La plus grave épidémie d’Ebola a débuté à la fin de l’hiver dernier en Guinée, sur la côte ouest de l’Afrique. Quand l’été est arrivé, le virus – et l’horrible maladie qu’il provoque – s’était propagé vers le sud, touchant le Sierra Leone et le Liberia. Kent Brantly, docteur en médecine, avait déjà passé huit mois avec le groupe d’aide Samaritan’s Purse quand le premier patient atteint d’Ebola est arrivé à son hôpital de Monrovia, la capitale du Liberia, le 11 juin 2014. En l’espace de quelques semaines, Brantly et son équipe se sont retrouvés submergés par un flot de malades au bord de la mort. Et Brantly est tombé malade. Le 23 juillet, il s’est réveillé avec de la fièvre, et trois jours plus tard, un test sanguin confirmait qu’il avait contracté le virus.
S’il demeurait en Afrique de l’Ouest, il n’aurait pratiquement aucune chance de s’en sortir. Des responsables gouvernementaux américains et Samaritan’s Purse ont alors organisé une mission de sauvetage. Brantly regagnerait les États-Unis à bord d’un jet Gulfstream III modifié, doté d’un système unique de confinement biologique – une sorte de tente high-tech – qui empêcherait le virus de se propager. À terre, il serait transporté par des urgentistes entraînés pour ce genre de mission d’urgence depuis plus de dix ans. Enfin, il serait soigné par des médecins et des infirmières portant des combinaisons imperméables dans une unité d’isolement spécialement conçue à l’hôpital de l’université d’Emory, l’une des quatre unités équipées pour de telles procédures dans tout le pays. En attendant que tout soit prêt, Brantly prenait un médicament expérimental qui semblait stabiliser son état. Le 30 juillet, le jet affrété par Phoenix Air a atterri au Liberia. Voici l’histoire de ce sauvetage, raconté par les femmes et les hommes qui l’ont rendu possible.
Il faut sauver le docteur Brantly
Vance Ferebee (infirmière en chef, Phoenix Air) : Ils ont amené le docteur Brantly à l’aéroport sur la remorque d’un pick-up couverte d’une bâche bleue. Il était minuit. Il était allongé à l’arrière dans une combinaison jaune, avec tout l’équipement de protection nécessaire. C’était du vinyle, une matière qui tient très chaud. Nous l’avons aidé à monter les marches et il a traversé l’avion. Dès qu’il est entré dans la tente, nous lui avons retiré sa combinaison – il n’en avait plus besoin et il faisait très chaud. L’humidité dans ce pays est atroce. Il avait une intraveineuse car il avait reçu un traitement expérimental ainsi qu’une transfusion sanguine d’un adolescent de 14 ans je crois, qui avait été guéri après avoir contracté Ebola. Mais avec cette chaleur, le pansement ne voulait pas tenir, rien ne collait à sa peau. Alors j’ai refait son injection et nous lui avons administré des fluides. C’est très simple, c’est la même chose que pour un patient à l’hôpital. Bruce Ribner, docteur en médecine (directeur médical à l’unité des maladies infectieuses, Emory) : Ce n’est pas comme si l’avion avait atterri chez moi et que j’avais eu vingt minutes pour me préparer pour son arrivée. Il faut quatorze heures pour se rendre au Liberia, quatorze heures passées sur place et quatorze heures pour en revenir. Cela me laisse donc au moins un jour et demi de préparation. Dans ce cas précis, on m’a appelé le mercredi, et Kent n’est pas arrivé avant le samedi. Ça nous a laissé trois jours pour mettre en place tout ce qui était prévu.
Ferebee : Brantly a essayé de dormir dans l’avion. Le simple fait de savoir que nous rentrions aux États-Unis changeait tout. Mais nous étions si inquiets et tendus, et les risques encourus à rapatrier un patient atteint d’Ebola sont si importants, que tout cela n’aurait jamais eu lieu sans l’intervention du gouvernement. En contrepartie, nous avons dû atterrir sur une base de l’Armée de l’air qui se trouvait aux Açores, sur un territoire sous domination portugaise. Et puis nous avons dû faire toutes les démarches auprès de la douane à Bangor (État du Maine), de la Dobbins Air Reserve Base, de la FAA (Administration fédérale de l’aviation), du Département de l’Agriculture, etc. Alex Isakov, docteur en médecine (directeur exécutif, Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile, Emory) : Posséder une cellule d’isolement est la première étape. Ensuite, il faut réfléchir au moyen d’y amener les patients. Nous avons tous les moyens logistiques à disposition pour ce faire sans mettre en danger le public, ni les autres patients ou les visiteurs. On leur apporte ainsi les meilleurs soins tout en protégeant l’équipe médicale. L’idée est que personne ne soit exposé à la maladie lors du transport, et qu’aucune surface ne soit contaminée à proximité du malade.
