Il y a quelques mois, un médaillon ovale estampé d’une mouette en émail s’est vendu sur eBay pour dix dollars, et deux de plus pour les frais d’expédition. Le précédent propriétaire de l’objet, un jeune homme du nom de Bobby K., était un surfeur. Chaque fois qu’il le pouvait, Bobby passait son collier porte-bonheur et fonçait à la plage, parfois seul, parfois accompagné d’amis, et d’autres fois avec Jean, sa petite amie.
Un jour, Bobby est allé écluser des bières en ville avec un ami. Sur la route, la voiture a été percutée par un chauffeur ivre et Bobby a été tué. À son retour de l’hôpital, Jean a remarqué un curieux scintillement dans sa commode : Bobby n’avait pas emporté son collier avec lui. Jean s’y est cramponnée pendant des années. Il lui arrivait de parler doucement au collier, et il arrivait que le collier lui réponde… pour elle, c’était Bobby, sans aucun doute possible. Les années ont passé, et Jean est tombée amoureuse d’un autre homme. Il l’a contrainte à laisser le passé au passé, et il lui a demandé de vendre le collier. Ce dernier a atterri dans les mains d’un collectionneur de bijoux, qui l’a mis sur eBay avec les détails de son histoire tragique. « Bobby est toujours lié au collier, il se sent abandonné et perdu », écrit le vendeur. « Il a besoin d’un nouveau foyer et de quelqu’un qui puisse lui accorder du temps et de l’attention. » Au bas de la liste, le vendeur écrit : « eBay demande que nous ajoutions la présente clause de non-responsabilité, stipulant que tout article étiqueté comme hanté, paranormal, magique ou mystique est proposé uniquement à des fins de divertissement. »
Enchères paranormales
Sur l’eBay américain, faites une recherche pour haunted (« hanté ») – croisée avec une recherche pour active (« actif ») pour écarter tous les objets à thème Halloween – et vous obtiendrez des dizaines de poupées, de boîtes, de cristaux, de planches Ouija et autres meubles normaux en apparence, mais qui contiennent un petit quelque chose en bonus à l’intérieur. Ces objets sont proposés par une kyrielle de vendeurs, qui vont des compagnies spécialisées dans la vente d’artefacts chargés en ectoplasme aux particuliers qui veulent juste se débarrasser de la peluche du regretté tonton Wally parce qu’elle leur fout les jetons. Michelle Reid est une vendeuse eBay qui se classe à mi-chemin entre les deux. Depuis le 101, Newbury Park, en Californie, elle gère une collection de meubles et d’éléments de décoration intérieure « rares et sans pareil », sous le nom de Unique Antiques and Collectibles (« Antiquités et pièces de collection uniques »). Dès qu’elle a besoin de faire de la place pour accueillir de nouvelles pièces, elle écoule l’excédent sur eBay. Tandis que la plupart de ses marchandises sont des meubles standards, comme ces chaises à revêtement de cuir et ces armoires art déco, une partie du magasin est réservée à des curiosités qui relèvent du domaine « du métaphysique, du paranormal et de la franc-maçonnerie ». Certains de ces objets s’accompagnent du fameux petit quelque chose en bonus. « Je vends des objets dont je sais qu’ils sont hantés », me confie Reid, même si elle ne fait pas toujours part de cette information à ses acheteurs potentiels. « À moins que je sente que cela peut poser un