Nate Norman traînait avec son pote Topher Clark quand l’idée lui apparut. Les deux amis zonaient non loin de la maison de Nate, une petite bâtisse aux allures de décharge près du cimetière, et ils étaient tous les deux complètement défoncés. L’idée n’était pas de celles que produit habituellement un esprit enfumé. Il n’était pas question de créer un donut renfermant un autre donut. Il n’était pas question non plus de modifier génétiquement des insectes pour que leur sang ne soit plus du sang mais du liquide lave-glace. Non, l’idée était en fait fondée sur la mise en pratique d’une théorie d’économie globale. Ça, et de la weed à pas cher venant du Canada.
Un plan simple
À l’époque, Nate avait dix-neuf ans et il avait décroché du lycée. Il travaillait dans un Pizza Hut de Coeur D’Alene, une station touristique de l’Idaho aussi magnifique qu’ennuyeuse, et vendait quelques têtes de temps à autre pour faire l’appoint. Nate était bien en chair, il avait un visage d’enfant et n’avait jamais été du genre à échafauder des plans susceptibles de rapporter gros. Son ami Scuzz (Ben Scozzaro), qui le devançait d’un an au lycée de Coeur d’Alene, en dresse le portrait suivant : « C’était typiquement le gars à qui tout le monde cherche des noises. Il ressemble à l’Elfe Keebler, c’est d’ailleurs comme ça qu’on l’appelait. » Nate n’était pas non plus un intellectuel. Un jour, sa petite amie, Buffy, reçut une lettre de lui dans laquelle il avait écrit « herbe » sans h. Elle ajoute qu’ « il ne sait pas non plus écrire “marijuana” ».
Toujours enthousiaste, le visage barré d’un grand sourire carnassier, Nate avait développé un besoin presque physiologique de reconnaissance de la part de ses pairs. Topher, de neuf ans son aîné, avait rencontré Nate pour la première fois en tant que client. Il n’avait pas grand chose en commun avec lui, c’était un trappeur passionné qui chassait le cerf et l’élan pour leur viande. Il trouvait Nate un peu bizarre mais il l’aimait bien, c’était d’après lui un « petit gros amusant » avec un « cœur en or ».
Nate se fournissait auprès d’un dealer de Spokane, dans l’État de Washington. Cependant, il avait entendu parler de la facilité avec laquelle on pouvait traverser la frontière canadienne, à une heure de route au nord de Coeur D’Alene, et ramener de la « B.C. Bud » – une variété de marijuana très puissante et très prisée, qui poussait en abondance en Colombie-Britannique. Selon la rumeur, la ville de Nelson était devenue une sorte de paradis pour hippies : si vous mettiez plus de dix minutes à trouver quelqu’un pour vous vendre de la beuh, c’est probablement que vous étiez déjà défoncé.
Nate se tourna vers Topher et lui dit :
« — Moi, ça va. Et toi, la forme ? — Ça peut aller, répondit Topher. — J’ai un plan », annonça Nate.
L’idée était en fait un cas d’école d’économie : acheter à bas prix, revendre plus cher et se débarrasser de l’intermédiaire. Les choses allèrent ensuite très vite. D’un coup, Nate, Topher et leurs amis se retrouvèrent avec plus d’argent qu’ils n’auraient pu l’imaginer, des voitures de luxe, des filles canons et de superbes villas au bord de l’eau. Et puis, tout aussi rapidement, ils commencèrent à perdre le contrôle. Drogues dures, armes à feu, paranoïa et, finalement, la violence. Ils s’accordent tous pour dire que c’était comme dans un film – une sorte de « Mini-Scarface », glousse l’avocat de Nate, Frank Cikutovich.
« Est-ce que tu as vu Blow ? me demande Topher. Tu devrais prendre le temps de le regarder. C’est à ça que ça ressemblait. On allait à des soirées où on voyait des filles sauter complètement nues dans la piscine, nourrir les piranhas dans les aquariums et couler des douilles dans de gros bangs de luxe. »
Au moment de notre entretien, Topher, est assis dans la salle de visite de la prison fédérale de Terminal Island, en Californie. C’est un gars costaud, aux bras musclés et aux traits virils. À l’extérieur, des palmiers égayent le parking avec, à l’arrière-plan, une vue décente sur le port. « Quand j’ai entendu ce qui était arrivé à ce gamin, Butler, j’ai voulu arrêter », dit-il.
Il essaye de sourire mais ses yeux le trahissent, et son visage affiche une grimace douloureuse.
