Voici un lieu commun sur Hollywood : les gens là-bas se comportent mal, parfois tellement mal qu’ils en paient le prix fort. L’an passé, Cory Monteith, Chris Kelly (du duo Kriss Kross) et Philip Seymour Hoffman sont tous morts d’overdose ; et une flopée de célébrités – Josh Brolin, Zac Efron, Trace Adkins, David Cassidy, Chris Brown et Lindsay Lohan (encore elle !) – se sont faites soigner pour des problèmes de drogue ou d’alcool. Plus terrible encore, Robin Williams, qui se battait depuis des décennies contre son addiction à la drogue et à l’alcool, s’est suicidé en août dernier après un court séjour en centre de désintoxication, censé l’aider à rester sur le droit chemin. Il y a dix ans encore, on pouvait jouer à Qui est qui ? spécial Hollywood avec la liste des célébrités toxicomanes. Aujourd’hui, la chose est devenue banale, malgré de menus changements. Parfois, ce sont les barbituriques seuls – ou bien les barbituriques et l’alcool –, d’autres fois encore, comme pour Hoffman, il s’agit d’héroïne – bien que ce soit plutôt rare à Hollywood (les stars ont accès à de meilleures drogues, légales qui plus est), et encore plus à l’âge de 46 ans (l’héroïne vous tue généralement plus tôt). Mais il y a toujours les cures de désintoxications sans résultats, les conduites en état d’ivresse, les bagarres dans les bars, les clichés au poste de police, les chambres d’hôtel et les appartements vides.
Les experts américains en toxicomanie vous diront qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème hollywoodien, mais d’un problème national. Selon une enquête de 2012 menée par l’administration des services en toxicomanie et santé mentale (SAMHSA), on estime qu’il y a 23,9 millions de toxicomanes aux États-Unis, soit une personne de plus de 12 ans sur dix, et environ une sur quatre si l’on prend en compte l’addiction à la nicotine. L’enquête nous apprend également que plus de personnes y meurent d’overdoses que d’accidents de voiture. Même au centre de désintoxication Tony de Malibu, qui accueille les plus grandes célébrités, les stars ne constituent que 15 % des clients, bien qu’elles soient les seules à faire les gros titres et que certaines d’entre elles, comme Lindsay Lohan, soient plus célèbres pour leurs déboires que pour leurs talents : elle est désormais toxicomane de métier. Selon les experts, cette soi-disant épidémie de toxicomanie à Hollywood n’est qu’une question de point de vue. Bien entendu, les magazines people comme TMZ ne s’intéressent pas aux problèmes d’addiction des camionneurs. Et pourtant, ce n’est pas seulement une question de point de vue : résider à Hollywood augmenterait le risque de dépendances – cela remonte à Wallace Reid, un célèbre acteur de films muets mort pendant sa cure de désintoxication à la morphine. Tout le monde semble d’accord pour dire que la toxicomanie dans le milieu du show-business est engendrée par des sources complexes, diverses et mouvantes. Elle serait due à une combinaison de biologie, de psychologie et de culture. En réalité, elle implique tant d’éléments complexes qu’on pourrait presque se laisser aller à imaginer un algorithme de la toxicomanie hollywoodienne.
Double diagnostic
Avant d’aborder la question de cet algorithme, reprenons le problème depuis le début. Quand on parle d’addiction, être star ou plombier ne change rien. De fait, la majorité des célébrités n’étaient pas célèbres quand elles ont commencé à se droguer (Philip Seymour Hoffman ou Robin Williams, par exemple). Constance Scharff, directrice des recherches au centre de désintoxication Cliffside à Malibu – ancienne toxicomane qui plus est –, explique qu’une grande partie des toxicomanes ont été exposés aux drogues et à l’alcool alors qu’ils n’étaient qu’enfants ou adolescents, comme c’est le cas de Lindsay Lohan ou de Drew Barrymore pour n’en citer que deux. Mais ce n’est pas nécessairement à cette période qu’ils développent une addiction. Elle peut, et c’est généralement le cas, rester en sommeil pendant plusieurs années. C’est là que les analgésiques entrent en jeu, physiquement parlant. On entend souvent dire que tel acteur ou tel chanteur est accro aux analgésiques. Pour un novice, rien de logique là-dedans : contre quelle douleur sont-ils traités ? Les experts expliquent qu’une grande partie des addictions sont déclenchées par un motif médical légitime, et que ce n’est qu’ensuite que les choses s’aggravent. Le docteur Timothy Fong, directeur de l’Institut médical spécialisé dans la toxicomanie rattaché à l’université de Californie à Los Angeles, m’a raconté l’histoire d’une de ses patientes, responsable d’un studio, qui s’était essayée à l’alcool durant sa jeunesse.
