Les révolutionnaires
Le 25 janvier 1983, aux alentours de neuf heures du soir, mon père fut conduit avec vingt-et-un de ses amis sur un terrain de football enneigé à Amol, une petite ville au bord de la mer Caspienne. Là, ils furent abattus par un peloton d’exécution sur ordre du gouvernement iranien, après un procès de trois semaines qui s’était tenu à la prison d’Evin, à Téhéran, à plusieurs heures de route au sud. Avant le procès et l’exécution, mon père avait passé plusieurs mois à l’isolement, après avoir été arrêté le 11 juillet 1982. On m’a dit que l’été avait semblé long, cette année-là. La révolution de 1979 avait trois ans et demi, et, sous le nouveau régime islamique, les citoyens iraniens étaient soumis à la charia selon Jafari. On était en plein ramadan, et les senteurs habituelles, celles de stands de nourriture sur lesquels grillaient du maïs et de gros bulbes de betterave rouge, avaient laissé la place à des odeurs de sueur, d’égouts et de poussière. Le gouvernement avait imposé aux femmes de porter le hijab et à tous – exceptés les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants en bas âge, les vieillards et les infirmes – de suivre le jeûne. Les Iraniennes, enveloppées dans des tchadors noirs ressemblant à des linceuls, marchaient sur les trottoirs en tenant le bout du tissu devant leur bouche. Les musulmans les plus croyants pensent qu’un seul grain de poussière, en entrant dans la bouche de quelqu’un, peut mettre fin à son jeûne. Entre suhur et iftar, toute personne surprise à manger, boire ou fumer en public peut perdre son travail ou être arrêtée. Certains continuaient à manger chez eux, en secret, ou avec des gens en qui ils avaient confiance, mais c’était prendre un risque. Des voisins un peu trop curieux pouvaient très bien dénoncer les contrevenants aux autorités. Ainsi, chaque nuit, après le coucher du soleil, les habitants se détendaient, et les rues de Téhéran se remplissaient à nouveau de marchands de nourriture.
Dans notre appartement qui surplombait la ville, le matin du 11 juillet avait commencé de manière à peu près normale. Nous avions passé l’été de 1982 dans une maison sûre, un logement que personne ne connaissait, car ma famille se cachait. Ma mère, mon père et Astefe, ma plus jeune tante, qui habitait chez nous depuis quelques mois, vaquaient à leurs occupations habituelles. J’allais sur mes trois ans. J’étais très probablement en train de jouer pendant que ma mère préparait mon petit déjeuner, du pain chaud tartiné de feta salée et de miel. Mon père était peut-être assis avec moi. Un de mes parents m’aurait ensuite lavée et habillée. Ce n’est qu’il y a quelques années, après de nombreuses rencontres avec la famille et les amis de mes parents, que j’ai commencé à réaliser à quel point notre situation familiale était improvisée, précaire et condamnée.
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Mon père et ma mère s’étaient rencontrés en 1969, pendant leurs études à l’université de Californie à Berkeley. Ils militaient tous les deux dans l’Association des étudiants iraniens, et allaient bientôt rejoindre le mouvement de plus en plus important d’opposition au Chah que des étudiants iraniens aux États-Unis et en Europe organisaient. Entre 1969 et 1979, mes parents, leurs amis et leurs camarades militants réformateurs firent campagne sans relâche pour renverser le Chah et faire obstacle à l’influence américaine dans leur pays natal.
Au début des années 1970, soit à peu près au moment où la gauche estudiantine américaine commença à perdre du terrain, le mouvement étudiant iranien prit de l’ampleur. Il y avait des jeunes opposants au Chah partout, dans les journaux et dans la rue, et leurs protestations visaient tout, de la guerre du Vietnam aux bombardements au Cambodge en passant par la fusillade de l’université d’État de Kent. La plupart des participants du mouvement suivaient les communistes, qui étaient les plus anciens et les plus efficaces organisateurs de l’action anti-impérialiste en dehors de l’Iran. À cette période, les militants les plus actifs dans l’opposition iranienne au Chah ont commencé à former des groupuscules clandestins à l’intérieur du mouvement général. L’un de ces groupes, philosophiquement influencé par Mao Zedong et la révolution culturelle chinoise, fut formé par une poignée d’agitateurs de Berkeley, qui recrutèrent mon père, qui, à son tour, recruta ma mère. Pendant les dix années qui suivirent, mes parents écrivirent des journaux révolutionnaires, s’enchaînèrent à la Statue de la Liberté, et reçurent des grenades lacrymogènes devant la Maison-Blanche. En 1979, ils étaient devenus militants professionnels, et ils pensaient que l’œuvre de leur vie était de jeter les bases d’une future révolution iranienne.
