Un matin de mai 2008, une équipe de biologistes en plein travail sur le terrain à Bornéo s’installaient pour déjeuner lorsqu’ils ont remarqué la présence fortuite d’un visiteur à leurs côtés. Un curieux lézard, partiellement dissimulé par un tas de feuilles, les observait en clignant des yeux depuis le lit d’un ruisseau. Son corps ressemblait à celui d’un dragon chinois et sa tête à celle d’un personnage du Petit dinosaure.
Un membre du groupe s’est levé pour aller le ramasser et les autres chercheurs ont pris quelques photos, mais ils s’en sont rapidement détournés, replaçant l’étrange créature là où ils l’avaient trouvée avant de retourner à leur assiette. « Aucun effort n’a été réalisé pour récupérer l’animal, en partie car l’importance scientifique de cette découverte n’avait pas été pleinement mesurée, ont-ils écrit par la suite. Tandis que l’équipe se remettait en marche, un de ses membres a jeté un coup d’œil par-dessus son épaule pour revoir le lézard, mais il avait disparu. » Ce n’est que plus tard qu’ils ont réalisé qu’ils avaient rencontré Lanthanotus borneensis, un reptile extrêmement rare que certains experts appellent révérencieusement « le Saint Graal de l’herpétologie ». Également connu sous l’appellation de lézard sans oreilles de Bornéo, il ressemble beaucoup à une espèce vieille de 70 millions d’années originaire de Mongolie, aujourd’hui éteinte, et sa morphologie est assez particulière pour justifier qu’il ait sa propre branche dans l’arbre généalogique des lézards. Animal mystérieux et nocturne, il a été décrit pour la première fois en 1877, redécouvert en 1963 et n’avait, jusqu’à ce que les chercheurs s’attablent pour déjeuner, jamais été vu depuis. Les biologistes avaient conscience que cette découverte représenterait un intérêt non seulement pour les scientifiques, mais aussi pour les fervents collectionneurs à travers le monde. « Il n’est pas exclu que les collectionneurs ou les marchands de reptiles domestiques fassent mauvais usage » des coordonnées géographiques révélant l’emplacement des lézards, écrivaient les chercheurs. « C’est la raison pour laquelle nous ne divulguerons pas les données [du système d’informations géographiques]. » Malgré cela, leur article comportait une carte sommaire ainsi que des informations détaillées sur le milieu où ils avaient découvert l’animal. En l’espace d’un an, les lézards sans oreilles de Bornéo étaient en vente sur la Toile.
Trafic
De la même manière qu’Internet est devenu le plus grand marché au monde pour la vente de produits légaux, ses méandres abritent un réseau florissant de biens et de services illégaux. Qu’il s’agisse d’alimenter la demande en matière d’animaux domestiques ou de mettre en relation les acheteurs et les personnes proposant toutes sortes de produits, des stimulants à base de corne de rhinocéros aux espèces de tortues hautement menacées, Internet permet à la vente illégale d’animaux sauvages de prospérer comme jamais.
« Certaines des espèces les plus rares sur Terre sont commercialisées sur Facebook. » — Crawford Allan
Ce commerce représente le cinquième plus important marché de contrebande, juste derrière les narcotiques. Si l’on exclut la vente illégale du bois et de la pêche, il rapporterait 10 milliards de dollars par an. Et ces ventes ont des conséquences dramatiques. D’après une étude récente du WWF, 52 % des populations d’animaux sauvages à travers le monde ont disparu depuis 1970, la chasse excessive étant l’un des principaux moteurs de ce déclin. L’étude stipule que dans le cas de certaines espèces, la vente illégale d’animaux sauvages représente désormais la principale menace, à cause de la demande en très forte hausse pour certains animaux sauvages et produits d’origine animale. Les éléphants et les rhinocéros illustrent tous deux cette situation de manière frappante. De 1998 à 2011, la demande en ivoire – qui se vend aujourd’hui environ 2 200 dollars le kilo –, a augmenté de 300 %. En 2007, treize rhinocéros ont été braconnés en Afrique du Sud ; en 2011, ce chiffre s’élevait à plus de mille. La corne de rhinocéros, même si elle représente l’équivalent médical d’une ingestion d’ongles ou de cheveux, vaut de nos jours son pesant d’or : environ 66 000 dollars le kilo. Si cette activité continue à ce