Vers 586 avant J.-C., le peuple d’Israël fut conquis. Captif des Babyloniens, il avait été abandonné par ses rois terrestres régis par la luxure, la convoitise, le plaisir et l’avarice. Les Israéliens perdirent tout ce qu’ils possédaient et subirent des années durant le fléau de l’esclavage, aux mains d’un roi cruel venu d’ailleurs. Alors qu’ils étaient en marche vers une nouvelle terre où ils seraient asservis, ils s’assirent sur les bords des rivières de Babylone et pleurèrent au souvenir de leur terre natale et de temps plus doux.
En substance, c’est ce que j’ai fait. Lorsque j’ai entrepris l’écriture de ce livre, j’étais assis sur un rocher près de la frontière d’un pays étranger, couvert de sueur, de sang et de boue. Je repensais à tout le chemin parcouru et me disais que si le plan d’investissement avait fonctionné comme prévu, je ne serais pas là à contempler l’autre côté de la rivière en songeant à tout ce que j’avais perdu, regrettant les beaux jours du passé. Alors que je fuyais pour ma vie, je me sentais parfois esclave de ce monde lugubre et malsain. J’ai souvent rêvé au temps passé, à ces jours de liesse, de bonheur, d’amour, entouré de ma famille et de mes amis. J’ai alors réalisé que chaque jour était une chance, et si je suis encore en vie à la fin de la journée, je demande à Dieu de m’aider à accomplir mon travail inachevé, de pouvoir rembourser la totalité de ce que je dois à chacun de mes clients et de mes créditeurs. J’ai dû réapprendre à vivre au jour le jour, à me mettre en quête de l’amour du Créateur, à chérir, protéger et renouer les liens avec Sa création – notamment Ses enfants. Je crois encore que Dieu m’accompagne, même dans les endroits les plus sombres et les périodes les plus difficiles, même confronté aux personnes les plus viles. — Aubrey Lee Price, extrait de la préface de The Inglorious Fugitive, ses mémoires non publiées.
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Le dernier souvenir qu’Hannah Price a de son père avant qu’il ne disparaisse est de se réveiller et de le voir prier auprès d’elle. Ce n’était pas en soi quelque chose d’inhabituel, Aubrey Lee Price avait toujours été un chrétien dévoué. À la fin des années 1990, il avait été le pasteur d’une petite église baptiste à Griffin, en Géorgie, et après cela à l’église baptiste de Clear Springs, près de Johns Creek. Là, il était le mentor de jeunes aspirants, prêchait et menait des missions en Amérique du Sud afin de bâtir des églises et de distribuer des vêtements aux pauvres. Un chrétien pratique sa foi à travers ses actes, tel était le credo du père d’Hannah. Un chrétien remercie également Dieu pour tous ses bienfaits, et Lee Price – que personne n’appelait Aubrey – en avait reçu de nombreux : quatre enfants et une femme, ainsi qu’une prestigieuse position sociale dans un monde laïque.
Durant les quatre dernières années, Price avait dirigé sa propre firme d’investissement pour millionnaires, PFG. Plus d’une centaine de clients, dont la plupart venait de son église, lui avaient confié leurs économies de toute une vie. Ils voyaient en cet homme une humilité que seule égalait sa capacité à déjouer les conjectures du marché. PFG l’avait rendu riche, même si les atours de la réussite – les voitures de luxe, les vêtements de grands couturiers et les vacances luxueuses – ne présentaient à ses yeux que peu d’intérêt. Son achat le plus coûteux avait été une maison dotée de cinq chambres à Bradenton, en Floride, équipée d’une piscine chauffée, à deux pas de Sarasota Bay. Il l’avait réaménagée avec l’aide d’un ami et avait arrangé le jardin lui-même. Mais l’homme qui se tenait penché au-dessus d’elle pour prier, ce matin de juin 2012, était devenu méconnaissable aux yeux de la jeune Hannah Price, alors âgée de 17 ans. Autrefois robuste et concentré, il était devenu distant et distrait. Il avait pris du poids. Il semblait perdu. Ce père, qui s’exclamait « doux jésus » lorsqu’il était contrarié, s’était mis à jurer et à fumer. Couvert de honte, il avait alors demandé à ses enfants de prier pour lui. Ce qu’ils avaient fait, même lorsqu’il avait vendu leur maison de Floride pour emménager à Valdosta dans une bâtisse deux fois plus petite qui ne valait qu’un tiers de la précédente. Dix-huit mois plus tôt, sa firme avait fait l’acquisition d’une participation de contrôle dans la Montgomery Bank&Trust, située dans la petite ville d’Alley ,en Géorgie, à mi-chemin entre Savannah et Macon. Hannah ne savait rien des détails, mais elle en avait vu assez pour conclure qu’il s’agissait là de la plus grosse erreur que son père avait commise de toute sa vie. Alors qu’elle dérivait lentement entre le sommeil et l’éveil, elle se disait que son père devait prier pour elle avant de partir pour un énième voyage d’affaires. Mais alors, pourquoi sanglotait-il ?
La tête sur les épaules
Le trajet en ferry qui part de Key West pour rejoindre Fort Myers prend trois heures et demie, et part aux alentours de 18 h. À 19 h 30 à la fin du printemps, lorsque le soleil commence à décliner, il n’y a pas grand chose à voir. 24 kilomètres plus loin dans le golfe, vous verrez les lumières étincelantes de Marco Island, à Naples, et celles de Bonita Springs alors que le ferry franchit la barrière d’îles d’Estero Bay, patrie des Pygargues à tête blanche, des tortues gaufrées et des crabes-violonistes. Cinq affluents alimentent la baie, et l’un d’entre eux est l’Estero River. L’après-midi du 16 juin 2012, les passagers du ferry ont probablement peu fait attention à l’homme vêtu d’un short kaki et d’un t-shirt blanc. Alors que le ferry se rapprochait d’Estero, l’homme est sorti prendre l’air sur le pont. L’air était lourd d’humidité, comme s’il pleuvait.
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J’avais habité à Estero lorsque j’étais au collège. L’Estero River est une rivière d’eau saumâtre couleur du thé, qui se jette aux pieds des côtes et prend sa source dans les marais des Everglades. Les rives de l’Estero étaient bordées de banians du Pacifique géants, de différentes sortes de chênes et de nombreux arbres et plantes tropicaux. Sur la rive nord de la rivière, derrière notre restaurant, on pouvait admirer un verger d’orangers. La rive sud se résumait à une jungle et un parc national, où serpentaient des sentiers de randonnées entre le sable et les chênes. Immédiatement au sud se trouvait une ville appelée Bonita Springs, et au nord était Fort Myers.
La rivière et le marais côtier grouillaient d’une vie sauvage pleine de mystères – des mystères qui m’empêchaient de dormir la nuit. Je rêvais que j’attrapais un sébaste de 4 kilos ou un brochet de 13 kilos. Je voulais voir où habitait le plus gros alligator et jusqu’où les requins remontaient la rivière depuis le golfe du Mexique. Je courais, aussi libre et sauvage qu’un enfant pouvait en rêver. Trente-cinq ans plus tard, j’avais prévu de quitter ce monde dans l’un de mes endroits préférés au monde. J’ai trouvé un coin tranquille au dehors, sur le pont au deuxième étage du ferry, quelque peu abrité du vent et de la pluie. Je ne me rappelle pas qu’il se soit trouvé quelqu’un d’autre sur le pont avec moi. Je me suis assis en silence, formulant tant bien que mal des prières tout en séchant les larmes sur mes joues. J’avais volontairement fait mes valises, comme si je partais vraiment en voyage, afin que ma famille ne trouve pas étrange que je m’absente pour la semaine sans emporter d’habits de rechange. En outre, le sac était rempli de grandes enveloppes et de longues lettres que je ne posterais qu’avant de quitter Key West. J’ai alors jeté mon attaché-case par-dessus bord, ainsi que mon téléphone portable. Il ne me restait rien d’autre qu’un sac à dos avec à l’intérieur des plombs de plongée et mon permis de conduire. La brume se changeait à présent en pluie fine. Je me suis rendu sur le pont du troisième étage, où je me suis assis par terre, adossé contre une boîte contenant des gilets de sauvetage. Lorsque les dernières lueurs du jour se sont éteintes, j’ai été inondé par une vaste mer noire, d’une noirceur qui aurait suscité la terreur dans le cœur de n’importe quel homme. J’ai immédiatement regretté la chaleur de mon lit, j’aurais aimé me réveiller et découvrir que tout cela n’était qu’un mauvais rêve. Mais ma situation était désespérée et tous mes espoirs ne m’aideraient pas à m’en sortir. La dépression m’avait complètement submergé. C’était l’heure de partir. Il me fallait passer par-dessus la rambarde et au-delà des bords du bateau. Je sauterais du troisième pont et disparaîtrais. — Extrait du chapitre IV de The Inglorious Fugitive. Lors de notre troisième rencontre, Lee Price m’a confié une copie des huit premiers chapitres de The Inglorious Fugitive, les mémoires qu’il était en train de rédiger. Sur un total de quatre visites, en février et en mars, à la prison du comté de Bulloch à Statesboro, nous avons discuté pendant dix heures. L’ancien pasteur, conseiller financier et directeur de banque est retenu ici jusqu’à son procès fédéral pour fraude fiscale, relatif à l’échec de la Montgomery Bank&Trust en 2012. (Les procureurs fédéraux de la ville de New York l’ont également inculpé pour infractions par câble et fraudes sur des valeurs mobilières.) Lorsqu’il a disparu le 16 juin 2012, il a laissé derrière lui une banque dont la chute était imminente et dont les investisseurs allaient se retrouver sur la paille. Lee Price est devenu l’une des personnes les plus recherchées par le FBI, avec une récompense de 20 000 dollars pour toute information pouvant mener à sa capture. Il est réapparu au réveillon du nouvel an de l’année dernière, sur l’autoroute inter-États I-95, après un contrôle routier de routine dans le comté de Glynn. L’événement s’est déroulé dix-huit mois après qu’il a fait croire au monde entier qu’il s’était donné la mort. Où était-il passé tout ce temps ? Lorsqu’il s’est présenté devant le juge pour la première fois le 2 janvier, il ne ressemblait plus du tout à l’homme de Dieu irréprochable qu’il avait été durant la majeure partie de sa vie d’adulte. Il avait perdu du poids, s’était laissé poussé les cheveux et une barbe, et avait teint le tout en noir. Des journalistes venus de partout, de New York à Paris, voulaient savoir : Était-ce là le Bernie Madoff du sud des États-Unis ? Était-ce un homme déchu ? Qui était donc Aubrey Lee Price ?
