La bonne et la mauvaise nouvelles
La bonne nouvelle, c’est que l’énergie éolienne, l’énergie solaire et les autres formes d’énergies renouvelables se développent bien plus rapidement que quiconque l’avait imaginé. Nous pouvons être sûrs qu’à l’avenir, ces systèmes fourniront une part de plus en plus importante de nos réserves d’énergie. D’après les prévisions les plus récentes de l’Agence d’information sur l’énergie (EIA) du département de l’Énergie des États-Unis, la consommation globale d’énergie éolienne, solaire, hydroélectrique et d’autres énergies renouvelables doublera entre aujourd’hui et 2040, faisant un bond de 19 à 38 quadrillions de W⋅h. La mauvaise nouvelle, c’est que la consommation de pétrole, de charbon et de gaz naturel est elle aussi en constante augmentation. Il est donc probable qu’en dépit des progrès que connaissent les énergies renouvelables, les combustibles fossiles continueront à dominer le paysage énergétique pour les décennies à venir, accélérant la progression du réchauffement climatique et l’intensification des catastrophes dues au changement climatique.
La croissance rapide des énergies renouvelables est une bonne raison de se réjouir. Il n’y a pas si longtemps, les analystes du secteur de l’énergie certifiaient que les systèmes éolien et solaire étaient trop chers pour espérer concurrencer le pétrole, le charbon et le gaz naturel sur le marché mondial. On pensait alors que le développement des énergies renouvelables serait assujetti à des subventions coûteuses qui ne seraient pas assurées de durer éternellement. Cette rengaine a fait son temps. Aujourd’hui, on constate avec effarement que l’éolien et le solaire sont d’ores et déjà compétitifs face aux énergies fossiles pour de nombreux usages et dans bien des marchés. Si on n’avait pas prévu ça, il y a malheureusement autre chose qu’on n’avait pas vu venir : malgré ces progrès encourageants, l’attrait des combustibles fossiles ne s’est pas dissipé. Les individus, les gouvernements, des sociétés entières continuent d’opter pour ces carburants alors même qu’il n’y a pas d’avantage économique significatif à en tirer et que cela risque de causer de sévères dégâts environnementaux.
En clair, un comportement irrationnel est à l’œuvre : une dépendance à grande échelle aux énergies fossiles. La nature contradictoire et troublante du paysage énergétique est clairement visible dans l’édition 2016 du rapport annuel sur les perspectives internationales en matière d’énergie de l’EIA, publié en mai dernier. La bonne nouvelle à propos des énergies renouvelables bénéficie d’une attention considérable dans le rapport, qui comporte des prévisions sur l’utilisation d’énergie globale jusqu’en 2040. « Les énergies renouvelables sont celles qui connaissent la croissance la plus rapide sur la période de prévision », conclue-t-il. Dans les années à venir, on s’attend à voir l’éolien et le solaire faire un vigoureux bond en avant : leur croissance devrait surpasser celles de toutes les autres formes d’énergie. Mais étant donné que les énergies renouvelables partent de très loin – seulement 12 % de la totalité de l’énergie consommée en 2012 –, elles continueront à être éclipsées dans les décennies futures malgré leur croissance explosive. En 2040, d’après les prévisions du rapport, les combustibles fossiles auront encore la mainmise sur 78 % du marché des énergies mondiales. Et au cas où vous ne seriez pas encore totalement déprimés, le pétrole, le charbon et le gaz naturel détiendront chacun de plus grandes parts de marché que toutes les énergies renouvelables combinées.
Il faut garder à l’esprit que la consommation totale d’énergie devrait être bien plus élevée en 2040 qu’aujourd’hui. On estime que l’humanité utilisera près de 240 quadrillions de W⋅h (contre approximativement 175 aujourd’hui). En d’autres termes, même si les énergies fossiles céderont certaines parts de marché aux énergies renouvelables, elles connaîtront dans l’absolu une croissance spectaculaire. La consommation de pétrole devrait augmenter de 34 %, passant de 90 à 121 millions de barils par jour. Malgré sa mauvaise presse, le charbon devrait lui aussi connaître une croissance significative en passant de 45 à 53 quadrillions W⋅h d’ « énergie livrée » (la quantité d’énergie secondaire moins les pertes liées au transport) sur cette période. Quant au gaz naturel, ce sera le champion des combustibles fossiles avec une demande mondiale grimpant jusqu’à 70 %. Pris ensemble, la consommation d’énergies fossiles devrait augmenter de 38 % sur la période étudiée par le rapport. Toute personne dotée de connaissances rudimentaires en matière de climatologie doit trembler devant ces prévisions. Les émissions issues de la combustion des énergies fossiles représentent environ les trois quarts des gaz à effet de serre que les êtres humains rejettent dans l’atmosphère. La croissance de leur consommation aura l’impact correspondant sur l’effet de serre qui accélère la montée des températures sur la planète.