« J’étais genre, c’est que de l’herbe, non ? C’est pas censé se passer comme ça, personne n’est censé mourir. »
D’après les autorités, la vente de B.C. Bud est aujourd’hui une industrie qui se chiffre à 7 milliards de dollars par an. Bien que la marijuana soit toujours illégale au Canada, l’attitude du gouvernement à son égard est bien moins hystérique que dans de nombreux États américains, avec des lois appliquées sporadiquement et des peines rarement contraignantes. « Les Américains pensent qu’ils peuvent y mettre fin », déclare Donald Skogstad, avocat de la défense en Colombie-Britannique spécialisé dans les affaires liées au cannabis. « La frontière canadienne est cinq fois plus grande que la frontière mexicaine. Et il n’y a ni grillage, ni barrière, juste un rideau arboricole. Pour l’heure, les Américains n’arrêtent que les imbéciles, c’est tout. Si vous faites les choses correctement, ils ne vous attraperont jamais. »
Certains trafiquants ont dissimulé leur matos dans des semi-remorques transportant des copeaux de bois pour passer la frontière. D’autres en ont caché dans des bus, des vans pour chevaux, dans des trains ou dans des mobile-homes conduits par des retraités. D’autres traversent la frontière à toute vitesse en moto-neige, en kayak sur des rivières serpentant au fond des bois, ou bien ils remplissent les coques de yachts en fibre de verre et naviguent d’une rive à l’autre. Ils se servent également de petits avions volant à basse altitude, qui larguent leur cargaison à un endroit convenu d’avance, comme une ferme ou un champ de framboises, sans jamais atterrir.
D’autres encore ont creusé un tunnel long de 110 mètres, partant d’une hutte de Quonset au Canada et débouchant dans le salon d’une maison à Lynden, dans l’État de Washington. Il arrive aussi qu’ils traînent leur came sous l’eau à l’aide de bateaux de pêche, de telle sorte qu’ils puissent couper la ligne si les flics arrivent. Des bouées, attachées à la cargaison avec des fils de zinc soluble dans l’eau, remontent à la surface le jour suivant. Ils mettent parfois à l’eau des rondins évidés équipés de GPS, qui descendent tranquillement la rivière Kettle. Enfin, certains – « les plus courageux mais pas les plus malins », déclare Skogstad – traversent la frontière dans les bois en parcourant les 11 kilomètres à pied.
Lorsque Nate eut élaboré son plan, lui et Topher réalisèrent que leur premier objectif serait d’amasser assez d’argent pour pouvoir acheter la cargaison. Par chance, Topher avait récupéré un hydrojet qui reposait au fond du lac de Coeur D’Alene et l’avait retapé pendant l’été. Pour lancer leur business, il le remorqua au bord de l’autoroute et le vendit en quelques minutes pour 1 500 dollars.
Les deux amis étaient tous deux pleins d’ambition. Topher avait été élevé dans la foi bouddhiste par des parents anti-conformistes, qui vivaient sur un bateau. Ils avaient navigué autour du monde avant de s’installer à Coeur D’Alene quand il avait quatorze ans. Toper rêvait d’ouvrir sa propre carrosserie, mais à l’époque où il rencontra Nate, il travaillait à mi-temps dans un parc d’attraction, vivait avec son frère et peinait à joindre les deux bouts.
Quelques minutes après, ils étaient dans un appartement à faire leur premier deal : 1 400 dollars pour 450 grammes de B.C. Bud.
Nate s’intéressait lui aussi aux voitures. Enfant, il les réparait avec son grand-père, qui devint pour lui une figure paternelle après que sa mère eut divorcé de son père, déménageant avec ses enfants dans l’Idaho. Aîné d’une fratrie de quatre, Nate devint très protecteur à l’égard de sa mère. Et malgré ses lacunes académiques, il avait toujours travaillé dur. Entre autres gagne-pains sans gloire, il avait distribué des journaux, travaillé dans un centre d’appel et vendu des tacos au centre-commercial.