Je ne pouvais m’empêcher de me demander si l’on pouvait faire confiance à un homme qui avoue avoir été un escroc.
Quelques semaines après son arrestation, je lui ai écrit une lettre. Il m’a répondu par un coup de téléphone, m’invitant à venir le rencontrer pour avoir une conversation, la première qu’il avait eu avec un journaliste depuis sa capture. Price était impatient de raconter son histoire. Elle était littéralement incroyable. Elle comprenait, dans le désordre, une courte période en tant que bagagiste pour un baron de la cocaïne latino-américain, une quête spirituelle au sommet d’une montagne d’Amérique du Sud, un attachement presque obsessionnel au fitness, une dépendance à l’Adderall et une collection de junkies et de criminels étranges, parfois touchants, qui portaient des noms comme Kmart ou Pico. Son récit, sous bien des aspects, ressemblait à un scénario de film hollywoodien. Le genre de film qu’on apprécie tout en secouant la tête devant son improbabilité. Et de fait, Lee Price pensait que son aventure pourrait bien faire un film, en temps utile. Il m’a confié que certains scénaristes l’avaient contacté depuis qu’il était arrivé en prison. Ainsi qu’un attaché de presse. Son « incroyable histoire », comme il l’appelle lui-même, pourrait-elle être vraie ? Ou bien s’agit-il d’une tactique d’évasion à la Walter Mitty motivée par une nécessité légale ? Se pourrait-il que ce soit une fresque tout droit sortie de l’imagination d’un homme aux prises avec la pire crise de la quarantaine de l’histoire ? Quand Price raconte sa vie à la banque et sa vie en fuite, en disséquant les moindres détails issus de son livre, il semble calme et sincère, il rigole et pleure en même temps qu’il se rappelle, il cite les Évangiles, les films de Will Ferrell et les prix de la marijuana sur le même ton. Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de me demander si l’on pouvait faire confiance à un homme qui avoue avoir été un escroc. Un homme qui, si les autorités ont raison, a élaboré des combines à la Ponzi bien avant être impliqué dans une banque que tout le monde pensait qu’il sauverait. En 1976, après une série d’échecs professionnels, un ancien membre des Marines nommé Jim Price est parti d’Atlanta avec sa jeune famille pour se rendre en Floride, dans le comté de Palm Beach, où ils ont commencé une plantation d’aubergines et de courges. Son second fils, que la famille appelait Lee, était déjà très travailleur à l’âge de 10 ans. « Il ramassait les légumes toute la journée, se souvient Jim Price, et ne se plaignait jamais. » Ils ont habité à Loxahatchee, puis à Naples, ouvrant plus tard un restaurant familial près de l’Estero River, avant d’emménager dans un appartement au-dessus de leur commerce. Lee était un enfant heureux et calme. À 12 ans, c’était un athlète doué, malgré sa petite taille : 1 m 62 pour 50 kg. Avec son frère Greg, ils faisaient la plonge, allaient pêcher ensemble et jouaient au tennis. Ils menaient une vie simple et bucolique. Jim Price, pourtant, n’était toujours pas satisfait. Ils ont donc déménagé à Lyons, au sud-est de la Géorgie, près de là où habitait sa mère. Lee a passé ses années de collège et de lycée dans le comté de Toombs. « Il n’était jamais arrogant », raconte son professeur de chimie de première et son professeur de tennis, Victor Wolfe, qui admirait Lee au point de baptiser l’un de ses propres enfants d’après son nom. « Il était facile à former. Il avait la tête sur les épaules. C’était un garçon censé et il travaillait dur. » Lee ramassait des oignons tous les étés jusqu’à ce qu’il arrive en seconde, où il a ensuite travaillé chez Handy Andy. Il remportait des courses au volant de sa Vega rouge de 1973 qu’il s’était lui-même offerte, et qui avait parfois besoin d’être poussée pour démarrer.
Pasteur et courtier
Je me suis payé moi-même quatre années d’études dans un établissement privé. Je n’étais pas un merdeux qui bénéficiant de fonds, et je n’aimais pas ces enfants à qui l’on donnait tout. Je ne les aime toujours pas. J’ai toujours travaillé pour tout ce que je possédais. Je n’ai contracté qu’une petite dette d’étude, que j’avais déjà remboursée avant de les avoir terminées. J’ai personnellement toujours détesté les dettes et me suis juré, alors que je n’avais qu’une vingtaine d’années, que je ne devrais jamais rien à qui que ce soit. Jusqu’à la fin de ma trentaine, je n’ai jamais vraiment eu d’autre dette qu’une hypothèque. Je n’ai jamais voulu être redevable envers quiconque d’autre chose que mon amour, et c’est ainsi que j’ai vécu la majeure partie de ma vie d’adulte. — Extrait du chapitre II de The Inglorious Fugitive. À partir de 1987, Lee Price s’est profondément investi dans la vie de son église. Il a travaillé dans une centrale électrique durant deux années, gagnant assez d’argent pour fréquenter Brewton-Parker, un établissement baptiste tout proche à Mount Vernon, en Géorgie, où il a rencontré sa femme, Rebekah, et duquel il est sorti diplômé en 1990 d’un baccalauréat administratif. Pendant les vacances, il était pasteur après des jeunes. À la First Baptist Church de Swainsboro, à une heure de Mount Vernon, il a parrainé Doug Brown, alors âgé de 15 ans.
« Il aimait plaisanter, se souvient Brown, et faisait souvent des voix rigolotes. C’était une église très évangélique – les gens n’y écoutaient pas de musique laïque –, et c’était quelqu’un de profondément religieux. Très sympathique, pourtant. Il jouait son rôle de pasteur auprès des jeunes à merveille. » Price a poursuivi ses études pour obtenir un master à l’Université Internationale de Columbia, avant de se voir confier le poste de Pasteur principal à Pelion, en Caroline du Sud, où sont nés ses deux premiers enfants, Nathan et Hannah. Price était ouvert et amical avec tout le monde. Il aidait les gens qui ne venaient pas à l’église, ceux qui se sentaient seuls ou isolés. En tant que pasteur à l’église Baptiste de Teamon, à Griffin vers la fin des années 1990, Price reversait au moins 10 % de son modeste salaire à l’église et avait construit une petite maison à proximité. « C’est le meilleur prêcheur avec lequel j’ai travaillé », précise Gail Cantrell, le trésorier de Teamon à l’époque. « Il a donné un bel exemple. Ma fille est missionnaire aujourd’hui grâce à lui. » Price adorait répandre la bonne parole. Accompagné des membres de sa congrégation, il organisait des missions annuelles au Venezuela. Mais il gagnait peu d’argent en tant que pasteur. Des professeurs de Brewton-Parker l’ont encouragé à s’intéresser à l’investissement. Il a alors entrepris une licence et a étudié les marchés par lui-même. En 2000, Price et sa famille ont déménagé à Alpharetta et il a commencé à travailler pour Salomon Smith Barney, une entreprise de courtage. Un parti pris qui a surpris Doug Brown. « Cet homme était destiné à être un prêcheur, m’a affirmé Brown. De tout son être. Il était dynamique, convaincant. » Des qualités qui, bien sûr, étaient utiles dans le monde de la finance. Le nouveau bureau de Price donnait sur la I-285, près de la route de Peachtree Dunwoody. Non loin se trouvait l’église Baptiste de Clear Springs, où il avait été pasteur pendant six ans mais avait tenu à ce que son salaire de 30 000 dollars soit utilisé pour financer des missions. « Tout a été réinjecté dans Global Discipleship, le programme caritatif qu’il avait mis en place au Venezuela », raconte Paris Stone, trésorier de Clear Springs et client de Price pendant des années. « Il était généreux envers eux. » Pendant huit ans, Price et sa famille ont habité à Alpharetta. Ses fils sont devenus de bons joueurs de tennis, Samuel a même figuré dans le top des meilleurs joueurs de l’État. Chaque soir, Price s’allongeait auprès de chacun d’eux et entamait une longue prière. Une fois terminée, les enfants étaient déjà endormis.
