Nero Game Station
Il est trois heures du matin à Loikaw, petite ville isolée de vingt mille habitants dans la moyenne montagne qui enserre la plaine centrale birmane. Philip Soe Aung profite de sa nuit pour finir le jeu de gangsters hong-kongais Sleeping Dogs. Sa version PC pirate dénichée au marché est trop exigeante pour son ordinateur. Du coup, il joue sur une machine qu’il emprunte à ses employeurs pour son travail de vidéaste.
« Ça doit être le jeu le plus récent qu’on peut trouver ici. » Le jeune homme lève à peine la tête de l’écran. La plupart des jeux disponibles au Myanmar datent de l’ère de la PlayStation 2, même s’il est possible de trouver certains jeux de PlayStation 3, comme Sleeping Dogs ou GTA IV, sortis respectivement en 2012 et 2008. « Tous les jeux sont émulés, personne ne possède de console chez soi. Il doit y avoir quatre ou cinq PlayStation 3 dans toute la ville », commente encore Philip.
Une PlayStation 3 coûte environ 400 dollars. De quoi se payer deux scooters ou le loyer mensuel d’une grosse baraque.
Philip, âgé de 21 ans, est passionné de culture occidentale et de jeux vidéo, à l’inverse de la plupart de ses proches, qui trouvent le média puéril et ne le comprennent pas. Il me répond avec un sourire faussement détendu, tout à fait conscient que ce passe-temps n’est pas une chose essentielle dont il voudrait parler. « Ici on peut se procurer des jeux pour un dollar pièce, mais il faut faire avec la qualité des copies. Personne n’a d’original de quoi que ce soit. »
Un soir, l’envie me prend d’aller voir à quoi s’escriment les joueurs du coin, et où.
Philip m’embarque alors sur son scooter chinois dans les rues désertes à la nuit tombée vers une petite enclave calée entre deux ruelles. La lumière bleutée des écrans se remarque de la rue.
Face aux prix prohibitifs, les joueurs passent leurs soirées dans des salles de jeux comme celle-ci : vingt mètres carrés, une demi-douzaine d’ordinateurs bourrés à craquer de tous les jeux les plus populaires, un frigo rempli de canettes de Red Bull, une poubelle pour cracher le bétel (sorte de cachou local) et le tour est joué. Ici, je retrouve presque mes marques de joueur occidental, exception faite du bétel. Au Myanmar, on joue aux mêmes blockbusters qu’en Europe, même si c’est avec un peu de retard.
L’industrie du jeu vidéo au Myanmar n’en est pas encore une. Le pays en est à l’ère de l’artisanat, de la débrouille.
La Nero Game Station a ouvert il y a quelques mois à peine. Il doit y avoir une dizaine de boutiques de ce genre à Loikaw. « Une bonne journée, c’est vingt à trente joueurs. Ils restent plusieurs heures », explique Than Kyaw Soe, le manager, un gringalet de 20 ans. La clientèle se compose uniquement de garçons, des ados âgés de 14 à 19 ans. Devant la Nero, plusieurs scooters sont garés.
Le premier jeu auquel Than Kyaw Soe a joué, c’était Counter Strike, en 2008. Jeu de guerre toujours très prisé. Mais le jeu le plus populaire de Nero reste DoTA, comprendre le jeu de stratégie Warcraft : Defense of the Ancients. Sur les postes, on trouve donc Warcraft mais aussi… Plants VS Zombies ou encore Candy Crush. Le jeu vidéo, dans son acceptation la plus large.
Les jeux en ligne et autres freemium (jeux d’expérience gratuite avec contrepartie payante) sont aussi attractifs ici qu’ailleurs : Call of Duty, Counter Strike, Clash of Clans, Need for Speed, Saints Row IV. Tout ce petit monde collé devant son écran ne paie que 500 kyats de l’heure, c’est-à-dire environ 40 centimes d’euros. Rien d’étonnant à ce que ce genre d’endroits se multiplie. On retrouve les devantures ornées de plagiats géants d’artworks de jeux vidéo un peu partout, jusque dans les villes les plus reculées.
Production locale
L’industrie du jeu vidéo au Myanmar n’en est pas encore une. Le pays en est à l’ère de l’artisanat, de la débrouille. Tout a commencé par du développement-bricolage rendu possible par la montée des jeux pour smartphones. Un tremplin pour un secteur d’activité qui doit faire face à des obstacles techniques de taille.