Lors de la Conférence de Paris de 2015 sur le climat en décembre dernier, les délégués de plus de 190 pays ont adopté un plan destiné à contenir la hausse du thermomètre mondial sous la barre des +2°C par rapport au niveau pré-industriel. Cet objectif a été choisi car la plupart des scientifiques sont convaincus qu’une hausse des températures au-delà de ce seuil conduira à des effets climatiques catastrophiques et irréversibles, parmi lesquels la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, qui entraînera une hausse du niveau de la mer entre 3 et 6 mètres. Dans le cadre de l’accord de Paris, les nations participantes ont signé un plan visant à prendre des mesures immédiates pour mettre un frein à l’augmentation des émissions à effet de serre avant d’embrayer sur leur réduction. Même si l’accord ne spécifie par quelles mesures doivent être prises pour y parvenir – chaque pays doit élaborer ses « INDC », pour Intended Nationally Determined Contributions, des contributions décidées au niveau national –, l’approche le plus évidente pour beaucoup d’entre elles serait de réduire leur consommation d’énergies fossiles. Ce que le rapport de l’EIA met néanmoins en exergue, c’est que les États qui ont ratifié l’Accord de Paris ne sont pas soumis à l’obligation de réduire leur consommation de pétrole, de charbon et de gaz naturel.
En réalité, on s’attend à voir les émissions de gaz à effet de serre augmenter de 34 % entre 2012 et 2040. La hausse nette prévue s’élève à 10,9 milliards de tonnes, l’équivalent des émissions de carbone de l’Europe, des États-Unis et du Canada en 2012. Si de telles prévisions s’avèrent exactes, les températures mondiales vont augmenter, et probablement bien au-delà de la barre des +2°C. Cela ne fera qu’intensifier les effets destructeurs du changement climatique dont nous sommes déjà témoins aujourd’hui : les feux, les vagues de chaleur, les inondations, les sécheresses, les ouragans et la montée du niveau de la mer.
L’addiction
Comment expliquer cette dépendance tenace et globale aux énergies fossiles, malgré les belles promesses faites à Paris et tout ce que nous savons sur le rôle qu’elles jouent dans le réchauffement climatique ? Tout d’abord, elle est indubitablement le produit de la dynamique actuelle : nos infrastructures urbaines, industrielles et de transport ont pour la plupart été bâties sur des systèmes énergétiques dépendants des combustibles fossiles. Les remplacer ou les reconfigurer en vue d’un futur post-carbone prendra du temps. La majeure partie de notre électricité, par exemple, provient de centrales alimentées au charbon et au gaz qui continueront à opérer encore pendant de longues années. Même compte tenu de la croissance rapide des énergies renouvelables, le charbon et le gaz naturel devraient fournir 56 % des combustibles pour la production d’énergie électrique mondiale en 2040 (une baisse de seulement 5 % comparé à aujourd’hui).
De la même manière, l’immense majorité des voitures et des camions sur les routes sont pour l’heure alimentés au gaz et au diesel. Même si le nombre de véhicules électriques connaissait une croissance spectaculaire, il n’en faudrait pas moins de nombreuses années avant que les véhicules roulant au pétrole ne perdent leur domination écrasante sur le marché. L’histoire nous a appris que les transitions d’une forme d’énergie à l’autre prennent du temps. Vient ensuite le problème – et pas des moindres – des intérêts particuliers. L’énergie est le marché le plus vaste et le plus lucratif du monde, et les titans des énergies fossiles jouissent depuis longtemps d’un statut privilégié et extrêmement rentable. Les compagnies pétrolières comme Chevron et ExxonMobil, ainsi que leurs homologues d’État Gazprom (Russie) et Aramco (Arabie saoudite), figurent toujours parmi les entreprises les plus performantes du monde.