problème, je garde en règle générale l’information pour moi. » Reid formule soigneusement les descriptions des objets potentiellement hantés, sans garanties d’aucune sorte – porte-chance ou porte-malheur –, car elle ne veut pas risquer que l’annonce soit signalée et retirée. « Il est nécessaire de préciser que la perception que vous avez de l’objet ne peut pas être garantie », m’explique-t-elle. « Il faut prendre des pincettes, parce qu’ils peuvent faire sauter l’annonce. » (eBay n’a pas répondu à mes demandes d’explications concernant les règles pour les objets hantés.) Une fois qu’une vente est bouclée et expédiée, Reid retourne fouiner dans sa réserve d’objets hantés et en met un autre en ligne. Par le passé, sa réserve contenait aussi des objets provenant de Creepy Hollows, une boutique en ligne spécialisée dans les objets chargés d’énergies paranormales, jusqu’à ce qu’ils augmentent tant les prix qu’il faille à présent « hypothéquer sa maison pour pouvoir se les payer ». Les peintures, les portraits, les poupées et les vêtements semblent être les objets qui attirent le plus d’esprits. Les miroirs sont eux aussi habités, ce qui fait sens, vu qu’ils sont le miroir de l’âme et tout ça. Mais en vérité, n’importe quoi peut être hanté. « J’avais une broche qui ressemblait à une broche normale, mais il y avait quelque chose de plus à l’intérieur », raconte Reid. « Elle était chargée d’énergie, vous pouviez le sentir. » Et visiblement, ses chaises seraient imprégnées d’autre chose que des habituelles vapeurs nauséabondes de leurs précédents propriétaires. C’est certainement dû à l’attachement qu’avait la personne défunte pour le siège de son vivant. « Il s’agissait de la chaise favorite de votre grand-père de son vivant, et désormais son énergie lui a été transmise », m’explique Tim Weisberg, l’auteur de Haunted Objects: Stories of Ghosts on Your Shelf (« Objets hantés : histoires de fantômes sur votre étagère »). « Du coup, lorsque vous ramenez la chaise chez vous, vous commencez à voir votre grand-père assis dessus. » Vous voulez une explication « scientifique » à tout ça ? La pseudoscience des fantômes avance la théorie que les objets adorés du vivant d’une personne agissent comme des éponges spirituelles. « Les gens croient qu’un objet est hanté en raison d’un attachement émotionnel. » Évidemment, du fait de la « valeur ajoutée » liée à ces objets fantomatiques, les vendeurs peuvent demander un prix spécial. Un fauteuil inclinable ordinaire peut coûter dans les 45 dollars, mais ajoutez-lui un fantôme – vous pouvez transférer un fantôme dans un objet non-hanté grâce à un « sac de transmutation » vendu par Creepy Hollows pour 37 dollars – et regardez le prix s’envoler. « Si vous avez un objet à vendre qui peine à partir, listez-le comme “hanté” et il se vendra plus vite », m’assure Weisberg. « Et vous pouvez doubler ou tripler le prix au passage. » On imagine aisément la tentation qui pèse sur le vendeur, qui n’a plus qu’à fermer les yeux et inventer une histoire à propos d’une copie DVD d’American Pie, le film favori du neveu de je-ne-sais-qui aujourd’hui décédé par lequel il tente de communiquer d’entre les morts. « Pour une bonne part de ce qu’on trouve sur eBay, les gens inventent juste des histoires », dit Weisberg.