« Nathaniel a toujours été un enfant bien élevé, raconte sa mère Terisia Franks. Il n’hésitait jamais à rendre service. Il y avait une vieille dame qui habitait en face de chez nous, et à chaque fois que le chasse-neige passait, son allée se retrouvait couverte de neige. Nathaniel se précipitait systématiquement pelle à la main pour la déneiger. Après coup, la vieille dame me disait qu’elle avait voulu lui donner de l’argent mais qu’il avait refusé. »
Pour leur première escapade, Nate et Topher conduisirent jusqu’à Creston, un petit village agricole de Colombie-Britannique situé tout près de la frontière. Une fois sur place, ils se rendirent au bar du coin, à la recherche d’un contact. L’affaire ne mit pas longtemps à être conclue. « On a vu ce vieil homme et on lui a fait un geste de la main, style fumer un pétard, se souvient Topher. Il a simplement fait oui de la tête et nous a dit de le suivre à l’extérieur. »
« Vous cherchez de la weed, les gars ? » demanda l’homme.
Les garçons répondirent que oui.
« Vous êtes américains ? » demanda-t-il encore.
Les garçons répondirent que oui.
« Bien », dit l’homme.
La fièvre de l’or
Quelques minutes après, ils étaient dans un appartement à faire leur premier deal : 1 400 dollars pour 450 grammes de B.C. Bud. « Je la portais sous mon bras comme un ballon de foot », se souvient Topher.
Au retour, Nate traversa la frontière en voiture et Topher, le coursier tiré au sort cette fois-là, commença la longue marche de 11 kilomètres à travers l’épaisse forêt. C’était la fin de l’après-midi. Il avait enfilé sa tenue de camouflage et fourré ses vêtements citadins et l’herbe dans son sac à dos. Le voyage n’en fut pas moins effrayant. Topher n’était pas seulement anxieux à cause des douaniers, il avait aussi peur des grizzlis et des pumas, et il voulait atteindre la frontière américaine avant la tombée de la nuit. Lui et Nate avaient acheté des talkies-walkies pour convenir d’un point de rendez-vous. Ils s’étaient attribués des noms de code : Nate s’appelait « Joe Blow » et Topher « The Space Cowboy ».
Une fois en sécurité sur le sol américain, les deux acolytes rejoignirent leurs amis dans un Outback Steakhouse et, aux dires de Topher, « mangèrent comme des coyotes affamés ». Stimulés par le succès de leur première expédition, ils montrèrent le matos à leurs amis. Ils étaient tous d’accord pour dire qu’elle ressemblait à de la skunk pour touristes. « La B.C. Bud est vraiment très forte », dit Scuzz, qui officiait comme revendeur. « Elle ressemblait davantage à de la Mexicaine. »
Mais ils ne s’arrêtèrent pas à la qualité. Ils écumèrent les rues de Coeur D’Alene, et Scuzz et les autres écoulèrent le stock en deux heures.
Étant parvenus à doubler leur investissement initial en à peine une journée, Nate et Topher organisèrent rapidement une seconde virée. Cette fois-ci, ils en achetèrent 900 grammes. En un rien de temps, ils se retrouvèrent à la tête d’un trafic de marijuana rapportant chaque jour plusieurs milliers de dollars, et ils oublièrent vite le temps où ils luttaient pour payer l’essence. « Au départ, je vendais par sachets de 50 grammes. En quelques semaines, je vendais par sachets de 100 », déclare Scuzz, qui pourrait passer pour un snowboardeur professionnel, avec son bouc et ses lunettes de soleil. « Le plan était de s’arrêter après avoir amassé 3 millions. Quand on fait le calcul, c’est rien. On s’est dit qu’on pourrait le faire en quatorze mois… mais quand tu te fais vingt à trente mille dollars par semaine, ce serait vraiment con d’arrêter ! »
Alors que les ventes s’envolaient, les gars trouvèrent deux fournisseurs régulier à Nelson, une ville décrite par l’écrivain Drew Edwards dans son livre West Coast Smoke, comme « la capitale de la culture de marijuana en Amérique du Nord ». L’isolement de Nelson en fait un endroit idéal pour les cultivateurs d’herbe, à tel point que la ville de 10 000 habitants possède son propre bureau de change. Dominant la rue principale, on trouve le Holy Smoke Culture Shop, une maison blanche en bardeaux sur le flanc de laquelle est peinte une feuille de cannabis géante. Près de cette feuille se trouve un portrait de Peter Tosh dont la taille ferait pâlir les portraits soviétiques de Staline. Holy Smoke est le revendeur local, mais à Nelson, il s’agit bien davantage d’une institution – au même titre que l’hôtel de ville. Randonneurs, snowboardeurs et fumeurs de joints de tout le continent s’y retrouvent pour fumer librement du cannabis et acheter une des différentes variétés de B.C. Bud, aux noms évocateurs tels que : Triple-A, Crystal Globe ou SIN/D.