rythme, les rhinocéros seront éteints d’ici 2020. À cause de sa nature secrète, il est impossible de savoir dans quelles proportions ce commerce est facilité par Internet. On peut cependant affirmer que la majeure partie du commerce a une composante en ligne, qu’il s’agisse de la mise en relation entre acheteurs et vendeurs, de la possibilité pour les marchands de sonder le marché à la recherche d’un nouveau produit d’origine animale ou de l’élaboration logistique d’une opération de contrebande. « Quand nous avons commencé à enquêter sur ce sujet, nous avons bientôt mis en lumière une face cachée et très obscure des marchés en ligne », déclare Crawford Allan, directeur principal de TRAFFIC, un réseau de surveillance du commerce d’animaux sauvages. « Certaines des espèces les plus rares sur Terre sont commercialisées sur Facebook. » Certains vendeurs ne savent pas qu’ils sont complices du commerce illégal d’animaux sauvages. Il y a jusqu’à 13 millions de dollars en ivoire qui circulent chaque année sur LiveAuctioneers.com, mais d’après une étude récente, la grande majorité des entreprises vendant cet ivoire est dans l’impossibilité de vérifier sa provenance, ce qui signifie probablement qu’une bonne partie de la marchandise est illégale. « Le monde des enchères et de l’antiquité n’imaginaient pas qu’ils posaient un problème, mais ces données montrent qu’ils jouent un rôle assez substantiel dans ce qui se passe », explique Anya Rushing, chargée de campagne adjointe à l’International Fund for Animal Welfare (IFAW), l’organisme à but non lucratif qui a dirigé l’étude.
Néanmoins, la plupart des personnes impliquées dans le commerce en ligne d’animaux sauvages sont des criminels qui savent qu’ils violent la loi. Mais les autorités chargées de la faire appliquer à travers le monde possèdent rarement des divisions dédiées spécialement aux animaux sauvages, et jusqu’à très récemment, le commerce des animaux n’était pas perçu comme une priorité. « Ce devrait être à la police d’agir », soupire Allan. Mais pour l’heure, « c’est aux organismes comme le nôtre de fureter, de valider l’information que nous trouvons, de l’analyser puis de la livrer aux autorités sur un plateau. » Allan et les écologistes de même sensibilité ont tendance à s’en prendre à ceux qui se situent au sommet de la chaîne alimentaire du commerce d’animaux sauvages plutôt qu’aux petits joueurs qui font le sale travail sur le terrain. Des logiciels analytiques permettent aux agents de combiner diverses données – renseignements, publicités en ligne, adresses mail, numéros de téléphone, plaques d’immatriculation et plus encore – pour constituer une vue d’ensemble des réseaux et des parties impliquées. Dès qu’ils pensent avoir identifié un meneur, ils transmettent leurs données aux autorités. En fonction de la localisation géographique du criminel, il peut s’agir du US Fish and Wildlife Service, de la UK’s National Wildlife Crime Unit, d’Interpol ou d’autres institutions. Il y a eu de grandes victoires. En 2012, des données récoltées par l’IFAW en coopération avec le US Fish and Wildlife Service ont donné lieu à des accusations à l’encontre de plus de 150 personnes vendant un large éventail de produits, des peaux de tigres aux oiseaux vivants. Mais globalement, les marchands en ligne savent que les chances de se faire pincer sont relativement minces. Le dark Web – des parties cachées d’Internet où les utilisateurs opèrent souvent sous anonymat complet pour vendre des armes, des drogues et de la pédopornographie – ne comprend généralement pas de produits d’origine animale, selon une enquête qu’Allan a récemment menée avec l’aide d’un expert en renseignements dans le domaine du terrorisme. Cela s’explique car les vendeurs de produits illégaux d’origine animale ne voient pas la nécessité de se replier dans les recoins les plus obscurs du Web. Le manquement d’application de la loi fait qu’ils peuvent mener leurs activités ouvertement, ou en utilisant un simple langage cryptique – os de bœuf pour ivoire d’éléphant, NQJ pour cacatoès noir à queue jaune, double moteur ou DM pour boas rouges des sables, quad pour tortue étoilée, T-shirt rayé pour peau de tigre – pour faire passer leurs marchandises en douce tout en déjouant les enquêteurs et leurs algorithmes.
