Le crash
Chaque été, des milliers de personnes déferlent dans la ville de Roswell, au Nouveau-Mexique. Ils viennent assister au festival annuel des OVNI, le UFO Festival. L’événement a lieu pour l’anniversaire du fameux crash de vaisseau extraterrestre que le gouvernement américain aurait cherché à passer sous silence, durant l’été 1947. Pendant quatre jours et quatre nuits, cette petite ville d’ordinaire tranquille et old fashion accueille une effusion carnavalesque de food trucks, de concours de costumes, de spectacles de son et lumière et de stands débordant de babioles en tout genre pour fanas d’extraterrestres.
Cette année, un alien de six mètres de haut se dresse sur Main Street et veille sur les festivités. Sous ses grands yeux noirs et luisants se déverse un flot régulier de visiteurs, dont bon nombre sont vêtus de costumes futuristes. Cette lente procession fait route vers le concours de costumes du samedi, organisé dans la grande salle municipale. « C’est comme Mardi Gras, mais avec des extraterrestres », résume Janet Jones, la propriétaire du Roswell Space Center. C’est l’une des six boutiques permanentes de la ville. Elle y vend toutes sortes d’objets et de vêtements en rapport avec les OVNI et les extraterrestres. Jones est née et a grandi dans cette ville où les traces d’un autre monde sont partout. Ici, les lampadaires sont en forme de têtes d’extraterrestres, les cafés vendent des lattes E.T., les restaurants McDonald’s sont des soucoupes volantes et l’attraction principale de la ville est le Centre de recherche et musée international des OVNI. « Il est difficile d’imaginer ce qu’on serait aujourd’hui s’il n’y avait pas eu le crash », dit Jones. « On a bien l’usine de mozzarella et les vergers de pacaniers, mais c’est de loin ce qui attire le plus de monde en ville. »
L’omniprésence des OVNI à Roswell a débuté dans les années 1990. La ville tentait de capitaliser sur une économie touristique de niche, centrée autour de l’incident de 1947, considéré comme l’événement fondateur du folklore des OVNI. « C’est ici que ça se passe », dit Mike Alvarez, qui vient du Texas en pèlerinage à Roswell chaque année depuis 1997. Comme de nombreux convaincus de l’existence des extraterrestres, il considère Roswell comme un lieu sacré pour tous les amateurs d’OVNI. « C’est la conspiration la plus importante de l’histoire », dit-il. Comme lui, ils sont nombreux à penser que le gouvernement américain n’a jamais dévoilé la véritable nature du crash.
70 ans plus tard
Les faits sur lesquels tout le monde s’accorde (enfin presque) sont les suivants : en 1947, un fermier du nom de Mack Brazel a trouvé sur sa propriété les débris d’un appareil qu’il était incapable d’identifier. Il a alors tracté l’épave jusqu’au terrain d’aviation militaire voisin. Un officier de l’US Air Force a plus tard publié un communiqué de presse disant qu’un « disque volant » avait été retrouvé chez le vieux Mack. Le 8 juillet 1947, le Roswell Daily Record a fait sa une avec un titre sensationnel : « Le RAAF [L’aérodrome de l’Armée de l’air de Roswell] a mis la main sur une soucoupe volante dans un ranch de la région ». L’histoire a été reprise aux quatre coins du pays.
L’intérêt du public pour le crash s’est évanoui après que l’Air Force a publié un communiqué disant que les débris étaient ceux d’un ballon météo. Mais dans les années 1970, l’incident de Roswell a été déterré par les ufologues, qui affirmaient que le crash du ballon était une tentative de la part du gouvernement de dissimuler leur véritable découverte : des corps d’extraterrestres. « Roswell est la mère de toutes les conspirations », dit à son tour Kim Carrier, debout derrière son stand, la « boutique du collectionneur martien ». Il porte un chapeau en aluminium sur la tête. « Toute personne un tant soit peu sensée sait qu’il s’est passé quelque chose ici. »
Le professeur William Dewan renchérit : « Avant le 11 septembre, c’était la grand-mère de toutes les théories du complot, un genre de Watergate cosmique. » Dewan enseigne à l’université de Californie à Irvine. Son doctorat portait sur le phénomène des OVNI. « La conjoncture actuelle est la clé pour comprendre ces événements », dit-il. Pour lui, c’est la méfiance des citoyens américains à l’égard du gouvernement qui alimente en partie les thèses de conspiration autour des OVNI. Dans les années 1990, le gouvernement a révélé que l’appareil qui s’était crashé en 1947 plus tôt n’était pas un ballon météo, mais un engin utilisé pour la surveillance. Il faisait partie d’un projet top secret de l’US Air Force visant à détecter les explosions provenant d’armes nucléaires. La révélation n’a donné lieu qu’à davantage de controverse et de théories fumeuses, et l’incident a connu un regain d’intérêt auprès des sceptiques comme des convaincus.
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Nick Pope est un ancien employé du ministère de la Défense britannique. Il a enquêté sur plusieurs observations d’OVNI, dont l’incident de la forêt de Rendlesham, l’un des plus célèbres au monde. « Je crois qu’il est inutile de remettre en question le fait qu’il y a eu un crash à Roswell », dit-il. « C’est à peu près le seul point sur lequel s’accordent les convaincus et les sceptiques. » « Mais même si l’idée que l’appareil en question était un vaisseau extraterrestre est profondément ancrée dans la culture populaire, rien ne permet d’affirmer que c’est le cas », dit Pope, l’un des chercheurs et conférenciers les plus qualifiés sur la question des OVNI. Il est l’invité du festival cette année. David Marler est lui aussi chercheur sur les OVNI. « Nous avons la preuve certaine qu’ils sont là, même si nous ne savons pas ce qu’ils sont », dit-il. Auteur et conférencier, il a mené un certain nombre d’enquêtes sur des observations d’OVNI. « Je suis passionné d’histoire et j’ai l’intuition puissante qu’il doit y avoir quelque chose derrière tout ça », dit-il.
« Roswell est le point zéro de l’ufologie », dit Pope. Tandis que les débats se poursuivent autour de ce qu’il s’est véritablement produit ou non à Roswell, personne ne peut remettre en cause sa présence récurrente du crash dans les médias et la fascination qu’il provoque encore aujourd’hui. « Le fait que nous en parlions encore près de 70 ans plus tard n’est pas anodin », dit Marler. « Qu’il s’agisse de faits, de fiction ou de folklore, personne ne peut nier que les OVNI font partie intégrante de notre culture. »
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À QUAND REMONTE LE PHÉNOMÈNE DES OVNI MODERNE ?
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Aliens on the mind: Roswell and the UFO phenomenon », paru dans Al Jazeera. Couverture : Une mise en scène de l’incident de Roswell.