« Les noms, ça fait vendre vous savez », déclare Jonas, cultivateur et trafiquant à plein temps. « J’ai vu dans People, ou un truc débile du genre, un top des métiers les plus stressants. Le numéro un était “Président des États-Unis” et le numéro deux “trafiquant de drogue”, rigole t-il, juste avant “astronaute”. »
Pour parvenir à gérer la demande, Nate et Topher inclurent rapidement leurs amis dans l’opération. En plus de Scuzz, il y avait Tim Hunt, un ami de Topher agé de dix-neuf ans, dont la famille, originaire d’Alaska, avait emménagé à Coeur D’Alene après la mort du père, qui s’était suicidé après s’être fait pincer pour braconnage d’élan. Il y avait aussi le meilleur ami de Scuzz, Rhett Mayer, un gamin surdoué qui n’avait jamais tiré sur un pétard mais avait commencé à sillonner la route vers la frontière en qualité d’éclaireur. Et enfin, il y avait Dustin Lauer, un pote de Nate ironiquement surnommé « The Rock ». Grassouillet, haut d’1 m 65, il voulait toujours se faire passer pour un dur. Les dealers se lançaient rarement dans des expéditions à pied. « Nate l’a fait une ou deux fois, juste pour s’amuser, déclare Topher. Il avalait d’un trait quatre Red Bull et courait d’arbre en arbre comme un dératé ! »
Topher était le principal coursier. Son salaire était fixé à 1000 dollars par traversée. Il était également en charge des nouvelles recrues. Les nouveaux membres recevaient immédiatement plusieurs centaines de dollars d’équipement, des nouvelles paires de bottes jusqu’aux lunettes de vision nocturne, et même un spray acheté sur internet censé les rendre « invisibles » des caméras thermiques. (Terry Morgan, un inspecteur de police qui enquêtait sur la bande a commenté cette pratique : « Je dis toujours aux gens : “Oh oui, ça fonctionne du tonnerre, ne vous arrêtez surtout pas.” »)
Les coursiers traversaient la frontière à six, portant de grands sacs de hockey en toile remplis de billets. Ils allèrent jusqu’à transporter 400 000 dollars par course. Au Canada, ils retrouvaient leurs contacts de Nelson sur une vieille route barrée, et échangeaient l’argent contre l’herbe. Topher et ses hommes passaient ensuite le reste de la nuit dans les bois, où l’on venait les récupérer à l’aube. Outre l’effort physique que requérait le transport de leur fardeau sur des kilomètres et des kilomètres, ils l’échappèrent belle à plusieurs reprises. Une nuit, Topher tomba sur un agent de la DEA endormi dans son camion. Une autre fois, ils s’étaient égarés et faillirent mourir de froid, par -14°C.
Nate et ses amis gagnèrent (et dépensèrent) rapidement des sommes colossales. Ils achetaient des Quads, des jet-skis, des écrans plasma, des lecteurs MiniDisc… « Tout ce qu’on possédait était à la pointe », affirme Scuzz. Tim Hunt organisa une soirée lingerie extravagante pour le Nouvel An. Les bijoux de platine, jugés trop ternes, avaient été troqués contre de l’or. Excepté Topher, ils étaient tous adolescents ou dans leur petite vingtaine, ce qui rendait leur changement de mode de vie d’autant plus radical.
Entouré par des montagnes d’argent, Nate s’acheta une mitraillette Mac-10 et un fusil d’assaut AR-15.
« Quand on a commencé, la plupart d’entre nous vivions toujours chez nos parents », explique Scuzz. Puis ils se mirent à acheter d’immenses maisons au bord de l’eau. L’une d’entre elles servait simplement à entreposer l’argent et la drogue, et la maison de Nate comptait huit chambres. « J’ai emménagé dans une maison complètement surréaliste, dit Scuzz, mes parents n’étaient même pas au courant. Je leur ai dit que je vivais dans un appartement pourri. »
Mais ils eurent tort d’ignorer de façon si manifeste la célèbre maxime de Scarface : « Ne sois jamais dépendant de ta propre camelote. » Scuzz confirme : « On était défoncés tous les jours. Nate et moi, on se servait dans les meilleurs sacs. Je ne crois pas avoir été clean une seule fois en trois ans. Enfin, s’empresse t-il d’ajouter, c’était surtout pour faire du réseau, on cherchait des clients. On se pointait chez un mec, tu vois, on fumait avec lui et on lui demandait s’il ne connaissait pas quelqu’un dans un autre État à qui on pourrait vendre. Le jour d’après, on allait chez un autre mec. Mais entre-temps, ouais, on roulait des cinq feuilles et on jouait aux jeux vidéo. »
Des comportements de la sorte, bien qu’agréables, leur faisaient parfois commettre de grossières erreurs de jugement. Un exemple ? Nate décida qu’il lui fallait à tout prix une Cadillac Escalade, alors il envoya deux types, 40 000 dollars en poche, lui en acheter une à un mec sis dans le Dakota du Nord.