Allan et d’autres ont travaillé avec eBay, Google Shopping, Etsy et bien d’autres pour déterminer quels produits d’origine animale peuvent et ne peuvent pas être proposés à la vente en ligne. eBay impose des restrictions sur les animaux sauvages depuis plus d’une décennie – dont une interdiction concernant les animaux vivants – et les a récemment renforcées pour inclure l’ivoire. En 2012, Google a sollicité TRAFFIC pour développer un ensemble de règles concernant les produits d’origine animale qui devraient ou ne devraient pas être autorisés sur Google Shopping. Ces règles ont été mises en place six mois plus tard. En 2013, Etsy leur a emboîté le pas en interdisant les produits fabriqués à partir d’ivoire ou d’animaux sauvages menacés d’extinction. « Etsy a rencontré de sérieux problèmes pendant un certain temps, explique Allan. Il est souvent très difficile pour ces entreprises de vente en ligne de comprendre le problème et de se rendre compte que cela se passe sur leur territoire et qu’il s’agit d’un point important. Mais Etsy a fini par être à l’écoute et réagir. » Des sites de commerce en ligne chinois – où l’on trouve la plupart de la marchandise animale illégale – commencent eux aussi à réagir. En octobre, TRAFFIC a consolidé un nouvel accord pour intensifier les campagnes anti-commerce d’animaux sauvages et la surveillance de l’activité illégale avec Alibaba, la plus grande entreprise d’e-commerce au monde. Autrefois, des produits tels que de l’ivoire jeune et mille bouteilles de vin d’os de tigre figuraient sur les listings d’Alibaba. « Cela représente beaucoup pour nous, affirme Allan. Alibaba est le site de commerce en ligne en Asie, c’est énorme. » Ces efforts semblent avoir un impact : le nombre de publicités en ligne chinoises répertoriant des griffes, des dents, des os et de la peau de tigre a diminué de manière significative depuis 2012, selon un rapport récent. Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que la vente n’est plus un problème. « Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai trouvé des personnes qui vendaient de l’ivoire sur eBay », affirme Allan. Le vendeur avait indiqué qu’il s’agissait d’une broche taillée en forme d’éléphant – ne mentionnant à aucun moment l’ivoire –, mais Allan a deviné d’après l’apparence du matériau qu’elle avait été fabriquée à partir de défenses d’éléphant fraîchement sculptées. « C’est un peu le jeu du chat et de la souris », déclare Wolfgang Weber, directeur principal de la gestion mondiale de la régulation et de la politique d’eBay. « Nous commençons par bloquer le terme “os de bœuf” et les vendeurs en choisissent un autre, comme “fauxivoire”. » C’est pourquoi, explique-t-il, il ne sera jamais possible de parvenir à mettre en place un système de détection et de prévention en ligne efficaces à 100 %.
Omerta
Quand Vincent Nijman, écologiste de la conservation à Oxford Brookes University, a repéré des photos et des vidéos du lézard sans oreilles sur Facebook en 2013, il s’est immédiatement rendu compte qu’il y avait un problème. Des recherches en ligne ont révélé que les lézards s’étaient d’abord retrouvés au Japon, avant de se diriger vers l’Allemagne, l’Ukraine, la République Tchèque, la France et le Royaume-Uni. Ces espèces ayant fait leur apparition sur le marché très récemment, il est évident que tous les spécimens ont été prélevés dans la nature – en Indonésie, en Malaisie ou peut-être à Brunei. Il y a plusieurs décennies, les trois pays ont mis en place des lois protégeant de manière stricte les lézards sans oreilles – les braconniers s’exposent à une amende pouvant aller jusqu’à 8 600 dollars et cinq ans de prison. « Il est interdit de le capturer, il est interdit de le garder et il est interdit de l’acheter, explique Nijman. Et il est bien sûr interdit de l’amener avec soi hors du pays. » Cependant, tout cela n’a pas été suffisant pour empêcher l’exploitation du lézard sur le marché des animaux de compagnie. Nijman estime qu’une centaine de lézards sauvages ont été illégalement exportés en contrebande jusqu’à présent.
