste. Et justement, parmi la foule rassemblée devant la boutique de Jean Calas, des rumeurs se répandirent. À l’automne 1761, Calas avait 63 ans, il était père de quatre garçons et deux filles, et marié à une cousine lointaine du philosophe Montesquieu. Sa boutique, spécialisée dans le coton imprimé, « calicots et mousselines gaiement imprimés », fonctionnait assez bien. La famille, pour ceux qui étaient encore à la maison, vivait sur deux étages au-dessus de la boutique. Calas était un huguenot, autrement dit un protestant dans un pays qui demeurait fermement catholique. La loi interdisait la pratique du culte protestant et imposait des restrictions à ses fidèles, allant des biens qu’ils étaient autorisés à vendre jusqu’au choix de leur profession. La médecine et le droit leur étaient interdits en l’absence d’un acte de catholicité, qui pouvait aller de paire avec une preuve d’appartenance à cette confession. Marc-Antoine montrait peu d’intérêt pour les affaires paternelles. Il était diplômé en droit, mais refusant de se convertir ou de compromettre sa foi, il fut interdit d’exercice.
Quelques heures avant sa mort, Marc-Antoine avait dîné à la maison avec cinq autres personnes : son père et sa mère, son frère Pierre, un invité et la servante catholique de la famille. La famille déclara – du moins au début – qu’après le départ de Marc-Antoine, Pierre et l’invité étaient descendus et l’avaient trouvé dans la boutique, victime d’un mystérieux intrus. Cependant, les murmures de la foule insinuèrent que le tueur venait de l’intérieur. Les soupçons se retournèrent contre la famille de Marc-Antoine, alimentés par la rumeur que celui-ci avait prévu de renoncer à sa foi et que son père, pour empêcher cet abandon, aurait comploté son assassinat. Jean Calas ainsi que les quatre autres personnes présentes cette nuit-là furent arrêtés. Trente-six heures plus tard, emprisonnés dans un cachot, ils changèrent leur récit. Ils déclarèrent que Marc-Antoine s’était suicidé et qu’ils l’avaient retrouvé pendu. Le père avoua avoir persisté à raconter cette histoire de meurtre par peur des conséquences de la vérité. À cette époque, les corps des suicidés pouvaient être déshabillés et traînés à travers les rues. À présent, deux versions des faits se contredisaient, toutes deux difficiles à prouver. Ou bien son père, sa mère (et son frère… et l’invité… et la servante catholique !) avaient œuvré ensemble pour étrangler Marc-Antoine, dont le corps ne témoignait d’aucun signe de lutte, ou bien il s’était suicidé en employant des méthodes difficiles à cerner. La famille affirma que Marc-Antoine s’était pendu à un billot de bois placé sur deux battants de porte.
Ce scénario fut analysé des siècles durant. Les sceptiques diraient que le billot aurait sûrement glissé ou que Marc-Antoine, s’affaissant, aurait ouvert grand les portes. Les partisans raconteraient que le billot était plat d’un côté et que les deux portes étaient affaissées. Entraîné par la pente, ce dernier s’était ensuite déposé sur le sol. Frederic Herbert Maugham, un juge britannique devenu par la suite Lord Grand Chancelier sous le mandat de Neville Chamberlain, incarnait parfaitement l’obsession incessante de l’Europe pour la mort de Marc-Antoine. Il portait apparemment un morceau de corde dans sa poche, et durant son temps libre, l’attachait à un crayon, reconstituant ainsi son échafaud. (Dans son livre de 1928, Maugham se rangeait du côté des partisans, en concluant au suicide.) L’état d’esprit de Marc-Antoine fit également l’objet d’un débat. Il venait de confier à un ami combien il était content d’avoir un nouveau complet bleu. Est-ce qu’un homme envisageant de se suicider dirait cela ? Certains répliqueraient que cet homme approchant la trentaine, auquel on avait interdit d’exercer dans son domaine d’études, travaillait comme assistant de son père dans une boutique qu’il détestait, ressassant en permanence les monologues de Hamlet. Ce soir-là, il en était réduit à aller chercher du roquefort pour accompagner le pigeon du dîner avec l’argent que sa mère lui avait remis. Qu’importe le siècle, cela ne reflète pas un portrait joyeux.