Des années plus tard, alors qu’elle venait de se faire opérer des dents de sagesse, on lui a prescrit du Vicodin à titre d’analgésique. Elle aurait dit à Fong : « Wow ! Je ne m’étais pas sentie aussi bien depuis des années, à l’époque où je buvais. À l’instant où j’ai pris la première pilule, j’ai su que j’allais être accro et que j’aurais besoin d’en reprendre. » Après quoi elle s’est enfilée tous les médicaments de sa première prescription, et elle est retournée chez le dentiste en lui racontant qu’elle « souffrait terriblement » pour en obtenir une nouvelle. Une fois de plus, elle est vite arrivée au bout de ses analgésiques, puis elle a commencé à faire le tour des plateaux pour en demander. Les gens lui en ont donnaient parce qu’elle était la patronne. C’est alors que la rumeur a commencé à circuler : « Hey, elle adore le Vicodin, tu devrais lui en ramener, il se pourrait qu’elle te le rende bien… » Les nouvelles formules de ces analgésiques sont si puissantes que le processus addictif commence presque instantanément, et c’est là que les choses deviennent sérieuses. Un autre médecin raconte que certains patients prennent entre cinquante et soixante pilules par jour. On a bien une idée des raisons qui poussent un toxicomane à se droguer ou à boire : cela lui permet de se sentir mieux, et même plus que mieux. Fong m’a également confié ce qu’un autre de ses patients lui racontait : « À chaque fois que je bois, je me sens plus confiant. Je me sens plein d’énergie. Je me sens invincible. Quand je sors sans avoir bu, je vérifie tout plusieurs fois, je suis anxieux. J’ai du mal à m’exprimer. » Il ajoutait ironiquement : « Je ne me sens pas aussi bien qu’à la normale. » Un autre ex-toxicomane lui a confié plus simplement : « Les voix dans ma tête se taisent. » On se rend ainsi compte parfois que si la pratique était stable, si le toxicomane pouvait demeurer dans cet état d’euphorie, il n’y aurait aucun problème. Mais il y a bien un problème. Ce même toxicomane ajoute : « Ça se termine mal. Ça se termine toujours mal. »
Cela peut prendre plusieurs années, de longues années pendant lesquelles le drogué augmente de plus en plus sa consommation pour répondre aux besoin de son corps, mais un jour, le cercle vertueux se brise. Un autre toxicomane résume les effets de la drogue de manière plus poétique : « Elle endort votre âme. » Plusieurs raisons font que nous ne nous mettons pas tous à avaler du Vicodin, du Percocet ou de l’OxyContin à la suite de l’extraction de nos dents de sagesse, ou à inhaler de la drogue et nous noyer dans l’alcool. La plus importante de ces raisons, c’est la génétique. Le docteur Skipper, directeur des services médicaux au centre de désintoxication Promises de Malibu, évalue le pourcentage de prédisposition génétique à 50 % en ce qui concerne l’alcool, 60 % pour la cocaïne, 70 % pour les opiacés. 10 à 15 % des individus ont des prédispositions à l’addiction. C’est la chimie de leur cerveau qui les fait craquer. Ils n’ont pas le choix.
Le constat le plus récurrent dans la bouche des artistes-toxicomanes est que la drogue lève leurs inhibitions.