Quand la révolution arriva, le Chah s’exila, l’ayatollah Khomeini revint à Téhéran, et mes parents se précipitèrent en Iran, débordants de joie. Les avions qui partaient de Californie, de New York et d’Europe étaient remplis d’Iraniens, étudiants, activistes et révolutionnaires, aussi bien communistes qu’islamistes, tous chantant des hymnes révolutionnaires. Ils étaient euphoriques et pleins d’espoir pour l’avenir du pays. Quand ils atterrirent sur le sol iranien, ma mère raconte que les communistes tombèrent à genoux et embrassèrent le tarmac tandis que les islamistes rendaient louanges à Allah et Khomeini.
Dix mois après le retour de mes parents à Téhéran, je vis le jour – une enfant de la révolution. Alors que l’Iran tentait de son mieux d’atteindre la stabilité politique, ma mère se souvient de voir chaque jour paraître de nouveaux journaux présentant diverses philosophies politiques, pendant que des foules amassées dans les rues débattaient de l’avenir du pays. Mais cela ne dura qu’un temps. Les révolutionnaires qui, comme mes parents, avaient soutenu l’ayatollah Khomeini et son clan pendant la révolution, regardèrent avec horreur le pouvoir des islamistes se durcir, et réalisèrent qu’ils auraient encore moins de place dans ce régime de plus en plus despotique et répressif qu’au sein du précédent. Faire pression sur la République islamique d’Iran signifiait revenir à une tactique familière : faire des manifestations, distribuer des tracts et des pamphlets contre le gouvernement, se réunir en secret. Ces mesures n’avaient que peu d’effet et présentaient un danger sans pareil. La plupart des révolutionnaires communistes du passé avaient vieilli, et ils avaient des enfants, ce n’était plus un groupe de jeunes activistes demandant des réformes depuis l’extérieur du pays.
Cette fois, ils s’opposaient au régime tout en vivant à l’intérieur du territoire. Les Gardiens de la révolution islamique, familièrement appelés les baradar-ah, les « frères », raflaient régulièrement des opposants et les détenaient sans preuves. Les suspects subissaient une parodie de procès et, s’ils étaient jugés coupables, ils étaient envoyés à la prison d’Evin où ils passaient des mois ou des années en rééducation. (La prison était surnommée l’université d’Evin.) Ils étaient interrogés sans relâche. Ceux qui n’étaient pas condamnés à la prison étaient souvent exécutés. Et pourtant, jusqu’à l’été 1981, mon père fit partie des leaders d’un groupe d’opposition clandestin de gauche. Ma mère était moins active, mais elle resta associée à l’organisation jusqu’à ce qu’une petite faction, qui se faisait appeler Sarbedaran-e Jangal, prît le dessus. Sarbedaran signifie « la corde au cou », nom qui symbolisait le dévouement absolu des membres du groupes à leur cause ; ils passèrent l’été de 1981 à planifier une révolte violente censée confronter directement le régime et inciter les Iraniens à travers tout le pays à s’unir dans un mouvement de résistance populaire. Mais les Sarbedaran n’avaient aucune expérience de résistance organisée ; ils n’avaient qu’une connaissance théorique, et même si certains s’étaient préparés à une situation insurrectionnelle, ce n’était pas le cas de la plupart. Dans tous les cas, il était peu probable qu’un si petit nombre de révolutionnaires (les estimations varient entre 100 et 250) auraient pu mettre en danger le gouvernement d’une façon soit durable, soit importante. Mes parents pensaient que le plan était téméraire, dangereux, et qu’il allait échouer, aussi ma mère quitta le groupe. Mon père s’opposa au plan et, pour tenter de calmer ses craintes, des membres du Sarbedaran lui mirent un bandeau sur les yeux, l’emmenèrent dans leur campement au milieu de la brousse, et le gardèrent là pendant deux jours – cela ne suffit pas à le convaincre. Il fallut attendre la fin de la saison des pluies avant qu’ils le ramènent chez lui, où il fut démis de sa position de chef. Le soulèvement eut lieu.