Il a démarré PFG en janvier 2008, un peu plus d’un an après avoir obtenu sa licence de courtier.
Lee Price prenait son travail très au sérieux, et lorsque le marché fermait, sa famille était assurée de le voir rentrer à la maison. Il assistait aux matchs de football et de football américain, aux matchs de tennis, aux récitals et aux pièces de théâtre de ses enfants. Il avait appris à Hannah à chanter, ainsi qu’à jouer de la guitare et du piano. Il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour les rendre heureux et les poussait à rêver toujours plus grand, se souvient Hannah. Il leur avait appris à faire la différence entre le bien et le mal. « C’est mon héros », m’a confié son fils Nathan, qui étudie pour devenir journaliste. « Ce que je préférais, c’était de voir mon père prêcher. Cela me rendait extrêmement fier. » Lee Price était d’une générosité peu commune, si l’on en croit sa famille et ses proches. Les biens matériels lui importaient peu. Il prêtait de l’argent sans attendre qu’on le remboursât. Il avait donné une voiture à une famille dans le besoin, et il conduisait le même vieux camion depuis des années – un Dodge Durango de 2001. En 2003, il a quitté la Smith Barney pour la Bank of America Securities, où il aurait plus de clients et un meilleur salaire. Sa liste d’investisseurs atteignait les 500 noms et il travaillait constamment, s’impliquant ainsi de moins en moins dans la vie de son église. Il a démarré PFG en janvier 2008, un peu plus d’un an après avoir obtenu sa licence de courtier. Il avait en définitive été suivi par plus d’une centaine de clients. Sa famille et lui ont déménagé dans une maison de 500 m2 à Bradenton, en Floride, près de l’un de ses plus beaux souvenirs d’enfance. Clint Davis, un ancien diacre de Teamon, lui a rendu visite. Price était le même homme qu’il avait admiré une dizaine d’années plus tôt, lorsqu’ils avaient commencé à faire des missions ensemble. « Un mari aimant et un père attentionné, un homme des plus généreux. » En 2011, alors que la femme de Davis se mourait d’un cancer, Price lui a écrit une lettre dont il lui a fait la lecture à son chevet. « C’est le genre d’homme qu’il était », m’a affirmé Davis.
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Ailey est un hameau verdoyant situé au sud de la Géorgie, qui compte à peine 500 âmes. L’une des plus grandes fiertés de la ville est d’avoir vu naître Sugar Ray Robinson. En 1926, la famille Peterson, l’une des familles locales les plus influentes, a fondé une banque à Ailey : la Montgomery Bank&Trust. À travers les générations, la famille Peterson a compté des parlementaires et des sénateurs, des amis du gouverneur Eugene Talmadge ainsi que certains parents par alliance du gouverneur Richard Russell. La ville s’appelait d’ailleurs Peterson, à l’origine. « Ils ont leur propre univers », précise William Ledford, rédacteur au journal de Vidalia The Advance.
Miller Peterson Robinson, connu sous le nom de Pete, est considéré comme l’homme le plus influent du clan Peterson encore vivant. Le magazine Best Lawyers l’a récemment surnommé l’ « Avocat des Relations Gouvernementales d’Atlanta ». Robinson a connu Nathan Deal lorsque les deux hommes étaient en poste au sénat au début des années 1990. Pete faisait partie de l’équipe de transition de Deal, composée de quatre hommes, après l’élection du gouverneur en 2011. Aujourd’hui président du groupe de lobbying Troutman Sanders Strategies – récemment élue la plus lucrative entreprise de haute instance gouvernementale de Géorgie –, Robinson a quant à été élu président de la MB&T en mai 2009. Son oncle, Thomas Peterson, était le directeur (ayant touché plus de 500 000 dollars chacune des deux dernières années) ; un autre oncle, William (le frère de Thomas), ainsi qu’une cousine, Mary Jeanne Fulmer (la fille de Thomas), siégeaient au comité de direction. MB&T ne serait jamais une « grosse » banque, au sens strict du terme, mais lorsque l’économie s’est enflammée au milieu des années 2000, la banque a commencé à regarder au-delà des frontières de sa petite ville en direction des côtes, là où des maisons se construisaient sur le front de mer. En 2006, ils ont ouvert une succursale à St. Simon’s Island. Puis la Crise économique mondiale est advenue. En décembre 2009, 66 % des banques de Géorgie ne faisaient plus de profits, d’après la la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC). Vingt-cinq banques ont fait faillite cette année-là et vingt-et-une autres l’année suivante. En mai 2010, Thomas Dujenski a repris les rênes en tant que Directeur régional de la zone Sud-Est de la FDIC à Atlanta. À cette époque, la Géorgie fermait plus de banques que n’importe quel autre État. Dujenski a déployé 564 employés pour examiner et résoudre les problèmes des banques, en plus des 364 employés missionnés en 2007. Environ une centaine d’entre eux ont eu pour mission de passer au peigne fin les banques de Géorgie. Lorsqu’on lui demande pourquoi la Géorgie détenait le record de fermeture des banques des États-Unis, Dujenski, qui a pris sa retraite en mai, évoque des standards de souscription en roue libre et un nombre conséquent d’investissements spéculatifs dans le domaine de l’immobilier. MB&T était un exemple probant. Son expansion vers les côtes n’aurait pas pu tomber à pire moment. Le 31 décembre 2009, un an avant que Price et son entreprise ne reprennent le contrôle des investissements de la banque, environ deux tiers des fonds non profitables dans les comtés de Glynn et de Camden ont été annexés. La banque a fermé ses succursales là-bas. « Les promoteurs font défaut aux prêts que nous leur avons fait », affirment les autorités de la banque dans l’appel d’offre qu’ils ont envoyé à des partenaires potentiels.
En effet, le pourcentage de « prêts galvaudés » – autrement dit ceux comportant un risque de défaut –, est passé de 15 % en décembre 2008 à 28 % neuf mois plus tard, selon un rapport de 2010 sur les prêts de la banque mené par Steve H. Powell & Company, une entreprise de Statesboro qui a examiné les comptes des banques. En octobre 2009, le FDIC a raffermi ses positions et demandé aux banques de rééquilibrer leurs comptes, mais en vain : en juillet 2010, 36 % des prêts accordés par la banque étaient considérés comme risqués selon le rapport de Powell. Le rapport ne mâchait pas ses mots lorsqu’il s’agissait de qualifier la gestion des banques. Voici quelques unes de ses conclusions : « La qualité d’appréciation du secteur immobilier est vacante », « la banque a connu un déclin monumental de ses actifs », « les souscriptions et la documentation doivent être améliorées ». Qualifié de « sérieuse infraction à la politique banquière », Powell a donné l’exemple d’un cadre de la banque qui aurait, sans autorisation de sa hiérarchie, donné le salaire d’un caissier à l’un plus importants « emprunteurs » de la banque, à hauteur de 64 450 dollars. L’avance n’était liée à aucun prêt ou à aucune ligne de crédit. Le chèque n’a pas été accompagné d’une « redevance légale de remboursement », affirme le rapport. La conclusion de Powell ? Que la MB&T allait « connaître de futures détériorations » à mesure que le marché allait s’embourber. Pourquoi, pourrait-on se demander, vouloir investir dans une telle banque ?