Et c’est là que le show-business entre en jeu. Si des aspects génétiques rendent plus facilement accro certaines personnes, une partie de cette génétique rend aussi ces personnes plus susceptibles d’accéder au monde du show-biz, et même d’y réussir. Hollywood est une communauté de bombes à retardement. Selon le docteur David Sack, directeur du centre Promises et psychiatre, certaines études ont montré une corrélation entre le fait de prendre des risques (un comportement qui possède son propre composant génétique) et la prise de drogue. « Quand vous parlez aux acteurs, ils disent souvent devoir prendre des risques dans le cadre de leur travail, afin d’exprimer des sentiments ou de se comporter d’une manière qui les met mal à l’aise ou qui est dangereuse pour eux. » Il existe une corrélation similaire entre la toxicomanie et l’impulsivité (que les psychiatres ne définissent non pas comme le fait d’agir sur un coup de tête, mais comme le fait de ne pas réfléchir aux conséquences de ses actes à moyen et long terme). Être artiste, c’est toujours devoir bouger d’une chose à l’autre, cela vous invite à vous focaliser sur le moment présent. La plupart des gens ne peuvent pas se le permettre. Bien plus important encore que ces facteurs, on peut noter une forte corrélation entre les maladies mentales (dotées d’un fort marqueur génétique) et l’addiction. La dépression est tellement associée à l’addiction que les médecins ont même trouvé un nom à cette association : le double diagnostique. Robin Williams souffrait d’une sévère dépression. Personne n’a étudié la fréquence des maladies mentales chez les artistes, pas plus que le nombre de toxicomanes à Hollywood, mais le docteur Sack affirme qu’il « est assez tentant d’imaginer que certaines maladies mentales ont une corrélation avec certaines formes de créativité ». Les artistes de scène pourraient avoir des anormalités qui vont de paire avec l’addiction.
Des études ont montré par ailleurs que les athlètes de haut niveau étaient plus enclins à la dépression et à la toxicomanie qu’un individu lambda. Il y a certaines situations où les effets de la drogue sont vus comme bénéfiques par les artistes-toxicomanes, alors qu’ils le seraient moins s’il s’agissait de travailleurs ordinaires. « Il y a plein de types qui arrivent ici et veulent être au top de leur forme tous les jours : confiants, drôles, séduisants, sociables », raconte le Docteur Fong, car c’est précisément le genre de personnes dont le milieu raffole, voire qu’il réclame. « La pathologie à laquelle nous avons à faire dans ce cas est une forme de mégalomanie. » Le constat le plus récurrent dans la bouche des artistes-toxicomanes est que la drogue lève leurs inhibitions, ce qui est vrai. « Sans cela, la drogue n’aurait aucune valeur marchande », ajoute le docteur Fong.
Certains artistes sont persuadés que c’est la drogue qui leur permet de se produire. Selon le docteur Fong, les gens prennent de la drogue pour deux raisons : la première, évidente, pour planer et prendre du bon temps ; la seconde, moins évidente, pour se sentir normal, « pour éclipser la souffrance ». Il reconnaît aussi qu’Hollywood exige des gens qu’ils soient ainsi, ce qui explique, à son avis, que l’addiction y est un phénomène courant. Vous pouvez tenter d’échapper à la pression et à l’insécurité, ou bien tenter de les contrôler. En clair, vous pouvez tenter de suivre un chemin loin des risques du métier. Vous pouvez essayer. Pour un temps.
Gardien de sobriété
Même à 66 ans, Michael Des Barres a encore tout d’un rockeur. Il a été le chanteur d’une demi-douzaine de groupes de rock, et il l’est encore aujourd’hui. Maigre, les cheveux courts et bien coiffés, il parle avec un accent anglais et s’habille en noir de la tête aux pieds. La plupart des artistes ne parlent pas des problèmes de drogue, mais Des Barres, lui, fait partie de ceux qui osent. Et quand il s’exprime sur le sujet, il sait de quoi il parle : « J’ai testé toutes les drogues possibles et imaginables, et j’ai eu toutes les expériences sexuelles possibles. » Selon lui, une grande partie de son mode de vie de débauché se résume à ce qu’il appelle « la mythologie du rock’n’roll ». « Comment peut-on être une star du rock sans être dépravé ? C’est comme être une rock star sans faire de musique. » Des Barres a fini par n’être plus que l’ombre de lui-même. « J’ai vécu dans un état d’euphorie permanent pendant des années, j’avais l’impression d’être parfait. Je m’épanouissais pleinement dans mon rôle de rockeur. » Puis il a fallu rendre des comptes : après deux jours de défonce qui avaient commencé au Jack Daniel’s et s’étaient terminés à la Listerine, il s’est regardé dans le miroir : « Cela ne me ressemblait pas, j’étais boursouflé, mon maquillage dégoulinait, mes cheveux étaient hirsutes. J’ai eu un sursaut de lucidité. » C’était en 1981. À la suite de cet évènement, il tente le sevrage : plus de drogues, plus d’alcool, et il est maintenant sobre depuis trente-trois ans. Un « miracle », dit-il.