La question extraordinaire
À Toulouse, le capitoul David de Beaudrigue était à la fois officier municipal, procureur et magistrat. « Un homme brutal et hâtif » qui, selon les mots d’Edna Nixon, aurait acheté son poste « qui s’exerçait à vie et permettait d’accéder à la noblesse ». David de Beaudrigue arrêta Calas et les autres occupants de la maison sans les mandats obligatoires. Puis, un appel à témoins fut lancé. On menaçait d’excommunier toute personne réticente à venir se présenter, en demandant explicitement de transmettre les ouï-dires, admis comme preuve par les tribunaux français. Bien que plus de cent témoins fissent surface, les enquêteurs ne réussirent pas à trouver un confident de Marc-Antoine, ou n’importe quelle autre preuve de sa conversion. Au lieu de cela, ils entendirent une ribambelle de témoignages alambiqués : un tailleur dit à un bonnetier qui dit à un assistant boulanger qui dit à une femme de barbier… La procédure judiciaire se transforma alors en jeu enfantin de téléphone arabe, avec des résultats prévisibles.
L’écrivain F. H. Maugham sut saisir cette absurdité avec cet exemple : « La veuve Massaleng a déclaré que sa fille lui a dit que le sieur Pagès lui a dit, que M. Soulié lui a dit, que la Demoiselle Guichardet lui a dit, que la Demoiselle Journu lui a dit quelque chose d’où elle a conclu que le Père Lerraut, jésuite, pourrait bien avoir été le confesseur de Marc-Antoine Calas. Lorsque l’on manda le père Lerraut, celui-ci montra que tout ceci était sans fondement. » La plupart des preuves étaient absurdes, mais elles étaient nombreuses et à l’époque, même les preuves considérées comme « incomplètes » ou « imparfaites » pouvaient mener à une condamnation pour peu que tous les fragments soient assemblés. L’Église se jeta également sur l’affaire, influençant l’accusation. Malgré le manque de preuves d’une quelconque conversion, Marc-Antoine reçut des funérailles catholiques. Des milliers de personnes vinrent y assister. L’affaire contre Jean Calas fut présentée devant le parlement de Toulouse, une cour d’appel qui examinait les preuves et délibérait en privé. Le 9 mars 1762, le parlement le reconnut coupable et le condamna par huit voix contre cinq – sur les cinq, un seul avait demandé l’acquittement pur et simple. Calas, condamné à subir la question, devait ainsi être torturé de deux manières, puis brisé sur la roue, et enfin brûlé. L’idée était que, en proie à l’agonie, il confesserait et avouerait la complicité des quatre autres personnes, ainsi que celle d’autres conspirateurs encore inconnus. Le jour suivant, la sentence fut exécutée. La procédure commença dans la chambre de torture et David de Beaudrigue mena l’interrogatoire. Avant de commencer, il entama la première série de questions. Toutes les questions et réponses furent notées.
Vint la seconde torture, la « question extraordinaire ».
Interrogé sur les autres complices que ceux cités lors du procès, il répondit que, n’étant pas coupable, il n’avait pas de complice. Exhorté à dire la vérité, il répondit qu’elle était dite. Alors l’interrogation reprenait, encore et encore. Sans la moindre concession, la torture commença. La première, qu’on appelait la « question ordinaire », consistait en l’étirement élaboré des membres : « Les poignets étroitement liés à une barre derrière lui, Calas était étiré par un système de manivelles et de poulies. Celui-ci tirait ses bras d’une manière constante pendant qu’un poids en fonte maintenait ses pieds en place. » Mais Calas n’avoua pas. Vint la seconde torture, la « question extraordinaire ». Deux bâtons maintenaient la bouche ouverte. Puis, on versait de l’eau, pichet après pichet. Voici comment Nixon décrit cette torture : « Sa tête était maintenue en arrière et un tissu était placé sur sa bouche. Sur ce dernier, on disposait un entonnoir. Son nez était pincé, et de temps en temps on le relâchait. Ensuite, l’eau était lentement versée dans l’entonnoir placé sur le tissu, et aspirée par l’homme qui s’étouffait. » Malgré cela, Calas n’avoua pas. Pour David de Beaudrigue, cela ne se passait pas comme prévu. Mais il lui restait encore des opportunités, puisque la sentence passait de la chambre privée à un spectacle public. Calas fut conduit à travers les rues jusqu’à la place principale de la ville, et fut emmené jusqu’à un échafaud et attaché sur une croix de Saint-André.
Après quoi un bourreau lui écrasa les os avec une barre de fer. Il donna deux coups à chaque bras et avant-bras, deux sur les cuisses et les jambes, et enfin trois à l’abdomen. Le corps brisé, Calas fut ensuite attaché à une roue, face au ciel, où, pendant deux heures, il refusa de se convertir et d’avouer son crime. « Je meurs innocent », déclara-t-il. Après quoi, il fut étranglé et son corps jeté dans un bûcher. L’effet ne fut pas celui escompté. Non seulement David de Beaudrigue n’obtint pas de preuves contre les autres coupables, mais les dernières heures de Calas firent forte impression, et suscitèrent la sympathie. Un homme écrivit plus tard que Calas avait rencontré la mort avec « une majestueuse persévérance ». Une semaine après, à la consternation de David de Beaudrigue, les juges de Toulouse décidèrent d’acquitter les autres coupables. Tous furent libérés, même si Pierre, le frère de Marc-Antoine, fut quant à lui banni.
