Le timing est important. La veille de ses 30 ans, le 23 octobre 2016, Drake avait annoncé la sortie prochaine d’une mystérieuse playlist, qu’on attendait initialement pour la fin de l’année. Presque six mois après la sortie de Views, qui ferait de lui l’artiste le plus écouté sur Spotify et Apple Music depuis la création des deux plateformes de streaming, le rappeur de Toronto s’apprêtait à battre de nouveaux records moins d’un an après la sortie de son quatrième album studio. Finalement, Drizzy a choisi de céder la place à ses confrères The Weeknd, dont Starboy est sorti début décembre 2016 ; Migos, avec Culture et le hit « Bad and Boujee » qui a cannibalisé le début de l’année ; et Future, dont le doublé est venu clore le mois de février 2017. La prophétie s’est enfin accomplie le 18 mars dernier avec la sortie de More Life, qui trône depuis lors au sommet des charts américains et a battu tous les records sur sa plateforme native, Apple Music, totalisant plusieurs centaines de millions de streams. Cinq jours après. C’est le moment qu’a choisi Kendrick Lamar pour annoncer la sortie imminente de son nouvel album, deux ans après To Pimp a Butterfly. L’annonce a pris la forme d’un morceau-teaser, « The Heart Part 4 », dont les paroles ont mis les auditeurs en ébullition. Sans donner de nom, le MC de Compton y menace directement un ou plusieurs de ses rivaux, vraisemblablement Drake et Big Sean. Une semaine plus tard, les soupçons se sont confirmés lorsqu’est sorti le premier single de l’album et son refrain outrageant : « (Hol’ up, bitch) sit down (Hol’ up lil’ bitch, hol’ up lil’ bitch) be humble. » Annoncé pour le vendredi 7 avril, le nouvel opus de K-Dot promet de poursuivre une guerre subliminale que les deux rappeurs se livrent depuis des années. À bien y regarder, cette rivalité ne vient pas de nulle part, et on sait très bien qui a frappé le premier.