Les animaux rares comme le lézard sans oreilles ont tendance à n’attirer qu’une sous-culture d’individus collectionnant des animaux exotiques. Comme les consommateurs de drogue, ces collectionneurs ont un large éventail de choix : lézards, tortues, oiseaux ou mammifères. « Pour la plupart d’entre eux, collectionner les animaux les plus rares de la planète confine à l’obsession pathologique », explique Allan. Auparavant, les rassemblements annuels étaient le seul endroit où les collectionneurs pouvaient rencontrer d’autres passionnés, mais Facebook, YouTube, ainsi que les forums et salons de chat en tous genres abritent une communauté en ligne florissante de collectionneurs qui peuvent désormais commander des animaux vivants avant même qu’ils ne soient collectés sur le terrain. Bien que personne ne connaisse le nombre exact de lézards sans oreilles en liberté, il est fort probable que l’espèce n’aille pas pour le mieux. Ces dernières années, les feux de forêt et la déforestation pour les besoins de l’agriculture et des plantations ont décimé une bonne partie de l’aire de répartition estimée du reptile. Si l’on ajoute à cela la pression exercée sur le marché par les collectionneurs impatients de réaliser un profit rapide, les lézards sans oreilles sauvages pourraient bien se diriger droit vers l’extinction. Le même scénario s’est déroulé auparavant, avec des résultats désastreux. Quand la nouvelle est tombée, il y a plusieurs années, que des chercheurs avaient découvert une population de loris rouges et bleus, une espèce rare de perroquets vivant sur une petite île indonésienne, tous les collectionneurs de la planète spécialisés en oiseaux devaient soudain en avoir un. « Tout le monde les a pris en chasse, ce qui les a virtuellement effacés de la nature presque du jour au lendemain », affirme Allan. De même, le Neurergus empereur – un amphibien aux couleurs vives dont les traits faciaux dessinent un sourire permanent – continue à être menacé d’extinction. Il y a environ cinq ans, on a appris qu’il avait été vu en Iran, et depuis, les marchands d’animaux domestiques ont entrepris de l’exporter en contrebande hors du pays via l’Azerbaïdjan. Les experts estiment que moins de mille représentants de cette espèce survivent encore dans la nature.
Les marchands d’animaux domestiques contribuent à l’extinction des animaux qu’ils prétendent adorer. Pour éluder ce paradoxe gênant, ces derniers affirment souvent que les animaux capturés à l’état sauvage sont en fait élevés en captivité. Cela les aide à contourner la loi et apaise également les acheteurs, qui croient bien volontiers les marchands sur parole. « Il existe actuellement une vaste industrie du faux élevage en captivité », explique Nijman. Cependant, étant établi que le lézard sans oreilles vient de la nature, son cas illustre de façon flagrante le problème du commerce des animaux domestiques. C’est pourquoi Nijman et un co-auteur ont rapidement publié un rapport détaillant ce qu’ils savent de ce commerce, avant que les collectionneurs ne parviennent à élever les animaux en captivité, compliquant ainsi la partie. Depuis la mise en circulation de ce document, Nijman a remarqué que les vidéos et les publicités sur les lézards sans oreilles étaient moins nombreuses. En effet, le BION Terrarium Center de Kiev, en Ukraine, était impliqué dans l’enquête de Nijman, mais lorsqu’un reporter a posé des questions à propos d’une vidéo YouTube que le centre avait postée, mettant en scène deux lézards sans oreilles, Dmitri Tkachev, son propriétaire, a déclaré que la vidéo avait été filmée par un « partenaire » du centre et que BION ne travaillait pas avec ces animaux. De même, un éleveur de geckos originaire de Californie qui avait posté plusieurs photos et vidéos de sa rencontre avec des lézards sans oreilles au Japon a refusé de se prononcer sur le sujet, et mes questions concernant une annonce en ligne pour des lézards sans oreilles « captifs de longue date », répertoriés à 10 000 dollars par un vendeur en Allemagne, sont restées sans réponse.
Antihéros
Mais il est malgré tout un amoureux des reptiles, Tsuyoshi Shirawa, propriétaire du iZoo de Shizuoka et ancien directeur de l’une des plus grandes entreprises de vente en gros de reptiles du Japon, qui n’est pas avare de mots concernant son implication dans le commerce des lézards sans oreilles. Il a acheté son premier couple en avril 2013, et depuis sa collection s’est étoffée jusqu’à en compter sept, dont plusieurs ont été importés d’Allemagne et d’Autriche. Shirawa est devenu une sorte de plaque tournante en matière d’informations sur les lézards sans oreilles en captivité. « De nombreuses personnes recherchent ce lézard », affirme-t-il.
Les animaux élevés dans la cave ou le placard de leur propriétaire souffrent souvent d’engorgement génétique.