Le Myanmar représente un potentiel énorme : pays parmi les plus vastes de l’Asie du Sud-Est continentale, il compte cinquante millions d’habitants et peut s’appuyer sur une culture riche et méconnue.
Sans le demi-siècle de dictature militaire, le cours des événements aurait pu être très différent. Dans les années 1950, le système éducatif birman était l’un des meilleurs en Asie. Aujourd’hui, le pays accuse le coup.
La population majoritairement rurale ne bénéficie des avancées technologiques mondiales qu’au compte-goutte. Il y a 10 ans, personne n’avait entendu parler d’Internet. Mais depuis 2011, la société birmane évolue. Le public, surtout citadin, se désolidarise de ses anciens cadres et se fraie un accès à toutes les joies d’Internet et de sa communication hystérique. Toutefois la vague virtuelle est encore très lente, à l’image des connexions, sujettes aux blackouts d’un archaïsme encore douloureusement actuel.
Les Birmans nouvellement connectés sont rappelés à cette réalité pré-électronique : souvent, on quitte une partie de Sleeping Dogs qui rame comme jamais, une autre de Clash of Clans plombée par des lenteurs records, pour aller couper du bois pour le feu, ou faire sa toilette dans la rivière.
Tout juste débarqué à Yangon, je m’attendais bien à avoir laissé mon passé de joueur derrière moi.
Arriver à Yangon, la capitale économique, c’est s’encanailler avec un autre monde. Un monde d’imprévus, de chaos coloré et quotidien, d’une richesse difficilement palpable. Comme un passé bourré d’incohérences, une texture urbaine aux bugs sociaux criants.
Nids-de-poule entrecoupés par des lambeaux de route bitumée, visages à l’étrangeté sauvage, marchés inscrutables, foule tonitruante. Yangon est pareil à un immense monde ouvert de jeu vidéo éclos d’un demi-siècle sous les eaux, avec ses bâtisses moussues et encrassées où prédominent le vert patine ou le bleu pâle colonial. Assassin’s Creed Unity ne fait pas mieux avec sa profondeur de champ que ce Yangon vif et déroutant, sans saturations.
Sur les étals qui envahissent les trottoirs de Anawrathra road, les marchandises les plus diverses se télescopent. Des slips CK, pour Chalien Kelin, des frusques flanquées d’un message en anglais approximatif, des viandes sanguinolentes, des légumes et des câbles, des batteries de portables et de la noix d’arec. Et puis, parfois, quelques jeux vidéo. Une petite pile de copies pirates, qui font souvent cohabiter jusqu’à une demi-douzaine de titres sur un même support. Ce que l’Occident a produit de plus m’as-tu-vu : Fifa, Need For Speed, ou Call of Duty. Le tout pour 1 000 kyats, c’est-à-dire un dollar.
Le Myanmar ne possède pas tellement de législation sur les droits d’auteur. Ici tout est copié, pompé, repiqué. Les tubes de Miley Cyrus comme ceux des Rolling Stones, les grandes marques, les films hollywoodiens, tout est remâché puis recraché à la sauce birmane. Un bon moyen pour les industries de la culture de croître sans se ruiner dans une innovation trop onéreuse. Les originaux arrivent rarement jusqu’ici : trop chers, et puis, personne n’a de machine chez soi ou presque.
Posté devant l’un des nombreux stands de journaux qui parsèment les trottoirs de la ville, je me hasarde à en feuilleter un. Pas d’anglais bien sûr, mais une ribambelle de quotidiens improbables, dont une bonne partie apparaît aussi vite qu’elle disparaît. Le pays traverse un boom des médias. Parmi les titres, certains sont plus sérieux et paraissent de bonne facture. Celui qui m’intéresse comporte quelques pages rudement colorées, affichant des artworks sympathiques d’un jeu vidéo à l’allure guerrière.
Après quelque temps de décryptage avec mon birman médiocre et un coup de main extérieur, je découvre qu’il est question d’un jeu de stratégie en ligne made in Myanmar. J’en suis tout retourné, il y a bien une production locale. Au milieu des défaillances techniques du pays, de son explosion encore fraîche et mal assurée, que peuvent bien donner des jeux vidéo du cru ? Quelle portée pour ce qui paraît être une exception au retard général affiché par les infrastructures du pays ?
