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Max
Londres – Max, qui vient d’avoir un an, est assis sur les genoux de sa mère Helen dans une petite chambre plongée dans l’obscurité. Sa tête est recouverte d’un bonnet de caoutchouc hérissé d’électrodes. Elles visent à mesurer l’activité électrique de son cerveau alors qu’il regarde tour à tour des objets matériels et leur représentation numérique sur un écran d’iPad. De curieuses smartwatchs sont passées autour de ses chevilles, l’une mesurant ses mouvements et l’autre sa fréquence cardiaque. Le bonnet utilise l’électro-encéphalographie (EGG) pour enregistrer l’activité électrique de son cerveau, afin de comprendre si les objets réels et virtuels déclenchent des réactions cérébrales différentes, et comment cela impacte sur ses facultés d’apprentissage. L’expérience fait partie du projet TABLET, qui est menée dans le Babylab de l’université londonienne de Birkbeck. C’est la toute première étude scientifique qui enquête sur la manière dont les enfants âgés de six mois à trois ans utilisent les écrans tactiles, et sur l’influence que cela peut avoir sur leur développement cognitif, cérébral et social.
Lors d’une seconde expérience, Max s’assied dans une cabine fermée face à un écran qui diffuse en boucle 15 minutes de vidéo, composée d’animations visuelles et d’une bande-son tripantes, ainsi que des images fixes et des vidéos dans lesquelles des étudiants font office d’animateurs d’émissions pour enfants. Max est complètement envoûté, et ses yeux se fixent d’un objet sur l’autre à l’écran. Une caméra utilisant une technique d’eye-tracking enregistre son jeu de regard, et à l’extérieur de la cabine, la chercheuse Celeste Chung prend note de la relation entre le mouvement de ses yeux et l’apparition des objets à l’écran. « Tout ce que fait l’enfant, c’est de regarder l’écran, mais la trajectoire de son regard nous informe sur la façon dont il apprend et dont il anticipe les choses », explique Tim Smith, le chercheur en sciences cognitives qui dirige le Babylab. L’équipe essaie de comprendre comment Max et des dizaines d’autres bambins comme lui peuvent si aisément focaliser leur attention et faire abstraction des distractions lorsqu’ils s’absorbent dans une activité particulière.
Dans un des tests, un objet apparaît au centre de l’écran, suivi de près par un second placé au bord. Afin de regarder le deuxième objet, l’enfant doit détacher son attention de l’objet au centre, ce qui requiert de la maîtrise de soi. Il s’agit une évaluation capitale des fonctions exécutives – l’équivalent cérébral du contrôle du trafic aérien –, qui aident l’enfant à analyser une tache qu’il doit accomplir, à la diviser en étapes et se concentrer jusqu’à ce qu’elle soit réalisée ; en somme, un indicateur clé de la réussite de sa vie future. À l’instar du docteur Christakis, le professeur Smith cherche à découvrir s’il existe réellement un lien entre la récompense systématique de l’apprentissage qu’on retrouve dans beaucoup d’applications, et les facultés de concentration de l’enfant. « Il se pourrait qu’on découvre que si les tablettes sont utilisées majoritairement pour de l’apprentissage récompensé et que l’attention de l’enfant est constamment captée par une stimulation extérieure, alors il se pourrait qu’il développe un déséquilibre dans ses fonctions exécutives car il n’aura pas été habitué à contrôler soi-même son attention », dit-il.