Ces entreprises – et les gouvernements auxquels elles sont associées – ne sont pas prêtes à abandonner les profits colossaux qu’elles génèrent année après année pour le bien-être de la planète. On peut être certains qu’ils emploieront tous les moyens à leur disposition (comme leurs liens étroits et pécuniaires avec la scène politique) pour ralentir la transition vers les énergies renouvelables. Aux États-Unis par exemple, les politiciens des États producteurs de charbon élaborent actuellement des plans pour barrer la route à la dynamique d’ « énergie propre » que poursuit l’administration Obama, qui pourrait effectivement conduire à une réduction drastique de la consommation nationale de charbon. De son côté, Exxon a recruté dans le camp des Républicains pour entraver les efforts de certains procureurs généraux trop curieux, qui enquêtent sur la disparition de rapports internes sur les liens entre l’activité de l’entreprise et le changement climatique. Et ce ne sont là qu’une fraction des nombreuses tentatives des géants du secteur de détourner l’attention des citoyens du problème et de nier la réalité du changement climatique.
Évidemment, nul n’est plus déterminé à maintenir le recours aux combustibles fossiles que les « pétro-États », où ils constituent les revenus du gouvernement. Ces derniers offrent des subventions énergétiques considérables à leurs citoyens et vendent parfois leurs produits à des taux inférieurs à ceux du marché pour encourager leur usage. D’après l’Agence internationale de l’énergie, les subventions pour les énergies fossiles de toutes sortes atteignaient en 2014 la somme faramineuse de 493 milliards de dollars dans le monde – bien plus que le total de celles accordées au développement de toutes les formes d’énergie renouvelable.
Le G20 s’est entendu en 2009 pour supprimer ces subventions, mais lors d’une réunion à Pékin en juin, les ministres de l’énergie ne se sont pas entendus sur un calendrier pour mettre en marche le processus. Aucun progrès n’a été fait sur la question lors du rassemblement des chefs d’État à Hangzhou le week-end dernier. Rien de tout cela n’est surprenant, compte tenu de la dépendance institutionnalisée de l’économie mondiale aux énergies fossiles et le montant des sommes en jeu. Ce que cela n’explique pas, en revanche, c’est la croissance prévisionnelle de la consommation de combustibles fossiles. Un déclin progressif, qui s’accélérerait avec le temps, serait plus en accord avec une transition lente des énergies à base de carbone aux énergies renouvelables. Mais c’est l’opposé qui semble se produire. Leur utilisation se développe dans la majeure partie du monde et suggère qu’un autre facteur pèse dans la balance : l’addiction. Nous savons tous que fumer du tabac, sniffer de la cocaïne ou consommer trop d’alcool est mauvais pour la santé, mais beaucoup d’entre nous persistent à le faire. Ils y trouvent une exaltation, un soulagement ou simplement de quoi tromper la monotonie du quotidien auxquels ils ne peuvent pas résister. De la même façon, la majeure partie du monde semble trouver plus simple de remplir la voiture d’essence et de presser l’interrupteur pour allumer la lumière grâce au charbon ou au gaz naturel plutôt que de commencer à changer nos habitudes. Comme dans la vie de tous les jours, mais au niveau planétaire, le pouvoir de l’addiction semble nous détourner d’un chemin pourtant plus désirable et sain.
Le futur que nous réserve-t-il ?
Le rapport, bien sûr, ne dit rien de tout cela. Il montre simplement combien notre dépendance aux énergies fossiles est dominante et globalisée. Pour expliquer la hausse de la demande de pétrole, il indique que « dans le secteur des transports, les carburants liquides [surtout le pétrole] continuent de fournir la plus grande part de l’énergie consommée ». Bien que « des avancées en matière de technologies de transport non-basées sur des liquides [électricité] soient attendues », elles ne seront pas suffisantes « pour satisfaire l’augmentation de la demande de services de transport dans le monde ». De ce fait, la demande d’essence et de diesel continuera d’augmenter. La majeure partie de cette augmentation devrait avoir lieu dans les pays en développement, où des centaines de millions de personnes font leur entrée dans la classe moyenne. Ils achètent ainsi leurs premières voitures à essence et s’apprêtent à devenir dépendants à leur tour d’un mode de vie énergétique qui devrait être agonisant, mais qui ne l’est pas. Entre 2012 et 2040, la consommation de pétrole en Chine devrait augmenter de 57 %, et plus rapidement encore en Inde avec une hausse spectaculaire de 131 %. Même aux États-Unis, la tendance de plus en plus affirmée à préférer les voitures de sport et les pick-ups va entraîner une hausse significative de la consommation de pétrole. En 2016, d’après Edmunds.com, près de 75 % des gens ayant revendu une voiture électrique ou hybride chez un concessionnaire l’ont remplacée par un véhicule à essence plus imposant, en général un 4×4 ou un pick-up.
