Au beau milieu de la campagne polonaise, les fondations d’une ferme délabrée craquent et grincent. Dans l’une des pièces glacées, six hommes font de l’hyperventilation. Les fenêtres sont gelées et la neige s’accumule devant la porte d’entrée. Wim Hof scrute ses disciples d’un regard bleu et sévère, comptant leurs respirations. Allongés dans des sacs de couchage, ils s’abritent sous des couvertures. À chaque expiration se forme un petit nuage de buée au moment où la chaleur de leur corps se cristallise dans l’air presque polaire.
Lorsque les disciples deviennent blancs comme des linges à force de respirer rapidement, Hof leur ordonne d’expulser tout l’air de leurs poumons, puis de retenir leur respiration pour que leur corps se mettent à trembler et frissonner. J’expire entièrement dans l’air glacial. « N’ayez pas peur de vous évanouir », dit-il. « C’est le signe qu’une certaine profondeur a été atteinte. »
L’entraînement
Hof est l’un des extrêmophiles les plus connus au monde. En 2007, il a fait la une de la presse à travers le globe en tentant de s’attaquer à l’ascension du mont Everest, ne portant rien d’autre qu’un short en élasthanne et des bottes de randonnée. Il a participé pieds nus à des marathons sur le cercle polaire arctique et plongé son corps dans un bassin de glace pendant près de deux heures. Chacune de ses prouesses a dépassé les limites de ce que la science médicale pensait possible. Hof est persuadé qu’il est bien plus qu’un cascadeur réalisant des exploits. Il pense avoir découvert un potentiel encore méconnu de l’évolution, dissimulé en chaque être humain. Mes poumons sont vides, l’hyperventilation me fait tourner la tête. Je surveille le chronomètre de mon iPad, un léger tic-tac m’indique que les secondes passent. À trente secondes, je veux abandonner et sentir à nouveau l’air froid m’envahir, mais je tiens bon.
Hof pirate le corps humain pour en accroître les capacités.
Les participants sont venus des quatre coins de l’Europe et des États-Unis pour participer à cette formation de sept jours qui consiste à nous apprendre à contrôler les fonctions autonomes de notre corps. Le corps humain exerce la plupart de ses fonctions quotidiennes en mode automatique. Qu’il régule notre température interne, détermine le rythme régulier des battements de notre cœur ou fasse circuler la lymphe et le sang vers un membre blessé, le corps se sert de réponses préréglées, à la manière d’un ordinateur, pour répondre à la plupart des stimuli externes. La formation de Hof a pour but de créer un fossé entre les pressions extérieures et la programmation interne du corps, afin que ce dernier soit forcé de céder plus de contrôle à l’esprit. Hof pirate le corps humain pour apporter certaines modifications à son programme et en accroître les capacités.
À soixante secondes, les poumons toujours vides, mon diaphragme commence à trembler. Je dois me balancer d’avant en arrière pour ne pas suffoquer. Et même ainsi, mon esprit est étrangement calme. Derrière mes yeux clos, je vois des taches rouges tourbillonner. Hof m’explique que la lumière est une fenêtre ouverte sur ma glande pituitaire. Il garantit pouvoir enseigner aux gens les méthodes qui permettent de retenir sa respiration pendant cinq minutes et de ne pas souffrir du froid sous la neige et sans vêtements… Après quelques jours de formation, je devrais être capable de contrôler sciemment mon système immunitaire pour lutter contre les maladies ou, si nécessaire, le limiter en cas de dysfonctionnement, comme l’arthrite ou le lupus. Un défi de taille, à n’en pas douter.
Le monde est plein d’aspirants gourous proposant des remèdes miracles, et les promesses de Hof me paraissent surhumaines. Son projet a trouvé un écho favorable auprès d’une clientèle prête à faire la guerre au corps humain et à payer 2 000 dollars pour avoir le privilège d’être formé durant une semaine. À l’autre bout de la pièce, les mains de Hans Spaan tremblent.
Quand on lui a diagnostiqué la maladie de Parkinson dix ans plus tôt, il a dû quitter son emploi de cadre en informatique. Il prétend que la méthode de Hof lui a permis de réduire la quantité de médicaments que son médecin s’entête à lui prescrire. À ses côtés se trouve Andrew Lescelius, qui vient du Nebraska. Son asthme peut être handicapant au quotidien, il n’a pourtant pas utilisé son inhalateur depuis une semaine.
Depuis maintenant près d’une heure, nous entrons dans un cycle d’hyperventilation avant de retenir un moment notre souffle, puis nous recommençons l’opération. À chaque répétition, tenir un peu plus longtemps devient progressivement plus facile.
Hof nous explique que respirer très rapidement permet d’ajouter de l’oxygène à notre irrigation sanguine afin qu’on ne soit pas obligé de compter sur l’air de nos poumons pour survivre, du moins jusqu’à l’épuisement de cet oxygène. Le désir automatique de reprendre sa respiration est basé sur un simple réflexe de notre esprit : quand il n’y a plus d’air dans les poumons, c’est le moment d’inspirer. Mon système nerveux n’a pas encore réalisé qu’il y a toujours de l’air dans mon sang. À quatre-vingt-deux secondes, ma vision commence à s’obscurcir. La pièce se pare d’un éclat rougeâtre que je ne me rappelle pas avoir vu jusque-là. Je vois peut-être des lumières. Je lâche prise et permet à l’air d’entrer en catastrophe. C’est loin d’être un record, mais après une seule heure de tentatives répétées, j’ai cette fois tenu plus longtemps que jamais. Je souris, j’ai l’impression d’avoir accompli quelque chose.