Il est le premier à dire qu’être une rock star sobre n’est pas facile : « J’avais l’impression d’avoir la lèpre, j’étais passé de Mister Crowley à Mister Rogers, en mieux sapé. » Il raconte que tout le monde dans le milieu encourage ces addictions, et cela ne s’est pas arrangé après les années 1970 et 1980, où la cocaïne était omniprésente. Peu importe que l’on condamne les drogues partout dans le monde, à Hollywood elles sont éternellement cool, elles font partie intégrante de la culture et de la communauté. Le docteur Fong soigne de jeunes patients qui veulent devenir acteurs, et ceux-ci admettent qu’aller à une soirée et se faire une ligne avec un scénariste ou un réalisateur créent des liens utiles à l’avancement d’une carrière. C’est en cela que Des Barres voit Hollywood comme un endroit à part, détaché du reste de l’Amérique : non seulement personne ne vous juge, mais tout le monde est complice. À commencer par les médecins. « À Beverly Hills, dès qu’on est connu, on trouve des médecins prêts à vous graisser la patte », dit Des Barres. Le docteur Damon Raskin, interne à Cliffside et ancien enfant star de la télévision, confirme : « Je pense qu’on a un problème avec les médecins qui tentent de profiter des célébrités. Si une star veut du Vicodin, ils lui répondent qu’en échange, ils veulent aller à leur concert… »
Finalement, selon lui, « les stars disposent d’un moins bon suivi médical qu’une personne lambda ». Le docteur Skipper se souvient de l’appel d’un de ses confrères d’Atlanta qui venait d’être contacté par les proches d’une célèbre chanteuse qui voulait qu’on lui prescrive des analgésiques sans être diagnostiquée. Le médecin était tenté, il s’agissait d’une véritable star, mais le docteur Skipper l’en a dissuadée. Un mois plus tard, la chanteuse mourait d’une overdose. Mais pire encore que les complices, pire encore que les docteurs, Des Barres dénonce les managers, les agents et les proches des stars, qui ont tout intérêt à ce qu’elles n’aillent pas en désintoxication – pour continuer à travailler et faire de l’argent. Ils doivent également leur fournir ce qu’elles réclament pour conserver leur emploi. Le docteur Raskin confirme ce fait : « Les gens ont trop peur de perdre leur travail ou d’être exclus pour refuser. » Par conséquent, presque personne ne refuse. En contrepartie, l’un des accessoires à la mode pour les toxicomanes hollywoodiens est « le gardien de sobriété », engagé par un manager afin d’accompagner les stars pendant leurs tournées. Ainsi, la plupart des artistes restent capables de se produire même sous l’influence de stupéfiants. Des Barres se met dans la peau des producteurs : « Comment mon artiste va-t-il assurer sa tournée à 50 millions de dollars ? Eh bien on n’a qu’à lui refiler un gardien de sobriété ! La notion même de gardien de sobriété est en contradiction avec l’idée de faire un travail sur soi-même pour aller mieux, via la méditation ou des pratiques spirituelles. » Et quand la tournée ou le tournage arrive à son terme, le gardien de sobriété s’en va. Il en va ainsi chez les célébrités.
Complices
Perché sur la colline de Malibu, au bout d’une route sinueuse et face à l’océan Pacifique, se trouve Cliffside Malibu, l’un des quelques centres de désintoxication à la clientèle aisée, où l’on rencontre parfois des célébrités. Tout est toujours très calme à Cliffside, excepté son fondateur et directeur général, Richard Taite, qui lui ne l’est absolument pas. Grand, athlétique, Richard Taite est animé, surtout lorsqu’il parle d’addiction. Du haut de ses 48 ans, c’est un ancien toxicomane, comme beaucoup dans le métier. « De 12 à 32 ans, je n’étais jamais sobre, je ne dormais plus, je perdais simplement connaissance. » Pendant six mois, il a survécu en sniffant une ligne de coke par jour et en mangeant un Big Mac par semaine. Finalement, en 2003, après avoir fait fortune dans le business des processus de facturation et de collecte des paiements des hôpitaux, il se sèvre et décide d’ouvrir sa propre résidence pour toxicomanes reconvertis. Un an plus tard, il la transforme en centre de désintoxication.