Price aux enfers
L’offre pour la banque m’a été proposée au cours de l’été 2010 et, je dois bien l’avouer, cela semblait très intriguant. Je n’avais pas d’expérience dans le secteur banquier local, mais certains de mes clients et d’autres contacts étaient convaincus que ces banques locales en recherche de capitaux représentaient une opportunité qu’il fallait envisager. Après avoir joué ma part dans le cirque des réunions avec deux ou trois banques différentes dans l’État de Géorgie, mon intérêt a grandi. J’ai prêté l’oreille à ces histoires qui affirmaient que si de nouveaux capitaux étaient injectés dans ces banques, elles seraient à nouveau des mines d’or. — Extrait du chapitre II de The Inglorious Fugitive. Les procureurs fédéraux ont une toute autre explication pour le soudain intérêt de Price dans les banques : il perdait l’argent de ses investisseurs à la PFG. Malgré sa mission de fournir « des retours sur investissements positifs avec une faible marge d’instabilité », il avait investi les économies de ses clients dans des placements à haut risque et dans des opérations immobilières en Amérique du Sud. Il avait parié gros et, si les fédéraux ne se sont pas trompés, avait perdu tout aussi gros. Afin de couvrir ses traces, il avait envoyé à ses clients des rapports présentant « de faux bénéfices et de faux retours sur investissement », toujours selon les autorités. Le 31 décembre 2010, la majorité des parts de la banque ont été vendues à la PFGBI, une succursale de la PFG créée uniquement pour les opérations banquières, à hauteur d’environ 10 millions de dollars, ce qui mettait Price et sa compagnie aux commandes de la banque. L’investissement a été soutenu par 4 millions de dollars supplémentaires, provenant majoritairement des gens du coin qui voyaient en Price et son équipe leur planche de salut. Price s’est occupé d’investir les 14 millions de dollars, le capital d’injection de la banque qu’il a largement contribué à rassembler. Après tout, l’investissement était son champ d’expertise. Parmi ces investisseurs se trouvait Dan McSwain, qui a fait fortune en qualité de fondateur du groupe McCar Homes, autrefois l’une des plus importantes sociétés de constructeurs des États-Unis. McSwain a grandi dans la région et se trouvait être l’un des clients de l’organisation de Price. Il a investi 1,5 millions de dollars dans la banque. « Je suis dévoué à ma région », a-t-il affirmé au journal dédié au sud-est de l’État, le Georgia Today, en janvier 2011, peu de temps après que le groupe mené par Price ne rachète la banque. « J’aime la banque, les gens d’ici, et la réaction des gens prêts à investir de l’argent pour sauver la banque. C’est pour cette raison que nous avons choisi d’investir également ici. »
Le fils de McSwain, Keith, lui-même constructeur et propriétaire de KM Homes à Alpharetta, a investi 500 000 dollars – mais sans se montrer aussi positif.« Je ne voulais pas faire partie du deal », a déclaré Keith dans une déposition en novembre 2012. « Mon père me disait qu’il voulait vraiment faire cela pour sa ville natale… Et par respect pour lui, je lui ai dit que je n’y tenais pas, mais que s’il voulait le faire malgré tout, alors que je le ferais également. » Les doutes de Keith McSwain ont été confirmés presque immédiatement. Dans sa déposition, il se souvient avoir été invité à assister à une réunion de la direction, peu de temps après que Price et son organisme ont pris le contrôle. Le bilan l’inquiétait. Plus tard, au moment de dîner, il s’est entretenu en privé avec Price. « Lee, il y a un énorme problème », lui a annoncé McSwain. Après cela, McSwain témoigne qu’on ne l’a jamais plus invité. « En juillet 2011, j’ai reçu un appel de mon père me disant qu’il venait d’avoir Lee au téléphone. Ils avaient eu un audit et avaient été dépréciés, et la plupart des capitaux de la banque avaient été grandement réduits. » Charles Clements, le vice-président exécutif de la MB&T, qui a été licencié un jour avant que Price n’arrive, m’a confié : « On a merdé à St. Simons. Ça a causé notre chute. C’était comme si un tsunami nous avait englouti. Mais il y a eu également des prêts scandaleux qui ont été accordé. Beaucoup. Nous financions de nouvelles voitures, alors même que les banques ne financent plus les achats de voiture. »
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On achète donc la banque, et on découvre que les chiffres sont tout sauf corrects. À quel point sont-ils mauvais ? Au lieu d’avoir un trou de 3,4 millions de dollars, nous en sommes à au moins 50 millions. Autant d’argent qui pourrait être complètement perdu. La direction affirmait que le plus petit nombre était le véritable montant des dettes. C’est écrit dans une déclaration. La FDIC et les autorités banquières de l’État ont vu ça et ont émis des rapports sur la banque. Qu’étions-nous censés faire ? Nous les avons cru. Ces hommes s’y connaissent en matière de banques. Ils sont formés pour comprendre leurs ressors. Ce n’est pas mon domaine d’expertise. Je crois ce qu’ils me disent. Nous n’aurions pas investi l’argent si nous ne les avions pas cru. Steve Powell est un personnage clé. Moi, je suis né de la dernière pluie dans ce domaine. Je ne savais même pas qu’il existait un comité indépendant d’examen des prêts qui venait pour examiner les finances, et que leur rapport aurait dû nous être remis pendant notre période de due diligence. On va me répondre que je ne l’ai jamais réclamé. Mais n’est-ce pas une question d’éthique et d’obligation morale que de nous donner l’opinion présentée dans le rapport ? On prend l’argent des investisseurs locaux qui vivent et épargnent dans cette région, on leur demande d’y verser leur argent. — Extrait de mon entretien avec Price, le 15 février 2014.
La banque aurait drastiquement sous-estimé le montant total des fonds nécessaires pour recouvrer les dettes potentielles.
Via son avocat, Pete Robinson a refusé tout commentaire relatif à cette histoire. Mais parmi le déluge de poursuites judiciaires qui ont suivi la disparition de Price et plus tard son arrestation, l’une de ces charges désigne Robinson comme coaccusé, aux côtes de l’ancien directeur de la banque, le PDG et l’ancien responsable des finances. Cela prouve que même les finances d’une banque, censées être un modèle d’ordre, peuvent être sujettes à débat. Après la disparition de Price, Melanie Damian – la séquestre nommée par la cour censée récolter autant d’argent que possible pour rembourser les investisseurs de Price – a poursuivi Robinson en justice ainsi que d’autres représentants de la MB&T à hauteur de plus de 10 millions de dollars. Elle affirme que la banque a dissimulé à Price la véritable situation dans laquelle elle se trouvait. Les charges stipulent que les cadres de la banque n’ont jamais révélé à Price l’existence du rapport Powell avant la vente. De plus, la banque aurait drastiquement sous-estimé le montant total des fonds nécessaires pour recouvrer les dettes potentielles. Si ce montant avait été juste, Damian avance que « cela aurait été non pas une mauvaise idée d’investir dans la MB&T, mais tout simplement impensable ». Selon les dépositions, Price a finalement parlé à Powell après la vente, qui aurait affirmé à Price que ses « clients auraient mieux fait d’investir dans un ticket de loterie car en faisant cela, ils avaient de meilleures chances de revoir leur argent. » (Powell n’a pas commenté cette histoire. ) Les avocats de Robinson et d’anciens cadres de la banque décrivent une réalité bien différente. Damian n’aurait pas pris en compte les prêts à hauteur de 17,6 millions que la banque a contractés, se défendent les accusés. Qui plus est, les avocats de Robinson affirment que, selon le principe de mise en garde du caveat emptor, si Price ne se fiait qu’aux chiffres donnés par la banque estimés suffisants pour recouvrir les prêts risqués, alors cette confiance aveugle était problématique. Qu’en est-il du rapport Powell ? Même s’ils ne prétendent pas que Price a lu le rapport avant la vente, les anciens représentants de la banque dénigrent son importance. « Le rapport Powell n’a fait qu’examiner un maigre échantillon des prêts risqués répertoriés par la banque. » Dans tous les cas, Price s’est rendu compte des conditions difficiles dans lesquelles se trouvaient la banque, et cette prise de conscience a influencé ce qui s’est passé ensuite. Selon les procureurs fédéraux, Price a indiqué aux directeurs de la banque et aux investisseurs que les capitaux de la MB&T seraient investis dans des titres du Trésor américain. Mais en janvier 2011 et juin 2012, il a mal placé, détourné et perdu plus de 21 millions de dollars en spéculation. En plus de cela, la mise en accusation rapporte qu’il aurait fabriqué de fausses circulaires visant à prouver que l’argent de la banque était en sécurité. Price a lui-même avoué :
Avec les pertes qui s’accumulent de jour en jour sur les comptes des mes investisseurs, j’ai fait l’impensable. J’ai échafaudé un plan pour utiliser les fonds de secours de la banque, puis j’ai commencé à les mettre sur le marché, avec l’espoir d’en retirer des bénéfices, pour ensuite faire gonfler le capital de la banque et pouvoir rembourser les investisseurs. Cela a été la pire décision de toute ma vie, et j’en assume toute la responsabilité. Il n’y a personne d’autre à blâmer, rien que moi. En faisant cela, j’espérais pouvoir faire gagner assez d’argent à la banque pour lui permettre de survivre et peut-être nous sortir de l’investissement immobilier qui avait contraint la banque à faire de nombreux prêts risqués. Le temps jouait contre nous, et face à la pression, les pertes étaient pires de jour en jour, dans tous les comptes de courtage. La situation dans laquelle se trouvait la banque m’a mis dans une situation risquée qui menaçait de s’aggraver et m’a forcé à prendre une décision hâtive aux effets irréversibles. Peu importe le mal que je me donnais, je n’arrivais à pas trouver une idée ou une combine pour gagner de l’argent. — Extrait du chapitre II de The Inglorious Fugitive. Vers la fin de l’année 2011, Lee Price était « détruit physiquement, mentalement et émotionnellement », selon son père. Début 2012, Lee Price a commencé à mettre ses biens en liquidation. Il a vendu sa maison de famille à Bradenton pour 27 500 dollars, moins que le prix auquel il l’avait achetée quatre ans plus tôt. Il a établi un bureau à Lyons dans l’ancienne maison de ses parents pour se rapprocher de la banque. La maison était pratiquement vide, exception faite d’un grand bureau. Il a installé un lit à côté, et il habitait là, passant ses journées à donner des centaines de coups de téléphone, à envoyer des e-mails, dormant à peine. Il s’est remis à fumer des Camel et il recommençait à perdre son sang-froid. « Mes problèmes de santé se sont gravement détériorés », a écrit Price dans une lettre de vingt-deux pages adressée à ses régulateurs. « À tel point que j’ai des maux de tête et des maux d’estomac qui me font souffrir le martyr. Je suis sûr que je suis atteint de DAS (Débit d’Absorption Spécifique, dû à un usage intensif du téléphone portable). Je passe littéralement des heures au téléphone tous les jours avec des clients, des appels liés au travail, et je tente de résoudre les problèmes et d’apaiser les craintes. J’ai la tête qui bouillonne presque tout le temps. J’ai cassé plusieurs téléphones suite à des accès de colère. Je suis sûr d’être atteint de plusieurs cancers maintenant. » Depuis sa création, la PFG a engrangé 40 millions de dollars grâce à ses investisseurs, dont 36,9 millions ont été déposés sur un compte de la banque Goldman Sachs. Lorsque le compte a été clôturé au milieu du mois de mai 2012, il ne restait dessus que 480 000 dollars. Chez lui, Price a fait le plein de ressources pour sa famille : du papier toilette, de l’eau, de la nourriture en boîtes. Il a appris à ses enfants à jouer au golf et les a emmenés au parc d’attractions Wild Adventures. Il a aussi appris à sa plus jeune fille, Esther, à conduire.