Hof nous demande ensuite d’effectuer un nouveau cycle respiratoire, mais cette fois-ci, au lieu de retenir mon souffle, je dois faire le plus de pompes possibles. Plus habitué à manger du fromage qu’à faire de l’exercice, je ne suis pas très en forme. À la maison, j’arrive peut-être à faire vingt pompes peu convaincantes avant de m’effondrer. Et là, sans air dans mes poumons, j’y arrive sans grande difficulté. Je les enchaîne, et avant même de le réaliser, j’en ai fait quarante. Je décide de remettre entièrement en question l’opinion que j’avais des gourous jusqu’à présent. Hof est un personnage difficile à déchiffrer. D’un côté, il professe une sorte de charabia New Age, un baratin sur la compassion universelle et la connexion aux énergies divines. Mais de l’autre, indubitablement, il y a les résultats.
Ses exercices sont relativement simples et transforment mon corps d’une façon indéniable, pratiquement du jour au lendemain. En suivant ses conseils pendant une semaine, je le « pirate » en quelque sorte pour réaliser des prouesses d’endurance. Je n’aurais jamais pensé qu’une telle chose fût possible. J’ai gagné une assurance dont j’ignorais jusqu’ici l’existence. En prime, j’ai perdu trois kilos de graisse : elle s’évacue en grumeaux huileux chaque matin aux toilettes.
Notre objectif de la fin de semaine : atteindre le sommet d’une montagne recouverte de poudreuse, après une difficile ascension de huit heures, en ne portant rien d’autre qu’un short. Cette montagne sera mon Everest personnel, bien qu’elle se nomme en réalité Sniejka. Mais même après ces quelques séries d’exercices dans la salle d’entraînement, je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver.
Je suis à la merci de Hof, qui porte un chapeau vert et pointu. Avec ce couvre-chef, il ressemble à un nain de jardin grandeur nature. Une barbe touffue encadre sur son visage ses yeux bleus perçants et son nez rougi, et son corps est couvert de muscles tendus. La cicatrice chirurgicale d’une quinzaine de centimètres sur son ventre rappelle le jour où il a poussé son entraînement trop loin et a terminé à l’hôpital. Hof est un genre de savant fou, à la fois héros et personnage secondaire d’un même film. Et, comme c’est généralement le cas pour les personnages qui essaient de maîtriser leurs super-pouvoirs, pour développer de telles compétences, Hof a dû en payer le prix.
Le grand saut
Né en 1959 dans la ville néerlandaise de Sittard à la veille de la révolution hippie européenne, Hof a été élevé dans une famille de neuf enfants d’origine modeste. Quand sa famille apprenait la liturgie catholique, Hof était plutôt attiré par les enseignements orientaux. Il a mémorisé des textes du Yogasūtra de Patanjali et étudié la Bhagavad-Gita et le bouddhisme zen, à la recherche de la sagesse. Il aimait explorer les jonctions entre le corps et l’esprit, mais n’a pas trouvé ce qu’il cherchait dans ses lectures.
Puis, à l’âge de 20 ans, au cours d’une fraîche matinée de l’hiver 1979, Hof se promenait seul dans le pittoresque Beatrixpark d’Amsterdam lorsqu’il a remarqué qu’une fine couche de glace s’était formée sur les canaux. Il s’est alors demandé ce qui se passerait s’il sautait dedans. Avec une impulsivité puérile qu’il n’a jamais vraiment perdue, il a retiré ses vêtements et y a plongé nu. Le choc a été immédiat, raconte-t-il.
« Mais ce que je ressentais, ce n’était pas le froid, c’était quelque chose d’autre, d’incroyablement bon. Je ne suis resté qu’une minute dans l’eau, mais ma notion du temps s’est évaporée. Cela m’a semblé durer une éternité. » Une vague d’endorphines a traversé son système et il a plané tout l’après-midi.
Depuis lors, il réitère l’expérience chaque jour. « Le froid m’a tout appris », explique-t-il. La technique de respiration lui est venue naturellement. Hof a commencé par imiter la respiration rapide que les gens adoptent instinctivement quand ils plongent dans l’eau glacée, elle est pour lui similaire à celle d’une femme lors de son accouchement. Dans les deux cas, le corps change de mode, guidé par l’instinct. Sous la glace, Hof a abandonné la respiration rapide et commencé à retenir son souffle. C’est à ce moment-là qu’il a pu remarquer les changements sur son corps.
Comme l’explique Hof, l’être humain doit avoir évolué en développant une capacité innée à résister aux éléments. Nos ancêtres lointains ont traversé des montagnes glacées et des déserts arides bien avant l’invention du manteau en peau de bête et de la toute première chaussure. Bien que la technologie nous ait apporté un confort indéniable, la biologie sous-jacente existe toujours. La clé pour accéder à notre potentiel perdu consiste à recréer le genre d’expériences auxquelles nos ancêtres ont dû faire face. Hof s’est entraîné dans l’ombre pendant quinze ans, en parlant rarement du développement de ses capacités. Son premier disciple a été son fils, Enahm.