John Arevalo (ambulancier, service des urgences du Grady Memorial Hospital) : Nous nous entraînons environ deux fois par an. Avant, nous étions une douzaine, mais les gens s’en vont, finissent leurs études, partent à l’étranger. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que deux dans ce domaine : Gail Stallings et moi. Le dernier entraînement remontait à trois semaines ou un mois. Et là – boum ! – on nous envoie un message : « Nous avons une mission pour vous. » On n’a eu que peu de détails, jusqu’à ce qu’on se rende à la réunion. Ils nous ont dit : « Voilà, nous avons un patient atteint d’Ebola, et il va arriver tel jour, à telle heure. C’est sérieux. »
Retour au pays
Robin Brown-Haithco (directeur, santé spirituelle et soutien du personnel, Emory) : Les médias étaient partout. Les informations se répandaient sans même que l’on dise quoi que ce soit. Le personnel devenait de plus en plus tendu. 95 % d’entre eux disaient : « C’est super. C’est pour ça qu’on est là. » Le problème venait des 5 % restant qui, je pense, prêtaient trop d’attention à ce que disaient les journalistes. Ils s’inquiétaient : « Et si la maladie se répandait ? Et si je ramenais le virus chez moi et contaminais ma famille ? Et si ce qui s’est passé en Afrique de l’Ouest commençait à se produire ici et que nous en soyons responsables car nous avons ouvert les frontières ? »
« Si un médecin est contaminé, un autre doit prendre sa place, ce qui augmente considérablement le nombre de personnes exposées. »
Ribner : Il est certain que certains de nos employés avaient besoin d’être mieux informés. Cette maladie ne fait pas partie des plus contagieuses et touche peu de personnes malgré tout. C’est un virus particulièrement fragile comparé à d’autres. La plupart des désinfectants permettent de l’éliminer en dix à quinze secondes. Dans la catégorie des pathogènes viraux, celui-ci est bien moins résistant que les norovirus par exemple, qui causent les épidémies de diarrhée sur les navires de croisières. Pour l’attraper, il faut être exposé directement aux fluides corporels relativement tôt après leur éjection, car ils ne survivent pas longtemps dans l’environnement extérieur.
Isakov : Quand on s’occupe de patients atteints d’une maladie transmissible grave, on a une tolérance zéro pour les erreurs de procédure. Il faut être très méticuleux. Et on doit sélectionner les bons outils et les bons équipements qui nous permettront d’être efficace et de nous sentir à l’aise pour ne pas ajouter de stress à notre travail. Le jour où l’on doit déplacer un patient qui vomit ou a une diarrhée sévère, on ne veut pas se rendre compte que l’équipement de protection ne tient pas le coup, et qu’en sortant de l’hôpital il tombe en lambeaux. On ne veut pas découvrir au dernier moment que les lunettes de protection que l’on porte vont être recouvertes de buée à cause de l’humidité à Atlanta. Ou bien se rendre compte qu’une fois tout l’équipement enfilé, on ne peut plus parler à nos collègues ou à nos patients. Il vaut mieux savoir tout cela à l’avance. En plus d’une décennie, nous avons testé de nombreux équipements, ainsi que différents modes de communication qui permettraient au personnel médical de parler entre eux, ainsi qu’à leur superviseur et leur patient. Le système utilisé pour cela est celui de la conduction osseuse, ou ostéophonie. C’est ainsi que nous avons anticipés tous ces problèmes.