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Comme le dit la description d’une poupée hantée appelée Kurtis, feu-Kurtis était « toujours à faire le clown ». Après que tous ses amis l’ont encouragé à essayer le stand-up, Kurtis a fini par les écouter. Mais la transition entre être drôle dans la vie de tous les jours et faire rire sur scène s’est mal passée. Par une journée tragique, à l’âge de 28 ans, Kurtis est mort dans un accident de voiture « après avoir un peu trop bu ». Parce qu’il avait toujours été un blagueur, Kurtis a choisi une poupée de clown absolument flippante comme réceptacle pour son esprit. « Il est très actif sur l’enceinte fantôme », écrit le vendeur, « et j’ai entendu sa voix sur ma hack radio. » C’est-à-dire une radio bon marché modifiée afin de pouvoir recevoir des signaux de l’au-delà. Vous n’y croyez pas ? Il y a des tonnes de tutos pour savoir comment s’en fabriquer une sur Internet. La fin de la description ajoute l’autre gros argument commercial pour ceux qui seraient intéressés par l’achat de la poupée Kurtis. « Je l’ai achetée à Sherri, qui était dans l’épisode des poupées hantées de livraison impossible. »
Cette étrange série de mots est un code pour parler d’un épisode souvent cité – du moins dans le cercle de la vente d’objets hantés – de l’émission d’A&E Shipping Wars, datant de 2014. L’émission suit des livreurs indépendants qui doivent transporter des objets d’un point A à un point B, et cet épisode en particulier s’intéresse au cas d’une livreuse un peu chochotte qui doit transporter un carton de poupées hantées à travers le pays. La description du vendeur eBay explique que non seulement la poupée est hantée, mais qu’en plus elle faisait partie des poupées montrées dans l’épisode. Et ça a marché : alors que l’enchère pour Kurt a échoué au prix initial de 100 dollars, elle a finalement trouvé preneur pour 80. L’acheteur, dans son commentaire, a indiqué que Kurt était un ajout bienvenu à sa « famille d’esprits ». Mais si vous décortiquez attentivement la séquence au montage frénétique de l’épisode dans lequel la livreuse se débat avec l’idée de devoir emballer et transporter des poupées hantées, il n’y a pas de clowns dans la bande. « Quelques personnes ont essayé d’utiliser mon nom dans la vente d’une poupée ou d’un objet habité par un esprit », m’a confirmé AJ, de AJ’s Haunted Dolls – la société impliquée dans l’épisode de Shipping Wars –, par e-mail. « La vendeuse faisait partie de mes clients, mais j’ai décidé d’arrêter de lui vendre quoi que ce soit à cause de ce genre de choses. Elle a aussi fait des vidéos YouTube et essayé de tirer plus d’argent d’un objet qu’elle m’avait acheté en premier lieu. »
Les objets hantés ne marchent pas comme les pneus de vélos, qui conviendront à n’importe quel heureux propriétaire d’une bicyclette ; la connexion spirituelle dont jouissait le précédent propriétaire ne se transmet pas toujours au nouvel acquéreur. Mais avoir participé à l’émission est la preuve qu’une personne, au moins, affirme que la poupée fonctionnait – ce qui est la certification la plus sûre dont vous pouvez bénéficier dans le domaine. Il n’y a pas de garantie de remboursement, et pas de sceau d’approbation dans le cas où rien ne se passe. La seule façon que vous avez de savoir si l’objet marchera avec vous est de cliquer sur le bouton « Acheter ». « Mon conseil est d’acheter une poupée habitée et de faire l’expérience du phénomène paranormal en premier lieu », m’a écrit la vendeuse eBay Momma Crow après que je lui ai demandé des informations sur ses articles. « Mais faites attention, mon cher, car inviter le paranormal dans votre maison peut se révéler aussi excitant qu’addictif. »
Le Manoir Wolfe
En 1922, un immigrant italien du nom d’Anthony Andriotti chargea son kit de construction Sears à bord d’un train et prit la route de la ville de Clovis, en Californie. Il trouva là-bas un terrain vierge près de la gare et se mit à bâtir. Il en résulta un somptueux manoir de 750 m2 composé de cinq chambres, d’une salle de bal, et même d’une piscine en sous-sol. Peu après, Andriotti mourut d’une cirrhose du foie. En 1935, la propriété fut transformée en sanatorium pour traiter les malades en phase terminale. Tandis que l’établissement changea de nom à travers les années, ce n’est qu’en 1992 que l’hôpital vit finalement son dernier patient expirer entre ses murs.
Après une furieuse bataille d’enchères, la plaquette a été vendue pour 560 dollars.