Il existe un autre problème propre à Hollywood : les stars sont complices de leurs addictions.
Comme à Promises, Passages et les autres centres, les sevrages à Cliffside sont très coûteux. Taite facture 73 000 dollars le mois en chambre privée, et 58 000 en chambre semi-privée, sachant qu’il est recommandé de rester dans ces centres entre trois et quatre mois. Comme la plupart des centres hauts de gammes de Los Angeles, il est toujours complet. Pendant ses dix années d’exercice, il a accueilli tant de célébrités qu’on peut même voir un panneau prévenant les patients qu’ils risquent d’être la cible des paparazzi. Il faut être traité comme une personne lambda pour s’occuper des causes sous-jacentes de l’addiction, mais passer de célébrité à patient est un processus difficile, et les célébrités sont ce qu’elles sont : elles ne sont pas habituées à ce qu’on soit sévère avec elles, bien au contraire. Taite explique que Cliffside a son propre réseau de thérapeutes – quatre médecins qui s’occupent de la plupart des stars. « Si vous aviez idée des célébrités que je vois sortir du bureau de mon thérapeute, vous seriez étonné », m’assure Taite. Parfois animées par Taite lui-même, les interventions réservées à la clientèle de célébrités se tiennent souvent dans un hôtel chic de Beverly Hills. Des réunions d’alcooliques anonymes confidentielles leur sont même réservées, où elles peuvent discuter avec d’autres gens du milieu. On pourrait penser qu’avec tout ce confort, les stars captives de la drogue font la queue pour entrer en désintoxication. Mais il existe un autre problème propre à Hollywood : les célébrités sont complices de leurs addictions. Très peu, presque aucune ne cherche de l’aide par elle-même. Ce sont leur famille, leurs amis, leur avocat qui les forcent à se faire hospitaliser. Ceux qui ne gagnent rien à ce qu’elles continuent à travailler ainsi. « Je crois n’avoir jamais été contacté directement par une célébrité », me confie Taite. « J’ai eu au téléphone les enfants, les femmes, les petites-amies, les cousins, les frères et les sœurs de nombreux grands acteurs. Et je vous parle là des plus grandes super-stars du cinéma. On m’appelle pour eux, mais elles ne m’appellent jamais. » Pourquoi les stars n’appellent-elles jamais d’elles-mêmes ? Taite me répond que c’est à cause de cette complicité. À Hollywood, personne n’ose dire la vérité à ceux qui ont du pouvoir. Et pourtant, Cliffside accueille des grands patrons, des athlètes, de grands avocats, des médecins… Hollywood « est le seul endroit sur Terre où vous pouvez être ivre ou drogué, et où tout le monde continue à vous lécher les bottes ».
Richard Taite adhère à la théorie du psychologue James Prochaska qui, bien qu’elle ne soit pas centrée exclusivement sur Hollywood, peut s’y appliquer. Selon James Prochaska, la plupart des addictions sont liées à un traumatisme, et la plupart de ces traumatismes ont eu lieu pendant l’enfance : négligences, abus ou deuils. « J’ai travaillé avec des centaines de toxicomanes et d’alcooliques, et il n’y en a qu’un seul qui m’a dit qu’il avait eu une enfance heureuse », me confie Constance Scharff, directrice des recherches de Cliffside. Les propos de David Sack coïncident aussi : les abus subis pendant l’enfance « pourraient expliquer pourquoi les interprètes sont attirés par les activités artistiques, probablement pour trouver une forme de rédemption, d’acceptation ou de reconnaissance qu’ils n’ont pas eu étant enfants ». En d’autres termes, les enfants négligés ont plus de chances de se tourner vers une profession qui les place au centre de l’attention, et c’est ce même déficit émotionnel qui les pousse vers l’addiction. C’est encore pire pour ceux qui, comme Lindsay Lohan ou Zac Efron, n’ont pas eu d’enfance à proprement parler. Curieusement, bien que l’addiction débute presque toujours pendant l’enfance ou l’adolescence, comme nos années lycée et fac peuvent en témoigner, alors que nous avons pu être spectateurs de beuveries, de défonces à la marijuana et aux drogues dures, la grande majorité des consommateurs sont rentrés dans le droit chemin – ils en sont même sortis plus forts, comme le disent certains experts.