« On pouvait voir qu’il était sous pression, raconte Hannah. Il nous disait de le garder, lui et ses affaires, dans nos prières. Qu’on devait rester forts et garder nos yeux fixés sur le Seigneur. Il a fini par nous dire que nous allions sûrement être ruinés. » Selon les procureurs, les registres des compagnies aériennes prouvent que Price s’est rendu au Venezuela début juin. Lorsqu’il était à l’étranger, ses enfants lui envoyaient des sms et des e-mails citant les Évangiles, des messages remplis d’amour et d’encouragement. Un message typique de Hannah : « Sois fort et garde la foi, Papa. Nous t’aimons. » La nuit avant qu’il ne disparaisse pour de bon, il a regardé Braveheart avec son fils aîné. Ils sont restés éveillés très tard, se souvient Nathan, à méditer sur « l’église, le ministère, ce que j’allais faire de ma vie ». Les dernières paroles qu’il a dites à Nathan en personne sont arrivées le lendemain matin. Price avait les larmes aux yeux. « N’abandonne jamais. N’abandonne jamais. » Il a pris l’avion. Les caméras de sécurité révèlent que Price portait un short kaki, des baskets, un t-shirt blanc à manches longues et une casquette rouge alors qu’il quitte le terminal de l’aéroport de Key West ce jour-là. On le voit ensuite prendre un taxi, puis – après avoir troqué sa casquette rouge contre une blanche et être entré dans un bureau de poste et un magasin de plongée – il embarque à bord d’un ferry depuis Key West pour se rendre à Fort Myers. Son sac à dos noir semble plein et il porte bas sa casquette pour dissimuler son visage. Quelques heures plus tard, il se tenait sur la balustrade. Il n’a pas sauté.
Pedro
Ses enfants ont compris que quelque chose n’allait pas quand ils n’ont pas reçu de réponse aux messages qu’ils ont envoyés pour la fête des pères. Il répondait toujours. Le lundi suivant, les lettres qu’il avait postées de Key West sont arrivées à destination. Dans celles adressées aux régulateurs, il était abattu et se repentait. Je suis responsable à 100 % des pertes que j’ai causées. Personne d’autre n’est à blâmer, sinon moi. Concernant la PFG, j’ai falsifié des documents, inventant de faux retours sur investissement. J’ai créé des faux rapports financiers et j’ai abusé des investisseurs, des régulateurs et d’autres associés, y compris des employés de la banque. J’ai perdu de l’argent à cause de la spéculation et d’autres investissements, dont le portefeuille de titres de la Montgomery Bank&Trust. J’ai caché de nombreuses choses en fraudant, j’ai trompé mon entourage, j’ai essayé de me donner du temps pour remettre les choses en ordre… Personne n’était au courant de ces activités frauduleuses. J’estime avoir perdu entre 20 et 23 millions de dollars, sans compter les comptes amalgamés de la Montgomery Bank&Trust et de Goldman Sachs, qui s’élèvent à 15 millions de dollars. — Extrait des « Confessions Confidentielles de Price à ses Régulateurs », e-mail envoyé avant sa disparition. « Personne ne savait quoi penser », confie Hannah Price. La famille Price a informé les gardes côtes mais une tempête a compliqué les recherches. « Nous étions dans l’incertitude la plus totale », précise Jim Price.
Quatre mois plus tard, Rebekah a rempli les papiers pour annoncer officiellement la mort de son mari.
La femme de Lee Price et ses quatre enfants ne disposaient plus que de 5 000 dollars en liquide. Rebekah était tellement bouleversée qu’elle ne mangeait plus. Hannah, alors âgée de 17 ans, se sentait malade, physiquement. « Je marchais autour de la maison en pleurant, se souvient-elle. Il était mon meilleur ami. » Elle a pris quelques jours de congés à son travail. Sur son bureau, elle avait disposé une photo d’eux deux au cours d’une mission. Au dos, elle avait écrit : « Je ne sais pas ce que je ferais sans toi. » Quel intérêt maintenant ? Elle préférait désormais faire des heures supplémentaires. Quatre mois plus tard, Rebekah a rempli les papiers pour annoncer officiellement la mort de son mari. « Nous n’avions pas de corps, précise Hannah, nous n’avions aucune preuve qui nous aurait permis de déterminer s’il était mort ou vivant. Nous avons simplement décidé de croire ce qu’il avait écrit et de reprendre le cours de nos vies… de faire comme s’il était mort. » Une chose que tout le monde n’acceptait pas. Un collègue a regardé Hannah dans les yeux et lui a dit : « Ton père est vivant. » Le FBI s’accordait sur cette idée et a par la suite rédigé un rapport stipulant que « Price a menti à ses investisseurs à propos de l’endroit où serait investi leur argent, il leur a menti sur la solvabilité de sa compagnie. Il a menti à la banque pour qui il travaillait au sujet de l’investissement des capitaux, et il a également menti pour couvrir ce mensonge. Il est donc légitime de penser que lorsque Price parle de se suicider, il s’agit d’un mensonge de plus. Le FBI recherche activement Aubrey Lee Price. » Où était-il ? Dans son apologie, Price disait : « Je quitte ce monde couvert de honte. » Sa famille a interprété cela en pensant qu’il allait se suicider. Au lieu de cela, quelques jours après avoir débarqué du ferry, m’a-t-il confié, il s’est rendu dans un pays d’Amérique Latine (sans me préciser lequel) pour se faire accueillir par l’ami d’un ami, une vague connaissance qu’il avait rencontrée quelques fois au cours de ces sept dernières années. Dans son livre, Price appelle cet homme « Pedro », un homme dont la famille aurait monté un business incluant des téléphones portables, de l’équipement agricole et des hôtels. Un jour, écrit Price, les deux hommes ont dîné dans l’un des restaurants de Pedro.
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Après avoir bu un verre d’alcool, Pedro s’est penché vers moi, s’est éclairci la gorge, m’a regardé dans le blanc des yeux et m’a dit : « Écoute-moi très attentivement. Avant d’aller plus loin, il y a une chose que tu dois savoir. Je sais où se trouvent tes enfants à l’heure actuelle et je peux les faire passer de vie à trépas en quelques heures sur un simple coup de téléphone. » J’ai soutenu son regard ; mes mains tremblaient et je suais à grosses gouttes. J’ai senti quelque chose courir le long de mes veines. Ce n’était pas de la peur. C’était de la haine, la haine la plus profonde que j’ai jamais ressentie… J’ai doucement glissé ma main dans mon pantalon, sous la table. J’ai sorti un calibre .38 Magnum chargé [Note de l’éditeur : le calibre .38 Magnum n’existe pas] et je l’ai pointé pile au-dessus de son nombril. Il m’a entendu remonter le chien. Je lui ai répondu : « Écoute moi très attentivement. Ne détourne pas tes yeux des miens. Ne fais même pas un clin d’œil à tes gardes du corps. Nous allons tous les deux mourir tout de suite, et sache que je me suis largement préparé au voyage. »
Je l’ai regardé avec la rage dans les yeux et lui ai dit : « ¿ Por que chingar le diria algo como eso ? », ce qui veut dire « Pourquoi est-ce que tu me dis un truc pareil ? » Il a commencé à se marrer. Il m’a répondu : « Je voulais voir si t’étais encore vivant, s’il restait quelque chose qui brûle à l’intérieur. Et je vois que oui ! » Aussi fermement que possible, je lui ai dit : « Je ne suis peut-être que l’ombre d’un homme actuellement, mais je me fous de savoir qui tu es. Je n’ai absolument aucune peur de la mort. Je déchargerai sur toi au moins six balles avant que tes gardes du corps n’aient le temps de vider leurs chargeurs sur moi, si j’ai ne serait-ce qu’une seconde l’impression que tu penses faire du mal à ma famille. » Il m’a répondu : « Tranquillo, tranquillo. Je te promets que rien de fâcheux n’arrivera à ta famille, aussi longtemps qu’on pourra s’entendre. » Sept ans que je rencontrais cet homme ici et là, et je n’avais jamais imaginer qu’il puisse me parler ainsi. Je n’avais d’autre choix que de le suivre. Je pouvais sentir mon visage virer au blanc et mon corps se mettre à trembler. Je me suis dépêché d’aller aux toilettes pour vomir mon repas entier. Les larmes ruisselaient de nouveau sur mon visage et je me suis assis, recroquevillé sur moi-même, essayant de reprendre mon souffle. Quelques minutes plus tard, je me suis ressaisi et je suis revenu auprès de lui. Pedro m’a souri et m’a demandé si je m’étais chié dessus. Il a passé son bras autour de moi et m’a dit : « Je pense que toi et moi, nous allons faire du bon boulot ensemble. » — Extrait du chapitre V de The Inglorious Fugitive. En août 2012, moins de deux mois après la disparition de Price, un juge fédéral d’Atlanta a désigné Melanie Damian pour être administrateur judiciaire. En comparaison des 21 millions de dollars de pertes qu’on attribuait à Price, les miettes qui restaient étaient minces : 345 653 dollars sur un compte à la Bank of America, 10 073,14 dollars sur un compte à la TD Ameritrade et 5 230,25 $ en dollars d’argent et en pièces de 50 cts.