Todd Wolfe a découvert la propriété en 1996, alors qu’il cherchait le lieu idéal pour abriter une attraction de maison hantée pour la saison d’Halloween – qu’il a appelée Scream If You Can (« crie si tu peux »). Au pic de sa gloire, Wolfe voyait 20 000 visiteurs annuels pousser les portes de la demeure pour se coller une peur bleue. « Je n’ai pas acheté la maison parce qu’elle était hantée », dit-il. Mais à en croire histoires de Wolfe – un membre de l’équipe poussé par une force invisible, le souffle froid de respirations chatouillant sa nuque –, le nombre incroyable de manifestations fantomatiques ont converti le forain, de nature sceptique. « On m’a touché », poursuit-il. « Ce que c’est, je ne peux pas vous le dire. Mais j’ai des preuves. »
En 2004, la ville de Clovis a forcé Wolfe à fermer son attraction après une série de plaintes relatives au bruit. Il a envisagé un moment de convertir l’espace en hôtel-boutique avant de revenir aux fantômes. Il a commencé à diffuser un webcast hebdomadaire filmé dans la propriété pour examiner les phénomènes effrayants qui se produisaient dans la maison, et il n’a pas tardé à recevoir des sollicitations de la part d’émissions TV de chasse aux fantômes. On a pu voir les couloirs du manoirs vieux de près d’un siècle filmés à travers le filtre vert et granuleux des objectifs à vision nocturne de Ghost Hunters et Ghost Adventures. Les épisodes montrent ce que Wolfe tient pour être la preuve indiscutable que le manoir est hanté. La renommée s’est accompagnée de son lot d’effractions, de pillages, de grabuges et de gamins qui allumaient des feux dans le manoir, comme les gamins font. Le conseil de la ville, las d’accumuler les plaintes concernant la propriété, a trouvé une faille pour accélérer sa disparition : les codes du bâtiment. La ville a donné deux options à Wolfe : « Retaper la maison, c’est-à-dire avec des rampes d’accès aux normes, pareil pour l’électricité, refaire les allées, les places de parking… le tout coûterait la bagatelle de 750 000 dollars », raconte Wolfe. « Ou bien la démolir. » Les protestataires ont essayé d’empêcher la destruction de la maison, et une pétition en ligne a rassemblé plus de mille signatures. Mais au final, Wolfe n’avait pas tant d’argent à mettre dans une propriété tombée en désuétude. Avant que les bulldozers n’arrivent, Wolfe, entrepreneur en toute situation, a pénétré une dernière fois dans la propriété pour en emporter tout ce qui n’était pas rivé au sol. Après que la ville de Clovis a détruit le manoir en novembre dernier, les objets ont commencé à revenir à la vie. « Un millier d’objets, si ce n’est plus, vont atterrir sur eBay », m’explique Wolfe. Depuis, il a posté de vieilles têtes de lit, la tapisserie originale, des salières et des poivriers anciens, des briques plaqué or, ainsi qu’une cheminée Craftsman. Le premier objet à être vendu était une plaquette représentant un chérubin, qui était suspendue au-dessus du lit de Mary, l’un des nombreux fantômes du manoir. Après une furieuse bataille d’enchères, la plaquette a été vendue pour 560 dollars.
Chaque description est une leçon de technique de vente d’apparitions. Le mot « hanté » est repris de bout en bout, accompagné d’une photo de l’objet tel qu’il est apparu dans l’une des émissions. « Ça aide à vendre les objets », me confie Wolfe, « vous n’avez pas idée à quel point ! » Il ne démarre plus les enchères à 99 cents, car il s’est aperçu que cela éloignait les acheteurs ; et il n’utilise plus l’option d’achat immédiat pour la même raison. Wolfe débute chaque enchère à 19 dollars et laisse le marché faire son chemin à partir de là. Chaque description contient une déclaration en caractères rouges et gras, taille 16, adressée aux acheteurs potentiels : « Vous achetez cet article à vos propres risques ! » Wolfe m’explique que ce n’est pas en raison des règles d’eBay, mais pour se protéger lui-même. « Ne vous mettez pas en colère contre moi si quelque chose d’étrange se produit avec l’objet », écrit-il à la fin de chacune de ses annonces.