La déclaration de guerre

14 août 2013. Big Sean se prépare à sortir Hall of Fame, son deuxième album studio. Le rappeur de Detroit, nouveau poulain de l’écurie Def Jam et protégé du producteur No ID, diffuse un premier single pour mettre l’eau à la bouche de ses fans, « Control ». Le morceau n’apparaît finalement pas sur l’album le 27 août pour des problèmes de droits, mais dans le monde du hip-hop, tout le monde ne parle que de lui. Pas du beat de No ID, du sample de Jay Z, du couplet de Big Sean ou de celui de Jay Electronica. C’est le couplet de l’invité Kendrick Lamar qui focalise toute l’attention. De sa voix la plus gutturale, le rappeur de Compton est en « destruction mode ». Il se prétend « aussi important que le pape », clame être « le roi de New York » et des deux côtes du pays. Puis, avec une clarté provocante qui fait figure d’exception dans le genre, Kendrick donne des noms. « Quant à savoir qui sont les meilleurs MC ? Kendrick, Jigga [Jay Z] et Nas, Eminem, Andre 3000. Le reste d’entre vous, les petits nouveaux, vous en mêlez pas. » Et plus loin : « C’est valable pour Jermaine Cole, Big KRIT, Wale, Pusha T, Meek Mill, A$AP Rocky, Drake, Big Sean, Jay Electron’, Tyler [the Creator] et Mac Miller », dit-il en n’hésitant pas à citer son hôte et l’autre featuring du morceau, piratant ouvertement « Control ». « J’ai de l’amour pour vous tous mais j’essaie de vous assassiner / J’essaie de m’assurer que vos fans n’aient jamais entendu parler de vous / Et qu’ils n’aient plus envie d’entendre le moindre mot sortir de votre bouche. » Trois vers explicites et brutaux qu’il conclue par une invitation : « La compétition, c’est quoi ? J’essaie de fixer la barre haut. Qui veut tenter de sauter pour l’attraper ? Va falloir prendre un parachute. » Une conclusion qui signe l’intention du rappeur : raviver la compétition au sein de la nouvelle scène hip-hop américaine, en provoquant un électrochoc somme toute ludique. C’est l’avis de Vuk Aleksic, producteur de musique serbe basé à Belgrade, qui a fait de la dissection des diss entre rappeurs une spécialité dans ses contributions pour Genius. « Sur “Control”, Kendrick y va trop fort pour qu’il ne s’agisse pas de compétition amicale. Il invite les autres à jouer avec lui », dit Vuk Aleksic. « Ses pairs sont nombreux à avoir vu ce name-dropping comme la proclamation d’une nouvelle ère, et la plupart ont fini par le remercier. » Notamment Big KRIT et J Cole, qui ont connu à l’époque un boost bienvenu dans leurs carrières. L’impact du couplet a été particulièrement mesurable sur Twitter, où Kendrick Lamar et les 11 rappeurs cités ont vu leurs comptes récolter un nombre vertigineux d’abonnés en une semaine. Celui de Kendrick a connu une augmentation de 510 %, avec 209 000 nouveaux arrivants, tandis que Drake, en bas de l’échelle, n’a vu bondir son nombre de followers « que » de 51 %, soit 78 000 personnes. (Oui, mi-2013, @Drake avait à peine plus de 150 000 abonnés sur Twitter contre près de 35 millions aujourd’hui.) Peut-être le rappeur de Toronto s’est-il senti lésé dans cette affaire, voire menacé dans son statut de géant encore fragile à un mois de la sortie de Nothing Was the Same. Sans compter le succès commercial et critique encore frais de Good Kid, M.A.A.D City, le deuxième album de Lamar. Reste qu’il est le seul des 11 rappeurs cités à avoir pris l’affront assez au sérieux pour lui consacrer un texte assassin. À la sortie de Nothing Was the Same, le 24 septembre 2013, Drake a répliqué de façon cryptique sur le titre « The Language ». « Il faut bien comprendre que ne pas citer de nom n’est pas une manière de se défiler », précise Carl S. Taylor, professeur de sociologie afro-américaine à l’université d’État du Michigan et spécialiste de la culture hip-hop. « C’est une tradition dans le rap, qui a plusieurs fonctions : cela évite de donner trop d’importance à son rival et permet de ne pas réduire le morceau à l’affrontement. » D’où le fait que beaucoup de MC ont perçu le name-dropping de Kendrick comme un hommage plutôt qu’une insulte. Mais Drake ne l’a pas entendu de cette oreille. « Je ne sais pas pourquoi ils ont menti / Ton truc n’avait rien d’inspirant / Mes relevés de compte ont l’air de dire que je suis prêt pour une retraite anticipée / Nique tous les mecs qui disent de la merde juste pour obtenir une réaction », entame-t-il avec rudesse. La diatribe se poursuit jusqu’au hook du morceau, où il fredonne : « Il y a de la jalousie dans l’air, ce soir… » Des paroles qui trouvent écho dans l’interview qu’il a donnée dans la foulée au magazine Billboard, dans laquelle il parle du couplet de Kendrick comme d’une « pensée ambitieuse ». « C’est tout ce que c’était », dit-il. « Je sais très bien que Kendrick n’est pas en train de me tuer, du tout, sur aucun plan. Le jour où ça arrivera, on pourra en reparler. » Une semaine après la sortie de Nothing Was the Same (« rien n’était pareil »), alors dans le Top 5 des ventes sur trois continents, la soirée des BET Hip Hop Awards a laissé la parole à Kendrick Lamar, qui lors de sa prestation a lancé un nouveau tacle au MC canadien. « Et rien n’a plus été pareil depuis qu’ils ont lâché “Control” / Et renvoyé un rappeur sensible dans son pyjama / Ha ha, tu nous as bien fait rire », lâche-t-il face caméra avant de lancer un high five à son complice de Top Dawg Entertainment, le rappeur Schoolboy Q. K-Dot aurait pu remporter la bataille sur cette note acide, mais Drake a eu le dernier mot en 2013 alors qu’il était invité sur un morceau de Future, « Shit (Remix) ». « C’est marrant cette façon  qu’ils ont de m’agiter leur appât sous le nez / Mais au final c’est moi qui les bute sur les hooks », rappe-t-il, en référence au hook de « The Language ». Des mots qui donnent des allures prophétiques à l’interview qu’il avait donnée quelques jours plus tôt au magazine VIBE. « Je n’ai jamais dit que c’était [Kendrick] un sale type ou que je ne l’aimais pas », confie Drake au journaliste qui lui tend le micro. « Je pense que c’est un putain de génie, mais il fallait que je me défende. Et après ça », ajoute-t-il en parlant des BET Awards, « j’ai réalisé qu’on me tendait un appât, et je ne compte pas mordre. » L’histoire pourrait s’arrêter là, mais ce serait sans compter l’engrenage qu’est le rap game. Pourtant, avant d’aller plus loin, il faut comprendre le terrain de l’opposition entre les deux MC.

