Même quand il ne tourne pas de film, Tiny Lister joue le rôle du méchant. Les week-ends, quand il fait de la pub pour la boisson énergétique Monster au cours d’événements promotionnels, dès qu’il entre en scène, il est Deebo, le personnage qu’il interprète dans la série de films Friday. Deebo, c’est son Hamlet, son Sherlock Holmes, son avatar. « Je joue toujours ce personnage », dit-il de celui qui terrorise Ice Cube et Chris Tucker dans le film de 1995. « Les gens paient pour voir ce personnage. »

Le méchant

J’ai rencontré Lister en avril 2014, aux abords du stade MetLife à East Rutherford, dans le New Jersey, l’après-midi du Supercross sponsorisé par Monster Energy. À 55 ans, il fend la foule lourdement, claquant le sol à chaque pas. Il porte une paire de chaussons noirs et des chaussettes de sport, un Damart sombre assorti à son jogging, frappés du logo de Monster, d’un vert tirant sur le vomi. Un médaillon Monster pend sur sa poitrine. Il ne ressemble à aucune autre célébrité : ce titan mesure 1 m 95 et pèse 130 kilos, sur lesquels trône une tête anguleuse et chauve, sans compter ses deux énormes mains, ce qui le fait passer pour un géant dans un monde de poupées. Et puis, il y a l’œil. Il ne louche pas autant qu’on a pu le voir à la télévision. Mais son œil droit, aveugle, est voilé et semble s’affaisser.

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Le bad guy
Crédits : TommyTinyLister.com

Le personnage n’est pas complet tant qu’il n’a pas grimpé sur son beach cruiser, le même que celui qu’enfourche Deebo dans Friday – toutefois, celui-ci est noir et frappé le logo de Monster. Une musique menaçante devrait jouer quand il pédale vers le centre de la fête, où a lieu un concours de changement de pneus. Lister avance comme un squale qui s’approche de la côte. « Eh ! », crie Lister à un couple qui traverse devant son vélo. « Eh, bougez-vous ! » Ça y est, Lister est dans son personnage. Alors qu’il s’apprête à rejoindre la fête, Lister, téléphone vissé à l’oreille, essaie de motiver la foule. « Oh putain, c’est Deebo ! » hurle quelqu’un dans la foule. « Oh, oh, montrez-moi ce que vous savez faire », tonne Lister. Sa voix est un croassement guttural. Comme Deebo, dès qu’il élève la voix, Lister sonne comme s’il avait bouffé des clous rouillés. « Montrez-moi », dit-il, « ou je vous étrangle tous. Et je vais finir sur TMZ… » Le show continue pendant dix minutes encore, puis Lister retourne dans sa caravane. « Mec, je suis vanné », dit-il une fois débarrassé de son micro, souriant de toutes ses dents, la sueur perlant sur son front. Il avale une longue gorgée de Monster Ultra Red. Jouer le méchant n’a pas toujours été facile : Lister révèle avoir reçu des menaces de mort quand il faisait du catch sous le nom de Zeus, du nom du personnage qu’il incarnait dans le film No Holds Barred, en 1989. Mais c’est venu naturellement. « Il peut passer de l’innocence absolue au danger imminent en un regard », explique Eric Roberts, qui a partagé l’affiche avec Lister sur quatre projets. « Quand il a l’air énervé, on sent transpirer sa rage. » Profitant de ce don, Lister a bâti une carrière certes inégale, mais plutôt remarquable. Une carrière longue de trente ans, riche de 176 rôles, au cours de laquelle il a côtoyé Marlon Brando, Tupac Shakur, Hulk Hogan et Michael Jackson. Dieu, croit-il, a joué un rôle là-dedans. Né aveugle avec une rétine décollée et déformée, Lister a toujours eu honte de son œil droit. Il portait des lunettes teintées. Il a même maudit son Créateur. Et puis, un jour, il a décidé de retirer ses lunettes. « J’ai commencé le cinéma et Dieu m’a dit : “Tu pensais que c’était une malédiction ? C’est une bénédiction” », déclare-t-il. « Mon œil est devenu ma marque de fabrique à Hollywood. » Autre atout : Lister est un géant au cœur tendre, connu pour être d’une gentillesse à toute épreuve, un collaborateur attentionné. « Il a bon esprit, il est très positif », dit Walter Hill, le réalisateur de 48 Heures et Les Guerriers de la nuit, qui a offert à Lister son premier grand rôle dans un film de 1986, Blue City, avant de le diriger dans Extrême préjudice et Les Pilleurs. « Le fait que ce grand gaillard soit si gentil et amical vous oblige à l’apprécier et vous remplit d’une certaine forme de bonheur. »