« Ces imbéciles ont emporté une caméra avec eux », se souvient l’inspecteur Morgan.
« C’est comme si on regardait Wayne’s World », dit Cikutovich, l’avocat de Nate. « D’abord, ils se filment en train de fumer des joints. Ensuite, ils se rendent chez le propriétaire de l’Escalade et là, pas de voiture. Ils font : “Mec ! On trouve ce gars et on le défonce !” » Nate acheta finalement l’Escalade à Seattle, en liquide – il raconta au vendeur qu’il avait gagné l’argent au jeu.
« On faisait plein de trucs débiles, soupire Scuzz, je veux dire, on vivait dans une ville où, si tu te plantes en bagnole, l’oncle de ta mère est tout de suite au courant. Tout le monde sait tout ce qu’il se passe en permanence. Et nous, on se faisait des millions de dollars en se trimbalant avec des cargaisons de plusieurs centaines de kilos. Mais on était juste une bande d’ados, on se projetait pas dans le futur. C’est comme ça qu’on fonctionnait. On s’en foutait. »
L’ivresse du pouvoir
Pendant ce temps, Nate commençait à changer. Sa présence avait toujours été accueillie par des sourires moqueurs. Mais soudain, il était Tony Montana. Il devint prétentieux et irrespectueux. Il commença aussi à prendre de la cocaïne, ce qui le rendit paranoïaque. Très tôt, ils s’étaient tous accordés pour ne jamais acheter d’armes à feu. Et malgré cela, entouré par des montagnes d’argent, Nate s’acheta une mitraillette Mac-10 et un fusil d’assaut AR-15.
« C’était un type humble et discret qui, d’un seul coup, s’était mis à croire qu’il était devenu un puissant trafiquant de drogue que rien ne pouvait arrêter, explique Topher. Il se promenait en ville au volant de sa voiture, jantes 24 pouces et chaînes en diamant, à écouter du rap hardcore. Tout en lui reflétait le parfait trafiquant de drogue. Et les gens commençaient à le craindre car il avait du pouvoir et de l’argent. »
À présent, la seul chose dont le baron de la drogue – anciennement l’Elfe Keebler – avait besoin, c’était d’une copine. Et, naturellement, il trouva la femme de ses rêves dans un club de strip-tease.
Techniquement, le Stateline Showgirls fait partie de l’Idaho, bien qu’il chevauche la frontière de l’État de Washington. Dans l’Idaho, la danse nue n’étant pas autorisée dans les établissements servant de l’alcool, seule une moitié de l’établissement est considérée comme un club de strip-tease, où vous pouvez acheter un Coca tout regardant une fille aux seins dénudés tournoyer au son de « With or Without You » de U2. Le bar est de l’autre côté. Il possède également une barre de pole-dance, et parfois, une serveuse complètement vêtue – disons d’un jean et d’un sweater rouge moulant – improvise une danse, sans grande conviction.
Buffy (son nom de scène, elle s’appelle en réalité Katrina Stewart) travaille plusieurs soirs par semaine au Stateline Showgirls. Ce soir, elle ne travaille pas. Elle boit un verre au bar et porte un chemisier décolleté qui pourrait passer pour un déshabillé. Elle exhibe à hauteur de regards des atouts pour le moins impressionnants, dont l’augmentation chirurgicale est l’un de ses sujets de conversation favoris. Buffy est belle et blonde, et elle avait commencé à sortir avec Nate Norman quatre ans plus tôt. Il avait dix-neuf ans, elle en avait vingt-six. « J’ai rencontré Nathan de l’autre côté, au pied de la scène, dit-elle. Je me souviens que lorsqu’il m’a vue, il a dit : “Fabuleux.” C’est mon mot ! Je le dis tout le temps. J’aurais jamais cru qu’un mec pourrait me le dire à moi. Après ça, on a dansé un peu ensemble et on est devenu amis. Il avait un très beau sourire. » Buffy sourit en se le rappelant. « La première fois qu’il est venu ici, il avait vraiment l’air d’avoir douze ans. »
Ils devinrent rapidement un couple. Buffy aimait le fait de sortir avec un garçon plus jeune et sans histoires. Sans compter que Nate la couvrait de cadeaux. Ils s’envolèrent à Puerto Vallarta, au Mexique. Buffy insiste sur le fait qu’elle n’avait aucune idée du véritable métier de Nate. « Il m’a dit qu’il gérait une affaire de déneigement. » Elle admet cependant être une fumeuse de joints invétérée. Elle avait une fois considéré l’idée d’envoyer au High Times la photo d’une énorme tête de beuh coincée entre ses seins nus. Les mauvais jours, elle surnommait Spokane – la ville où elle habite – « Spokompton ». Les bons, elle se transformait en « Spoke Vegas ». Ces temps-ci, elle était devenue « Spokannabis ».