Quand Enahm était encore petit, Hof l’a emmené aux canaux et l’a plongé dans l’eau, comme Achille. On devine aisément ce que les passants à proximité ont dû penser en le voyant… La plupart de ses amis proches n’ont en revanche pas prêté attention à cette habitude matinale. Pour eux, ce n’était qu’une excentricité de plus dans une ville déjà bien singulière.
Hof n’était plus seulement une curiosité locale : c’était un héros.
Les emplois qu’a occupés Hof étaient aussi divers que variés. Il a notamment été facteur et instructeur en descente de canyons, l’été en Espagne. Et l’argent a toujours été un problème. À cette époque, sa femme, une belle Basque du nom d’Olaya, a commencé à présenter des signes de troubles mentaux graves. Dépressive, elle entendait des voix. En juillet 1995, elle s’est défenestrée du huitième étage de l’immeuble chez ses parents à Pampelune, au premier jour des ferias… Assis autour d’une table en bois, qui sert à la fois de coin repas et petit-déjeuner, Hof raconte la mort d’Olaya en versant librement quelques larmes. « Pourquoi Dieu m’a-t-il enlevé ma femme ? » s’était-il demandé.
Le cœur brisé par cette perte incommensurable, Hof a placé toute sa foi dans la seule chose qui le distinguait des autres : sa capacité à maîtriser son corps. Olaya ne s’était jamais intéressée aux méthodes de Hof, mais il avait l’impression qu’il aurait pu l’aider davantage. « Si je suis aussi disposé à entraîner les autres aujourd’hui, c’est à cause de la mort de ma femme », explique Hof. « Je peux ramener de la tranquillité aux gens. La schizophrénie et les troubles de personnalité multiple aspirent l’énergie des malades. Ma méthode peut leur rendre le contrôle d’eux-mêmes. » C’est ce qui l’a poussé à agir. Mais il avait encore besoin de trouver comment faire parler de lui à travers le monde. L’opportunité s’est présentée quelques années plus tard.
À Amsterdam, l’hiver s’installait et un journal local a décidé de sortir une série d’articles avec pour thème « les choses étranges que font les gens dans la neige ». Hof a appelé le rédacteur en chef et lui a expliqué qu’au cours des deux dernières décennies, il s’était quotidiennement baigné nu dans l’eau glacée. Le journal a envoyé un journaliste devant qui Hof a sauté dans un lac des environs, où il avait l’habitude de plonger. La semaine suivante, une équipe de télévision a accouru.
Dans une séquence célèbre, Hof fait des trous dans la glace d’un lac avant de s’y plonger sous les caméras d’une équipe télévisée néerlandaise. Il était en train de se sécher quand, quelques mètres plus loin, un homme a marché sur une fine couche glacée, passant subitement au travers. Hof s’est précipité vers le lac et s’y est jeté une seconde fois. Il a remonté l’homme et l’a mis hors de danger. L’équipe de reportage a filmé l’événement et bientôt, Hof n’était plus seulement une curiosité locale : c’était un héros. Quelqu’un l’a surnommé « l’homme de glace », et ce surnom est resté.
Après cet acte héroïque, Hof a gagné en notoriété aux Pays-Bas. Un programme télévisé néerlandais, présenté par l’éminent Willibrord Frequin, lui a demandé de se produire devant les caméras. Ils voulaient filmer Hof en train d’entrer dans le Livre Guinness des records. Leur plan était de le faire nager 50 mètres sous une eau glaciale, sans respirer. Du diversissement à sensation pour le programme, et comme il serait diffusé dans toute la Scandinavie, une chance pour Hof de se produire pour d’autres chaînes à travers le monde.
Quelques semaines plus tard, Hof se tenait sur la surface d’un lac glacé, près du petit village de Pello en Finlande, à quelques kilomètres du cercle polaire. Il ne portait rien d’autre qu’un maillot de bain. Même si la température allait bientôt descendre à -25 °C, la transpiration faisait briller sa peau. À ses pieds se trouvait un trou d’un mètre dans la glace, en forme de losange. Deux autres trous avaient été percés à 25 et 50 mètres du premier. Une équipe de tournage a regardé Hof descendre et tremper un pied dans l’eau bleu pervenche.
Le premier jour du tournage, il était prévu qu’il nage jusqu’au premier trou pour que l’équipe puisse trouver les bonnes images et se familiariser avec le dispositif de sécurité. Mais Hof avait une autre idée en tête. Il voulait à la fois surprendre et impressionner l’équipe de tournage en parcourant d’un seul coup toute la distance. Il avait tout calculé d’avance. Un mouvement de bras lui permettait de faire un mètre, il aurait donc besoin d’en faire cinquante pour atteindre sa destination. Il a pris une grande bouffée d’air dans ses poumons, puis a disparu sous la glace pour entamer sa course.
