« Laissez-moi vous conter l’histoire d’un homme qui n’était ni bon ni mauvais, mais les deux à la fois. Laissez-moi vous parler d’un homme dont l’histoire, dit-on, n’a jamais connu de fin. Laissez-moi vous conter l’histoire de Deacon Brodie. » La voix du vieil homme est profonde et rocailleuse, entrecoupée de sifflements. Son accent écossais pèse lourdement sur chacune des syllabes. Après les moments cruciaux, il se fige dans une expression d’incrédulité et regarde au loin avec une mélancolie feinte. Il conserve cette posture un long moment, laissant croire à son auditoire qu’il a perdu le fil. Mais juste avant qu’un malaise ne s’instaure, il agite son bras, frappe le sol de sa lourde canne et reprend son récit : il sprinte à travers les mots, saute agilement les marques de ponctuation… avant de s’arrêter net à nouveau, comme hypnotisé par sa propre histoire.
Son accoutrement du XVIIIe siècle – chapeau, manteau long, chemise à jabot, chaussettes hautes et pantalon à boutons – lui donne des airs quelque peu ridicules. Mais ni son outrance mélodramatique ni les pans élimés de son costume ne semblent le gêner outre mesure. Il poursuit sur sa lancée, longuement, avec un enthousiasme communicatif. Et soudain, dans un dernier sifflement, un dernier grincement de planches, un dernier fléchissement de genoux tremblotant, l’histoire de la vie et de la mort de Deacon Brodie, l’un des plus célèbres tartufes d’Édimbourg, qui inspira le personnage du Dr Jekyll à Robert Louis Stevenson, prend fin. Le célèbre conteur Jack Martin retire son chapeau, s’incline, glisse élégamment les mains dans son gilet, un sourire satisfait aux lèvres. Un groupe de Suédoises se presse pour prendre des selfies avec l’artiste, tandis que le reste de la petite assemblée applaudit.
Une histoire écossaise
Je me trouve au Scottish Storytelling Festival, le plus grand festival écossais du conte, dans un grenier exigu donnant sur l’artère principale d’Édimbourg, le Royal Mile. Je viens d’assister à « Deacon Brodie démasqué », une plongée d’une heure dans la vie de William Brodie, conseiller municipal de la ville au XVIIIe siècle, et braqueur de banque alcoolique à ses heures. Le festival trouve ses origines dans le cèilidh écossais, un rassemblement festif traditionnel. Il est l’occasion de célébrer – et de redécouvrir – la culture du pays par le truchement des contes et légendes. Des événements sont organisés à travers toute l’Écosse, mais le cœur du festival est à Édimbourg, où sont nées les plus fameuses histoires du pays.
Les organisateurs du festival occupent une partie de la maison John Knox, l’un des plus vieux bâtiments d’Édimbourg. C’est là, dans un petit café animé, que je rencontre Donald Smith, le directeur du Scottish Storytelling Centre et du festival associé. Vêtu d’un blazer en tweed et d’épaisses lunettes de professeur, Smith parle d’une voix claire et posée. « Le festival existe depuis vingt-cinq ans, et s’attache à explorer le rôle des traditions orales en tous genres dans la culture contemporaine », explique-t-il. « Malgré tout, il est profondément lié à la résurgence, depuis une trentaine d’années, d’une conscience nationale écossaise. » Comme beaucoup d’hommes de lettres et d’artistes ici, Smith est un fervent défenseur de l’indépendance écossaise. Pas question, pour autant, d’utiliser le festival comme vitrine pour le Scottish National Party (SNP, principal parti indépendantiste écossais, actuellement au gouvernement, ndt). « Je suis favorable à l’indépendance, bien sûr, mais je ne suis affilié à aucun parti et je n’ai pas d’agenda politique. »
D’où vient cette image universellement partagée de l’Écossais en kilt ? D’une histoire, bien sûr.