« Il y a là entre trente et quarante travailleurs. Ils remplissent des petits sachets avec de la poudre blanche. »
Damian s’est rendue sur les propriétés rachetées par les investissements de la PFG, allant jusqu’à voyager au Venezuela, où Price était enregistré comme étant le propriétaire de deux fermes qui récoltaient du maïs et de la canne à sucre. Il détenait aussi des parts d’une troisième ferme. Damian a vendu quelques parcelles en Géorgie et en Floriden, et une poignée de logements dans des immeubles, en Floride principalement. Ces ventes n’ont pas renfloué les caisses autant que souhaité. La valeur marchande des 71 acres à Lyons entièrement boisés, parfaits pour la chasse, à la frontière des comtés de Toombs et d’Emmanuel, était initialement fixée à 695 000 dollars par l’agent immobilier de Damian. En janvier de la même année, quand il s’est finalement vendu, il n’a rapporté que 72 080 dollars, soit à peine 1 000 dollars l’acre. Le 31 décembre 2012, un juge de Floride a déclaré Aubrey Lee Price mort. Moins d’un mois plus tard, un représentant en assurance vie a adressé un chèque de 1,25 millions de dollars qui a fini dans les caisses du régulateur judiciaire. En octobre 2013, Damian avait rassemblé 1,8 millions de dollars issus de diverses assurances. En quelques mois, toutes ces compagnies ont voulu récupérer cet argent. Après tout, Lee Price n’était pas mort… Nous avons traversé un couloir, puis nous sommes entrés dans son club en passant par une porte dérobée. La pièce était remplie de jeunes femmes parfaites, jeunes, ravissantes et à peine vêtues qui dansaient au milieu de centaines d’hommes sur les rythmes retentissants d’une musique latino. Elles devaient être une dizaine sur scène et trente autres étaient assises parmi les hommes. Lorsque Pedro est entré, tout le monde l’a regardé comme s’il était le roi. Je l’ai suivi. Nous avons emprunté une nouvelle porte pour nous retrouver dans un autre long couloir. Nous avons dû passer devant six gardes armés jusqu’aux dents, puis quelqu’un nous a ouvert la porte, qui donnait sur un vaste entrepôt. Il y a là entre trente et quarante travailleurs. Ils remplissent des petits sachets avec de la poudre blanche. Pedro m’a emmené voir chaque poste de travail. J’ai passé deux heures à l’écouter, simplement. Je suis curieux de nature. Je suis un aventurier dans l’âme. Je ne ressens que rarement la peur. Nous sommes sortis dehors et sommes restés sur le pont de chargement qui donnait sur un lac et offrait une vue sur cette ville incroyable. Il est resté là et m’a dit : « Tu veux être du côté de ceux qui reçoivent la pisse ? Ou tu préfères être de l’autre côté ? » Je lui ai répondu que je n’avais jamais envisagé la question sous cet angle. Pedro a ri et il est remonté par les escaliers dans son usine à peluche, pendant qu’il continuait son discours. « Je veux que tu travailles pour moi. Je peux te fournir tout ce que tu veux. Si tu peux m’aider, je peux t’aider à amasser les millions. » Il m’a dit : « Tu es un criminel, on est tous des criminels ici. J’ai besoin de quelqu’un comme toi pour m’aider, et je veux t’aider en retour. J’ai beaucoup de problèmes pour faire tourner mon business. Je te paierai grassement. Oui, il y a des risques, mais tu vas apprendre rapidement, et je vais te former moi-même. Ma famille possède des millions et des millions de dollars dans des banques américaines, européennes et asiatiques. Tu connais les banques. Tu t’y connais en investissement. Tu vas rencontrer les plus gros et les meilleurs acheteurs de notre produit aux États-Unis. » — Extrait du chapitre V de The Inglorious Fugitive et de mon entretien avec Price du 22 février 2014.
Le 31 juillet 2013, Melanie Damian a été destituée de ses fonctions par un avocat de KM Homes qu’elle avait poursuivi en justice dans le but de recouvrer l’argent de la PFG qu’elle affirmait avoir été prêté à KM Homes. Voici la transcription de leur échange : Question : Quand pensez-vous que la fraude a commencé ? Réponse : Eh bien, probablement en 2009, quand Price a commencé à falsifier les déclarations de retour sur investissement. Q : Il s’agit-là d’une partie cruciale de la fraude, non ? R : Tout à fait. Q: Dans sa combine à la Ponzi, lorsqu’il présente ces retours, et que les gens réclament un remboursement – ce qu’il fait –, c’est qu’il prend à un investisseur pour donner à un autre ? R : Exactement.
Retour au pays
J’étais un goûteur de cocaïne expert. Je comprenais la qualité. Il fallait que je la goûte pour savoir si elle était bonne ou non. Contrôle qualité. Chacun de mes amis était un criminel. Aucun de mes amis n’était normal. Et c’était fait exprès : je ne voulais pas être proche de quelqu’un de normal. Je n’avais jamais fréquenté de consommateurs de drogues avant. J’avais lutté contre l’alcoolisme. Et me voilà faisant semblant de boire la Bud Light que j’avais dans la main. Je ne buvais jamais plus de la moitié de la bouteille. C’était difficile pour moi, je n’aimais tout simplement pas cela. Mais c’était nécessaire pour ma couverture. — Extrait de mon entretien avec Price du 1er mars 2014. Les poursuites de Damian contre KM Homes étaient fondées sur un arrangement passé entre Lee Price et Keith McSwain au cours de l’année 2010. Selon la déposition de McSwain, son entreprise avait besoin d’une injection de capitaux, il a donc appelé Price afin de débloquer l’argent du compte PFG de McSwain. Price, affirme McSwain, avait une autre idée en tête. « Et si on faisait comme ça plutôt ? » a-t-il proposé à McSwain.
« Je suis revenu aux États-Unis et j’ai commencé à plancher sur un plan B, loin de Pedro. »
Dans les sept mois qui ont suivi août 2010, Price a transféré près de 4 millions de dollars de la PFG pour KM Homes. En retour, d’octobre 2010 jusqu’à la disparition de Price, KM Homes a remboursé 1,9 millions de dollars, dont 671 000 dollars considérés comme un « retour » sur investissement. Cette opération a beau ressembler à un prêt, Damian a appuyé sa plainte contre KM Homes sur cet échange. Après tout, KM Homes a accepté de rembourser la somme prêtée à un taux d’intérêt avoisinant les 17 %. McSwain et son avocat affirment, eux, que l’argent en question appartenait à McSwain en premier lieu, et qu’il s’agissait de son investissement dans la PFG. Le 31 juillet 2013, McSwain a été arrêté et interrogé par Guy Giberson, un avocat de Damian : Question : Okay, M. McSwain, vous affirmez que l’argent dont il est question dans les charges qui pèsent contre vous n’est pas le fruit d’un prêt ? Réponse : J’affirme qu’il s’agissait de mon argent, des parts auxquelles j’ai droit et que j’ai injectées en tant que capitaux pour KM Homes. Q : Alors pourquoi KM Homes payait des intérêts ? R : Parce que c’était la manière de faire de Lee. Ensuite, nous avons payé un retour, sachant qu’il nous avait dit qu’il nous ferait bénéficier d’un retour plus important. Q : Pourquoi payer un retour s’il ne s’agissait pas d’un prêt ? R : Parce que… Attendez, redites-moi ça ? Q : S’il ne s’agissait pas d’un prêt, pourquoi avez-vous payé des intérêts ? R : Pour ne pas mettre à mal les fonds. Q : C’était donc un cadeau. R : Je n’ai pas dit que c’était un cadeau. C’est vous qui dites ça. J’ai abordé le problème en essayant de ne pas mettre le fonds en difficulté. Les charges se sont transformées en procès le 21 avril. Damian cherchait 3 273 000 dollars, ainsi que 503 055,30 dollars en intérêts courus pour la date du 30 avril 2013, et 1 524,41 $ en intérêts pour chaque jour après le 30 avril. Le 23 avril, alors que le tribunal allait rendre son verdict, les deux parties sont arrivées à un accord. Selon Damian, KM Homes a accepté de payer 1 665 000 dollars au receveur. Via son avocat, Keith McSwain a refusé d’émettre tout commentaire sur cette histoire.