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Ambassadeur de la marque de boissons énergétiques

D’où l’ampleur du choc quand, en août 2002, Tiny Lister a été inculpé pour avoir participé à une arnaque au prêt immobilier, pour un montant de 3,8 millions de dollars. À présent libre sous caution, Lister est persuadé qu’il n’ira pas en prison. « Ce qu’il y a de cool avec Dieu et le gouvernement américain, c’est que tu peux faire une erreur, ils te la pardonneront s’ils estiment que tu es une personne déterminée à faire le bien », dit-il. « Ceux qui savent ce que je traverse ont vu que j’étais quelqu’un de bon. » Il y a davantage à en dire. Car Lister est convaincu que sa condamnation, sa déficience visuelle et sa carrière, sont arrivés pour une bonne raison.

The wrestler

Lister est adepte d’une vision du monde qui laisse une place importante aux prophéties et aux voies divines. Il a tout fait pour ne pas croupir dans un boulot routinier au milieu d’un open-space. Jusqu’à perdre tout sens commun. Il a passé les tests pour devenir joueur de football américain professionnel pour l’équipe des Breakers de la Nouvelle-Orléans en 1984 – il n’avait jamais touché un ballon auparavant. Et même en étant à moitié aveugle, il rêvait de faire partie des services secrets pour pouvoir protéger le Président. Il n’a jamais joué en NFL et n’est jamais allé à Washington. Mais il est allé jusqu’à Hollywood. Là, il fait la connaissance de Walter Hill à l’Imperial Gardens, un club de Los Angeles, où Lister travaillait en tant que videur pour joindre les deux bouts. Sur place, Lister décide de devenir acteur. L’un de ses amis de la salle de gym, Jimmy Bridges Jr –frère de Todd Bridges, vu dans Arnold et Willy –, se trouve être le fils d’un agent. « Il me disait : “Présente-moi ton père, mec. Présente-moi ton père. J’veux devenir acteur.” Et puis, un jour, il m’a dit : “Bon, allons le rencontrer” », se souvient Bridges. « 1 m 95, 130 kilos, un œil qui dit merde à l’autre. Mon père a dit : “Je peux en faire quelque chose.” »

Pour faire le poids et incarner une menace sérieuse face à Hulk Hogan, Lister prend du muscle.