Smith n’essaie pas non plus de défendre une vision stéréotypée de l’Écosse. Le festival, poursuit-il, permet de fournir des ressources aux gens afin qu’ils puissent explorer leurs propres racines culturelles. Et en effet, c’est bien ce sentiment d’un héritage ancestral qui est à l’origine de son intérêt pour le festival. « Oui, j’étais venu pour en savoir plus sur le folklore écossais, mais aussi pour voir à quel point ces histoires ont pu affecter notre conscience en tant que peuple. Et comprendre comment, à la suite de l’échec du référendum sur l’indépendance écossaise, l’art du conte pouvait façonner le futur de notre pays. » Édimbourg possède une riche tradition en matière de contes et légendes. La ville a vu naître beaucoup d’écrivains, de poètes, et de sombres histoires. C’est là que Sir Walter Scott installa l’intrigue du Cœur du Midlothian ; là encore que Dickens trouva l’inspiration pour son conte Un Chant de Noël. (Il s’était trompé sur l’épitaphe du marchand de maïs ayant inspiré Scrooge, lisant « Ebenezer Scroggie, Mean Man » – « un méchant homme » – au lieu de « Meal Man » – « l’homme des repas ».) C’est aussi à Édimbourg que J.K. Rowling conçut la saga Harry Potter, s’inspirant des tours de conte de fée de la véritable école George Heriot pour créer le collège de magie et de sorcellerie de Poudlard. Old Town, la vieille ville, est la partie la plus emblématique d’Édimbourg : c’est là que les touristes se pressent, là aussi que l’histoire politique et littéraire de l’Écosse est la plus vivace. Le quartier s’étend le long d’une crête formée lors de la dernière ère glaciaire, lorsque le passage des glaciers a érodé les reliefs environnants, ne laissant affleurer que la roche volcanique plus dure. Au XIIe siècle, le roi David Ier d’Écosse choisit d’ériger à son sommet une grande place forte. Détruite et reconstruite à maintes reprises, la célèbre forteresse médiévale, désormais connue sous le nom de château d’Édimbourg, veille sur New Town, la ville moderne qui s’étend en contrebas. Lors des guerres d’indépendance des XIIIe et XIVe siècles, les raids des Anglais ont détruit une grande partie de la cité. À l’issue des hostilités, toutefois, c’est une bouillonnante ville de négoce qui a émergé des décombres, dominée par de hauts immeubles et percée d’étroites ruelles commerçantes qui ruissellent depuis le centre. Aux XVe et XVIe siècles, les touristes affluaient pour venir admirer l’architecture gothique d’Édimbourg, ainsi que les premiers gratte-ciels au monde.
Bien sûr, tout n’était pas qu’innovation et grandeur. Entre la fin du XVIe et le début du XVIIIe siècle, la population d’Édimbourg a été multipliée par six, sans que la cité n’étende beaucoup ses murs. Jusqu’à quarante-mille habitants ont vécu entassés dans moins de soixante hectares de terre écossaise détrempée. La ville était congestionnée, saturée de fumées, infestée de maladies. Régulièrement, des incendies coupaient à travers les hauts immeubles, asphyxiant les résidents et ravageant les bâtiments.
Faits et fiction
Sur la rue Castlehill, qui descend depuis le château et amorce l’artère centrale du Royal Mile, de hauts bâtiments émergent fièrement des ombres. Mais dans les troubles venelles attenantes, que les Écossais appellent des closes, les maisons semblent se blottir les unes contre les autres. Les touristes se font plus rares, le son de la cornemuse, plus discret ; la sordide promiscuité de la vieille Édimbourg se fait vraiment prégnante. La capitale, autrefois surnommée Auld Reekie – « la Vieille Fétide » – pour son épais brouillard pestilentiel, habite encore ces ruelles. En descendant les marches patinées de Gladstone’s Land, la haute bâtisse du XVIIe siècle où Jack Martin contait son histoire, on débouche sur la rue Lawnmarket, qui prolonge le Royal Mile. Là, les touristes bavardent, gloussent, font leurs emplettes et se marchent sur les pieds, à grands renforts de guides touristiques et de listes d’ « incontournables ». Les habitants agacés empruntent des raccourcis, esquivent les objectifs et gardent les yeux rivés sur les pavés glissants. La pluie ruisselle depuis les façades des maisons et s’insinue dans les étroites ruelles pour venir fouetter les passants. Temps de chien à Édimbourg. Je continue à vagabonder en direction du cœur du festival. En chemin, non loin de l’imposante silhouette gothique de la cathédrale Saint-Gilles, je croise cinq hommes turbulents qui s’agitent autour du Cœur du Midlothian, une mosaïque ancienne faite de pavés en granite. L’un des hommes étale le vieux chewing-gum et les crachats qui en maculent la surface. Les autres se raclent la gorge en riant et immortalisent leurs mollards en train de s’écraser sur le cœur de pierre. La mosaïque a été construite sur le site de l’ancienne prison de Tolbooth, l’un des centres de détention les plus célèbres de la vieille Édimbourg. Les habitants avaient l’habitude de cracher sur la porte d’entrée en signe de mépris. De nos jours, ce n’est plus qu’un énième rituel touristique.