Avec à son bras une strip-teaseuse, des armes à feu et des kyrielles d’ornements ostentatoires, la transformation de Nate était presque complète. « Oh, mec, t’imagines même pas ! déclare Scuzz. Il a commencé à s’acheter ces fringues de rappeur ridicules, alors que c’était un petit blanc de Coeur D’Alene. Et il avait en tête le projet absurde de devenir rappeur. Il prenait un petit accent quand il parlait, et il faisait toujours des freestyles dans la voiture. C’est pour ça qu’on pouvait pas s’empêcher de l’apprécier… il faisait des trucs tellement cons. »
À vrai dire, c’était leur cas à tous. Un soir, lors d’une fête particulièrement arrosée chez Tim Hunt (la maison était bondée, 150 personnes s’y entassait au bas mot, et tout le monde était bourré), une dispute éclata à propos d’une fille. Un des gamins s’éclipsa avant de revenir avec des potes. Ils retournèrent la maison, arrachant les portes et déclenchant une bagarre générale. Les gens se faisaient balancer contre les meubles ou dans les escaliers. « Si on tombait sur quelqu’un qu’on ne connaissait pas, on lui rentrait dedans sans discuter », dit Scuzz.
Tim finit par se précipiter à l’extérieur avec son .45 et tira en l’air. Cependant à l’intérieur, entre la musique et les combats, personne ne l’entendit. « Est-ce que t’as déjà tiré avec un .45 Magnum dans une maison ? me demande Scuzz. C’est assourdissant. C’est comme si une bombe explosait, putain. » Les filles se mirent à hurler et la foule se déversa précipitamment à l’extérieur.
Scuzz et sa copine réussirent à grimper dans leur Lexus et à déguerpir, mais ils furent immédiatement arrêtés par cinq flics qui tirèrent Scuze hors de la voiture et le plaquèrent sur le capot, prêts à faire feu. L’instant d’après, son ami Rhett déboula du mauvais coté de la route avec sa voiture, arrachant une clôture sous le nez des flics. Mais ces derniers étaient tellement occupés avec Scuzz qu’ils n’y firent même pas attention. Finalement, réalisant que Scuzz n’était pas armé, ils le laissèrent partir. Une fois chez lui, il se rendit compte qu’il avait 20 000 dollars dans les poches. Il n’avait aucune idée de la façon dont ils s’étaient retrouvés là. Selon lui, « quelqu’un à la soirée me devait sûrement de l’argent, un truc comme ça ».
Le soir suivant, une autre fête fut organisée au même endroit.
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À ce moment-là, l’opération comptait au moins trente-deux personnes. Ils faisaient entre quatre et six voyages par mois, transportant des centaines de kilos de B.C. Bud en Californie, dans le Montana et dans d’autres régions de l’Idaho.
Topher, cependant, commençait à s’inquiéter. Il avait déjà voulu arrêter le tir, mais Nate avait augmenté son salaire par expédition à 8000 dollars. « Alors j’ai continué, dit-il, mais je n’arrêtais pas de répéter que les choses allaient mal finir. » Il avait bien essayé de dire à ses amis qu’ils dépensaient trop et de manière trop évidente, mais cela faisait doucement rire Nate, qui ne voulait pas arrêter quoi que ce soit avant d’aller en taule.