Bompton vs. The 6

1612 West 137th Street. Une petite maison bleu pâle au milieu de dizaines d’autres semblables. Une allée bétonnée qui mène au garage, un carré de pelouse rase et roussie par le soleil californien, des barreaux aux fenêtres. C’est derrière ces murs que le jeune Kendrick Duckworth a grandi. Dans ce quartier de Compton, le rappeur n’est pas connu comme la star qu’il est aujourd’hui mais comme le fils de Paula et Kenny. Arrivés dans le quartier en 1984 après que Kenny Duckworth a dû fuir ses histoires de gangs à Chicago, le couple a donné naissance à Kendrick trois ans plus tard. Retiré des voitures, son père a voulu lui offrir une vie plus paisible, à l’écart de la violence des gangs qui gangrènent les communautés défavorisées américaines. Ce n’est pas une mince affaire à Compton et tout le monde le sait. C’est ici que sont nées des figures mythiques du rap West Coast comme Dr. Dre, Ice Cube, Coolio, The Game, DJ Mustard, YG ou le producteur Suge Knight.

Un polaroid de la maison d’enfance de Kendrick

Kendrick allait à l’école primaire Robert E. McNair, quelques rues plus au nord. C’est là qu’il a vu son deuxième meurtre à l’âge de huit ans. « Le type était au drive du fast food en train de commander sa bouffe », a-t-il confié au New York Times, « Un mec du quartier est arrivé – boum boum –, il l’a fumé. » Il avait cinq ans la première fois. Un jeune dealer s’est fait descendre dans la résidence. Il ne connaît plus son nom. Des visages figés sur le pavé, endormis les yeux ouverts dans une flaque de sang, dont les noms s’effacent devant les chiffres. Durant toute l’enfance de Kendrick, une cinquantaine de personnes étaient tuées en moyenne chaque année à Compton, et plus d’un millier de crimes violents y étaient commis. Une poignée de ces âmes resurgissent au détour de ses lyrics, comme dans son couplet sur « Really Be », issu de Krazy Life, le premier album de YG. S Braze, Chad, Pupp : trois amis d’enfance de Kendrick tués par balles au cours du même été dans cet endroit de Compton qu’on appelle Bompton. Le territoire des Bloods (rouges), ennemis jurés des Crips (bleus). C’est ici qu’est né Kendrick et c’est son adolescence qu’il chronique dans Good Kid, M.A.A.D City.

Labellisé Compton, adoubé par Dre, il aurait pu aisément raconter des histoires de deals qu’il n’a pas conclu et de meurtres qu’il n’a pas commis. Mais trop affecté par ce qu’il a vu autour de lui en grandissant, il a préféré ne pas transformer de vraies tragédies en fictions émoustillantes et raconter sa réalité. « Quand vous venez de Compton ou d’autres communautés défavorisées aux États-Unis », explique le Dr. Carl S. Taylor, « Kendrick Lamar est le rappeur le plus capable de porter votre voix. Il est le porte-étendard de ce que j’appellerais une “citoyenneté de troisième zone”, que l’Amérique et le monde n’écoutent ni ne regardent suffisamment. » Ce n’est pas par hasard si son morceau « Alright » est devenu l’un des hymnes du mouvement Black Lives Matter en 2016. Drake, de son côté, a joui d’une enfance plus aisée à Toronto, sur la rive canadienne de l’Ontario. Ce qui paradoxalement ne lui a pas facilité la vie dans le rap. « Les rappeurs américains n’acceptent pas tous l’universalité du hip-hop », poursuit le Dr. Taylor. « Quand Drake est arrivé, beaucoup d’entre eux ne l’ont pas accepté comme un des leurs, arguant qu’il s’agissait d’un outsider. Mais Drake a eu l’audace de s’imposer. Quoi que fasse Kendrick, Kendrick a Compton. »