Je finis par trouver un contact, Total Gameplay Studio, à force d’essais laborieux. Ici, pour trouver quelqu’un et le contacter, tout passe par Facebook. C’est là que les gens sont les plus réactifs. Pour autant qu’ils en aient matériellement et techniquement les moyens, les Birmans ne décrochent pas de leurs smartphones et des réseaux sociaux si fraîchement acquis.
Total Gameplay Studio
Le directeur technique me confie une adresse équivoque à l’autre bout de la ville, au cœur d’une périphérie nord assez hermétique. Seven miles, Yadanar street… qu’est-ce que cela veut dire ? La ville compte une dizaine de Yadanar street. À force d’errer sur un Google Maps pas très coopératif, et les recoins du net et des annuaires en anglais vieux de quatre ou cinq ans, je tombe sur quelque chose qui y ressemble.
Ici, la quête d’informations est une plongée dans l’imprécis et le vague. Rien ne paraît facile, mais on retombe toujours sur ses pattes.
Le lendemain, le taxi me dépose dans un de ces quartiers résidentiels loin du centre, mais fendu par Pyay road, longue artère constamment bouchée, calvaire des automobilistes. De longues ruelles sinueuses s’infiltrent entre des résidences neuves à l’allure plutôt aisée.
C’est au fond d’une de ces ruelles que sont situés les locaux de Total Gameplay Studio, dans un cul-de-sac tapi derrière un haut portail vert et barbelé. Une pancarte pointe dans cette direction et indique un bureau de la Marine. Dans tous les cas, pas de trace d’une Silicon Valley birmane. Juste une bicoque anonyme qui paraît abriter tout sauf une bande de programmeurs de jeux vidéo. Une concierge m’emmène dans un bâtiment du fond, sans doute l’antre des bâtisseurs virtuels. Le rez-de-chaussée a une allure de garage. J’enlève mes chaussures et je monte à l’étage.
Deux pièces aux dimensions modestes, plongées dans une pénombre pâle et des murs blancs dépouillés. Une poignée de jeunes gens tout juste sortis de l’adolescence plaisantent devant leurs écrans et lèvent à peine le nez quand j’arrive. Sur les bureaux, quelques ordinateurs portables, pour seuls instruments de travail. C’est là tout ce qu’il y a à voir chez TGS, le premier studio de jeu vidéo du pays. L’un des programmeurs, timide et pas spécialement doué pour les langues, très fin, les cheveux longs ébouriffés aux reflets roux, me fait comprendre que le chef et unique anglophone n’est pas encore là.
Je patiente, dans un petit bureau lui aussi tout de blanc, qui donne par une paroi vitrée sur la salle où l’équipe travaille. C’est léger, comme matériel et organisation. Sur un tableau magnétique, tout un tas de schémas au feutre. Parmi les lettres birmanes toutes en rondeur, quelques mots-clés en anglais. Le Tokyo Game Show, par exemple, salon qui ramène à l’univers du jeu vidéo et me confirme que ces gars sont bien ceux que je cherchais.
Le directeur technique du studio arrive finalement et s’assoit en face de moi. Un type joufflu qui n’a pas l’air très sûr de lui, décontenancé devant un journaliste venu d’aussi loin. À ce moment-là, il y a une coupure de courant. Myint Kyaw Thu rit et s’excuse d’un sourire tiède. « Vous voyez, on a quelques problèmes d’électricité. Mais en fait ça va de mieux en mieux, avant, c’était vraiment désastreux. On avait six heures de courant par jour. Il fallait se dépêcher de recharger tout le matériel pendant qu’on pouvait, pour ensuite travailler sur batterie », explique-t-il.
Dans la salle à côté, tout le monde travaille encore malgré la coupure. Total Gameplay Studio édite aujourd’hui des jeux en ligne, principalement des applications pour mobile, qui offrent l’opportunité à de petites boites de se faire connaître malgré un budget modeste. Myint Kyaw Thu reprend : « Il y a aussi la connexion internet. Elle était très mauvaise par le passé. Aujourd’hui, ça s’améliore, quelques télécoms arrivent. On a parfois une connexion assez stable. Mais il y a quelques années, c’était très difficile. On a sorti quelques jeux multijoueurs en ligne, mais c’était un vrai défi à l’époque. La connexion était toujours interrompue et il était impossible de savoir si le joueur en face était encore sur le serveur. Alors il a fallu qu’on mette en place tout un tas de nouveaux protocoles pour que ça fonctionne. »
Internet, au Myanmar, passe avant tout par les opérateurs de téléphonie – dont deux étrangers désormais omniprésents qui ont envahi le marché à l’ouverture du pays : le Qatari Ooredoo et le Norvégien Telenor.