Smith n’est pas complètement convaincu par le modèle des souris utilisé par Christakis et Ramirez à Seattle, mais il est d’avis que six heures de stimulation médiatique par jour peuvent refléter assez fidèlement l’environnement domestique d’un petit nombre d’enfants, entourés d’une multitude d’appareils électroniques et de télévisions qui peuvent causer une surcharge sensorielle. « Certains des parents de notre étude indiquent que leurs enfants utilisent la tablette trois heures par jour », dit Smith. « Ils passent donc une grande partie de leurs heures d’éveil face à un écran, ce qui contrevient aux lois des réalités physiques. » Quant aux effets produits sur les facultés de langage et le développement moteur, il émet l’hypothèse qu’on pourrait assister à une évolution. « La technologie pourrait être utilisée comme une nounou qui se substituerait à une éducation directe. Les bébés apprennent toujours mieux des gens, mais on n’a pas toujours le temps. »
Les appareils comme les iPad sont peut-être riches en stimulations, ils ne fournissent pas de feedback social immédiat, comme c’est le cas avec un être humain, et ce paramètre est crucial dans le développement de la parole, selon Smith. De la même manière, les tablettes et les smartphones peuvent rendre les enfants plus agiles vis-à-vis de leur contrôle moteur et de la coordination de leurs mouvements à force de tapoter l’écran et d’y faire glisser leur doigt, mais ils peuvent en revanche voir décroître leur motivation pour se lever et explorer le monde qui les entoure. Après environ une heure d’analyses – à toucher des écrans, se soumettre à l’eye-tracking, se faire examiner le cerveau et un tas d’autres distractions qui empêchent Max de mettre la pagaille partout et de manger des gressins (la routine) –, le garçon perd patience. Il commence à pleurnicher, à se tortiller en tous sens et à agripper le bonnet bardé d’électrodes. Ses mouvements brouillent les données liées à son activité cérébrale. « C’est ce qu’il y a d’intéressant avec les enfants », dit Smith. « Ils ne se plient absolument pas aux instructions. »
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Qu’en est-il du potentiel éducatif des appareils ? Il existe des milliers d’applications, d’e-books et de vidéos qui prétendent avoir une valeur éducative pour les enfants, mais très peu d’entre eux ont été capables de le démontrer en se basant sur des recherches solides. « Le marché des applis est un véritable Far West numérique », assène Mile Levine, directeur général du centre Joan Ganz Cooney à New York, qui a analysé pour de nombreux rapports des centaines d’applications conçues pour l’alphabétisation des enfants. « La plupart des applications répertoriées comme “éducatives” dispensent des conseils qui ne sont fondés sur aucune recherche sérieuse. Moins de 10 % des applications que nous avons étudiées avaient un indicateur d’efficacité précisé dans leur description sur l’appstore. »
Involontairement, certaines « améliorations » interactives qui viennent se greffer à l’histoire (notamment les animations ou les sons qui poussent les enfants à taper l’écran et à faire glisser leur doigt) ne feraient en réalité que diminuer la valeur éducative de l’application. Tandis que ces ajouts visent à captiver les enfants, ils peuvent en contrepartie les éloigner du contenu éducatif. L’idée a été soumise à un test par Adriana Bus et ses collègues de la Leiden University des Pays-Bas. Ils ont suivi le regard d’enfants pendant qu’ils lisaient des e-books interactifs et ont découvert que lorsque certaines parties animées de l’image n’étaient pas directement en lien avec l’histoire – comme des arbres qui bougent à l’arrière-plan –, les yeux des enfants étaient distraits du déroulement de l’histoire par ces zones mouvantes. Les animations pertinentes, elles, peuvent être intéressantes, tout particulièrement pour les enfants rencontrant des difficultés avec le langage et la compréhension écrite. Mais même s’il s’avère que les applications ont une réelle valeur éducative, les tout petits apprennent toujours mieux de leurs expériences vécues dans le monde réel qu’au contact d’une représentation équivalente en deux dimensions sur un écran.
Des études américaines ont montré que lorsqu’ils se concentraient sur des problèmes visuo-spatiaux – comme lorsqu’ils cherchent un objet caché ou qu’ils tentent de résoudre un puzzle –, les bambins (autour de 30 mois) s’y prennent mieux lorsque le problème se présente dans la vie réelle plutôt que sur un écran. « On considère que la charge cognitive requise pour interpréter en trois dimensions des informations présentées en deux dimensions est trop importante pour les enfants de moins de 30 mois », écrivent Jenny Radesky et sa collègue Barry Zuckerman dans leur étude sur les jeux numériques. À cet âge, les enfants développent toujours leur habilité à choisir ce sur quoi focaliser leur attention et quoi ignorer, et ils ont du mal à retranscrire les représentations symboliques dans le monde réel.
Nous devrions demander à ce que les applications soient conçues sur une base de recherches solides.