Le gaz naturel générera plus d’émissions au cours des 25 prochaines années que le charbon ou le pétrole.
La demande croissante de charbon suit un schéma désespérément similaire. Même s’il reste une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, responsables du changement climatique, de nombreux pays en développement – particulièrement en Asie – continuent de préférer le charbon lorsqu’ils augmentent leur capacité électrique. La raison à cela est qu’il s’agit d’une énergie peu coûteuse et à laquelle on est habitués. La demande en charbon a beau ralentir en Chine – qui en fut longtemps le premier consommateur –, sa consommation devrait malgré tout augmenter de 12 % d’ici à 2035. Mais le principal acteur de la demande est l’Inde : d’après le rapport de l’EIA, la consommation indienne de charbon pourrait croître de 62 % entre 2012 et 2040, faisant du pays le deuxième consommateur mondial en lieu et place des États-Unis. Cette hausse ira en grande partie à la production d’électricité, là encore du fait de « cette classe moyenne émergente qui utilise davantage d’appareils consommant de l’énergie ». Puis vient la hausse titanesque de la demande en gaz naturel.
D’après les dernières prévisions de l’EIA, la consommation de gaz augmentera plus vite que n’importe quel autre carburant à l’exception des énergies renouvelables. Il s’agit par ailleurs de la plus grande augmentation absolue entre tous les carburants. De nos jours, le gaz naturel semble jouir d’une position avantageuse sur le marché de l’énergie mondial. « Dans le secteur énergétique, le gaz naturel est un choix attractif pour les nouvelles centrales électriques étant donné ses coûts d’immobilisation modérés et son prix abordable dans de nombreuses régions », dit le rapport. Il devrait aussi profiter de sa réputation d’énergie « propre » (comparé au charbon) pour générer de l’électricité. « Alors que de plus en plus de gouvernements commencent à mettre en œuvre des plans régionaux ou nationaux pour réduire les émissions de dioxyde de carbone, le gaz naturel pourrait supplanter la consommation de charbon ou de carburants liquides délivrant plus de carbone. » Malheureusement, en dépit de sa réputation, le gaz naturel reste un combustible fossile à base de carbone et l’accroissement de sa consommation donnera lieu à une augmentation significative des émissions globales de gaz à effet de serre. Le rapport affirme même qu’il générera une augmentation plus importante des émissions au cours des 25 prochaines années que le charbon ou le pétrole – une précision qui devrait faire réfléchir ceux qui voient dans le gaz naturel un « pont » vers un futur fait d’énergie verte.
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À lire ce rapport, on finit désarmé face au besoin maladif de l’humanité d’un shoot quotidien d’énergies fossiles. Les analystes de l’EIA ajoutent les réserves d’usage, comme la possibilité que l’accord de Paris entraîne des réactions et des réglementations plus radicales que celles qu’on s’attend à voir mises en place. Cela pourrait altérer ces prévisions, mais pour le moment il n’y a aucune raison concrète de l’espérer.
Si la dépendance joue un rôle prépondérant dans notre situation, les stratégies mises en place pour répondre au problème du changement climatique doivent comporter un traitement. Se contenter de dire que le réchauffement climatique est mauvais pour la planète et que la prudence comme la morale nous dictent d’empêcher les catastrophes futures ne suffira pas davantage que de dire à des toxicomanes que le tabac et les drogues dures sont mauvais pour eux. Pour réussir à empêcher la catastrophe d’advenir, il faudra traiter le comportement addictif à la racine et opérer des changements durables dans notre mode de vie. Pour ce faire, il pourrait s’avérer nécessaire d’apprendre auprès des communautés anti-drogue et anti-tabac quelles sont les pratiques les plus efficaces dans le domaine, pour les appliquer ensuite aux énergies fossiles.