C’est là, en 1788, que Deacon Brodie fut pendu, devant une foule de quarante-mille personnes. Martin raconte que Brodie portait un col en acier et s’était inséré un tube métallique dans la gorge pour survivre. Certaines disent qu’il est mort, d’autres qu’il s’est échappé. Une histoire, racontée par Ian Rankin dans son recueil A Good Hanging and Other stories (« Une bonne pendaison et autres histoires », non traduit en français, ndt), rapporte que les criminels condamnés à la potence se voyaient souvent offrir une dernière chance de survie. Ils devaient courir le long du Royal Mile, une foule assoiffée de sang aux trousses : s’ils atteignaient le parc royal de Holyrood sans se faire rattraper, leur intégrité physique était assurée aussi longtemps qu’ils y restaient. Autour de High Street, la rue centrale du Royal Mile, Édimbourg se parodie elle-même, jouant la carte des clichés d’une Écosse de pacotille. De nombreuses boutiques de pulls en cachemire s’entassent au pied des bâtiments, au mépris de la loi de l’offre et de la demande. Les touristes s’agglutinent autour de restaurants kitsch qui servent du whisky et du haggis. Partout, des musiciens exténués et frigorifiés jouent de la cornemuse, leurs plaintes combinées évoquant une sirène d’ambulance. Des bardes à la petite semaine et des guerriers écossais sans âme arpentent le Royal Mile, guidant les groupes de touristes en s’aidant de leur iPad… D’où vient cette image universellement partagée de l’Écossais en kilt ? D’une histoire, bien sûr. En 1707, au siège du Parlement d’Écosse, le gouvernement écossais, qui fait face à une situation économique désastreuse, approuve l’union avec l’Angleterre. Au grand dam du reste du pays. Or, comme le note l’historien Hugh Trevor Roper : « Quand une société renonce à la politique, elle est capable de trouver d’autres moyens pour exprimer son identité. » Ayant renoncé au pouvoir politique, l’Écosse fit du pouvoir culturel son principal instrument idéologique.
Au cours du XVIIIe siècle, l’Écosse produisit un flot incessant d’universitaires, d’inventeurs et d’entrepreneurs, et Édimbourg acquit la réputation d’être une « pépinière à génies ». En quelques années, la scène intellectuelle européenne vit l’arrivée de figures telles que David Hume, Francis Hutcheson et Adam Smith. En 1750, les citoyens écossais comptaient parmi les plus lettrés d’Europe : les trois quart d’entre eux savaient lire et écrire. Le pays devint un haut-lieu du savoir et de l’entrepreneuriat en Europe, qui fit dire à Voltaire que les autres pays se tournaient vers l’Écosse pour trouver toutes leurs « idées sur la civilisation » (d’après une citation célèbre mais passablement enjolivée, ndt). Il ne manquait plus au pays qu’un passé : quelque chose d’ancien, de cohérent et fédérateur, afin d’inscrire la singularité écossaise au sein de l’Union. Cinquante-quatre ans après l’accord avec Westminster, l’Écosse trouva sa formule magique. Elle est l’œuvre de James Macpherson, un écrivain de Ruthven, et John Macpherson, un révérend de l’île de Skye – deux hommes qui, malgré les apparences, n’étaient pas apparentés. Leurs œuvres combinées allaient entièrement réinventer l’histoire du pays. En 1761, James Macpherson affirma avoir découvert et traduit un poème épique intitulé Fingal, composé par un barde-guerrier du nom d’Ossian ayant vécu au IIIe siècle en Écosse. En réalité, Ossian était une invention. Macpherson avait bricolé son œuvre à partir de divers fragments littéraires, parmi lesquels une sélection de vieux mythes irlandais et les écrits d’auteurs anglais comme Milton et Shakespeare.