Le bateau de Thésée
Au cours de l’année passée, Wolfe a vendu une trentaine de pièces différentes du Manoir Wolfe. Un rapide tour des commentaires qu’il a reçu sur sa marchandise me permet d’estimer ses gains à près de 5 000 dollars. Une large portion de ces objets ont été vendus à un unique acheteur, qui se battra « jusqu’à la fin » pour remporter la plupart de ses enchères, parmi lesquelles figurent bon nombre des vieux articles en provenance du manoir. « Cette dame a dépensé 260 dollars pour un seul article », raconte Wolfe. « Une simple brique pour 260 dollars ! » D’après les calculs de Wolfe, « la dame » a fait l’acquisition de 98 % des objets qu’il a mis aux enchères. « Je ne comprends pas bien », dit-il, « mais peu m’importe. » La « dame » est en réalité un couple, Nancy Savattere et Henry Maass. La méprise de Wolfe vient du fait que le couple utilise l’adresse mail de Nancy pour ses enchères eBay, alors que c’est Henry qui fait les acquisitions. Jusqu’ici, ils ont acheté une photo encadrée, des panneaux intérieurs, des draps de lit, un candélabre et des briques, beaucoup, beaucoup de briques. Ils ont aussi mis la main sur un vieux moule à jelly (pour 76 dollars) ainsi qu’un fer à cheval hanté (pour 99 dollars). En tout, Henry pense avoir acheté environ 24 pièces, pour un prix moyen variant entre 70 et 100 dollars par objet.
Il existe une expérience de pensée appelée « bateau de Thésée », qui raconte l’histoire suivante : Un bateau a besoin d’une nouvelle planche ; un ouvrier la retire, la jette dans le fleuve et la remplace. Le bateau a besoin d’une autre planche ; l’ouvrier retire donc la vieille planche, la balance par-dessus bord et la remplace. Et le manège continue jusqu’à ce que le bateau ne contienne plus aucune pièce originale. Au même moment en aval du fleuve, un autre constructeur collecte chaque planche jetée dans le fleuve, qu’il utilise pour construire son propre bateau. Le second bateau est rapidement construit. Alors, lequel des deux est le bateau de Thésée ? Le premier, qui ne contient plus les pièces originales ? Ou le second, qui les contient toutes ? L’expérience n’est peut-être pas la comparaison parfaite car on ne peut pas bâtir un second Manoir Wolfe sans la structure originale, mais si quelqu’un est en position de le faire, c’est bien Savattere et Maass. Ils conservent les objets dans des armoires de verre, auprès d’autres artefacts historiques tels qu’une bibliothèque de 1855 et un morceau de bois italien datant de 1492. Tous les objets n’ont pas démontré d’activité spirituelle, mais ils en ont l’espoir lorsqu’ils les achètent. « Je suis un collectionneur, ne vous y trompez pas », dit Maass. « Mais nous aimons beaucoup le paranormal – c’est un étrange fétichisme, ou un hobby, ou une curiosité, appelez-ça comme vous voulez. Nous collectionnons ces objets en pensant que quelque chose y est attaché. » Et alors que la réserve du Manoir Wolfe ne garantit pas que les objets sont hantés, ils offrent quelque chose de presque aussi précieux : la preuve de leur provenance. « Nous connaissons l’endroit et nous savons que les objets en proviennent », explique Maass. « C’est comme ça que les gens se font avoir. “Oh, cet objet est hanté”, qu’ils disent. Euuuh non. Faites des recherches avant de vous lancer dans les enchères. Si je n’ai pas la certitude que l’objet vient d’un endroit où il est avéré qu’il y a eu des activités paranormales, je ne le toucherai même pas avec un bâton. » La fascination de Maass pour l’au-delà a commencé lorsqu’il avait 12 ans, après la mort de sa mère. C’était il y a quarante ans, à une époque où l’équipement pour la chasse aux fantômes n’était pas si répandu et bon marché. Ses premières investigations reposaient sur des lampes de poche et des appareils 35 mm, mais cela suffisait au jeune Maass pour vivre les expériences qu’il recherchait. « Je peux vous dire d’emblée que certaines des expériences que j’ai eues n’étaient pas positives, loin s’en faut », m’assure Maass. « J’ai vu des choses sortir du sol, se faire pousser des jambes et s’en aller. Et moi je pensais : “OK, c’est tout ce que tu sais faire ?” »