Une série de petits rôles plus tard, Lister embarque pour No Holds Barred, un film calibré pour Hulk Hogan qui répond à la question : Que se passerait-il si Ed Wood étant encore en vie et tournait un film sur le milieu du catch professionnel ? Lister passe l’audition avec brio, après être arrivé déguisé en Zeus, le rival de Hogan dans le film, un ancien taulard complètement fou avec une coupe en forme de « Z » et un mono-sourcil à la Anthony Davis. Lister n’a qu’une poignée de répliques dans le film, il passe la plupart du temps à se battre. Mais étant donné que son job consiste à terroriser des gamins de 9 ans, soit la base du public d’Hogan, sa performance vaut d’être considérée comme une franche réussite. Pour faire le poids et incarner une menace sérieuse face à Hulk Hogan, Lister prend du muscle, et la balance affiche jusqu’à 140 kilos. Mais aucun muscle ne le protège quand, en plein tournage de la scène de combat final, Hogan lui brise le nez. « Mec, j’ai amoché Tiny. Je ne sais pas si c’est la fatigue ou la volonté d’en découdre, mais je lui ai explosé le nez. Je m’excusais, j’avais peur qu’il me tue, mais il a été très sport », raconte Hogan. « On avait ce code entre nous : “Libère James Brown”, si jamais il me serrait trop fort, ou l’inverse. On adorait James Brown tous les deux alors, si l’un de nous deux serrait l’autre trop fort, on disait : “Libère James Brown” et c’était fini. Quand je l’ai frappé au visage, il m’a dit : “Je croyais que tu m’aimais bien… Et James Brown, alors ?” » No Holds Barred a été un flop remarquable et s’est fait massacrer par les critiques – Roger Ebert l’a trouvé « dégoûtant » – mais cette expérience a poussé la fédération internationale de catch (la World Wresling Federation, ou WWF) à organiser un grand combat. Quelques semaines avant la sortie du film, Lister est apparu dans une compétition de la fédération sous le pseudonyme de Zeus, son personnage, prétendant qu’Hogan s’en sortait dans le long-métrage car le combat était truqué. Une stratégie de marketing meta avant l’invention du meta. Des combats « Hogan vs Zeus » ont ouvert trois événements de la WWF disponibles en pay-per-view en 1989. Au début, Lister ne goûte guère au catch. « Je suis pas du genre à mettre mes mains entre les jambes d’un mec », dit-il aujourd’hui. L’argent, néanmoins, le ramène rapidement sur le ring. Presque vingt-cinq ans après, Lister a encore les chiffres en tête : 56 000 dollars pour SummerSlam, 17 000 dollars pour Saturday Night’s Main Event, 40 000 dollars pour No Holds Barred : The Match et 35 000 dollar pour Survivor Series. « Vince McMahon était un bon négociateur », dit Lister. « Il m’envoyait l’argent avant que même que la négo ne commence. Qui refuserait ? Toi, tu rendrais les 56 000 dollars qui viennent de tomber sur ton compte ? »

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Lister dans le rôle de Zeus
Crédits : TommyTinyLister.com

Le solitaire

La carrière de Lister dans le catch n’a pas du tout encombré son parcours hollywoodien – au contraire, elle l’a mené vers le rôle de sa vie. Alors qu’il recrutait des comédiens pour le film Friday, une comédie se déroulant dans le quartier de South Central à Los Angeles, Jaki Brown ne trouvait personne de suffisamment grand et fort pour incarner Deebo, la brute du quartier. « 98 % des acteurs que nous avons rencontrés pour le rôle de Deebo étaient des joueurs de football. Ils pensaient tous pouvoir jouer la comédie, mais aucun n’en était capable », raconte Brown, un vétéran du métier. « Comme Deebo devait être immense, on a commencé à lorgner du côté des catcheurs. Le nom de Tiny est tombé et on s’est tous dit qu’il serait parfait. » Deebo est un personnage sinistre, nihiliste, qui s’en prend à tout le monde – voisins, femmes, vieillards –, intimide, met sous pression jusqu’à obtenir ce qu’il estime être son dû, et semble toujours prêt à exploser et capable d’une violence folle. Même si le film est clairement une comédie, Friday change drastiquement de ton quand Deebo apparaît à l’écran ; sa présence rajoute de véritables enjeux à un long-métrage qui, sans cela, serait à ranger aux côtés de Eh mec, elle est où ma caisse ? Une brute dans le genre de Deebo vient évidemment d’un endroit comme Compton, et Lister a puisé dans ses souvenirs pour préparer son rôle, s’inspirant notamment d’Eugene « Big U » Henley, leader des Rollin’ 60’s, un gang local. « Big U m’a appris qu’il imposait ses vues à ses victimes, et qu’il ne partait pas avant d’avoir eu gain de cause », dit Lister. « J’ai grandi dans cette ambiance, et je lui ai piqué sa méthode. »

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Une voiture de police de Compton
Crédits

Bien que n’ayant pas connu l’explosion du crack dans les années 1980, qui transforma Compton en ville-fantôme, Lister avoue avoir esquivé les gangs, les dealers et les fusillades pendant toute son enfance. Les caïds sillonnaient déjà les rues, comme un certain Lawrence Adams, qui pourchassait Lister à la sortie des cours. Un jour, alors qu’il était en CM1, sa mère l’enferma dehors pour lui apprendre à affronter ses peurs. Lister se rappelle avoir fermé les yeux, s’être retourné, et avoir envoyé des coups de poings dans le vide. La piste d’athlétisme lui apporta du réconfort. Le lancer de poids était devenu son refuge. Solitaire par nature, Lister détestait les sports collectifs, les traitant avec mépris. De son point de vue, les sports collectifs avantageaient les plus faibles par nature, qui tiraient profit des efforts des superstars et partageaient leur gloire. « J’adore le lancer de poids car que tu perdes ou que tu gagnes, tu es seul », dit-il. « Soit je suis humilié, soit je domine. Je dominais tout le temps car je ne m’entraînais que pour cela. » Son acharnement a fait de lui une star à Cal Tech, une université de Los Angeles. Il y battra sept fois le record du lancer de poids et a même remporté le championnat national de deuxième division en 1982.