Les enfants en âge d’aller à la maternelle ont besoin d’interagir avec des objets physiques pour développer leur lobe pariétal, qui contrôle le traitement visuo-spatial et permet de développer des compétences scientifiques et mathématiques dans la vie future. Pour répondre à cela, des développeurs d’applications ont créé des jouets de compagnie qui peuvent être manipulés par des petites mains en parallèle de l’application. Ce qu’on ne cerne pas tout de suite, c’est l’importance du toucher dans l’interaction avec les écrans, qui nécessite une connexion entre les yeux, les doigts et le cerveau, ce qui manque à l’affichage passif. Est-ce que manipuler un objet numérique sur un écran améliore le processus d’apprentissage et rend plus facile la retranscription des connaissances dans le monde physique ? Et la compréhension de ce mécanisme nous aide-t-elle à développer de meilleurs outils numériques d’apprentissage ?
Le visage impassible
Peu importe notre avis sur les tablettes ou les smartphones, ces appareils sont partis pour durer. Sachant cela, comment peut-on en tirer le meilleur ? Grâce à plusieurs siècles de recherche sur l’apprentissage des enfants, nous pouvons émettre des hypothèses recevables sur les types d’interactions et les circonstances idéales. Les appareils tels que les tablettes ou les smartphones peuvent avoir un impact considérable dans les foyers à faible revenu. Au sein de ces familles, les individus ont généralement moins accès aux ressources qui favorisent le développement – comme les leçons de musiques, les cours particuliers ou plus simplement le nombre d’heures d’interaction sociale –, et ils passent ainsi plus de temps sur des médias numériques. Si le contenu est de qualité, les tablettes et les smartphones peuvent avoir un impact tout à fait bénéfique. Une étude de l’université de Stanford aux États-Unis a par exemple démontré qu’après 18 mois, les jeunes enfants issus de familles défavorisées avaient déjà plusieurs mois de retard en termes de compétences linguistiques sur leur pairs issus de foyers plus aisés. Avec le contenu et le contexte adéquats, les appareils électroniques peuvent palier cet écart.
« Il est un peu pédant et irréaliste de dire non à la technologie », souligne le professeur Levine. « Je m’inquiète de voir des personnes pointer du doigt d’autres personnes parce qu’elles n’ont pas les privilèges de temps et de ressources dont jouissent certaines famille. Il est impensable d’imaginer améliorer la performance éducative de ces jeunes enfants sans utiliser la technologie. » Plutôt que bannir les appareils numériques, nous devrions demander à ce que les applications soient conçues sur une base de recherches solides. Pour les enfants âgés de trois à cinq ans, il est totalement possible qu’une application bien construite puisse aider à l’amélioration du vocabulaire et des compétences mathématiques de base. « Mon plus jeune enfant a des troubles de la parole, et les vidéos qu’il regarde l’ont incontestablement aidé à apprendre de nouveaux mots », raconte Lisa, la mère de deux garçons âgés de quatre et six ans, qui utilisent la technologie depuis leurs 18e mois.
Tous les pédiatres, spécialistes du développement de l’enfant et de l’éducation à qui j’ai pu parler s’accordent à dire que pour les enfants de moins de 30 mois, il n’y a pas de substitut possible à l’interaction humaine. Alors pourquoi ne pas développer des applications qui serviraient de médiateurs entre les enfants et les membres de leur famille ? BedTime Math en est un exemple. L’application propose des problèmes de maths attrayants pour les parents comme pour leurs enfants. C’est un des quelques outils dont il a été démontré qu’il rendait les enfants plus malins ; les enfants utilisant l’application ne serait-ce qu’une semaine par an ont bien plus progressé en maths que ceux d’un autre groupe témoin. L’impact a été particulièrement important sur les enfants dont les parents n’étaient pas à l’aise avec les maths. Avec tant d’attention portée sur ce que font les enfants, il est aisé pour les parents d’oublier leur propre habitudes avec les écrans. « La technologie est conçue pour vous captiver », dit Radesky, « et les objets numériques sollicitent votre attention de façon maximale. À tel point qu’il devient difficile de s’en détacher, et cela peut prendre le pas sur la routine familiale dans beaucoup de cas. » L’une des approches s’étant montrée efficace pour améliorer l’apprentissage des moins de trois ans est la fabrication d’outils qui utilisent des technologies destinées aux parents. Il peut s’agir de sms ou d’emails leur rappelant de chanter ou de parler à leur bébé, pour aider les parents comme l’enfant à se détacher de la technologie et appliquer l’apprentissage au monde réel. Le fabriquant de tablettes pour enfants LeapFrog fait quelque chose de similaire avec ses LeapPad. Les parents reçoivent des emails sur ce que leur enfant a appris grâce à la tablette, accompagnés d’idées pour appliquer ces nouvelles connaissances à la vie loin de l’écran.