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Je suis revenu aux États-Unis et j’ai commencé à plancher sur un plan B, loin de Pedro. J’ai atterri au nord de la Floride pour deux raisons. La première, c’est que je me trouvais en terrain connu ; la deuxième, c’est parce que c’était là que Pedro menait quelques-unes de ses opérations. Si jamais j’avais besoin de lui, je pouvais le contacter facilement. J’ai habité dans un hôtel low-cost pendant une semaine environ, le temps de me fabriquer de faux papiers d’identité. Une fois que j’ai pu acheter un vélo, j’ai parcouru la ville sur ma selle, principalement pour faire de l’exercice et évacuer mon stress. J’avais quelques amis et bon nombre d’associés. Mes règles étaient relativement simples : ne faire confiance à personne. Parler aussi peu que possible et faire le moins de mal possible. Ne se rapprocher de personne. Le but des six premiers mois, c’était de retrouver mes esprits et mon âme, afin de me reconstruire psychologiquement. C’était très compliqué. La bête en moi me dévorait et ne voulait pas lâcher prise.
Je connais les moindres atomes de la marijuana. J’ai passé du temps dans une vingtaine de plantations là-bas. Je sais où l’on peut trouver une vingtaine de plantations dans le Sud-Est des États-Unis en ce moment même. Je me contentais d’entrer là où les portes s’ouvraient devant moi. J’ai rencontré toutes sortes de personnes. Des gens que j’aime aujourd’hui. Des gens qui ne jugent pas. Et cela me plaisait. Je suis un criminel, nous sommes tous des criminels. Nous nous soutenons les uns les autres. Il y avait un certain confort là-bas, et je me sentais seul. J’allais me coucher tous les soirs en pleurant, récitant le Psaume 23 : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien : sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer… » Cela ne fait que quelques semaines que j’ai cessé de pleurer en allant me coucher. Je me suis bâti une identité sous le nom de Jason : un homme divorcé qui a perdu tout son argent et sa famille à cause de son addiction à la cocaïne. Me voilà en train d’essayer de remonter la pente et de lire la Bible afin de savoir où je vais. Et d’être déprimé. Ça, je l’étais vraiment. Toutes mes fausses identités contenaient leur part de vérité. Mes autres alias étaient « J », « Gator », et « Diesel ». Gator était mon surnom le plus marrant, parce que je portais une tenue de football des Florida Gator avec une casquette assortie, et j’endossais le rôle d’un fan des Gator. Mon colocataire de chambre au lycée était un fan des Florida Gator, et il me donnait envie de vomir. J’ai toujours été un fan de UGA, et je pense avoir joué ma part dans la victoire des Dawgs ces dernières années en portant la poisse aux Gator. — Extrait du chapitre I de The Inglorious Fugitive et de mon entretien ave Price du 1er mars 2014. Selon un rapport de la police du comté de Marion en Floride paru début janvier, peu de temps après sa capture, Lee Price a vécu pendant quelques temps à Citra, en Floride, sur Jacksonville Road, où il aurait fait pousser 225 pieds de marijuana dans son mobile home. Il se trouvait sur la propriété d’un couple, Bonnie et Richard Sipe, qui connaissaient Price sous le nom de « Jason ». Ils l’ont laissé vivre là gratuitement dans une vieille roulotte, en échange de quelques travaux de jardinage et d’entretien. La famille Sipe ne m’a pas parlé, mais ils ont affirmé à un journaliste du UK Daily Mail la chose suivante : « Nous pensions que l’alcool avait détruit sa vie. Nous pensions qu’il était originaire de Caroline du Sud, qu’il avait une ex-femme et deux enfants. » Fin mars, je me suis rendu dans la petite ville de Citra, demeure de l’orange ananas, abritant une population de 7 000 habitants. Je suis suis rendu à la station essence, aux magasins de fruits et légumes, à l’atelier de débosselage, jusqu’aux terrains abandonnés recouverts de mauvaises herbes, là où Price avait vécu. En leur montrant des photos avant/après de lui, j’ai demandé aux habitants de la ville s’ils connaissaient cet homme qui se faisait appeler Jason ou Lee. Certains m’ont répondu qu’il faisait des petits boulots ici et là, à réparer des barrières, faire pousser des fruits, faire des réparations électriques, et parfois on le voyait accompagné d’une jeune femme séduisante.
Mark Abney, le mécanicien du coin – une connaissance de Price –, a affirmé que Price lui aurait avoué être allé en prison à cause de son addiction à la cocaïne, et que sa famille l’avait mis à la porte. Après cela, il est devenu accroc à l’Adderall. Abney m’a dit que Price avait raconté aux autres qu’il était un alcoolique en rémission. Il savait que Price possédait des pitbulls, il avait vu un panneau « attention chien méchant » sur une barrière, et qu’il étudiait l’espagnol. Une fois, Price a confié à Abney qu’il avait failli se faire prendre par la police en revenant de Jacksonville avec de la marijuana dans sa voiture. Il m’a raconté la même histoire. « Il plantait des palmiers aux alentours, m’a rapporté Abney, mais je sentais bien qu’il gagnait sa vie autrement. » Price a raconté à un ouvrier du coin, John Dewese, qu’un oncle de ses oncles était malade et qu’il vivait dans la roulotte de la famille Sipe, à l’endroit même où les 225 pieds de marijuana ont été découverts. Il lui a dit que cet oncle tirerait sur n’importe qui s’approchant de la caravane. Ce qui avait le mérite de dissuader les gens d’approcher. « Il était plutôt calme, m’a confié Dewese, il était très réservé. J’ai labouré la terre pour qu’il puisse faire pousser des plantes derrière le mobile-home. Je pense qu’il a été avec nous pendant un an. Peut-être deux, entrecoupés de voyages. Il disait qu’il venait d’un endroit appelé Green Cove Springs. Un endroit dont je n’ai jamais entendu parler. »
Trente ans
Je n’avais pas pris d’Adderall ce matin. Je roulais vers Hinesville en Géorgie par l’autoroute I-95, pour faire enregistrer ma voiture et la vendre ensuite. Il devait être environ dix heures du matin. J’avais entamé les premières prières de ma liste, liste que je n’arrivais jamais à finir. J’étais toujours dérangé par quelque chose. C’était un de ces moments où j’en voulais à Dieu. Je traversais la région de Brunswick et j’ai immédiatement pensé à la banque. Je n’arrêtais pas de demander : « Dieu, où es-tu ? Pourquoi ne réponds-tu pas à mes prières ? Pourquoi m’as-tu abandonné dans cette situation ? » C’était les vacances de Noël, je voulais voir mes enfants. J’ai frappé violemment mon volant dans un accès de colère et je me souviens avoir crié : « Seigneur, où es-tu ? » J’ai dû poser cette question une dizaine de fois. Puis j’ai levé les yeux au ciel. Il y avait des lumières bleues derrière moi. J’ai dit : « Merci, Seigneur. C’est donc là que tu es. » — Extrait de mon entretien avec Price du 2 mars 2014. Le 31 décembre 2013, le shérif adjoint du comté de Glynn, Justin Juliano, a procédé à un contrôle routier au marqueur 43 sur l’autoroute I-95, selon son rapport de la police. « L’arrestation a été faite sur une Dodge Ram de 2001 pour violation de la loi sur les vitres teintées de l’état de Géorgie, mais également à cause d’un pare-brise fissuré et d’une plaque d’immatriculation périmée. Le conducteur, qui a plus tard été identifié comme étant M. Aubrey Lee Price, s’en est sorti avec une amende pour les charges mentionnées ci-dessus. J’ai demandé sa permission pour fouiller la voiture ainsi que ses effets personnels, et M. Price m’a verbalement autorisé à procéder. Au cours de ma fouille, j’ai remarqué un faux permis émis en Géorgie. Cet examen routier a mené à l’arrestation de M. Price pour avoir donné un faux nom et une fausse date de naissance. Une fois arrivé en prison, M. Price a révélé sa véritable identité. » Le policier a ensuite confié à un journaliste télé que « c’était comme un poids qui venait de s’enlever de ses épaules ».