Il s’est plus tard rappelé avoir ouvert ses yeux à mi-chemin, entre le premier et le second trou, et avoir distingué un rayon de soleil à travers l’eau. Mais au vingt-neuvième mouvement de bras, bien qu’il ait passé le premier trou et l’équipe de sauvetage s’y trouvait, quelque chose s’est mal passé. Il n’avait pas anticipé l’action de l’eau gelée sur ses yeux. Ses cornées ont commencé à givrer, et la cristallisation à troubler sa vision. Cinq mouvements plus tard, il ne voyait plus rien. Seul le décompte de ses mouvements le guidait vers l’oxygène. Sa direction a fini par dévier.
À cinquante, il cherchait le rebord du second trou, en vain. Il a fait demi-tour, pensant qu’il l’avait peut-être déjà passé. Il voulait reprendre sa respiration, mais il savait que le résultat serait fatal. Au soixante-cinquième mouvement, il a commencé à perdre espoir. À soixante-dix, au moment où il perdait peu à peu conscience, il a senti une main se refermer autour de sa cheville.
Le plongeur de la sécurité l’a remonté à la surface. Il savait qu’il avait failli mourir à cause de son orgueil démesuré. Il l’avait échappé belle, mais cela ne l’a pas empêché d’établir le lendemain un record du monde devant des caméras de télévision. L’émission a été un véritable succès. Il était assuré d’être demandé pour une série d’exploits télévisés similaires sur les chaînes internationales, de Discovery à National Geographic. Mais le succès n’a pas que des avantages.
Même s’il était capable de réaliser d’incroyables prouesses, le désir d’impressionner et de plaire aux gens autour de lui allait le mener à de nombreuses reprises à des situations qui auraient pu lui coûter la vie. S’il venait à mourir, le monde ne pourrait jamais savoir comment il s’y prenait pour obtenir des résultats si extraordinaires. Hof avait besoin d’une meilleure stratégie.
Baptême de glace
Pour comprendre comment Hof réalise de telles prouesses, j’ai embarqué à bord d’un avion qui m’a emmené de Los Angeles à Wrocław, en Pologne. Il m’attendait au terminal de l’aéroport, un grand sourire aux lèvres. Hof a décidé de s’installer en Pologne plutôt qu’aux Pays-Bas afin d’être plus proche des ruisseaux verglacés et des montagnes enneigées, mais aussi pour profiter d’une économie plus faible afin d’acquérir une plus grande propriété. Nous nous sommes entassés dans une petite Volkswagen grise avec deux autres adeptes – un Croate et un Letton – qui venaient, comme moi, étudier sa méthode. Nous avons traversé des kilomètres de forêts polonaises de pins et de villages pittoresques pour nous rendre dans la campagne où Hof s’est établi.
Nous sommes si serrés que mon sac de randonnée déborde sur les genoux de Janis Kuze, assis à mes côtés. Le Letton robuste a grandi dans l’agitation provoquée par l’effondrement de l’Union soviétique, à l’époque où les bandits erraient dans les campagnes. Son père planquait un AK-47 chargé sous le lit de son fils pour qu’ils puissent se défendre en un rien de temps. À présent, Kuze étudie pendant son temps libre le Krav maga, méthode d’auto-défense israélienne, et s’entraîne avec sa petite-amie. Il m’assure qu’elle est aussi intimidante que lui. Lorsqu’on lui a demandé s’il était prêt à s’immerger dans l’eau glacée, il a répondu : « Quand mon père était dans les forces spéciales, ils testaient leur aptitude à s’adapter en les faisant s’asseoir dans l’eau glacée. S’ils y survivaient, ils étaient pris. Ils n’y survivaient pas tous. »
Nous sommes arrivés dans le petit village de Przesieka. Hof y possède une ferme isolée. Il a pu l’acheter après avoir signé un contrat de sponsoring avec Columbia Sportswear, qui consistait à faire la publicité d’une ligne de vestes chauffantes fonctionnant sur batterie en 2011. Dans les spots publicitaires, créés pour la télévision, mais plus largement diffusés sur internet, Hof nage dans un lac gelé en regardant des amateurs de plein air porter la veste de haute technologie, et se réchauffer à l’aide d’un simple bouton. Les vidéos ont été largement vues, et dans les commentaires, on peut voir des gens comparer Hof à Chuck Norris. C’est ainsi qu’il est devenu une sorte de célébrité d’internet. Mais l’état de la maison confirme qu’on peut devenir célèbre sur la Toile et sans devenir nécessairement riche. L’endroit est continuellement en travaux, avec un assortiment de lits superposés et de tapis de yoga.
Le sauna cassé se trouve toujours près de son remplaçant. La chaudière à charbon fonctionne mal et crache de la fumée noire à travers les fissures du plancher. Les sols ne semblent pas être à la même hauteur. Ce bâtiment délabré est le siège de la présence croissante à l’international de Hof en tant que gourou New Age, et le point de départ de la formation expérimentale qu’il développe. Un des premiers disciples de Hof sur place s’appelait Justin Rosales, aujourd’hui âgé de 25 ans. Il est arrivé de Pennsylvanie en 2010 pour lui servir de cobaye. « Si on veut devenir fort, passionné et motivé, il faut se mesurer à des tâches qui ont l’air impossibles. Si on n’est pas ouvert d’esprit, il vaut mieux éviter de se confronter au froid », m’a expliqué Rosales par e-mail.