Il y a quatorze ans, alors qu’il travaillait chez UPS, Maass a rencontré Savattere. Ils gravitaient l’un autour de l’autre, en dépit du fait que Savattere était mariée à l’époque. Après sa séparation, les deux « enfants des îles » – Maass est né à Hawaï, Savattere à Porto Rico – se sont rapidement mis ensemble. Déjà éprise de Santería, de bouddhisme et d’autres formes de spiritualité, Savattere s’est volontiers jointe aux excursions de Maass pour chasser les fantômes. Le fait que Savattere fût déjà rompue aux phénomènes étranges était un avantage certain, car les objets du Wolfe Manor se sont révélés… très animés. « Les choses bondissent vraiment », me confie Maass. L’une des expériences les plus remarquables est survenue lorsque Maass a voulu faire un feu dans la cheminée et qu’une ombre géante, sortie de nulle part, est apparue et s’est avancée vers lui. « J’aurais pu tendre le bras et la toucher », dit-il. Alors que Savattere se tenait debout au même endroit un peu plus tard, elle a été témoin du même phénomène. « Je lui ai dit : “Ouais, ça m’arrive de temps à autre.” » Les enchères eBay et les phénomènes paranormaux à la maison sont en quelque sorte un moyen pour le duo de se maintenir en forme pour leurs investigations sur site.
En 2013, ils ont participé à ce qui s’est avéré être la dernière enquête paranormale dans la Pride House de Jefferson, au Texas – quatre jours plus tard, elle partait en flammes. Cependant, les enquêtes en personnes du couple sont récemment passées au second plan. Plus tôt cette année, l’ex-mari de Nancy est mort, laissant aux chasseurs de fantômes la charge d’un garçon de 14 ans. Maass pense qu’une partie de l’activité de la maison est due au père du garçon, qui cherche à communiquer depuis l’au-delà, et qu’un jour, il parviendra à délivrer son message, quel qu’il soit. « Il pourrait s’écouler dix ou vingt ans avant que son père ne réussisse à lui dire quelque chose », dit-il. Mais ça arrivera, il en est sûr. Maass le sait car il est déjà entré en contact avec lui. « C’est une voix désincarnée, et je suis tout seul dans la pièce », raconte-t-il. « Je l’entends me dire : “Prends soin d’elle.” » Quand ils ne sont pas occupés à régler la succession de l’ex-mari – ou apprennent à s’occuper sur le tas d’un ado à plein temps–, le couple continue de surveiller les articles de Wolfe. Ils attendent anxieusement le jour où le gros lot sera finalement mis en ligne : le canapé du sous-sol accompagné de la « preuve vidéo » qu’un fantôme a posé son séant spectral dessus. Lorsque l’article sera mis en ligne, et qu’ils remporteront l’enchère (ils en sont certains), Nancy et Henry rapatrieront le canapé eux-mêmes pour économiser les frais de port. Et après avoir chargé le canapé, ils feront un petit détour par le 2674 Clovis Avenue, pour jeter un œil au terrain vacant où se dressait auparavant le manoir, abritant tous ces objets hantés dans ses entrailles. Et avant de rallumer le moteur pour rentrer chez eux au Texas, ils regarderont longuement l’endroit où leurs fantômes vivaient jadis.
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Tales from the eBay Crypt », paru dans The Awl. Couverture : Une poupée « hantée ».