L’imprudence de la jeunesse, le fardeau des responsabilités, les contraintes que la vie nous impose nous transformant, les plus gros fêtards du campus sombrent rarement dans l’alcoolisme. Mais ce n’est pas le cas à Hollywood, où l’imprudence est souvent récompensée, l’irresponsabilité encouragée, et où la seule véritable contrainte est de ne pas être trop défoncé pour aller travailler. Les artistes sont toujours au bord du gouffre, et c’est la capacité de l’industrie à infantiliser ses membres qui les met dans cette position. Il ne suffit que d’un déclic – une histoire d’amour qui se termine mal, une carrière qui stagne – pour réactiver le traumatisme infantile qui les pousse ensuite à s’auto-médicamenter pour aller mieux. Il n’en faut pas plus. Si vous pensez que les célébrités sont comme des bombes à retardement, vous avez totalement raison. Peu importe combien de temps elles sont restées sobres quand arrive ce déclic. Hoffman a été sobre pendant pendant vingt-trois ans. Et il a replongé.
Combler le vide
Kristen Johnston ne pense pas qu’Hollywood soit un endroit si différent du reste de l’Amérique. Elle a gagné deux Emmy Awards grâce à son rôle dans Troisième planète après le soleil. Elle est aussi drôle lorsqu’elle raconte ses déboires passés de toxicomanes que lorsqu’elle joue un extraterrestre. Elle a même écrit un best-seller sur le sujet : Guts, dans lequel elle parle de sa désintoxication réussie, mais aussi du jour où elle a failli perdre la vie. Cela fait maintenant huit ans qu’elle est sobre et qu’elle parcourt le pays pour parler avec d’autres toxicomanes, mais aucune célébrité – même si certaines l’ont appelée ou contactée par e-mail pour lui demander des conseils ou simplement la remercier. Elle est persuadée que si les Américains se focalisent sur les problèmes d’addiction des stars, c’est pour pour se voiler la face en prétendant qu’il ne s’agit que d’une tendance hollywoodienne.
Elle ne réfute pas pour autant le fait que les artistes ont des prédispositions à l’addiction, mais selon elle, ce n’est pas parce qu’ils sont passés maîtres dans l’art d’attirer l’attention mais parce qu’ils sont des cibles faciles. « On vous demande d’être vulnérable, d’être ouvert et de pleurer sur commande, mais vous devez aussi pouvoir faire face aux gens qui vous disent que vous êtes moche, grosse ou qu’ils vous détestent. Faire face à cela sans aide ou sans médication, c’est très dur. » Les drogues lui ont permis de cacher sa vulnérabilité, « de prendre sur [elle], même si [elle], n’en avait pas envie ». Comme d’autres célébrités dépendantes l’ont déjà déclaré, Kristen Johnston affirme que le « meilleur des antidouleurs, c’est l’ambition ». Bien que cette affirmation ne s’applique pas seulement aux artistes, les choses sont plus explicites dans leur cas de figure. C’est l’ambition qui les motive quand ils commencent à se faire un nom. C’est leur drogue : tenter de devenir célèbre. Puis, s’il sont chanceux, comme cela a été le cas pour Johnston, ils y parviennent. « D’un seul coup, tout était gratuit », se souvient-elle. « J’avais une énorme maison, j’habitais à Los Angeles, j’étais complètement perdue, je n’avais plus besoin de travailler, j’avais déjà tout. » Et c’est à ce moment-là que ses mauvaises habitudes se sont installées. Ce qui nous amène à l’algorithme. À des degrés divers, les prédispositions génétiques, qui s’ajoutent aux traumatismes infantiles, qui s’ajoutent à la mise à disposition des drogues, qui s’ajoute à un déclic émotionnel, qui s’ajoute à l’encouragement contextuel, ou du moins au manque d’opposition : tous ces facteurs servent d’aliment de base à l’addiction. Et à Hollywood, on les retrouve souvent. L’addiction est le fléau de ceux qui se cherchent dans l’industrie de la décadence. « Nous avons tous un vide en nous », raconte Johnston, « et nous essayons de le combler, chacun à notre façon. Certains font cela de manière très saine : ils écrivent, ils courent, ils ont des passions, etc. D’autres, les toxicomanes, choisissent la voie de la facilité, qui s’avère en réalité être semée d’embûches. » Ce n’est pas, selon elle, un comportement propre aux toxicomanes, c’est tout simplement propre à la vie. « Cette volonté de combler le vide qu’il y a en nous, c’est peut-être cela le sens de la vie. »