« La façon dont les parents sont constamment collés à leurs appareils peut rompre l’interaction avec leur enfant, ce qui peut avoir un impact très fort », dit Heather Kirkorian, qui dirige le laboratoire de Développement cognitif et des médias de l’université Wisconsin-Madison. « Si je suis assis par terre avec un enfant mais que je suis sur mon téléphone toutes les cinq minutes, quelle image est-ce que je lui renvoie ? » La façon qu’ont les parents de jouer et de parler à leurs enfants est un indicateur précieux de son développement futur de l’enfant, insiste-t-elle. Radesky a étudié l’usage des téléphones mobiles et des tablettes à l’heure des repas en donnant un exercice d’analyse du goût à des mères et leur enfant. Elle a observé que celles d’entre elles qui utilisaient des appareils électroniques pendant l’exercice engageaient 20 % d’échange verbal de moins, et 39 % d’interactions non-verbales de moins avec leur enfant.
Au cours d’une autre observation portant sur 55 parents mangeant avec un enfant ou plus, elle a noté que les téléphones devenaient une source de tension au sein de la famille. Les parents regardaient leurs emails pendant que les enfants s’agitaient afin de tenter de capter leur attention. « On voit alors des parents perdre leur calme et lever la voix, car il est énervant d’être concentré sur quelque chose et d’avoir un enfant qui demande simultanément de l’attention », explique-t-elle, avant d’ajouter que certains parents ont pu aller jusqu’à repousser leur enfant. Restreindre l’usage des appareils lors de moments familiaux cruciaux comme les repas ou avant le coucher peut aider à réduire les tensions et encourage les conversations directes. Les enfants sont connectés aux visages de leurs parents pour essayer de comprendre le monde qui les entoure. Si ces visages restent de marbre et ne se montrent pas réceptifs – comme ils le sont souvent quand on est absorbé par la contemplation d’un écran –, cela peut être très déroutant pour l’enfant. Radesky reprend le terme d’ « expérience du visage impassible » développé par le psychologue Ed Tronick dans les années 1970. Cela consiste à demander à une mère d’interagir de façon normale avec son enfant avant de se figer et ne plus permettre aucune communication visuelle. Comme le montre la vidéo, l’enfant s’énerve de plus en plus à essayer de capter l’attention de sa mère. https://www.youtube.com/watch?v=OgzWqcsA21I « Les parents n’ont pas à être présents 100 % du temps, mais il faut trouver un équilibre et ils doivent être réceptifs et sensibles à l’expression d’un besoin émotionnel de leur enfant, verbal ou non », explique Radesky.
On se détend
Bien que ne nous soyons qu’aux prémices de la compréhension de l’impact que les appareils mobiles peuvent avoir sur les jeunes enfants, le conseil primordial des spécialistes des jeunes enfants auxquels j’ai parlés est de s’assurer que l’appareil électronique en question ne représente qu’une petite partie d’un vaste éventail d’activités, particulièrement pour les moins de trois ans, qui semblent avoir des difficultés à apprendre à partir d’écrans. Les expériences créatives et interactives sur écrans tactiles doivent être valorisées par rapport au visionnage passif de la télévision. Et les parents devraient essayer de rester vigilants vis-à-vis des qualités soi-disant éducatives des applications. Chaque fois que c’est possible, de tels appareils doivent être utilisés comme des outils pour accroître les interactions avec l’enfant, qu’il serve à déclencher une discussion (« Que fait la vache ici ? » « Quel bruit fait le canard ? ») ou qu’il serve à inspirer des échanges pédagogiques qui ne dureront que quelques instants dans la journée, comme c’est le cas avec BedTime Math. L’expérience du visage impassible du professeur Tronick n’implique aucun écran, mais de nombreux chercheurs la citent comme preuve du fait que les parents ne devraient pas se laisser distraire par leurs téléphones quand ils sont en présence de leur bébé. Ce qui est vrai dans une certaine mesure, mais Tronick lui-même en minore la pertinence. « Tout cela est un peu exagéré », dit-il. Il ajoute que beaucoup d’enfants d’aujourd’hui s’adonnent à de multiples activités dans la journée qui n’impliquent aucun écran.