Total Gameplay Studio a été fondé en 2005, à une époque de rude dictature militaire où les nouveautés technologiques ne franchissaient pas la frontière quand elles n’étaient pas réservées à l’élite proche du pouvoir. Quand les téléphones portables ont atteint les grandes villes dans les années 2000, les pénuries n’ont pas tardé face à une demande affamée.
Myint Kyaw Thu, doyen et cofondateur, avait 20 ans. « On a dû tout apprendre en autodidacte, dans des livres. Il n’est pas facile d’acquérir ce genre de compétences ici. Quand on a commencé, il n’y avait aucun accès internet dans tout le pays. On allait à la bibliothèque, pour essayer de trouver des manuels de programmation. C’était très rare. »
L’équipe se compose aujourd’hui de huit membres, quatre artistes et quatre programmeurs. Aucun n’a plus de 25 ans. Quand un nouveau développeur est embauché, il ne sait rien. Il est choisi pour sa motivation puisqu’il n’y a pas de cursus pour apprendre la programmation au Myanmar. « Il faut qu’on forme chaque nouveau membre pendant presque deux ans avant qu’il soit opérationnel. On est bien obligés de s’arranger », souffle Myint Kyaw Thu.
Après 10 ans, Total Gameplay Studio s’est étalonné pour le bricolage informatique et s’est essayé à divers genres et supports, même si la portée de leurs productions restait auparavant très limitée. « On a sorti presque 30 jeux, petits pour la plupart. Aujourd’hui, on a beaucoup d’applications, mais d’abord des jeux PC, puisqu’il n’y avait pas de mobiles. Quelques jeux sur consoles aussi. »
Pleinement lancé dans le registre du jeu sur smartphone, Total Gameplay Studio veut jouer son atout : exploiter une culture qui reste méconnue. « En ce moment, on essaye de faire des jeux ayant trait à la culture birmane pour s’adapter au marché local. C’est une réussite pour l’instant, le public touché est bien plus large. »
Ces dernières années, Total Gameplay Studio a sorti deux jeux sans prétention adressés au public birman. Ils ont connu une bonne réception. Maung Pain est un run game très simple dans lequel un conducteur de pousse-pousse a pour mission d’arroser les enfants de la ville pour la fête de l’eau du nouvel an. Une application anodine en somme, mais qui ne manque pas d’exprimer des singularités birmanes, comme les rues encombrées de Yangon, sa foule capricieuse qui investit la route, aussi problématique en vrai que dans le jeu. L’autre jeu, Paw Thwoot, basé sur les aventures d’un héros de cartoon birman a lui aussi été une réussite, qui a poussé la petite équipe à continuer dans ce sens, avec des projets de plus grande envergure.
Age of Bayintnaung
Les jeux vidéo qui inondent le marché mondial proviennent principalement du Japon et des États-Unis. Mécaniquement, leurs systèmes de valeurs, leur histoire et leur culture migrent jusqu’aux joueurs birmans habitués à voir des visages de héros typés occidentaux, de même qu’ils admirent les gangsta rappeurs américains ou les voitures de luxe, aux antipodes de l’expérience quotidienne. Mettre en avant, via des jeux vidéo, la culture et l’histoire de l’Asie du Sud-Est qui leur est plus familière, mais quasi-invisible dans des médias dominés par les produits étrangers, a un potentiel de séduction indéniable.
La mythologie bouddhiste comme l’histoire des royaumes de la région pourrait ainsi constituer un bon filon, à l’instar des franchises à rallonge de Koei, telles Dynasty Warriors ou Samurai Warriors, qui reprennent inlassablement les exploits des guerriers semi-légendaires de l’histoire du Japon et de la Chine.