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C’est avec fierté que Lister conte ses exploits athlétique. À présent dans les coulisses de la fête organisée par Monster, assis sur des conteneurs, nous regardons les roadies décharger l’équipement. Un DJ balance « Turn Down for What ». Parfois, un fan approche. Lister n’est plus Deebo maintenant. « On peut faire une photo ? — Bien sûr, tu viens d’où ? demande Lister. — Boston. — La terre qui a vu naître Mark et Donnie Wahlberg, et la soupe de palourde. » Son humeur change quand il commence à évoquer sa famille. Lister, le second d’une fratrie de quatre enfants nés d’un père routier et d’une mère au foyer, a coupé les ponts avec ses parents proches il a cinq ans, après la naissance de sa fille Faith Grace. Les premières secousses ont eu lieu il y a plus de trente ans, quand Lister a décidé de se lancer dans la comédie. « Beaucoup de gens n’ont pas cru en moi. Ils me disaient : “Trouve-toi un vrai travail.” », raconte Lister. « Mon père me maudissait. Il me disait : “Tu es un bon à rien. Tu es faible.” »

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Lister et sa fille
Crédits : TommyTinyLister.com

Il ne veut pas aller plus loin. « J’ai pris une décision qui je pense est la meilleure pour moi », dit-il. « Tu essaies toujours de faire plaisir à ta famille biologique, mais on ne peut pas les satisfaire. Si tu leur donnes du fric, ils en veulent encore plus. Au bout d’un moment, j’ai arrêté de leur faire plaisir. J’ai dit : “J’en ai marre de faire la pute.” » Je lui demande s’il parle toujours à sa mère, veuve et installée au Texas. « Elle a laissé mon père me traiter comme il l’a fait, et j’ai aucun problème avec ça », répond-il. « Qu’elle me mate à la télé, tu vois ce que je veux dire ? » L’arnaque immobilière est un autre sujet sensible. Le modus operandi, qui a duré de novembre 2005 à juin 2007, était fourbe et cruel. Lister complotait avec un comptable et plusieurs complices (un ancien broker, un agent immobilier, un ancien directeur d’agence bancaire, un dépositaire légal) pour acquérir frauduleusement quatre propriétés qu’il ne pouvait s’offrir. Il a gonflé ses revenus sur les formulaires de prêts, fabriqué de faux chèques de banque, et falsifié les dépôts légaux, leurrant ses créanciers désormais sûrs qu’il allait pouvoir honorer ses traites. Il a encaissé environ 1,2 millions de dollars de valeur résiduelle sur les quatre maisons et s’est déclaré inapte à rembourser ses quatre prêts. Perte pour la banque : 2,6 millions de dollars. Lister admet une partie des charges. « J’ai fait des mauvaises rencontres – de mauvais gestionnaires, des agents immobiliers », dit-il. « J’aurais dû faire plus attention. Tu vis, et tu apprends. Ça te laisse des cicatrices et tu en ressors meilleur. Je veux juste être là pour ma fille. » J’insiste : faire plus attention à quoi ?  « À être plus critique et sévère envers les gens », dit-il. Bien qu’il risque cinq ans d’emprisonnement, Lister, qui a collaboré avec les autorités fédérales, le fisc et le FBI au cours de l’enquête sur sa tentative d’extorsion, pense qu’il s’en sortira en remboursant la somme escroquée et en faisant du service civique.

Le champion

Quand il commence à pleuvoir sur le stade MetLife, Lister raccourcit sa journée et retourne à son hôtel, dans la ville voisine d’Hoboken. Un employé de Monster nous hèle un taxi. Un seul ennui : les fans se ruent sur Lister alors que nous tentons de rejoindre la voiture. Les demandes d’autographes et les flashes l’empêchent d’avancer à un rythme régulier, et nous finissons par prendre un second taxi, garé dans le parking.