Il a co-écrit un livre avec Hof sur cette expérience, intitulé Becoming the Iceman (« Devenir l’homme de glace »), qui circule souvent parmi ceux qui cherchent à acquérir ces super-pouvoirs. Je planque les quelques vêtements d’hiver que j’ai apportés avec moi sous un des lits superposés à l’étage et observe par la fenêtre l’étendu de neige qui sert de site d’entraînement principal. Andrew Lescelius, le maigre asthmatique du Nebraska arrivé une semaine plus tôt, traverse le terrain enneigé vêtu d’un simple sous-vêtement noir. Il s’arrête pour ramasser des poignées de neige et se frictionner les bras et le buste avec. De la vapeur s’échappe de son corps en grandes nuées.
Hof dit pouvoir réduire sciemment le diamètre de ses vaisseaux sanguins et diriger le sang efficacement vers l’organe souhaité.
Kuze choisit le lit près du mien, il semble impatient d’aller lui aussi dans la neige. Je le laisse s’y rendre seul. J’aurai bien assez d’occasions d’avoir froid quand l’entraînement commencera demain. Après une nuit agitée, nous rejoignons Hof au studio de yoga. Il nous explique que ses formations se suivent, mais ne se ressemblent pas. Les méthodes qu’il utilise dépendent de la composition du groupe. Mais peu importe la façon dont on s’y prend, les composantes restent simples. Il affirme que notre progrès sera rapide. « Cette semaine, nous gagnerons la guerre contre les bactéries ! » proclame-t-il, avant de nous avertir qu’il nous aidera à repousser les limites de notre corps, bien plus loin que ce qu’on peut imaginer.
À un moment, Hof nous demande d’ôter nos vêtements et de sortir dehors. Nous contournons la ferme pour nous rendre sur un petit terrain enneigé fréquenté seulement par des cerfs. Certains voisins curieux nous lancent des regards inquisiteurs. Lorsque nous passons devant, l’un d’eux nous crie quelque chose en polonais, ce qui fait glousser Hof. La plupart des gens du coin le prennent pour un aimable fou. Pour la première fois de ma vie, mes pieds touchent directement la neige. Ils sont aussi sensibles qu’une dent récemment cassée. Mon rythme cardiaque s’accélère. Kuze laisse échapper un hoquet et Hof sourit, malicieux.
Nous nous tenons en cercle et prenons la position du cavalier de fer. Nous essayons de nous concentrer sur nos fronts et de supporter tout bonnement le froid, sans vêtement pour protéger nos torses. Tenir cinq minutes est insoutenable, mais Hof nous demande d’en tenir six, avant de nous envoyer, engourdis, vers le sauna. Mais comme nous ne sentons plus nos membres, passer de la neige à une pièce de plus de 38 °C est une véritable erreur. La réaction naturelle du corps au froid est l’auto-conservation.
Pour limiter la perte de chaleur, les muscles qui contrôlent les artères se contractent fermement et détournent le débit sanguin vers les organes vitaux. On appelle ce mécanisme la vasoconstriction. Pour cette raison, les engelures touchent d’abord les extrémités. Un changement brusque de la température produit l’effet inverse. Les veines s’ouvrent d’un coup et le sang chaud circule à nouveau vers les parties froides du corps. La douleur est pire à présent qu’un peu plus tôt dans la neige. Je ne pensais pas cela possible.
Kuze réchauffe ses pieds près de la chaudière à charbon et avoue avoir envie de pleurer. Lescelius grince des dents et retient sa respiration. Il m’explique qu’un des effets secondaires de l’asthme est la mauvaise circulation sanguine, mais ressentir la vasoconstriction est bien plus douloureux. « J’aime penser que mon système sanguin se muscle », dit-il. Hof est d’accord avec cette déclaration. Après des années d’entraînement face au froid, il déclare pouvoir réduire sciemment le diamètre de ses vaisseaux sanguins et diriger le sang efficacement vers l’organe souhaité.
Même si les exercices du premier jour sont douloureux et éreintants, nous progressons aussi vite que promis. Le lendemain, nous tenons un quart d’heure dans la neige avant que la même sensation de panique ne nous gagne. Dans l’après-midi, nous nous baignons très brièvement dans le bassin d’une cascade d’eau glaciale. L’expérience est comparable à celle de ceux qui marchent pieds nus sur la braise – non pas un baptême du feu, mais un baptême de glace.
À chaque tentative, les barrières mentales qui font obstacle au froid semblent s’effacer une à une. Le quatrième jour, se tenir dans la neige ne représente plus un véritable défi. Une heure passe plus vite aujourd’hui que cinq minutes quelques jours plus tôt. Dans la soirée, nous nous asseyons sur des pierres recouvertes de neige près d’un ruisseau jusqu’à ce qu’elles se réchauffent, Hof nous sourit.