Le 25 janvier 1982, à Amol, le petit groupe de révolutionnaires du Sarbedaran se souleva contre le régime islamique. Contrairement à ce qu’ils espéraient, les villageois ne se joignirent pas à eux ; au contraire, ils s’allièrent avec les forces gouvernementales. Quelques années plus tard, une statue fut même érigée dans la ville en mémoire du courage des habitants d’Amol et de leur « résistance ouverte contre les guérillas communistes ». De nombreux membres du Sarbedaran furent tués pendant les affrontements, les autres capturés. Pendant des mois, il n’y eut aucune nouvelle officielle sur ce qui s’était passé. Personne ne savait qui avait survécu et qui avait été arrêté. Presque tous ceux qui avaient eu une quelconque position d’autorité au sein de l’organisation vivaient cachés. Ainsi, mon père se cacha, ma mère et moi avec lui, et avant l’été 1982 nous avions emménagé dans notre abri. Après le soulèvement d’Amol, je passai la plupart de mon temps avec mon père pendant que ma mère travaillait. Il me contait des histoires fantastiques pendant des heures et, tout en racontant, il les illustrait dans un carnet que j’ai conservé. Quand je n’étais pas avec lui, mon père occupait ses journées à sculpter et peindre. Il concevait des jouets pour enfants dotés de compartiments secrets, parfaits pour passer des messages – le passe-temps idéal pour une famille de révolutionnaires. Il fabriquait des nichoirs en bois blanc sans le moindre clou. Sur chaque nichoir, il peignait délicatement des pivoines roses. Ces boîtes sont toujours dans mon placard. Enfant, je trouvais que c’étaient les plus belles choses que j’aie jamais vu. Je les trouve toujours merveilleuses, et j’ai une peur constante qu’il leur arrive quelque chose et qu’elles disparaissent.
L’arrestation
Le 11 juillet 1982, mon père devait se rendre à une réunion politique, et j’allais donc passer la matinée avec ma mère dans l’école de langues qu’elle avait montée avec une connaissance chez cette dernière. Quand elle aurait fini de donner les cours de la matinée, ma mère et moi devions rejoindre mon père et quelques membres de la famille pour déjeuner chez mes grands-parents. Avant de partir de chez nous, ma mère s’enveloppa dans un manteau large, noua un foulard autour de sa tête pour cacher ses boucles serrées, et alla dire au revoir à mon père. Il était à la fenêtre, contemplant le centre-ville de Téhéran. De profil, son visage d’ordinaire calme semblait pensif, et ses larges épaules tendues et voûtées, comme si elles se refermaient sur lui. Ma mère se blottit contre lui. Elle m’a confié qu’elle se blottissait constamment contre lui, qu’elle était incapable de ne pas le toucher. Pendant toute la matinée, mon père était resté calme et soucieux. Il devait retrouver deux amis qui faisaient partie des dirigeants du groupe d’opposition jusqu’au soulèvement de Sarbedaran. Ils savaient que les militants capturés avaient sans doute donné les noms de certains membres du groupe encore à Téhéran, mais lesquels ? Avaient-ils dénoncé ceux qui avaient quitté le groupe, comme ma mère ? Mon père savait qu’elle en avait assez de se cacher. Elle attendait leur second enfant, mon petit frère, et voulait reprendre une vie normale.