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Aubrey Drake Graham a une admiration sans borne pour son père. Dennis est musicien. Ancien batteur de Jerry Lee Lewis, multi-instrumentiste et chanteur, c’est lui qui figure sur la pochette de More Life. Mais ce n’est pas auprès de son père que Drake a grandi. Il a cinq ans quand sa mère Sandi, professeure d’anglais juive canadienne, divorce de Dennis, afro-américain originaire de Memphis. Tandis que Dennis retourne vivre dans le Tennessee, le jeune Aubrey reste vivre avec sa mère à Weston, un quartier du nord-ouest de Toronto moins tranquille que d’autres. Drake y passe le plus clair de son enfance, avant que sa mère ne choisisse d’emménager à Forest Hill, un quartier résidentiel huppé bien au-dessus de ses moyens. « Nous n’avons déménagé là-bas que parce que ma mère est une femme incroyable qui voulait le meilleur pour sa famille », a-t-il confié lors d’une interview pour la chaîne CBC. « Être métis dans ce quartier était plus difficile que dans l’ouest de la ville. J’ai fini par me faire des amis, mais je n’ai pas eu la vie facile. »

Drake et ses parents, avant leur divorce

Cette vie facile, on la lui reproche à longueur de temps depuis qu’il est de notoriété publique qu’avant d’être rappeur, Aubrey Graham a été acteur. Gamin, c’était son seul rêve même s’il aimait la musique. À 15 ans, il incarne un prodige du basket handicapé après qu’un camarade de classe lui a tiré dessus dans la sitcom canadienne Degrassi: The Next Generation. En 2006, il sort Room for Improvement, une première mixtape produite grâce à du matos emprunté à son oncle dont il aurait vendu 6 000 copies. Un blog, un compte MySpace et dix ans plus tard, c’est un des artistes les plus populaires au monde. Parti de nulle part lui aussi, mais mieux armé pour réussir. « Comparé à Kendrick, Drake est un prince », déclare Carl S. Taylor. « Il est beau, patibulaire, talentueux. Sa voix et son visage ont joué en sa faveur, avant que son passé ne ternisse un peu son image de mauvais garçon. Et si Kendrick a Compton, Aubrey a Toronto. » The 6. Le surnom de la ville canadienne lui vient de ses principaux indicatifs locaux, 416 et 647. Cette appartenance, Drake la revendique et s’en imprègne ardemment. Cet accent caribéen tant moqué sur les réseaux sociaux ne lui vient pas de l’influence prétendue de Rihanna, née à La Barbade : c’est un hommage aux quartiers populaires de Toronto. À partir des années 1960, l’assouplissement de la législation sur l’immigration canadienne a facilité la venue dans le pays d’un grand nombre de ressortissants des États souverains caribéens, notamment de Jamaïque (ils représentent plus de 40 % de la population caribéo-canadienne). Et chaque année à Toronto, le Festival Caribana célèbre la culture caribéenne pendant deux semaines entières. Le plus grand événement du festival n’est autre que l’OVO Fest de Drake, dont la passion pour la culture dancehall n’est pas une lubie mais un amour d’enfance. Ainsi, lorsque les faits sont posés, les deux rappeurs ne semblent pas moins « authentiques » l’un que l’autre. Mais cette question de l’authenticité a fait beaucoup de tort au MC canadien ; la faute à une série de tweets qui sont venus relancer la machine de Kendrick.

Choisir son camp

Le 15 mars 2015, Kendrick Lamar a offert une suite impériale à Good Kid, M.A.A.D City avec To Pimp A Butterfly. Premier dans huit charts sur trois continents, le troisième album studio du rappeur californien est accueilli par la presse avec une chaleur unanime. Ses productions, faisant la part belle à la nouvelle scène jazz de South LA (Thundercat, Kamasi Washington, Flying Lotus), et ses textes abordant sans détour des questions d’identité critiques dans le contexte social américain gagnent le cœur des amateurs et des critiques. Cité dans plus d’une centaine de tops des meilleurs albums de l’année, il se voit accordé 51 fois la première place, par des titres aussi divers que Rolling StonePitchforkComplex  et Vice. Son influence est telle que Tony Visconti, producteur de David Bowie, confessera après la mort de l’icône qu’il était une inspiration majeure de Bowie pour la composition de Blackstar.