Prenons par exemple la lutte contre le tabagisme. C’est la communauté médicale qui la première a entrepris de lutter contre le tabac en l’interdisant dans les hôpitaux et les autres centres médicaux. L’effort s’est plus tard étendu aux bâtiments publics – écoles, aéroports, institutions, etc. – jusqu’à ce que de vastes pans de la sphère publique ne soient plus enfumés. Les militants anti-tabac ont également fait campagne pour que des avertissements soient affichés jusque sur les paquets de cigarettes. De telles approches ont permis de réduire la consommation de tabac autour du monde et peuvent être adaptées à la lutte anti-carbone. Les voitures pourraient notamment être interdites sur les campus universitaires et dans les centres-villes – une stratégie adoptée par le nouveau maire de Londres, Sadiq Khan. Les voies rapides des grandes avenues ou des autoroutes pourraient être réservées aux voitures électriques et hybrides. Des panneaux d’avertissement pourraient être affichés dans les stations essence, avertissant sur les risques liés à la consommation de ce mode d’énergie. Une fois ce genre de mesures adoptées, d’autres idées viendront immanquablement aider à limiter notre dépendance aux énergies fossiles. Il pourrait également être utile de mener des actions judiciaires à l’encontre des géants de l’énergie tels qu’ExxonMobil, qui ont fait disparaître les rapports qui liaient leurs activités au réchauffement climatique, tout comme des décennies plus tôt les activistes anti-tabac ont traduit en justice les compagnies de tabac qui passaient sous silence les liens entre le tabac et le cancer. Si aucun effort de ce type n’est réalisé à l’échelle mondiale, une chose est certaine : le futur prédit par le rapport de l’EIA adviendra bel et bien et l’humanité toute entière s’expose à des souffrances inimaginables.
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « This Dinosaur Isn’t Going Extinct Anytime Soon », paru dans Mother Jones. Couverture : Trois hommes rassemblés autour d’un feu de pétrole. (Univ. du Nebraska-Lincoln)
QUAND VOTRE JOB EST DE PRÉDIRE LA FIN DU MONDE
Le changement climatique affecte particulièrement les climatologues. À quoi ressemble la vie de ceux dont le métier est de prédire la fin de l’humanité ?
I. « On est foutus »
Il s’agissait d’un incident mineur, et pourtant, Jason Box refuse d’en parler. Depuis, il se sent nerveux vis-à-vis des médias. C’est arrivé l’été dernier, alors qu’il lisait les billets de blogs enthousiastes que lui avait transmis le responsable scientifique du brise-glace suédois Oden, qui explorait l’Arctique dans le cadre d’une expédition internationale dirigée par l’université de Stockholm. « Les premières observations d’un niveau de méthane élevé, environ dix fois supérieur au niveau de méthane présent dans les fonds marins, ont été relevées… Nous avons découvert 100 nouveaux sites où le méthane s’infiltre… Les dieux de la météo sont toujours à nos côtés alors que nous progressons à travers les vapeurs de la mer des Laptev, désormais exempte de glace… »
Box est un éminent climatologue qui a passé de nombreuses années à étudier l’Arctique au Byrd Polar and Climate Research Center, dans l’Ohio. Il savait à ce moment-là que ce détachement décrivait l’un des pires scénarios climatique sur le long terme : une boucle de rétroaction dans laquelle le réchauffement des mers a entraîné des émissions de méthane qui engendrent à leur tour un réchauffement climatique plus important, et ce jusqu’à ce que la planète devienne incompatible avec toute vie humaine. Il savait également que des émissions de méthane similaires étaient présentes dans la région. Sur un coup de tête, il a écrit sur Twitter : « Si ne serait-ce qu’une infime partie du carbone présent dans les fonds marins de l’Arctique est libéré dans l’atmosphère, on est foutus. » Le tweet est devenu immédiatement viral et a été repris par les titres de journaux : « DES CLIMATOLOGUES AFFIRMENT QUE LES ÉMISSIONS DE CARBONE DANS L’ARCTIQUE MENACENT LA VIE HUMAINE » « LES DÉCOUVERTES SAISISSANTES DE CLIMATOLOGUES DANS L’ARCTIQUE FONT L’EFFET D’UNE BOMBE » « SELON LES CLIMATOLOGUES, LES REJETS DE MÉTHANE DANS L’ARCTIQUE SONT UNE MENACE POUR LA VIE HUMAINE »