L’enquêteur
En 1762, Voltaire, contraint de rester à l’écart de Paris, possédait un domaine à Ferney, dans l’est de la France, près de la frontière suisse. La soixantaine, il était célèbre à travers l’Europe pour sa présence d’esprit, son ego et son caractère parfois querelleur. Durant sa jeunesse, par deux fois il avait purgé une peine à la Bastille « pour avoir été souvent irritant », comme Adam Gopnik l’a formulé de façon mémorable. Il était riche, non par héritage, mais grâce à l’investissement, car c’était un génie de la haute finance qui avait gagné à la loterie française. Et même à cette époque-là, malgré sa vue faiblissante, il travaillait de longues heures, alimentées peut-être par sa célèbre consommation quotidienne de café – jusqu’à cinquante tasses. Ses écrits avaient tendance à finir dans les incendies ou sur l’index des livres interdits du Vatican, et il cherchait sans cesse le conflit. Lorsque Jean-Jacques Rousseau publia Le Contrat Social, songeant à combien la société corrompt, Voltaire lui écrivit : « Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. » Voltaire lança à son rival d’un ton malicieux : « Jean-Jacques n’écrit que pour écrire et moi j’écris pour agir. » Moins de deux semaines après l’exécution de Calas, Voltaire entendit parler de l’affaire. Écrivant à un ami, il croyait l’accusation fondée et rédigea alors cette phrase sarcastique et désinvolte : « Nous ne valons pas grand-chose, mais les huguenots sont pires. » Cependant, durant les jours et les semaines suivantes, Voltaire en apprit davantage, passant du dédain à l’inquiétude, et enfin à l’indignation.
Voltaire rencontra le fils cadet de Calas, Donat, qui était absent lors du décès de Marc-Antoine. S’attendant à trouver « un homme à tout faire, comme on en trouve dans le pays », il fut frappé par l’attitude douce de Donat et son émouvante défense du caractère de ses parents. Convaincu, Voltaire entama alors ce qui deviendrait une croisade de trois ans. Après avoir convaincu la veuve de Calas de faire appel du verdict, Voltaire organisa et aida à financer ce combat. Il fit rédiger des documents juridiques, mobilisa d’éminents avocats, harcela son vaste réseau de connaissances aristocratiques et envoya un jeune marchand à Toulouse pour enquêter. Voltaire s’imprégna des règles de la procédure pénale du pays, un labyrinthe qu’il trouvait épouvantable : « Comme il y a des demi-preuves, c’est-à-dire des demi-vérités, il est clair qu’il y a des demi-innocents et des demi-coupables. Nous commençons donc par leur donner une demi-mort, après quoi nous allons déjeuner. » Il s’inquiétait de la manière dont la France était vue par les autres nations : « Ne disent-ils pas que nous savons comment briser un homme sur une roue mais que nous ne savons pas comment nous battre ? » Et il s’emporta contre le secret du système judiciaire qui permettait au parlement de Toulouse de garder pour lui les preuves utilisées pour la condamnation. En 1763, Voltaire arriva à ses fins : le gouvernement français rouvrit l’affaire. Il ordonna également que les actes de procédure fussent transférés à Paris, brisant ainsi le sceau du secret. (À ce jour, les autorités de Toulouse, prenant exemple sur certains organismes publics et se sentant exploitées, exigent une somme exorbitante afin de copier le dossier. Quand on ne peut pas démentir, il faut y mettre le prix.)