Il est préoccupé par le fait que les inquiétudes vis-à-vis de l’usage que font les enfants des écrans puissent être nées d’une « idéologie oppressante qui exige des parents qu’ils interagissent en permanence avec leur enfant ». « Elle est basée sur un fantasme issu de classes très privilégiées, qui voudrait que si on n’expose pas son enfant à 30 000 mots par jour, c’est qu’on le néglige. » Le professeur Tronick pense que ce serait une erreur de dévaloriser un écran juste parce qu’un enfant n’en tire aucun bénéfice d’apprentissage – particulièrement si cela permet aux parents d’avoir un peu de temps pour prendre une douche, de s’occuper des taches domestiques, ou simplement de faire une pause. « Beaucoup de parents, et en particulier les parents à faibles revenus, sont horriblement stressés et inquiets de ne pas trouver le soutien dont ils ont besoin. Ils voient la parentalité comme un synonyme de solitude. C’est là que résident les vrais problèmes », dit-il. Les parents profitent de leurs appareils pour parler à leurs amis ou pour pouvoir travailler en dehors du bureau. Cela peut leur permettre d’être plus heureux, ce qui leur laisse davantage de temps pour se rendre disponibles pour leurs enfants. Pour Sandy, c’est un soulagement. « Parfois, je suis au bout du rouleau », dit-elle, avant d’ajouter qu’elle ne devrait pas avoir à se sentir coupable ne donner l’iPad à sa fille pour avoir un peu de temps pour elle. D’après elle, il y a beaucoup de snobisme vis-à-vis des écrans chez certains parents. « En tant que mère, je mets moi-même mon enfant de 18 mois devant une vidéo de comptines », dit Radesky. « C’est calme, c’est mignon, et pendant ce temps je peux faire la vaisselle ou faire quelque chose qui me repose. C’est un avantage, mais c’est quelque chose que les parents doivent assumer. La vidéo n’éduque pas mon petit de 18 mois. C’est juste une pause pour moi en tant que parent. »
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Adélie Floch d’après l’article « Smartphones won’t make your kids dumb. We think », paru dans Mosaic. Couverture : Un enfant face à un iPad.
L’ÉTRANGE VIE D’ADULTE DES ADOS DE LA SILICON VALLEY
Ils ont entre 16 et 23 ans et viennent de partout aux États-Unis pour vivre en communauté et secouer le monde très fermé de la tech.
« Tu connais Zach Latta ? » demande Fouad Matin, 19 ans, sur le toit du QG non-officiel des adolescents du monde de la tech de San Francisco. « Tu sais qu’il a reconstruit la plateforme de Yo ? Il est balaise. » Ce soir-là, nous regardons le soleil se coucher sur Twin Peaks, et Matin me parle de ses copains qui ont lâché l’école, comme Latta, 17 ans, qui est devenu l’ingénieur principal de Yo, une application de messagerie devenue virale qui permet tout simplement d’envoyer des « Yo ». Un grand ventilateur en métal sur lequel quelqu’un a tagué les mots « paradis des nichons » expulse de l’air chaud mâtiné d’une odeur de tortillas provenant d’un restaurant vegan mexicain situé juste en bas. Matin se réchauffe en-dessous.
Quand je suis arrivée, dans l’après-midi, Dave Fontenot, 22 ans, le plus âgé du groupe et devenu son leader naturel, m’a accueillie à l’entrée d’un immeuble à l’allure défraîchie, dans le Mission District. Il m’a guidée le long d’un escalier étroit avant de passer devant des lampes de sel roses et une machine à fumée, les vestiges d’une fête sur le thème du coucher de soleil himalayen datant de la semaine précédente. L’escalier débouchait sur le premier des deux salons au décor coûteux et fonctionnel. Les résidents, qui paient un loyer allant de 950 à 1 450 dollars et ont entre 18 et 23 ans, laissent leurs matelas sur le sol et de grands draps blancs entortillés gisent au bout de chacun d’entre eux. Ils conservent leurs effets personnels (déodorant, chaussures de sport) dans des armoires en plastiques le long des murs. Fontenot m’a confié que toutes ses affaires tenaient dans un simple sac à dos. Les autres, qui traînaient sur des canapés délabrés, ont prétendu faire tenir leurs affaires dans des sacs encore plus petits. Ils voulaient tous me montrer.