Shirawa a pour objectif de devenir la première personne à élever ces animaux avec succès, mais il se défend avec virulence de toute velléité de les vendre. Au lieu de quoi il souhaite confier les lézards à des scientifiques. Il raconte que des chercheurs de l’Université de Tokyo, de l’Université de Shizuoka, de l’Université municipale de Nagoya, du Muséum national d’histoire naturelle à Paris et d’autres encore lui ont rendu visite ou l’ont contacté pour obtenir des informations sur ses lézards sans oreilles, et il a même distribué quelques échantillons d’ADN. (Allan souligne que certains scientifiques peuvent se montrer tout aussi naïfs que les collectionneurs – « Certaines fois, les universitaires ne posent pas assez de questions quant à l’origine des spécimens » – ou, plus inquiétant, « pensent qu’ils ne sont pas tenus de suivre les règles ».) Shirawa affirme néanmoins volontiers qu’il est heureux de collaborer avec quiconque l’approche avec l’intention de mener des recherches sérieuses. « Je tiens à faire profiter tout le monde des informations que je détiens, affirme-t-il. La préservation de cet animal est absolument nécessaire, mais si nous ne savons rien de lui, nous n’apprendrons jamais à l’élever. » De son côté, Allan crie au scandale devant un tel raisonnement. « J’ai moi-même rencontré beaucoup de ces individus, et certains d’entre eux sont parvenus à se persuader qu’ils étaient des héros de la préservation, dit-il. Ils affirment que la fin justifie les moyens – qu’ils font de la contrebande d’animaux sauvages avec les meilleures intentions du monde et que, par conséquent, ils devraient être traités avec respect et applaudis plutôt qu’envoyés en prison. »
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Les animaux élevés dans la cave ou le placard de leur propriétaire souffrent souvent d’engorgement génétique et risquent de transmettre des maladies exotiques aux populations natives, s’ils venaient à être réintroduits dans la nature. « La communauté de l’élevage en captivité a l’impression de rendre service, déclare Allan. Mais en réalité, ces personnes ne rendent service qu’à elles-mêmes et ne se soucient que de leur collection et de leur portefeuille. » Lorsque Shirawa, aujourd’hui âgé de 45 ans, avait 20 ans, il a été pris en train d’essayer de passer en contrebande au Japon près de 300 tortues et lézards menacés d’extinction en provenance d’Asie du Sud-Est. En 2007, il a été condamné à plus de deux ans de prison et à une amende de 15 330 dollars pour avoir affirmé que les tortues étoilées et les faux-gavials qui étaient en sa possession avaient été élevés en captivité au Japon. « Je sais que ce que j’ai fait par le passé était déplorable, j’en ai vraiment honte et j’ai présenté mes excuses, dit-il. Mais aujourd’hui j’ai changé : je ne suis pas hors-la-loi. J’aime passionnément les reptiles et je cherche toujours à me trouver auprès d’eux, voilà tout. »
Ses activités avec les lézards sans oreilles ne font pas partie « d’un trafic illégal », continue-t-il, et tous les spécimens en sa possession ont été enregistrés auprès des autorités locales au Japon. « J’ai demandé à mon gouvernement et il m’a dit que leur importation ne présentait pas de problème, car il ne s’agit pas d’une espèce CITES », dit-il, en faisant référence à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction – un accord passé entre 180 pays concernant les animaux pouvant ou ne pouvant pas être commercialisés à l’international. Nijman souligne cependant que les intentions de l’Indonésie, la Malaisie et du Brunei sont claires : le commerce n’est pas autorisé. « Et nous devons le respecter », dit-il. Si l’histoire de Shirawa est vraie, alors le Japon, au moins, n’en a cure – ou n’est peut-être simplement pas au fait de ces lois. Pour éviter toute confusion, manifestation d’ignorance ou de paresse de la part des représentants des douanes, Nijman insiste pour que la CITES ajoute le lézard sans oreilles à sa liste de protection à haute priorité pour qu’il n’y ait plus de questions à se poser sur la légalité du commerce. Mais il ne fait aucun doute, cependant, que ce ne sera ensuite qu’une question de temps avant que le lézard sans oreilles ne soit affublé d’un nom de code pour échapper aux autorités, et l’enquête devra recommencer à zéro. « C’est une course à l’armement, conclue Allan. Les choses continueront ainsi jusqu’à ce que la vie sauvage ne disparaisse totalement ou qu’un changement profond ne s’opère dans la demande et que les gens ne souhaitent plus acheter ce genre de produits. »
Traduit de l’anglais par Marie-Audrey Esposito d’après l’article « Extinct.com », paru dans Newsweek. Couverture : Deux rhinocéros blancs. Création graphique par Ulyces.