Arevalo : Nous allons plus loin, jusqu’à l’utilisation d’une combinaison de protection. Nous savions qu’Ebola était transmis uniquement par contact, pas par l’air. Mais s’ils vous éclaboussent en vomissant, par exemple, vous serez contaminé. Pour minimiser le risque, nous nous entraînons toujours avec une combinaison dotée d’un respirateur à adduction d’air filtré. Cela nous habitue à l’utiliser et nous met en condition. Si on ne s’entraîne pas avec la combinaison, on peut s’évanouir au bout de trente, quarante ou soixante minutes. Et si un médecin est contaminé, un autre doit prendre sa place. Cela augmente considérablement le nombre de personnes exposées. Nous avons suivi les Procédures Opérationnelles Permanentes (POP) et vérifié notre matériel. Puis nous avons apprêté la camionnette. Nous avons tout retiré : la civière, les tiroirs, les ceintures de sécurité sur les banquettes. Et nous avons recouvert tout l’intérieur avec un tissu épais et imperméable. Nous avons créé une sorte de récipient pour que tout fluide soit contenu. Nous avons préparé deux camionnettes, au cas où il y aurait un problème dans la première. Certaines personnes ne voulaient pas qu’Ebola soit ramené aux États-Unis, aussi nous nous attendions au pire. Si quelqu’un tentait de percuter l’ambulance et qu’elle était renversée, nous risquerions de nous retrouver au beau milieu de l’autoroute 285 à attendre… attendre quoi, au juste ? Nous avons toujours une camionnette de secours.
Ferebee : Une fois que nous avons atterri, nous avons enfilé la combinaison à Brantly. L’objectif était de protéger toutes les personnes autour de lui. Mais le fait que nous l’ayons mis dans une combinaison propre à l’intérieur d’une tente signifie que, techniquement, l’extérieur de la combinaison est contaminé. Nous étions ainsi dans l’obligation de protéger la cabine pour le moment où il sortirait. Nous avons placé des coussins par terre ainsi qu’un tissu résistant aux fluides sur les côtés de l’habitacle, sur les sièges et sur notre matériel.
Arevalo : Il faisait vraiment très chaud. De la vapeur émergeait de l’allée centrale. Gail et moi, on se complète bien. On s’est entraîné pendant des années tous les deux, une certaine confiance s’est installée entre nous. Je mets mes gants. Elle met les siens. Elle me met du scotch. Je lui mets le sien. On vérifie une, deux fois, puis on enfile la deuxième paire de gants. Elle enfile toute la combinaison sauf le respirateur, qu’elle peut enfiler par l’avant. Dans le pire des cas, si j’ai besoin d’aide, elle n’aura qu’à mettre la tête dans le respirateur et elle sera prête. J’ai pénétré dans l’avion. Une infirmière tenait la main de Brantly. Je l’ai regardé dans les yeux et j’ai ressenti la douleur et la peur intenses qui l’habitaient. Il a confié dans certaines interviews qu’il y avait des jours où il ne savait pas s’il s’en sortirait. Le simple fait de le voir restera gravé dans ma mémoire toute ma vie. J’ai pris ses mains, et j’ai ressenti sa tension. Avec le respirateur, la combinaison est un peu grande. C’est normal, il ne faut pas qu’on soit trop serré, au risque qu’elle se déchire si l’on se penche trop. Tout serait fichu. J’ai marché à reculons, j’avais vraiment du mal à voir où j’allais. Je me disais : « Voilà, je tiens ses mains, je suis potentiellement contaminé, et il ne faut pas que je le fasse se retourner pour voir où je mets les pieds. S’il tombe, je préfère qu’il tombe sur moi pour que je puisse le rattraper. » J’ai allumé ma radio et dit : « Hé, les gars, est-ce que quelqu’un peut compter le nombre de marches pour moi ? Je n’y vois rien. » On a descendu les marches une à une, très lentement, jusqu’à arriver par terre. Il était faible, mais il ne tremblait pas et ne semblait pas près de s’écrouler. Je l’ai assis sur la civière, l’ai attaché et lui ai dit : « Bienvenue à la maison. Ça fait plaisir de te voir. »
Ribner : Dans une autre région d’Afrique, il y a le virus Marburg. Il n’est pas aussi mortel, mais il peut causer des fièvres hémorragiques. Il y a environ six ans, un employé des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) qui travaillait sur une épidémie en Angola a été transporté dans notre unité pour un cas présumé de Marburg. Nous avons été capables de déterminer s’il était atteint du virus ou non. Mais aucun d’entre nous ne savait que la maladie évoluait par poussées entrecoupées chez cette personne. Je pensais que ce serait la même chose avec Kent. J’ai dit : « On a déjà fait ça. Ça ira, n’est-ce pas ? »
Arevalo : Le trajet s’est déroulé dans le calme, je dirais. Mais on pouvait entendre l’agitation partout autour de nous. On ne pouvait pas voir à travers les fenêtres, car tout était recouvert, mais on entendait des sirènes de tous les côtés, et des hélicoptères. Ribner : D’habitude, l’ambulance nous appelle pour nous faire un compte-rendu de sa progression, mais là, nous l’avons suivie à la télé. « Ah, voilà, ils viennent de sortir de la 85e rue. Ils sont juste au coin. »
Isakov : Nous avons amené le patient dans l’unité d’isolement tout de suite. Sans s’arrêter aux urgences. Sans traverser les couloirs bondés. Rien de tout cela n’aurait eu de sens. Il fallait que nous empruntions le chemin le plus rapide jusqu’à l’unité.