Des années plus tard, elle a dit à sa sœur se souvenir d’un jour où ils étaient assis à me regarder jouer. C’était un instant banal, bref et intime ; le genre que toutes les familles connaissent. Elle lui demanda alors s’il avait pensé à ce qui m’arriverait s’ils étaient arrêtés. Peu de temps après, a-t-elle dit, et pour la première fois depuis leur retour en Iran, mon père demanda à des amis comment trouver un passeur pour nous faire sortir du pays. Ce n’était pas grand-chose, mais cela lui montrait qu’il était prêt à quitter le groupe d’opposition une bonne fois pour toutes. Mais mon père était toujours déchiré. S’il fuyait l’Iran et que d’autres étaient arrêtés, pourrait-il vivre avec cela ? Pouvait-il abandonner son groupe alors qu’il y avait tant en jeu ? De qui était-il le plus responsable ? Les jeunes révolutionnaires qui lui avaient fait confiance, ou la famille qui l’aimait ? Lesquels, entre l’organisation et sa famille, avaient le plus besoin de lui ? Et de qui avait-il, lui, le plus besoin ? Ce matin-là, ma mère enroula ses bras autour de sa taille. Elle posa sa joue sur son dos. Il semblait si vulnérable, pensa-t-elle, séparé de la folie du monde à ses pieds seulement par une vitre et quelques étages. « Je te retrouve chez tes parents pour le déjeuner », lui dit-elle. Elle prit ma main, ouvrit la porte de l’immeuble, et nous sortîmes sur le trottoir. Des vagues de femmes toutes de noir vêtues passaient sur la chaussée. La foule nous avala et nous emporta avec elle. Peu après notre départ, mon père quitta l’appartement, vêtu du même pantalon gris et de la même chemise bleu clair qu’il portait à la fête de ses trente-huit ans, une semaine plus tôt. Il avait pris du poids durant ses mois de clandestinité, et les boutons de la chemise étaient rudement sollicités par son début de bedaine. Il avait une barbe importante, et ses yeux bleu-vert brillaient sous la ligne épaisse de ses sourcils. Personne dans la famille ne savait exactement où la rencontre devait avoir lieu, mais c’était sans doute là où le groupe se réunissait à chaque fois, car les Gardiens les y attendaient. Pour une raison ou une autre, par effet d’inertie peut-être, ou simplement par négligence, ils n’avaient pas changé d’endroit.
À ce point, l’histoire se trouble. Certains disent avoir vu les Gardiens de la révolution arrêter mon père dans la rue, alors qu’il attendait de traverser. D’autres m’ont dit que les Gardiens avaient fait irruption au milieu de réunion et qu’ils avaient arrêté les hommes tous ensemble, en les prenant sur le fait en quelque sorte. Mais tous ceux à qui j’ai parlé ont convenu d’un point : les Gardiens de la révolution n’étaient pas seuls. Ils étaient accompagnés de leur indic, le membre des Sarbedaran qui avait organisé le soulèvement d’Amol, qui devait identifier mon père et les autres. L’homme pointa du doigt mon père, et déclina aux autorités son nom et la position qu’il occupait dans le groupe auparavant. Les Gardiens, munis d’armes automatiques, mirent les bras de mon père dans son dos et lui attachèrent les poignets avec une corde.
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Peu avant midi, ma mère partit de chez son amie. Elle avait recruté plusieurs nouveaux étudiants dans ses cours de langues, et voulait en parler à mon père. Elle souriait en marchant. Elle pensait que l’école pouvait vraiment marcher, que cela pourrait devenir un vrai travail, avec un salaire fixe. Quand ma mère et moi arrivâmes chez mes grands-parents, mon père n’était pas là. D’autres membres de la famille entraient, ils allaient et venaient dans l’appartement. Quelqu’un était en train de préparer le repas, et la télévision faisait résonner la finale de la Coupe du monde : Italie contre RFA. Ma grand-mère passait de pièce en pièce, lancée dans un monologue destiné à mon grand-père, et finissait de préparer leurs bagages pour le voyage d’une semaine qu’ils prévoyaient à Mashhad, une ville du nord-est de l’Iran, où ils allaient rendre visite à leur plus jeune fils, sa femme et leur fille qui venait de naître. Il n’y avait que ma mère pour mesurer le retard de mon père. Quand le déjeuner fut servi, les autres s’en rendirent compte. Ils attendirent. Il n’arrivait toujours pas. Le train de mes grands-parents partait l’après-midi. Ils mangèrent sans mon père, à contre-cœur. « Il est en retard », répétait ma mère, les dents serrées, « il est en retard ». « Peut-être qu’il s’est arrêté regarder le match quelque part », avança Astefe. Personne à part ma mère ne savait qu’il avait une réunion ce matin-là. Elle gardait un œil sur la porte, l’oreille tendue vers le téléphone. À la télévision, les footballeurs couraient d’un bout à l’autre du terrain. « Pourquoi ne viendriez-vous pas avec nous à la gare ? » suggéra Astefe – tout pouvait être prétexte à calmer ma mère et m’occuper. Ma mère acquiesça.