Cela peut ressembler à de la psychologie de comptoir, mais ce vide ne peut être rempli qu’à travers l’identité, par le fait de savoir qui nous sommes réellement. Le problème avec les artistes, en particulier avec les plus jeunes, c’est que leur travail se fonde sur la perte et le morcellement de leur identité. De fait, ils ont probablement moins de chances que les autres individus de savoir qui ils sont, d’avoir une personnalité. En somme, ces vides sont sûrement plus profonds à Hollywood qu’ailleurs, creusés par les traumatismes infantiles, les vulnérabilités, les insécurités et les déceptions. Ces vides vous éloignent des autres et de vous-même. Johnston vous dirait que c’est contre cette douleur, la douleur causée par ce vide immense, que les analgésiques sont censés agir : c’est la raison pour laquelle les opiacés sont une drogue de choix à Hollywood. « On essaie de combler un vide infini, et ni toute l’eau du Pacifique, ni toute la coke du Pérou ne pourraient y parvenir », explique Michael Des Barres. En somme, il est plus aisé de dépeindre les célébrités dépendantes telles que Lindsay Lohan comme des mégalomanes hors de contrôle que comme des personnes qui n’ont aucune idée de qui elles sont vraiment. Johnston explique que sa vie a pris un nouveau tournant le jour où elle a découvert qui elle était. Elle joue désormais dans la série The Exes et comble le vide en discutant avec des toxicomanes, et en soutenant la création d’une école dédiée aux jeunes drogués à New York. Elle est sereine et confiante quant au fait que cela ne changera plus, mais les experts affirment que le taux de rechute chez les artistes est plus important que chez les autres victimes d’addictions (taux déjà très important de 60 %). Et les causes en sont nombreuses. Premièrement, il y a l’argent, qui rend les drogues accessibles. Tous ces gens qui dédramatisent la drogue, les critiques permanentes qui jugent leur travail et les attaquent sur leurs points faibles, la pression continue d’avoir sur les épaules des projets de dizaines de millions de dollars, et la raison qui semble se placer au-dessus de toutes les autres : les opportunités. Les célébrités sont plus enclines à quitter le programme de désintoxication avant sa fin. En effet, alors qu’il n’a jamais reçu d’appel d’un agent ou d’un manager lui demandant de placer une star dépendante dans un institut de soins, Richard Taite reçoit régulièrement, en revanche, des appels pour le supplier de laisser sortir une célébrité après un court séjour. On compte bien trop sur elles pour les laisser enfermées à Malibu. Il y a une chose sur laquelle les partisans comme les détracteurs de la théorie de la consommation inhabituelle de drogues à Hollywood tombent d’accord : à Hollywood plus que partout ailleurs, tout prend des proportions exceptionnelles. Tout y est plus dramatique, plus excessif, plus cher, plus exposé, tout y est « plus ».
Finalement, peu importent les raisons que nous invoquons pour le nier, Hollywood n’est pas loin, ce qui signifie que même si ces problèmes de drogues ne sont qu’une autre forme de divertissement pour Américains blasés, nous ne sommes pas si différents de ces derniers. Ôtez à Lindsay Lohan sa notoriété et sa beauté, et elle n’est plus qu’une de ces filles perdues qui essaient de se trouver. Enlevez à Philip Seymour Hoffman le talent et la reconnaissance, et il n’est plus qu’un de ces hommes désespérés en pleine crise de la quarantaine. Retirez à Robin Williams son humour déjanté et il n’est plus qu’un autre dépressif au bord du gouffre.
Traduit de l’anglais par Louise Ratineau d’après l’article « Is Hollywood’s Drug Problem Really Any Worse Than the Rest of America’s? », paru dans Playboy. Couverture : Un appartement sur Hollywood Boulevard. Création graphique par Ulyces.