La police de Coeur D’Alene connaissait les agissements de Nate et son équipe, mais elle était trop occupée pour prêter attention à des dealers de cannabis. « Ils ne représentaient pas une priorité, déclare l’inspecteur Morgan. On se faisait trois labos de meth par semaine et c’était bien assez pour remplir les voitures. »
Au final, ce n’est pas la cupidité de Nate qui le mena à sa perte mais plutôt le fait qu’il choisit d’ignorer un des principes fondamentaux du capitalisme : ne jamais sous-estimer la concurrence.
Fini de rire
Le plus sérieux concurrent de Nate était un autre jeune du nom de Brendan Butler. Originaire de Corée, Butler avait été adopté à l’âge de deux ans par une famille aisée de Hayden Lake, une banlieue de Coeur D’Alene. Sa famille et ses amis l’appelaient tous par son surnom, « Wang », qui signifie « petite prince » en coréen. Butler ne mesurait guère qu’1 m 60, mais il était particulièrement intelligent. Il avait obtenu son diplôme avec mention à la prestigieuse école préparatoire Gonzaga, de Spokane, avant le reste de ses camarades.
Cependant, au lieu d’aller à l’université, Butler eut une révélation qui ressemblait à peu près à celle de Nate. Après l’obtention de son diplôme, il s’était lancé dans le trafic de drogue. Et tout comme Nate, il ne perdit pas de temps pour se fabriquer une image de gangster. Il roulait en ville au volant de son lowrider Eldorado ’93 avec vitres teintées et jantes customisées, et prenait de plus en plus de cocaïne et d’OxyContin.
Avec un marché aussi minuscule que celui Coeur D’Alene, la confrontation était inévitable. Nate et Butler « avaient de nombreux clients en commun », déclare l’inspecteur Morgan. Leurs deux territoires se chevauchaient, et cela déclencha le conflit entre les deux clans – ou comme le dit Topher : « C’est là que les choses ont commencé à dégénérer. »
Butler fit circuler l’info qu’il recherchait des « gros bras ». Par l’entremise d’amis, il fit la rencontre de Giovanni Mendiola, Gio pour les intimes, graphiste en devenir et sans antécédents, âgé de trente-trois ans, munis des gros bras en question. Ils se rencontrèrent à Coeur D’Alene et Butler lui fit savoir qu’il voulait braquer et tuer Nate et Scuzz. Mendiola accepta la mission pour 100 000 dollars. Quelques jours plus tard, Mendiola, son frère Eddie et deux autres hommes réservèrent une chambre dans un hôtel Howard Johnson. Butler leur fit un premier paiement de 5000 dollars et les accompagna au Kmart pour faire des emplettes. Ils achetèrent des chaussures, des pantalons, des gants et des coupe-vents – le tout en noir –, ainsi que des bâches pour se débarrasser des corps. Butler leur fournit également l’armement : deux fusils d’assaut, un .357 Magnum, un pistolet 9 mm semi-automatique et un pistolet Tech 9. Mendiola avait son propre couteau : il prévoyait de couper les doigts de Nate et Scuzz.
Un soir de juin 2002, alors que Butler avait organisé une « soirée alibi » pour ne pas être impliqué dans le meurtre, Mendiola et ses hommes pénétrèrent de force chez Scuzz. Scuzz et sa copine, Crystal Stone, n’entendirent rien jusqu’à ce qu’un groupe d’hommes armés, boucs et crânes rasés, défoncent la porte de leur chambre et se mettent à hurler dans un mélange curieux d’anglais et d’espagnol. Crystal, qui était nue, fut ligotée avec des colliers de serrage en plastique blanc et bâillonnée avec du scotch. Scuzz fut contraint de révéler l’endroit où il planquait l’argent et la drogue. Après le braquage, les hommes laissèrent Scuzz partir. Ils retournèrent à Spokane, partagèrent le butin avec Butler et planifièrent leur retour sur les lieux pour finir le travail.
Pendant ce temps, la bande de Nate était sérieusement ébranlée. Personne ne savait quoi penser du cambriolage, qui ne fit qu’aggraver la paranoïa générale. « On ne savait pas que c’était Butler, me confie Topher, on pensait que c’était probablement des gars qui n’étaient pas du coin. Il y a avait toutes sortes de rumeurs qui circulaient. » Le jour d’après le cambriolage, Scuzz déménagea et commença à dormir avec un Tech 9 sous l’oreiller.