L’Écosse avait besoin d’une image d’elle-même qui lui permît de se distinguer de son voisin plus puissant.
De son côté, John Macpherson rédigea une thèse qui fournissait un arrière-plan historique pour le poète écossais récemment découvert. Il avança de quatre siècles l’arrivée des Celtes gaéliques en Écosse. [On considère généralement que les Scots, tribu celte originaire d’Irlande, s’implantèrent en Écosse au Ve siècle. Leur langue, le gaélique, est à l’origine de l’irlandais et de l’écossais modernes, ndt.] Restait à régler le problème de la littérature irlandaise autochtone, dont l’œuvre d’Ossian était en partie inspirée. Qu’à cela ne tienne : c’étaient les fourbes Irlandais qui avaient pillé la littérature des vertueux Écossais, au début du Moyen Âge. Les lettrés d’Édimbourg ignoraient tout de la véritable origine du poème, et acclamèrent Ossian comme l’Homère écossais. L’œuvre d’Ossian connut une renommée internationale : Thomas Jefferson, Napoléon et Goethe comptèrent parmi ses adeptes. Ironie de l’histoire : c’est l’un des détracteurs de cette légende qui, en la dénonçant, créa un autre mythe tout aussi populaire. Dans son essai de 1805 sur les origines du poème d’Ossian, Walter Scott écrivit avec aplomb que les Scots du IIIe siècle après J.-C. portaient le « tartan philibeg », autrement dit le kilt moderne. C’est faux : le kilt moderne n’apparut en Écosse qu’au XVIIIe siècle, et fut inventé par un Anglais. Thomas Rawlinson, un industriel originaire de Lancaster, le conçut à partir de vêtements locaux pour ses ouvriers des Highlands, trop pauvres pour s’offrir des pantalons. Le kilt n’est pas un vêtement d’origine écossaise : seul le romantisme impénitent de Walter Scott le fit passer pour tel, ainsi que son adoption tardive comme tenue officielle par les élites dirigeantes. En réalité, le kilt est un pur produit du capitalisme anglais. Ces mises au point ne remettent pas en question la légitimité de la culture écossaise : tout pays a ses mythes. L’Écosse avait besoin d’une image d’elle-même qui lui permît de se distinguer de son voisin plus puissant, et la conçut à partir de la voix et de l’imagination de ses auteurs. Ainsi que me l’a confié l’écrivain James Robertson : « Si les gens vénèrent Walter Scott à ce point, c’est parce qu’il leur a donné ce qu’ils voulaient. Il leur a rendu leur identité. »
L’art du conte
« Les vieilles histoires ne vieillissent pas, car elles se renouvellent à chaque récit », commente l’écrivain Ian Stephen, conférencier au festival. De retour au Scottish Storytelling Centre, j’écoute Stephen parler de son expérience de conteur. « Parfois on change un peu les choses, parfois on veut mettre l’accent sur une partie plutôt qu’une autre. Une histoire n’est jamais un produit fini, elle est toujours en train d’être écrite, un work in progress. »
Cette analyse vaut également pour le récit sur l’indépendance écossaise depuis le traité d’Union de 1707. La conscience populaire s’est aiguisée au fur et à mesure qu’on inventait et transformait des histoires ; les mythes ont été, pour ainsi dire, mis au goût du jour. Ainsi, en 1996, le Scottish National Party a aligné son message sur le blockbuster hollywoodien Braveheart – littéralement « cœur vaillant » –, qui met en scène l’histoire du héros écossais William Wallace pendant les Guerres d’indépendance. Lors de la sortie du film, le parti a distribué des tracts sur lesquels on pouvait lire : « AUJOURD’HUI, CE NE SONT PLUS SEULEMENT LES CŒURS VAILLANTS QUI FONT LE CHOIX DE L’INDÉPENDANCE. LES TÊTES BIEN FAITES AUSSI… EN METTANT LEUR BULLETIN DANS L’URNE. » L’opération s’est avérée porteuse, avec des sondages d’opinions en hausse de huit points pour le SNP cette année-là. Dix-huit ans plus tard, à l’heure du référendum sur l’indépendance de l’Écosse, ce genre de récupération est resté limité. Pourtant, la consultation tombait l’année du 700e anniversaire de la bataille de Bannockburn, sans doute l’une des plus grandes victoires écossaises face aux Anglais. D’après James Robertson, qui soutient l’indépendance, cela aurait paru cavalier au regard du débat public ouvert et informé qui se déroulait dans le pays. « Je pense qu’on peut dire que les discussions sur l’indépendance de l’Écosse ont récemment connu un processus de maturation », explique-t-il. « Les récits historiques du pays convoqués dans le débat sont devenus plus pertinents que dans le passé. » Il n’est plus possible, ni même convaincant, de dépeindre aujourd’hui le SNP comme une bande d’éleveurs en tartan en lutte contre les forces maléfiques de Westminster. La révolte à la Braveheart a vécu. Alors quelle est l’histoire en vogue aujourd’hui ?