Une question de graisse
Dans une eau à 0 °C, les êtres humains commencent à se sentir léthargiques au bout d’une minute ou deux à peine. En un quart d’heure, la plupart des gens perdent connaissance. Ils meurent dans un laps de temps qui varie entre quinze et quarante-cinq minutes. Quand la température interne du corps humain tombe en dessous de 28 °C, la mort est presque inévitable. Par rapport à l’ensemble de ces données, Hof semble faire des miracles.
En 2007 à l’Institut Feinstein de Long Island, le médecin d’expédition de renommée mondiale Kenneth Kamler, qui a déjà travaillé sur l’Everest, a assisté à l’expérience durant laquelle Hof était immergé dans la glace. Sa fréquence cardiaque et sa pression artérielle étaient surveillées.
Au début, l’expérience s’est heurtée à un sérieux obstacle. Les appareils utilisés à l’hôpital, qui vérifient la respiration, l’ont déclaré mort après seulement deux minutes passées dans la glace. La machine n’avait pas su interpréter le fait qu’il n’avait pas repris sa respiration pendant plus de deux minutes, ni pourquoi sa fréquence cardiaque au repos n’était que de trente-cinq pulsations par minute. Et pourtant, il n’était pas mort.
Kamler a dû débrancher l’appareil pour pouvoir continuer. Hof est resté soixante-douze minutes dans la glace. Les résultats étaient stupéfiants. Au départ, la température corporelle de Hof a décliné de quelques degrés, avant de remonter à nouveau. La méthode de Hof a été ainsi validée scientifiquement pour la première fois. Il devenait clair que Hof arrivait consciemment à contrôler son système nerveux autonome pour augmenter sa température corporelle. « L’explication dépend réellement de la philosophie en laquelle vous voulez croire », dit Kamler, qui mentionne des prouesses similaires chez les moines tibétains avec la pratique du tummo.
En fin de compte, explique-t-il, cela se résume à la façon dont Hof utilise son cerveau. « Le cerveau consomme beaucoup d’énergie pour les fonctions supérieures, qui ne sont pas essentielles à la survie. En se concentrant, il arrive à rassembler cette énergie pour produire de la chaleur corporelle », suppose-t-il. En 2008, il y a eu un effet boule de neige sur l’intérêt que portaient les scientifiques au phénomène, tout comme dans les médias de masse plus de dix ans auparavant.
Des chercheurs de l’université de Maastricht se sont demandé si les capacités de Hof découlaient d’une concentration élevée de tissu adipeux brun riche en mitochondries, aussi connu sous le nom de graisse brune. Une fois métabolisé, ce tissu encore peu connu peut rapidement réchauffer le corps : il permet également aux nouveau-nés de ne pas succomber au froid à la naissance. Habituellement, la plupart des cellules de graisse brune disparaissent pendant l’enfance, mais les biologistes de l’évolution pensent que les premiers humains ont dû stocker une plus grande quantité de cellules adipeuses brunes pour résister aux milieux extrêmes.
Les scientifiques ont constaté que Hof possédait toujours une concentration extrêmement élevée de cette graisse à 55 ans, assez pour pouvoir produire cinq fois plus d’énergie qu’un homme classique de 20 ans. Ce taux anormalement élevé est vraisemblablement le résultat de son exposition à maintes reprises au froid. La graisse brune est peut-être la structure organique qui manque à l’homme et le sépare de la nature. La graisse blanche stocke les calories excédentaires, que le corps n’a tendance à brûler qu’en dernier recours.
En réalité, s’il est si difficile de perdre la graisse de notre ventre ou notre taille, c’est parce que le corps est programmé pour faire des réserves d’énergie : il brûlera en priorité les muscles pour créer chaleur ou énergie avant de s’attaquer à la graisse blanche. C’est différent pour la graisse brune. La plupart des gens en créent automatiquement en environnements froids. Le corps détecte les températures extrêmes et commence à faire des réserves de mitochondrie.
Selon Hof, lorsque la graisse brune est activée, les mitochondries entrent dans la circulation sanguine et modifient le métabolisme de la graisse blanche pour générer de la chaleur. Et comme la plupart des gens font tout ce qu’ils peuvent pour éviter les conditions extrêmes, ils ne fabriquent jamais de graisse brune. Si nous vivions sans vêtements, à la manière de nos lointains ancêtres, nous aurions pu dépendre des propriétés propres à la graisse brune pour survivre. Assis dans le sauna, je demande à Hof quelle est la méthode pour activer sciemment les cellules adipeuses brunes.
Au lieu de l’expliquer, il tente de m’en faire une démonstration. Il contracte les muscles de son corps dans l’ordre, du rectum aux épaules, comme s’il poussait quelque chose du bas vers le haut. Puis, il fronce les sourcils et rentre son cou, comme pour bloquer l’énergie à un point qui se trouverait derrière ses oreilles. Avec ce processus, sa peau prend une couleur rouge vive, comme s’il prenait feu. Et d’un coup, il étire sa jambe, s’adosse au mur et halète. « Oh mon Dieu », dit-il, sidéré. En voulant à tout prix m’enseigner sa méthode, il n’a pas pris la chaleur du sauna en considération et l’a échappé belle. Il titube jusqu’à l’extérieur et se roule dans la neige.