Kendrick devant une enseigne de Compton pour le clip de « King Kunta »

L’un des singles de l’album, « King Kunta », contient ce qui ressemble aujourd’hui à une allusion prophétique à la tourmente à laquelle Drake allait faire face quelques mois plus tard. « Un rappeur avec un ghost writer ? Putain qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Deux questions qui ont pris tout son sens lorsqu’en juillet 2015, le rappeur de Philadelphie Meek Mill a affirmé sur Twitter que Drake n’écrivait pas ses textes lui-même. Pour son couplet sur le morceau de Meek Mill « R.I.C.O. », Drizzy aurait fait appel à un certain Quentin Miller, MC d’Atlanta inconnu au bataillon. Ce dernier a réfuté l’affirmation de Meek Mill, mais le mal était fait. Drake, toutefois, ne serait pas le premier rappeur a profiter de la plume d’un autre MC. Jay Z a écrit pour Dre, Nas pour Will Smith, et les textes d’Eazy-E et Ol’ Dirty Bastard étaient pour la plupart écrits par leurs compères. https://twitter.com/MeekMill/status/623700698509758464 Kendrick Lamar a lui aussi été soupçonné d’utiliser un ghost writer. Par nul autre qu’Eminem. Le producteur Rick Rubin raconte que Slim Shady aurait mis à l’épreuve les talents du MC lors de leur collaboration pour « Love Game », morceau de son album The Marshall Mathers LP 2. Lorsque Kendrick a débarqué au studio entouré de ses amis, Eminem lui aurait ordonné de les renvoyer. « Je ne veux que toi dans le studio, toi tout seul », aurait-il dit. « Plus tard, mon ingé son va te rejoindre pour t’enregistrer. Mais tes potes n’ont pas le droit d’être ici. » Soupçonnant que Kendrick avait un ghost writer, Eminem ne voulait pas se faire avoir comment Meek Mill avait eu le sentiment de l’être. Résultat, Kendrick a écrit un « couplet de malade » qui a forcé le respect de Slim Shady. Drake ne s’est pas laissé démonter par cet incident de parcours. Après deux titres assassins adressés à Meek Mill, c’est sur un morceau de The Game, « 100 », qu’il a renvoyé la balle à Kendrick. « J’aurais tous tes fans si je ne m’étais pas mis à la pop et que j’étais resté à faire des trucs conscients », dit-il en faisant référence à ses mixtapes passées. « J’aurais tellement d’amis si je n’avais pas d’argent, de respect et d’accomplissements. » Suprême provocation, le clip est tourné à Bompton. « C’est comme une partie d’échecs », commente le producteur serbe Vuk Aleksic. « C’est passionnant à suivre, car ils attendent tous deux que l’autre fasse le premier faux pas. Et chaque nouveau coup fait référence de façon très subtile au camp de l’adversaire, en jouant avec le verbe pour retourner ses propres mots contre lui. »

Drake et The Game en tournage à Compton

Le dernier en date en est l’exemple probant. Après quelques autres échanges de jabs en 2016, Kendrick Lamar a frappé plus fort avec la sortie de « The Heart Part 4 », dans lequel il répond directement à Drake. « Je vous laisse vous inquiéter des listes, je suis à un autre niveau », dit-il en référence aux récentes annonces de records de streams battus par Drake. « Il y a une différence entre accomplissements et émerveillements. » Cette dernière phrase, aussi concise que tranchante, renvoie Drake à son arlésienne : le classique qu’il n’aurait jamais sorti en dépit de l’immense succès commercial de chacun de ses albums. Aux yeux des critiques, « King » Kendrick en compte déjà deux. Peut-être que le troisième ne sortira pas vendredi, mais il promet de poursuivre le feuilleton avec une intensité renouvelée. Une chose est sûre, il y a un bénéfice à tirer de l’embrouille pour les deux rappeurs. Bien qu’au vu du succès de Drake, le second devrait en profiter de manière plus significative. Car au fond, cette rivalité musicale est peut-être avant tout une bonne stratégie marketing. « Lorsque j’enquête sur ce genre de situations, j’ai l’habitude de regarder le public », dit Carl S. Taylor. « À l’époque de Biggie et Tupac, les choses étaient tellement hors de contrôle que leurs publics respectifs en venaient à des affrontements violents. Dans le cas présent, il n’y a rien d’approchant. Pas une bagarre, pas un coup de feu. Seulement de l’excitation ou de l’indifférence chez leurs auditeurs. » Reste à choisir votre camp.


Couverture : Drake vs. Kendrick.