Pas de traitement
Arevalo : Je suis descendu de l’ambulance, et j’ai aidé Brantly à sortir. Dès que nous avons été dehors, j’ai entendu les hélicoptères et la première chose à laquelle j’ai pensé a été : « Ne tombe pas, je t’en supplie ! » Je l’ai aidé à traverser : « Il faut faire attention. Je vais te tenir. » Ils avaient ouvert la porte pour nous – pendant les entraînements, elle était verrouillée. Nous sommes entrés, et au moment où nous sommes arrivés devant les escaliers, il a ralenti. Je lui ai demandé s’il avait besoin de faire une pause. Il m’a répondu d’un léger hochement de tête. Il a essayé de s’accrocher à la rambarde et je lui ai dit : « Non, contente-toi de te t’accrocher à moi », car on ne devait rien toucher. « Reprends ton souffle un moment. Je te tiens. Si tu tombes, tombe sur moi. » Nous avons monté les marches. À chaque entraînement, de nombreuses personnes étaient présentes pour nous observer, car nous sommes les seuls à réaliser ce genre de transports dans tout le pays. Ils prenaient des photos et il y avait des médecins partout. Mais quand nous avons passé ce tournant, il n’y avait plus personne. Je me suis dit : « Ok, c’est vraiment en train d’arriver. » C’est à ce moment-là qu’on se rend vraiment compte. On s’est avancé jusqu’à la porte de l’unité, je l’ai ouverte du coude. Trois personnes en combinaison avec respirateur étaient là, toutes équipées. On se serait cru dans Contagion. Et là encore, je me suis dit : « Ça va mal. Vraiment très mal. »
Brown-Haithco : Trente minutes plus tard, la famille du docteur Brantly se précipitait dans la salle d’attente. Ils savaient qu’ils ne pourraient pas le toucher, mais l’équipe du docteur Ribner s’est assurée qu’ils pouvaient entrer dans l’antichambre et lui parler au téléphone tout en le regardant. C’était extrêmement important pour eux. J’ai bien vu qu’ils étaient moins anxieux lorsqu’on les a raccompagnés dans la salle d’attente. Puis, quand le docteur Ribner est sorti pour leur parler, j’ai senti que leur anxiété diminuait de plus en plus. Il ne leur a fait aucune promesse. Il leur a simplement dit : « Voilà ce qu’on va faire. Il n’y a pas de remède, ni de traitement. On va simplement renforcer son système immunitaire pour qu’il puisse se débarrasser du virus par lui-même. »
Jason Slabach (infirmier aux soins intensifs de cardiologie, Emory) : Quand ils se sont aperçus qu’ils accueilleraient plusieurs patients atteints d’Ebola à l’hôpital (une deuxième patiente, Nancy Writebol), ils ont eu besoin de plus de personnel et ont recruté des infirmiers du service de soins intensifs. J’ai dû en parler à ma femme – qui est aussi infirmière – et nous avions pas mal de questions. Des trucs comme : « Si les mêmes précautions sont prises en Afrique, comment le virus se propage-t-il ? Risque-t-on d’être placés en quarantaine ? Comment comptent-ils nous protéger du virus ? » Mais des gens du CDC nous ont entraînés. Ces types se chargent de maladies bien pires qu’Ebola et ils rentrent chez eux sans s’inquiéter le moins du monde. Du coup, je me suis senti soulagé. Je travaillais le dimanche matin. Le docteur Brantly était très malade. Je ne m’étais jamais occupé d’un patient atteint d’Ebola, et je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais dans l’ensemble, c’était une journée de travail normale – si ce n’est que j’étais totalement paranoïaque quant au moindre de mes gestes.
Dustin Hillis (infirmier aux soins intensifs de neurologie, Emory) : Dans nos unités habituelles, Slabach est en cardio, moi en neurologie, on est généralement très polyvalents, et on n’a pas de spécialité. Mais ici, il faut tout maîtriser. Car au final, c’est ce qui fait la différence entre rentrer chez soi avec ou sans Ebola.