Dans la voiture, ma grand-mère se souvint qu’elle avait oublié d’arroser les plantes avant de partir. Elle demanda à Astefe de remonter à l’appartement leur donner un peu d’eau, puis d’aller déposer les clés à l’étage du dessus, chez Ali, le mari de notre cousine. Arrivés à la gare, mes grands-parents sortirent de la voiture et se frayèrent un chemin à travers la foule. Il faisait chaud cet après-midi-là, et il n’y avait pas de climatisation dans la voiture. Ma mère et ma tante avaient ouvert les fenêtres, mais il n’y avait pas un souffle de vent, et les pots d’échappement des voitures qui s’arrêtaient et redémarraient dans l’embouteillage envoyaient des vagues d’air fétide à l’intérieur. Sur les trottoirs, des enfants aux doigts noircis essayaient de vendre des rouleaux de poèmes de Hafiz aux passants pour quelques pièces – une fortune pour eux. Astafe se souvient que j’étais assise à l’arrière, très calme, tandis que ma mère la reconduisait à l’appartement de mes grands-parents. « Inutile de m’attendre », dit ma tante, « rentre à la maison. Omar y est probablement. Je rentrerai à pied ou en taxi. À tout à l’heure. »
Pendant que ma tante déverrouillait la lourde porte d’acier de l’immeuble, ma mère démarra. Astefe gravit les trois étages, ouvrit la porte et pénétra dans le grand salon. La troisième porte à partir de l’entrée, derrière un long canapé, était l’ancienne chambre d’Astefe. Elle contenait un lit double, une commode et un téléphone débranché. La ligne avait été revue récemment, on avait donc débranché la prise et le fil pendait sans vie le long du mur. La chambre suivante était celle que mes parents avaient occupée immédiatement après leur retour en Iran, en 1979, jusqu’à ma naissance. Quand nous avions déménagé, c’était là que je dormais quand les dîners s’éternisaient, ou quand ma grand-mère s’occupait de moi si mes parents étaient de sortie. Mon lit d’enfant était vide cet après-midi-là, mais mes jouets s’empilaient dans les coins. Astefe ôta son foulard et son manteau avant d’entrer dans la cuisine, trouva l’arrosoir, et commença à faire le tour de l’appartement en versant juste assez d’eau pour rafraîchir chaque plante. Elle prenait soin de ne jamais oublier un pot. Aux environs de quatre heures, elle eut fini. Elle rassembla ses affaires et se prépara à partir, s’enveloppant dans son long roopoosh vert pâle. Astefe s’affaira à arranger l’écharpe de soie beige que mon père lui avait offerte. Quand le gouvernement avait annoncé que les femmes allaient être contraintes de porter le hijab, mon père avait peint des fleurs sur des foulards de femmes et les avait distribués un à un aux membres de sa famille. Elle noua les extrémités de son foulard sous son manteau et saisit ses clés. L’interphone sonna. Elle décrocha. « C’est moi », dit mon père. Sa voix semblait éraillée et lointaine à travers le micro et le combiné que sa sœur tenait à l’oreille. « Je suis avec les frères », dit-il. Ma tante éclata de rire. « Mais oui », dit-elle. « Tu es avec les frères, bien sûr. »
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
Traduit de l’anglais par Raphaël Rigal d’après l’article « Memoirs of a Revolutionary’s Daughter », paru dans The Baffler. Couverture : Le peuple iranien célèbre le renversement du Chah en 1979. Création graphique par Ulyces.