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Le MetLife Stadium
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Notre chauffeur est mauvais et conduit dangereusement. Après avoir raté notre sortie, il continue de rouler en direction du tunnel Lincoln. « On va où, là ? » suis-je obligé d’hurler. « Merde », répond le chauffeur. « C’est bon, c’est bon ! » Rude braquage à gauche, on renverse quelques cônes de circulation au passage avant de fendre le trafic. « C’est bon, c’est bon… », répète-t-il, plus calmement que la première fois. Il se lisse la moustache. « Non, ce n’est pas bon », gronde Lister. « Vous êtes payé pour nous fournir un service que vous ne nous fournissez pas. » Le chauffeur retrouve rapidement son chemin. Plus tard, alors que le taxi tente de nous déposer au coin de la rue de l’hôtel plutôt que devant le bâtiment, Lister explose une nouvelle fois. « Eh, cet endroit n’a pas d’entrée principale ? » dit-il. « Laissez-moi devant l’entrée principale. On a payé pour ça. Je suis une star de ciné, mec ! » Une fois dans sa chambre, Lister est encore fumasse. « C’était un sale type. Un sale type. Un bon à rien. » Il retire son T-shirt et s’installe dans le canapé. Un tatouage du verset Luc 10:19 de la Bible couvre son biceps gauche (« Voici, je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi ; et rien ne pourra vous nuire »). Son ventre, ferme, tendu, est anormalement sphérique.

Malgré sa vie remarquable, Lister culpabilise à cause de ses récents méfaits.

« J’ai 55 piges », dit Lister. « Je me tasse. » Il a un diabète de type 2. « Tu te souviens de comment j’étais quand j’ai commencé ? Regarde-moi maintenant. T’as vu toute l’énergie que j’ai dépensé ? » La semaine a été longue. Avant d’arriver dans le New Jersey, Lister était à Albuquerque, en train de tourner son prochain film, Money Is King. Une fois de plus, il joue le rôle du méchant. « Je pense qu’on a tendance à lui faire jouer tout le temps la même chose, oui. Je ne pense pas que les gens le prennent vraiment au sérieux en tant qu’acteur, ils ne réalisent pas qu’il peut être sensible, mais aussi très drôle », avance Jules Stewart, qui a dirigé Lister dans le film K-11 en 2013, dans lequel il interprète un pédophile du nom de Detroit. « J’adore le fait qu’il continue de travailler. C’est un peu le secret pour durer à Hollywood. Beaucoup abandonnent, et quand tu abandonnes, c’est fini pour toi. Tommy continue parce qu’il essaie toujours de convaincre les gens qu’il peut faire autre chose, et quand on lui permet de jouer autre chose que le rôle du méchant, les gens sont tous étonnés. » Le CV de Lister prouve qu’il n’est pas monochrome. Sons sens de la comédie est flagrant quand il apparaît sous les traits du président des États-Unis dans Le Cinquième élément, de Luc Besson. Selon lui, il n’a jamais été aussi bon que dans le rôle d’Hegai, l’eunuque royal du film One Night With the King. À ce moment de sa carrière, il cherche des projets capables de remplir au moins un de ces trois critères : un bon script, un bon réalisateur ou un bon cachet – c’est dans cette perspective qu’il atterrit aussi bien sur le plateau de The Dark Knight que dans les bacs de supermarchés, où s’entassent les direct-to-DVD et les films à petit budget. Lister appelle cela de l’ « ajustement ». Récemment, il a rencontré des problèmes sur le tournage de The Human Centipede : Final Sequence : il a même demandé à être licencié. « Quand j’ai fait The Human Centipede III, ils ont dû enlever tous les trucs entre mecs. Je pouvais pas jouer ça », dit Lister. « J’insistais pour qu’ils enlèvent tout ce que je n’aimais pas. S’il y avait un homme nu dans ma scène, ils devaient réécrire la scène. »

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Tiny Lister dans Le Cinquième élément