Leur dernier projet, celui dont les images m’ont interpellé dans les journaux, s’appelle Age of Bayintnaung (AoB). « C’est un jeu sur une dynastie royale, la dynastie de Taungoo », résume Myint Kyaw Thu. « Elle a constitué pendant un temps le plus vaste empire de l’histoire d’Asie du Sud-Est. Il englobait une grosse partie de la Birmanie, de la Thaïlande et du Laos, allant même jusqu’à l’Est de l’Inde. On voulait faire un jeu là-dessus, parce que c’est une période historique fascinante. Le souverain de cette dynastie s’appelle Bayintnaung. On pourra retrouver dans le jeu des héros tout droit issus des livres d’histoire. Comme les rois Mon et Shan, ou Naresuan, roi du Siam – il y a eu un film sur lui, vous connaissez ? »
« C’est un jeu de stratégie en ligne », reprend Myint Kyaw Thu. « Tu construis un village, puis une petite armée, tu exploites tes ressources pour ensuite coopérer ou attaquer les voisins. Un peu comme Travian, un jeu de gestion orienté war game. J’y ai joué beaucoup et je voulais qu’on fasse quelque chose dans ce genre, mais ancré dans la culture sud-est-asiatique, en remplaçant les elfes par les devas [créatures mythologiques] et les dragons par les nagas [un genre de démon serpent]. À mon sens, il n’existe pas vraiment de très bons jeux de stratégie orienté hardcore sur mobile, à l’inverse du très simple d’accès Clash of Clans. C’est la raison pour laquelle on voulait en faire un. »
« Je vais vous montrer. Ah oui, c’est vrai qu’on n’a pas d’électricité… », soupire le développeur, revenant à la réalité.
Les créatures mythologiques, comme on en trouve représentées dans les temples et autres monuments historiques du pays, offrent une iconographie variée dont le monde du jeu vidéo n’a jamais tiré parti. « On a une histoire et une mythologie très intéressantes. Je pense à des créatures comme les garudas, toutes sortes de démons. Faire un jeu à partir de cette souche, c’est vraiment excitant, mais ça demande beaucoup de travail. Il a fallu que nos dessinateurs se familiarisent de près avec les représentations historiques et religieuses, et s’entraînent avec des artistes traditionnels. Depuis le début, penser au joueur local, réaliser quelque chose où il puisse reconnaître un peu de ses racines a toujours compté. »
« D’abord l’Asie du Sud-Est, Thaïlande et Laos. Si ça marche, on envisagera une sortie chinoise et japonaise. »
— Myint Kyaw Thu
Age of Bayintnaung est encore en développement. Pour l’instant, l’équipe est réticente à lâcher des images techniques de graphismes qu’ils n’estiment pas encore à la hauteur. Sur la table, un carnet de croquis, où reposent quelques esquisses de level design. « Ça, c’est le premier brouillon, mais aussi le dernier recours en cas de problème. On peut toujours compter sur le papier. » La sortie est prévue pour juin 2015 sur smartphone et PC.
Quand je lui pose la question d’une sortie européenne qui me permettrait de jauger AoB, Myint Kyaw Thu reste vague, pour ne pas montrer qu’il s’agit encore d’un objectif loin d’être réalisable. « D’abord l’Asie du Sud-Est, Thaïlande et Laos. Si ça marche, on envisagera une sortie chinoise et japonaise », conjecture-t-il prudemment.
Sur mobile, la plupart des jeux produits par Total Gameplay Studio suivent le modèle économique du freemium, largement répandu au Myanmar. Les usagers paient avec le crédit téléphonique qu’ils peuvent acheter dans n’importe quelle micro-boutique de rue. Heureusement, car le paiement par carte de crédit n’existe pas encore. « Cela fonctionne très bien. Nous avons un taux de conversion de 3 % », indique Myint Kyaw Thu. En moyenne, 3 % des joueurs passent du gratuit au payant pour continuer à jouer. Les développeurs essaient de mettre en place une plate-forme de paiement via Viber, équivalent de Skype, mais plus populaire là-bas.
Myint Kyaw Thu raconte qu’ils se sont rendus au Tokyo Game Show l’année précédente et qu’ils ont été approchés par des investisseurs de Singapour. Les médias thaïlandais ont déjà parlé d’eux.
Malgré les difficultés techniques et le loyer exorbitant à Yangon, Total Gameplay Studio a parcouru bien du chemin. À voir leur situation encore modeste aujourd’hui, j’ose à peine imaginer la galère de leurs débuts.
Mais il faudra plus qu’une coupure d’électricité pour empêcher le jeu vidéo de faire souche au Myanmar.
Couverture : La Nero Game Station, à Loikaw, par Carole Oudot.