Un haut fonctionnaire du gouvernement conseilla à Voltaire de se retirer : « Laisse le monde s’agiter à sa manière », lui écrivit-il, mais Voltaire refusa. Implacable, il traita David de Beaudrigue de « scélérat » et les juges « de druides barbares » et « d’assassins en robe noire ». Il rédigea des pamphlets et d’autres écrits en français, en anglais, en allemand et en néerlandais. Selon Maugham, un auteur britannique qui partageait la conviction de Voltaire, cette campagne de propagande était « énergique, de grande envergure, persévérante et, il faut le dire, sans scrupules. Voltaire n’hésitait pas à fausser ou à déformer les faits en faveur de Jean Calas… » Voltaire ajouta par exemple cinq ans à l’âge de Calas pour ridiculiser la thèse d’un vieil homme contrôlant son jeune fils adulte. L’année de la réouverture de l’affaire, Voltaire publia son Traité sur la tolérance, un travail transcendant où il utilisa l’affaire Calas afin d’inviter à l’entente entre les religions. En 1764, la campagne de Voltaire fit sa deuxième percée : le gouvernement français rejeta la condamnation de Calas et ordonna un nouveau procès, cette fois conduit à Paris. Cette dynamique était si bien lancée que l’issue semblait inévitable. Voltaire, de loin, continuait d’étudier l’affaire, communiquant avec les avocats et les aidant à préparer leurs derniers arguments. Néanmoins, les mois défilèrent sans aucun mot. Pour Voltaire le dramaturge, il s’agissait là d’une pièce qu’il avait mise en scène, mais dont le dernier acte allait se jouer sans lui. Le 9 mars 1765, trois ans après le jour de la condamnation de Jean Calas, quarante juges, appelés les maîtres des requêtes, annoncèrent le verdict unanime : Jean Calas était acquitté. Incapable de rétablir sa vie, le tribunal réhabilita son nom.
Voltaire en Amérique
« Mes tragédies ne sont pas si tragiques », écrivit Voltaire dès le début de l’affaire Calas. Et, d’une certaine façon, la fin de l’histoire repoussait les limites du théâtre. David de Beaudrigue, le capitoul qui avait poursuivi Calas avec tant de vigueur, fut destitué et perdit la raison peu de temps après. Il se suicida en se défenestrant. Il survécut à sa première tentative et dut s’y prendre à deux fois. Pour Voltaire, l’affaire Calas n’était que le début du chapitre qui clôturerait sa vie. Durant ses dernières années, il devint une version XVIIIe siècle du « Projet Innocence », défiant et gagnant les procès, les uns après les autres. Après avoir été pendant longtemps le favori de la haute société, il devint le défenseur du peuple. Avec le temps, son influence s’étendit au-delà de l’Europe et jusqu’à l’Amérique, où Benjamin Franklin et Thomas Jefferson le lisaient et le vénéraient. Les deux hommes partageaient son zèle en faveur de la séparation de l’Église et de l’État. En 1778, Voltaire fut accueilli à bras ouverts à Paris, où le peuple l’acclama comme « l’homme aux Calas ». Il y rencontra Benjamin Franklin – un sacré spectacle, selon John Adams, lui aussi présent. La foule rassemblée hurlait pendant que les « deux vieux acteurs de ce grand théâtre de la philosophie et de la frivolité » s’étreignaient puis s’embrassaient sur la joue. « Ensuite, le tumulte se calma et les cris se répandirent immédiatement à travers tout le royaume, et je suppose, dans toute l’Europe. “Qu’il était charmant de voir s’embrasser Solon et Sophocle !” » Voltaire mourut un peu plus tard cette année-là, à l’âge de 83 ans. Quant à l’affaire Calas, les actes de procédure ne furent pas seulement rendus publics, mais conservés, fournissant aux érudits l’opportunité de réviser et de plaider sur la mort de Marc-Antoine. « Bien que cela puisse être frustrant, cette affaire était et demeure un mystère », écrivit en 1960 David B. Bien, professeur d’histoire de longue date à l’université du Michigan. James Joyce, traitant de la peine capitale, décrivit cette affaire comme le « début du mouvement abolitionniste ». Cette affaire, reconnue comme une exécution arbitraire, devint un élément clé dans l’argumentation contre la peine de mort : nous pouvons nous tromper. Le philosophe britannique Jeremy Bentham présenta cet argument dès 1775 en citant « la triste affaire de Calas ». L’interrogatoire et l’exécution du commerçant de Toulouse aida également à galvaniser l’opposition à la torture, comme rapporté dans le livre de l’historien Lynn Hunt, L’invention des droits de l’homme. Ainsi, bien évidemment, il est toujours risqué de regarder en arrière et de se tourner vers l’étranger avec un air de supériorité. La simulation de noyade n’a pas disparu. Le changement réside dans l’euphémisme : de « la question extraordinaire », on passe à l’interrogatoire musclé. Et comme le montre l’affaire Calas, au cours des années 1700, la France avait une voie de recours que l’Association américaine du barreau aurait aimé avoir à présent. L’année dernière, l’association a proposé une résolution faisant appel au gouvernement fédéral et à chaque État possédant la peine capitale, afin de créer un espace de dialogue où des requêtes pour exécution arbitraire pourraient être entendues. Cette résolution a été ignorée.
Traduit de l’anglais par Ségolène Jaillet d’après l’article « Broken on the Wheel », paru dans The Marshall Project. Couverture : Les adieux de Jean Calas à sa famille.