En garde à vue, Price a appelé son père. « Papa, je suis vivant. J’ai besoin que tu m’écoutes attentivement. Appelle ce numéro et donne-leur le code suivant : 666. » Le code, m’a avoué Price, était destiné à Pedro et ses hommes. « Cela voulait dire : “Fuyez, débarrassez-vous de vos téléphones.” » « Je n’avais aucune idée de ce dont il me parlait, a témoigné Jim Price, je ne pouvais pas le faire. » La première fois que j’ai rencontré Lee Price, à l’extérieur d’une salle d’interrogatoire de la prison de Statesboro du conté de Bulloch, il était plus petit que ce que j’imaginais. On lui avait coupé les cheveux. Il portait une tenue rayée de prisonnier et des lunettes violettes bon marché que son avocat lui avait laissées, des Crocs noires et une chaîne aux pieds. Il m’a serré la main. « La nourriture est horrible ici, m’a-t-il dit en s’asseyant, je ne mange à peu près que du beurre de cacahuète de l’économat. » Ses quarante-sept années se lisaient sur son visage. Mais lorsqu’il souriait, ce qui arrivait régulièrement certains jours, il y avait quelque chose d’enfantin et de facétieux dans ses traits. Lorsque Price est arrivé, des agents fédéraux ont prévenu les gardiens de prison qu’il avait des tendances suicidaires. Il a donc été placé en cellule d’isolement pendant quelques semaines. Là-bas, a-t-il déclaré, il s’est enveloppé dans du papier hygiénique pour se réchauffer et a demandé à avoir une Bible. Le onzième jour, on lui en a fourni une. Après la cellule d’isolement, il a été placé dans une cellule commune où il raconte qu’il a prêché auprès de quelques uns de ses compagnons et où il a commencé à raconter sa vie sur un ordinateur qu’un de ses amis lui avait donné. Au cours de notre troisième visite, il m’a fait lire huit chapitres de son manuscrit et m’a invité à le citer dans mon histoire. Il m’a également demandé de les montrer à son père, qui m’a appelé quelques jours plus tard et m’a annoncé : « Je ne sais pas quelle est la part de fiction dans ces pages et quelle est la part de vérité. Cela ferait un bon film, néanmoins. »
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Voici la liste des choses qui m’ont aidées à survivre et à vaincre la dépression : 1. De longues heures passées à lire la Bible et à méditer sur les Évangiles (je lisais parfois quarante à cinquante chapitres par jour). La Prière continue, la Confession et l’Absolution des Pêchés, le Jeûne, l’Adoration, le Constant Recours à Jésus pour Lui demander Son aide et Lui exprimer ma foi. 2. Me dire la vérité à moi-même. Il fallait que je me rappelle constamment que Dieu m’aime. Qu’Il me pardonne. Qu’Il ne m’a pas laissé seul. Qu’Il ne m’a pas abandonné. Qu’Il était avec moi. Qu’Il arrange les choses en ma faveur et pour Sa gloire. 3. Faire du Vélo, Soulever des Poids, Frapper dans des Sacs, faire des Pompes, Sauter à la Corde, faire de Longues Ballades, faire de la Randonnée, et faire un régime à base de protéines et d’eau. 4. Tenir un Journal, Écrire et Lire. 5. Un but : de nouveaux amis issus du milieu criminel que je me devais de rencontrer et de comprendre. Aider mon prochain dès que je le pouvais. L’Aventure, la Curiosité et de Nouvelles Expériences. La Volonté de prendre des risques et de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour me libérer. 6. Travailler dehors, sous le Soleil autant que possible. Planter des arbres et des plantes. 7. De l’Adderall, 30 milligrammes une fois tous les deux jours. 8. Trouver du Réconfort dans l’Adversité. De la Joie dans les Épreuves. — Extrait du chapitre VII de The Inglorious Fugitive. Dans une lettre adressée à son père en prison, Hannah Price, qui est aujourd’hui étudiante en radiologie dans un petit lycée en Géorgie, écrit : « J’ai repensé à l’histoire de Job récemment, et à la façon dont ce récit se rapproche du tien et à la manière dont, même si tu as enduré beaucoup de choses et perdu ce que tu chérissais le plus, tu pries toujours Dieu dans tes épreuves. Je veux te rappeler qu’à la fin de l’histoire, Job retrouve non seulement ce qu’il a perdu mais bien plus encore. »
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Croyez-le ou non, mais il se trouve que je m’amuse bien ici, même si je dors à même le sol de béton. C’est comme une renaissance. Il y a une vingtaine de mecs dans mon bloc. Chaque nuit, ils viennent dans ma cellule pendant une heure pour chanter et m’entendre transformer leur chant en prière et leur raconter un passage de la Bible. Notre chanson préférée est « Pass Me Not, Oh Gentle Savior ». — Extrait de mon entretien avec Price du 22 février 2014. « Il aurait du se suicider », affirme Wendy Cross, la propriétaire d’un food truck à Decatur qui a investi ses économies dans la PFG et a perdu la totalité de ses 364 000 dollars. « Mais je pense qu’il n’en n’a jamais eu l’intention. »
Quand j’ai rendu visite pour la dernière fois à Price, l’idée de vieillir derrière les barreaux semblait s’être bien ancrée dans son esprit.
« Avoir 50 ans et n’avoir plus aucune économie est une situation terrifiante. J’ai été l’une des premières personnes à avoir été arnaquée. Je suis allée à une réunion pour ses investisseurs l’an dernier, et je n’oublierai jamais cette vieille femme qui s’est levée, après qu’on nous ait tout expliqué. Elle a dit : “Et mon chèque mensuel ?” Elle faisait référence à une rente, je pense. Quelqu’un a tenté de lui expliquer encore qu’elle n’en recevrait plus jamais. Mais elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi. » Mike Gunter, un ami de Price qui est parti à la retraite après avoir travaillé chez Lockheed Martin, a perdu presque un million de dollars. Gunter a écrit à Price après son arrestation : « Très tôt, en traversant cette épreuve, je suis passé par plusieurs émotions : la peur, le déni, la colère, la tristesse, le sentiment de trahison. Mais à travers mes nombreuses prières, Dieu m’a entendu. Aussi étrange que cela puisse paraître, je ressors de cette épreuve en étant un homme meilleur. Avoir enduré cela a été un outil qui m’a permis de mesurer ma valeur. Cela a été une expérience très douloureuse pour ma famille, mais le Dieu tout puissant que nous servons nous a permis de nous en sortir. Je n’ai aucune pensée mauvaise à ton égard. Mais comme tu peux l’imaginer, beaucoup de questions se bousculent auxquelles seul toi peux répondre. » Quand j’ai rendu visite pour la dernière fois à Price en mars, l’idée de vieillir derrière les barreaux (sachant qu’une seule fraude fiscale peut amener un homme à passer trente ans en prison) semblait s’être bien ancrée dans son esprit. Il avait été autorisé à sortir pendant quinze minutes quelques jours avant ma visite, pour la première fois en deux mois, et cette sortie n’a fait que mettre en évidence l’état de captivité dans lequel il allait se retrouver pendant une longue période encore. « J’avais oublié ce qu’on ressentait au contact du soleil », m’a-t-il confié. Lorsqu’il n’arrivait pas à dormir, m’a-t-il raconté, il lisait le nom des investisseurs qu’il avait inscrits sur les marges de sa Bible. Il priait pour eux. Il prie pour Pete Robinson et les anciens dirigeants de la banque également. Price a dit à sa femme de ne pas gaspiller trois heures d’essence pour tenter de venir le voir en prison. « Ils pensent que je vais bientôt rentrer à la maison, confie Price à propos de sa famille. Mais ce n’est pas prêt d’arriver. Je dois dire à ma femme de divorcer et de trouver un homme qui puisse subvenir à leurs besoins. » Il cligne des yeux pour s’empêcher de pleurer. « Et pourtant, je ne vais pas me déclarer en faillite. Je vais travailler avec mes créditeurs. Le jour où j’aurais tout remboursé, voilà le jour dont je rêve le plus. Je souhaite qu’on ne me pardonne que le jour où j’aurais tout remboursé. » Alors il travaille sur son livre, il discute avec son agent littéraire ainsi que des scénaristes. Peut-être que son incroyable histoire fera gagner de l’argent à ceux à qui il a causé du tort. Il m’a confié qu’il recevait des propositions pour créer des entreprises financières, également, en prison. S’il est jugé coupable, il ne pourra plus jamais travailler en tant que conseiller financier. Mais il pourra être analyste si le juge l’y autorise. « Il y a des gens dans les hedge funds qui sont prêts à me donner une chance. Je travaillerai 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour eux, d’ici. »
Il y a fort à parier que le procès contre Price soit résolu avant les actions au civil concernant la banque et la PFG. En plus d’avoir poursuivi en justice KM Homes et les anciens directeurs de MB&T, Damian, en sa qualité de séquestre, en a après le FDIC (« Le FDIC aurait du réclamer la fermeture de la banque en 2009… Au lieu de cela, le FDIC n’a fait qu’empirer les choses. »), après les investisseurs de la PFG qui ont retiré des bénéfices (car oui, il y en a eu quelques uns), mais également après les entreprises légales associées à la vente des parts de la banque. Leurs honoraires ajoutés à l’argent qui a été versé aux juri-comptables, aux sténographes et leurs pairs, s’élèvent à plus d’un million de dollars. Au détour d’une conversation, Price s’imaginait sortir de prison d’ici une dizaine d’années : « S’il me reste dix ans à tirer, j’aurai alors 80 ans : je pense que je me retirerai dans le golfe du Mexique. Je prendrai mes économies de prisonnier et je partirai. Je prendrai une caravane, quelque part. Et c’est là-bas que la vie s’arrêtera pour moi, si j’ai de la chance. » Mais il ne se sent pas en veine. La dernière chose qu’il m’a dite en personne est : « Je suis en train de perdre l’énergie qu’il me faut pour me battre. Envoyez-moi où bon vous semble et laissez-moi seul. » Il a marqué une pause, puis a finalement répondu à une question que je lui avais posée plus tôt : « Ce que j’ai retenu de tout cela ? Ne faire confiance à personne. » Des semaines plus tard, nous nous sommes reparlés au téléphone. Il était redevenu lui-même, presque en forme. Il m’a assuré qu’il n’allait pas abandonner. Il m’a dit qu’il allait se réinventer en prison. Il a dit que des choses plus folles encore étaient déjà arrivées. NdE : Aubrey Lee Price, aujourd’hui âgé de 48 ans, a été condamné le 27 octobre 2014 à une peine de 30 années d’incarcération pour fraude et détournement de fonds s’élevant à près de 60 millions de dollars.
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Julien Cadot d’après l’article The Many Lives of Aubrey Lee Price, paru dans Atlanta Magazine. Couverture : Aubrey Lee Price après son jugement, sur WXIA-TV. Création graphique par Ulyces.