Quand il revient, il affiche un petit sourire embarrassé. « C’est ça, la méthode. Mais il ne faut la reproduire que dans le froid. » Hans Spaan, à qui on a diagnostiqué la maladie de Parkinson en 2004, assure que Hof lui a sauvé la vie. Il s’explique : « La plupart des patients atteints de cette maladie doivent augmenter la dose de médicaments pour maintenir le même degré de mobilité et de qualité de vie, et quand les limites de tolérance sont atteintes, c’est le début d’un long déclin. » Il essaie de gérer la prise de ses médicaments en l’accompagnant d’exercices de respiration et de douches glacées.
Il remplit des feuilles de calculs pour surveiller ses prises et affirme prendre moins de médicaments aujourd’hui qu’au début de son diagnostic. Il attribue à Hof le fait de ne pas être aujourd’hui dans un fauteuil roulant. Bien qu’ils n’aient pas été prouvés scientifiquement, ces faits sont encourageants. Il est cependant difficile de déterminer à quel point ce qu’il attribue à Hof pourrait être en réalité attribué à l’effet placebo. Comme Hof prétend pouvoir contrôler son système nerveux autonome, et que ce système est affecté par la maladie de Parkinson, il est important de disposer d’un appui scientifique.
Peter Pickkers serait bien le dernier des scientifiques à se laisser influencer par ces affirmations abracadabrantes. Expert en sepsis et infections au centre hospitalier de l’université Radboud, aux Pays-Bas, il est spécialisé dans les études qui analysent les réponses du système immunitaire chez l’être humain.
En 2010, Hof a contacté Pickkers, lui assurant qu’il pouvait désactiver ou renforcer son système immunitaire à son gré. Cette prouesse est, par définition, presque impossible. Mais Pickkers, qui a observé les apparitions télévisées de Hof, était curieux. Pickkers a conçu un examen dans lequel il administre une endotoxine, composante de la bactérie Escherichia coli. Le corps pense que cette bactérie est dangereuse, alors qu’elle est en fait inerte.
Un précédent essai lancé par Pickkers prouve que 99 % des personnes en bonne santé, mises en contact avec l’endotoxine développent des symptômes grippaux avant que le corps ne réalise qu’il a été dupé et reprenne son fonctionnement normal. Pendant que Hof méditait, Pickkers lui a injecté l’endotoxine. Les résultats étaient sans précédent. « Wim a accompli quelque chose que je n’aurais jamais cru possible avant cette expérience », raconte Pickkers. La plupart des patients à qui on administre de l’endotoxine présentent de graves effets secondaires, mais Hof n’a qu’un faible mal de tête.
Les analyses de sang ont révélé que ses niveaux de cortisol étaient bien plus élevés que ceux enregistrés avant l’injection. Cette hormone n’est généralement libérée qu’en réponse à un stress extrême, un peu comme l’adrénaline. Le sang prélevé lors de sa méditation est resté résistant à l’endotoxine en dehors du corps pendant six jours. Hof s’est prononcé sans ambiguïté sur ses résultats : « Si je peux prouver qu’on peut affecter son système immunitaire à son gré, on devra réécrire tous les livres de médecine. » Mais Pickkers et la quasi-entièreté de la communauté scientifique ont eu plus de réserves. Même si les résultats montraient que le corps de Hof a réagi à l’endotoxine de façon exceptionnelle, rien ne prouvait que ce ne soit tout simplement pas une anomalie génétique.
Les résultats ont pourtant été suffisamment prometteurs pour que Pickkers et son collègue Matthijs Kox commandent une seconde étude : Hof a dû offrir la même formation que celle que j’ai suivie à un groupe d’étudiants universitaires pour leur apprendre sa méthode, avant qu’on ne leur administre de l’endotoxine. S’il était prouvé que sa technique pouvait être enseignée, alors Pickkers pourrait commencer à remettre en question ses certitudes. En avril 2013, juste après mon séjour, un groupe de douze étudiants s’est rendu en Pologne.
Pickkers et Kox sont restés très discrets sur les résultats durant le processus d’évaluation de leurs travaux par des pairs, mais ont émis un communiqué de presse disant que « les étudiants entraînés ont produit moins de protéines de l’inflammation et ont très peu souffert des symptômes grippaux ». Hof bouillonne. Dans les conversations que nous avons eues, il me raconte que les étudiants ont réussi à maîtriser convulsions et fièvres en moins d’un quart d’heure. Je ne sais toujours pas s’il a exagéré ses propos ou non, mais si les résultats sont similaires à ceux publiés par Pickkers en 2010, Hof sera certifié merveille de la médecine.
Sniejka
Tout ce que je peux relater avec certitude, c’est mon expérience en Pologne. Je dois toujours relever mon défi : malgré mes progrès, je ne suis pas sûr d’être prêt pour la pénible randonnée en montagne, torse nu. La montagne Sniejka est traversée par la frontière tchéco-polonaise et balayée de vents glacials tout au long de l’hiver. À son point culminant de 1 602 mètres d’altitude se trouve un observatoire isolé, d’où l’on peut observer les étoiles. Il est surtout fréquenté par les skieurs de fond intrépides qui empruntent les remontées mécaniques.
Je progresse difficilement dans la neige, mais ne ressens pas le froid aussi durement qu’avant.