Slabach : On passe notre temps à faire des prises de sang, à nettoyer la diarrhée, les selles et le vomi. On n’y fait plus attention. Mais lorsqu’on s’occupe d’un patient atteint d’Ebola, on suit les règles à 100 %. D’habitude, je prends les choses avec légèreté, mais le premier jour dans cette unité, j’ai fait très attention à tous mes gestes.
Hillis : Le plus important durant les premiers jours, c’était de contrôler la fièvre, de nettoyer la diarrhée et d’essayer de ne pas en mettre partout dans la pièce. Mais la substance principale quand il s’agit de faire baisser la fièvre, c’est le paracétamol, et le foie de ces personnes est déjà très affaibli (le paracétamol, ou acétaminophène, est une molécule qui peut endommager le foie à haute dose, ndt), il faut donc trouver le bon équilibre. Parfois, on arrive à faire en sorte que la fièvre soit basse ou intermédiaire.
« L’entraînement consistait en grande partie à mettre et enlever l’équipement de protection. »
Colleen Kraft, docteur en médecine (spécialiste des maladies infectieuses, Emory) : Avant de m’occuper de patients atteints de fièvre hémorragique virale, je pensais qu’il s’agissait seulement de se vider de son sang jusqu’à la mort. Mais il y a tant d’autres choses. Les malades passent par une phase septique durant laquelle leur corps essaie si ardemment de combattre le virus que toutes les cellules immunitaires sont activées – il suffit qu’un organe cesse de fonctionner et il peut mourir. Puis il y a une phase de gastro-entérite avec une diarrhée semblable à celle provoquée par le choléra. Cela peut entraîner une déshydratation grave, qui peut aussi s’avérer mortelle. Et puis, il y a les anomalies électrolytiques. Kent Brantly a dit que les malades en Afrique s’asseyaient, se tenaient la poitrine avant de mourir en s’effondrant. C’était probablement de l’arythmie due à un faible taux de potassium. Ils avaient sûrement des anomalies électrolytiques après plusieurs jours passés à vomir et avoir la diarrhée sans arrêt. Ce que nous faisons pour ce genre de syndrome, c’est que nous mesurons tout ce qui sort du corps : le taux de sodium, de potassium, de calcium et de magnésium. Ensuite, nous leur administrons la même quantité de ces éléments. Cela dépasse largement le contenu d’une bouteille de Gatorade. On atteint environ six litres par jour.
Ribner : Nos collègues africains sont particulièrement démunis. Ils ont un centre de traitement d’Ebola, qui accueille entre quarante et soixante patients, pour seulement un ou deux médecins et parfois une infirmière qui s’occupent à eux seuls de personnes dans un état critique. Pour être franc, nous n’avons jamais eu de modèle efficace pour administrer des soins aussi intensifs. C’est pourtant essentiel. Nous nous sommes basés sur le fonctionnement du service des urgences, où une infirmière est en charge de deux patients. Dans l’unité d’isolement, nous avions besoin de deux infirmières pour chaque patient. De la même manière, nous avions un médecin qui était physiquement présent dans l’unité et se chargeait d’un patient à la fois.
Slabach : Techniquement, tout ce dont nous avons besoin est de prendre des précautions contre la transmission par contact et par gouttelettes. Cela implique de porter une combinaison imperméable, des gants et un masque à écran facial. C’est une protection suffisante si l’on traverse la pièce. Mais si un patient a la diarrhée, on ne peut pas garantir la protection de nos chaussures ou de nos jambes sous la combinaison. Après quoi, si on se touche la jambe, puis la bouche, on tombe malade. On ne peut pas tout faire à la perfection, on doit donc prendre encore plus de précautions.
Hillis : Les infirmières et les médecins se sentent plus à l’aise ainsi. Et si on se sent plus à l’aise pour travailler, on a moins de chances de commettre des erreurs. À ce sujet, la deuxième chose la plus importante après s’être occupé des patients est de s’occuper de soi-même et des personnes qui travaillent à nos côtés. On s’observe constamment – « Hé, tu as oublié ça ! » – et naturellement, on ne prend jamais une remarque personnellement.
Slabach : Nous avons dû mémoriser les symptômes, car nous devions nous observer nous-mêmes et faire un rapport deux fois par jour sur nos symptômes et notre température. L’entraînement consistait aussi pour une grande partie à mettre et enlever l’équipement de protection, et à faire tout cela dans l’ordre exact, car c’est ce qui garantit notre protection. Et la personne dans l’antichambre est chargée de désinfecter tout notre équipement, puis d’essuyer tous les endroits où nous avons marché et de passer la serpillière.