Il n’a pas aimé être à la fin du centipède. Alors il est parti, façon Deebo. « Je me coltine tous les déchets ? Pas question », dit Lister. « J’ai vraiment été dur car je leur ai dit : “Vous ne compromettrez pas ma stature pour votre votre film.” » Tom Six, le réalisateur de la trilogie The Human Centipede, n’a pas souhaité s’exprimer. Selon IMDb, Lister est impliqué dans huit projets, en comptant le prochain volet de The Human Centipede, mais le quatrième volet de la série des Friday n’en est pas un. « Last Friday est écrit », précise-t-il. « Mais je ne sais pas si ça va se faire. On en a tous envie, mais Ice Cube a tellement de succès qu’il n’en a pas besoin. On aimerait tous le faire, car  on touchera un gros cachet. J’aimerais bien enfourcher ce vélo une dernière fois. » Lister s’enfonce encore un peu plus dans le canapé. Son œil valide se ferme. Du pus s’écoule de son œil droit – je ne lui fais pas remarquer. On a l’impression qu’il est bien plus que 19 h. « Putain, je suis vanné », dit Lister. « Je m’endors. Je vais ronfler sur tes genoux. »

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« Ils peuvent faire un film de votre vie », dis-je à Lister au téléphone une semaine plus tard. Malgré sa vie remarquable, Lister culpabilise à cause de ses récents méfaits. « C’est à cause de la rédemption », dit Lister, avant de se lancer dans un long monologue, seulement interrompu par des reniflements et des larmes. « Tout est histoire de rédemption, au final. » Il remplit les vingt-cinq minutes qui suivent d’exemples de pénitence. Il a rendu visite à des prisonniers en Lousianne, à Angola ; discuté avec les membres d’un gang à Tampa, défoncés au crack, pour qu’ils rendent leurs armes ; motivé les troupes américaines dans la base de Dover, où se trouve la plus grande morgue militaire du pays ; et demandé aux élèves d’une école de San Pedro de toujours faire preuve d’excellence, de « s’élever avec les aigles afin de ne pas rester les pattes dans la boue, comme un vulgaire poulet ». « J’y suis allé et je me suis mis à pleurer en leur expliquant que c’était Dieu qui m’avait donné la force de traverser toutes ces épreuves », dit Lister. C’est dans ces moments-là qu’il a sa révélation. Il a la possibilité de partir à la rencontre de son prochain à cause des crimes qu’il a commis. Sans cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête, il ne serait pas sur la route, à partager ses histoires, à expliquer comment il a échappé aux gangs de Compdon, comment il a fauté, et comment sa foi (et ses avocats) l’ont aidé à se relever de ces épreuves. « Dieu transforme les choses négatives en choses positives… Dieu était à la recherche d’un terrain de jeu pour moi, pour que je puisse expliquer aux gens à quel point Il est génial. C’est ça qu’Il faisait. Il me préparait. » Et puis, sans prévenir, la voix grave se délite et part dans les aigus. Pendant un moment, j’ai l’impression qu’il parle une autre langue. « Des flics ont mis leur flingue sur ma tempe quand j’étais petit et m’ont dit : “Tourne-toi, on veut pas te tirer dans le dos” », me confie-t-il en pleurant. « Tu crois que j’ai peur de quoi que ce soit, ou de qui que ce soit ? Mec, j’ai eu des crises asthme et j’ai perdu la moitié de ma santé quand je faisais de la compétition. J’ai dit à Dieu que je n’étais pas venu au monde pour finir second. Je suis venu pour gagner. Et Dieu a fait de moi un champion. Dieu m’a montré qu’une rose pouvait pousser au milieu du bitume – une rose, un aigle ! J’ai vu de quoi Dieu est capable. Et tu penses vraiment que je peux avoir peur après ça ? » Il reprend ses esprits. Il a faim. « Faut que t’arrêtes de me faire pleurer, mec », renifle-t-il. « Il faut que je mange. Je suis allé loin ce coup-ci. Ça s’est vu, non ? »

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Tommy « Tiny » Lister
Crédits : Ivan Bessedin


Traduit de l’anglais par Benoit Marchisio, d’après l’article « Say Hello to the Bad Guy », paru dans Grantland. Couverture : Tiny Lister en hélico, par Aaron Stout. Création graphique par Ulyces.