Au pied de la montagne, l’ascension commence. Accompagné de Hof et trois autres disciples, nous nous enfonçons dans les quelque soixante centimètres de poudreuse fraîche. Quelques secondes à peine après avoir quitté la camionnette Volkswagen délabrée de Hof, le froid s’infiltre dans nos manteaux d’hiver et nous coupe le souffle. À -4°C, même la plus modeste des brises est insoutenable. Sur le parking, des skieurs vêtus des pieds à la tête d’ensembles Gore-Tex colorés luttent avec leurs matériels et se dirigent doucement vers les télésièges. Hof nous emmène vers un sentier à l’écart, qui serpente à travers le parc boisé et mène au sommet.
Après dix minutes sur le sentier, le temps que nos corps fabriquent assez de chaleur interne, nous commençons à enlever des couches de vêtements. Ashley Johnson, ancienne hooligan anglaise, qui a trouvé un nouveau sens à sa vie en effectuant des travaux pour la ferme de Hof en échange de la formation, donne une tape dans le dos de Lescelius et Kuze, en toute camaraderie. Dévêtus face au froid, nous mettons nos vêtements de côté, dans nos sacs à dos. Nous reprenons notre chemin, la poudreuse crisse sous nos pas.
Au moment où je retire mon t-shirt, je commence à comprendre comment nos ancêtres ont survécu. Je progresse difficilement dans la neige, mais ne ressens pas le froid aussi durement qu’avant. La chaleur, que j’ai accumulée lors mes efforts physiques, semble bien ancrée, j’ai même l’impression de porter une combinaison de plongée. Je sens le froid me tirailler la peau, mais j’essaye de me concentrer sur le point qui se trouve derrière mes oreilles, celui qui aiderait à stimuler la graisse brune, d’après Hof, et à envoyer des vagues de chaleur à travers tout mon corps. J’essaye ensuite d’imiter la technique que m’avait montrée Hof au sauna.
Mes muscles sont tendus, je suis concentré, j’ai vite fait de transpirer. Notre groupe dégage une légère brume embuée. Un skieur s’arrête pour nous prendre en photo. Un gendarme en motoneige s’arrête pour voir si nous allons bien. Un snowboarder pousse un cri de surprise et file à toute allure. Ensemble, nous marchons avec peine vers le sommet. L’expérience est comparable à celle de ceux qui marchent sur les braises. Plus la température est importante, plus l’ampleur de la tâche est difficile. Six heures plus tard, j’approche du sommet, toujours torse nu, mes jambes sont recouvertes de neige. En sept jours, je suis passé des palmiers de Californie aux sommets enneigés de la Pologne, et j’ai parfaitement chaud – voire même très chaud.
La randonnée prend un peu plus de sept heures et chaque pas vers les hauteurs nous expose un peu plus au froid. La température extérieure chute à -13 °C. À environ quatre-vingt-dix mètres du sommet, quelque chose change. Ma température corporelle n’est pas un problème, mais le vent s’intensifie et la pente est de plus en plus inclinée. Chaque nouveau pas est plus pénible que le précédent, je commence à fatiguer. Voilà maintenant sept heures que nous marchons et j’ai donné mon sac à dos à Johnson, plus jeune et plus en forme que moi. Je me demande ce qu’il va m’arriver si je m’arrête là. Le froid va-t-il briser la barrière mentale que j’ai érigée et me faire tomber en hypothermie ? J’ai trop peur pour m’arrêter de marcher.
Vingt minutes plus tard, j’atteins le sommet. Je n’ai pas froid, mais je suis plus épuisé que jamais. Après quelques photos, nous nous dirigeons vers l’observatoire pour nous réchauffer. Comme au moment où nous sommes entrés dans le sauna après être restés sur la glace, l’air chaud me frappe et j’ai froid. Je perds mon armure mentale et sens la glace s’écouler dans mes vaisseaux sanguins. Je commence à dépendre de l’environnement pour me réchauffer, et plus de mon esprit. Je frissonne, puis me mets à trembler. Mes dents s’entrechoquent. Je n’ai jamais eu aussi froid qu’à l’instant. Il m’a fallu une heure pour me sentir à nouveau prêt à me lever et descendre la montagne.
Cette fois, en revanche, je porte le caban noir que je transportais dans mon sac à dos. Hof compte bientôt s’attaquer à l’ascension du mont Everest. Cette tentative sera la seconde. Il avait déjà voulu la tenter, presque nu, mais n’avait pas été jusqu’au bout. Je demande à Hof ce qu’il arriverait s’il atteignait ses limites lors de cette ascension et rejoignait les centaines de personnes décédées en tentant de gravir l’Everest. Son message serait-il perdu à jamais ? Les formations qu’il a pu donner à ses fidèles auraient-elles toujours une signification s’il mourrait après une décision stupide ? Son visage s’assombrit à cette pensée. Il me dit qu’il a envie de pleurer. « Je ne dois pas mourir », affirme-t-il. « Je l’ai décidé. »
Traduit de l’anglais par Estelle Sohier, d’après l’article « Iceman Cometh », paru dans Playboy. Couverture : Wim Hof prend un bain de glace, par Deventer Extra. Création graphique par Ulyces.