Hillis : Quand on n’est pas en train de s’occuper des dossiers ou d’un patient, on passe notre temps à nettoyer. Je plaisante souvent sur ce sujet avec mes collègues. Je leur dis : « Je vous interdit de dire à ma femme que je fais si bien le ménage. »
Délivrance
Brown-Haithco : Je suis arrivé un dimanche. Le père du docteur Brantly était là. Il a commencé à raconter l’histoire de son fils : ce qui l’avait poussé à se rendre au Liberia, comment sa vocation de devenir médecin était née en lui à l’adolescence et comment cette vocation l’avait conduit dans ce pays. En l’écoutant, j’ai réalisé que la foi et le travail du docteur Brantly étaient intimement liés. Son père m’a dit : « Vous savez, je ne sais pas vraiment pourquoi je vous dis tout cela. » Je lui ai répondu : « Parce que vous en avez besoin. Vous avez besoin de nous dire qui est votre fils, pourquoi il a suivi cette voie, comment il en est arrivé là ainsi que le lien qui existe entre tout cela et votre foi à tous les deux. »
Slabach : Le docteur Brantly a pris une douche le troisième ou le quatrième jour. Je travaillais le soir, et j’ai vu qu’il se sentait bien mieux. Sa diarrhée s’était calmée. Il a pu prendre un vrai repas et j’étais vraiment soulagé.
Hillis : Il a demandé à sa femme de sortir faire les boutiques et de lui acheter des bas de survêtements et des tee-shirts, pour qu’il n’ait pas à se promener en blouse toute la journée.
Slabach : Je lui ai quand même dit qu’il faisait sa diva. On ne pouvait rien laver, car ses vêtements seraient contaminés. Il ne porterait donc ses t-shirts qu’une seule fois. Un vrai caprice de star. Jill, l’une des infirmières, avait apporté un panier de basket miniature et l’avait installé dans sa chambre. On y jouait avec lui. On appelait sa chambre « l’antre de Kent », et si sa femme entrait en disant : « Tu es encore au lit ? », on lui répondait : « Hé, du calme, c’est son antre, il fait ce qu’il veut. »
Kraft : Les patients doivent obtenir un résultat négatif aux tests sanguins à deux reprises avant de pouvoir quitter l’hôpital. C’est comme cela qu’on détermine s’ils peuvent rentrer chez eux ou non. On fait les tests sur deux jours. Ce n’est même pas une obligation, et ils se sentaient tous les deux beaucoup mieux bien avant de rentrer chez eux.
Hillis : Le jour de sa sortie, il a pris une douche et il a mis ses plus beaux vêtements. Il avait tapé à l’ordinateur le texte de sa conférence de presse, qu’il nous a fait lire. Puis, au moment de partir, on s’est tous alignés pour lui donner un high five avant qu’il ne sorte.
Slabach : Ah, et Josia, un gars de l’équipe, avait apporté un échantillon de gel douche Versace, pour qu’il sente bon quand il retrouverait sa femme. Kent l’a utilisé pour prendre sa douche. Je confirme qu’il sentait très bon.
Ribner : Nous n’avions pas vraiment besoin d’une installation de ce niveau. En théorie, on peut s’occuper de patients atteints d’Ebola dans n’importe quel hôpital, tant qu’on porte une grande attention à notre équipement de protection et aux instructions relatives à l’isolement. N’importe quelle unité pourrait prendre cela en charge. On est en train de rassembler 3 000 membres du personnel du département de la Défense et plusieurs centaines d’employés du CDC, et on recrute également des médecins volontaires pour se rendre en Afrique. Les chiffres augmentent, car plus de personnes sont exposées à la maladie et de plus en plus tombent malades. À court terme, il n’y aura pas assez d’infrastructures pour s’occuper d’elles en Afrique. Je compare souvent cette situation à celle du VIH dans les années 1980. Nous avons connu la même hystérie, parmi la population comme parmi les médecins. Nos chirurgiens les plus éminents disaient qu’il n’était pas éthique d’opérer des patients infectés par le virus. On n’entend plus ce genre de commentaires sur le VIH de nos jours, et je suis presque sûr que dans six mois vous autres journalistes ne vous donnerez plus la peine de venir nous interviewer. Vous vous direz juste : « Qu’est-ce qu’on a lundi ? Ah, un autre malade d’Ebola. La belle affaire ! » Je me trompe ?
Traduit de l’anglais par Sophie Ginolin d’après l’article « Out of Ebola », paru dans GQ. Couverture : Mesures de protection contre Ebola, pour UNMEER. Création graphique par Ulyces.