Pour beaucoup, le référendum de 2014 était censé signer la fin d’un long et complexe processus de construction du récit écossais. Après la victoire du « non », le Premier ministre David Cameron a fièrement annoncé que le débat était « clos pour une génération ». Rien n’est plus faux. Les doutes sur la capacité de Westminster à tenir ses promesses en matière de dévolution ont suscité de grands élans de soutien en faveur du mouvement indépendantiste. « Je pense que personne n’est prêt à renoncer au changement », explique Stephen. « Le “Non” n’est pas un motif de réjouissance, tandis que le “Oui” reste une idée porteuse. » Le peuple écossais semble du même avis. Une semaine seulement après le référendum, le SNP a enregistré trente-cinq-mille nouvelles adhésions. D’après un sondage Ipsos-Mori, les prochaines élections législatives pourraient voir le parti indépendantiste écossais remporter cinquante-quatre des cinquante-neuf sièges attribués à l’Écosse au Parlement britannique, contre seulement six actuellement. [Les élections générales britanniques se dérouleront le 7 mai 2015, ndt.] L’historien écossais et militant indépendantiste Stuart McHardy résume la situation : « Le référendum était le premier round. Il pourrait y en avoir plusieurs avant la fin du match. » Mais il existe encore beaucoup d’Écossais qui, d’une façon ou d’une autre, se sentent britanniques – environ 18 % d’après un recensement de 2011. J’en fais partie. Je suis né à Salisbury, en Angleterre, et j’ai déménagé en Écosse en 1992, à l’âge de un an. J’ai vécu la majeure partie de ma vie en dehors d’Édimbourg. Mon père est écossais, ma mère anglaise, et je parle avec un accent écossais mâtiné d’intonations anglaises. À l’étranger, où je passe le plus clair de mon temps, je suis simplement un « Brit’ ». Il y aussi la question, sans doute plus importante encore, de la réalité d’une gouvernance indépendante. « Pour moi, l’indépendance n’est pas la fin de l’histoire. Nous devons décider de quelle Écosse indépendante nous voulons, et puis la gouverner », précise Robertson. Pour l’heure, paradoxalement, le gouvernement SNP se trouve dans une situation idéale. Forcé de composer avec un partenaire peu accommodant, il peut se présenter comme un défenseur du peuple tout en rejetant la responsabilité sur Westminster en cas d’échec. Mais il lui faut encore décider des moyens de faire exister l’Écosse dans le monde en dehors du Royaume-Uni. En quittant le Scottish Storytelling Centre pour la dernière fois, une pile d’histoires sur la vieille Édimbourg à la main, je tombe sur la statue d’Adam Smith. À sa base, un graffiti jaune tracé à la va-vite : « Les Écossais ont foiré ! » L’Écosse est à la recherche d’un dénouement. Mais si le festival du conte a quoi que ce soit à nous apprendre, c’est bien que certaines histoires nécessitent d’être constamment réinventées. Si l’indépendance survient, elle ne signera pas la fin de celle-ci : l’histoire écossaise se poursuivra et continuera d’évoluer. Pour l’heure, l’Écosse est toujours, comme les histoires qui la fondent, un work in progress.
Traduit de l’anglais par Yvan Pandelé d’après l’article « The City of Words », paru dans Roads & Kingdoms. Couverture : Édimbourg, par Daniel Hill.