Plus tard ce même été, Nate se cassa les deux bras dans un accident de moto-cross et emménagea avec Buffy. « C’était une sale période, se souvient-elle. Nate avait les deux bras dans le plâtre et moi je récupérais de mon opération. » Elle gonfle sa poitrine pour appuyer ses propos. « Et mon chat, Titty Bar Bob, est devenu accro aux analgésiques après s’être cassé le dos. Il grimpait le long des murs pour les atteindre. Oui, c’était un été bizarre. »
À Spokane, Mendiola commençait à être sérieusement agacé par son client. Butler devait toujours payer l’avance convenue et lui fournissait de mauvaises informations. Il soutenait que Scuzz n’avait pas déménagé (un simple contrôle prouva rapidement le contraire) et il ne donna à Mendiola qu’un dessin grossier censé représenter la maison de Nate.
Personne n’est vraiment certain de ce qui se passa le 11 octobre, quand Mendiola et ses hommes se donnèrent rendez-vous avec Butler au terrain de camping, près de Hayden Lake. Butler voulait leur montrer un endroit où ils pourraient se débarrasser des corps. Mais son petit manège de gangsta aurait apparemment déplu au groupe de gangsters – des vrais, eux. Selon la police, Mendiola s’en serait pris à Butler lors d’une dispute à propos de l’argent. Sous les regards pétrifiés de son frère et de ses acolytes, Mendiola se mit à étrangler le petit gars de vingt ans qui demandait grâce. Mendiola ne relâcha son étreinte que lorsque du sang commença à jaillir de sa bouche et de son nez. Une fois mort, Mendiola entailla la gorge de Butler à plusieurs reprises avec son couteau dans l’espoir d’effacer toute empreinte digitale. Les hommes abandonnèrent le corps de Butler dans les bois et se rendirent à l’une de ses planques, où ils dérobèrent 25 kilos de marijuana.
Un mois plus tard, un bûcheron découvrit le corps de Butler. « Quand ils ont trouvé le corps, déclare l’inspecteur Morgan, on s’est dit : “Merde ! C’est pas qu’une histoire de gamins qui fument et qui s’achètent des Escalade et des bateaux : il y a un mort.” » Les enquêteurs retrouvèrent rapidement Mendiola grâce au numéro dégoté dans le téléphone de Butler – toute sa bande fût arrêtée en mars 2003. La police commença également à surveiller la bande de Nate.
Quand ils eurent vent du meurtre, Nate et ses amis furent secoués. « Tout le monde soupçonnait tout le monde », dit Topher. Les choses avaient soudain pris une tournure bien plus grave que ce à quoi il s’attendait. Il était aussi évident que le cadavre allait attirer l’attention sur eux, et ils commencèrent à envisager l’arrêt des opérations. Il fallait soit tout arrêter, soit quitter la ville.
Pas de regret
« On s’est dit : “Ce mec, Butler, est mort. On s’est fait un paquet de fric jusqu’ici, donc maintenant soit on fait une pause, soit on arrête pour de bon”, se rappelle Scuzz. Nate louait une maison à San Diego, comme celles qu’on voit dans… C’est quoi cette putain d’émission ? The Real World. Neuf chambres, piscine intérieure… c’était génial. »
Tôt le matin, au mois d’avril 2003, le groupe s’est rassemblé chez Tim Hunt avec l’idée de mettre les voiles vers 6 h du matin. « On était tous à l’heure mais on est parti trop tard, dit Scuzz, il y en a un qui devait préparer ses affaires, un autre qui devait mettre ses motos à l’abri. Si on était parti à l’heure, je ne sais pas ce qu’il se serait passé. Mais au lieu de ça, on a attendu que tout le monde soit prêt comme une bande de camés, jusqu’à 9 h. Et c’est là que la descente a eu lieu. »
Après leur arrestation, les autres retournèrent immédiatement leurs vestes.
La maison de Hunt faisait partie des sites surveillés. Lorsque les policiers virent le camion de déménagement, ils décidèrent de passer à l’action. Ils saisirent des armes, de l’argent, de la marijuana et des ordinateurs. Morgan passa le reste de l’été à chercher des informateurs et à monter un dossier à l’encontre de la bande. En novembre, sa division, qui travaillait en collaboration avec le FBI, procéda à quatorze arrestations dont Scuzz, Topher, Hunt, Rhett Mayer et Buffy. Ils étaient accusés d’un trafic d’au moins sept tonnes de B.C. Bud, dont la valeur s’élevait à 38 millions de dollars.
Nate, qui était toujours en cavale, se rendit de lui-même aux autorités. Pour sa défense, il embaucha Frank Cikutovich, dont l’adresse électronique commence par « FU DEA » (Fuck You DEA) et dont la carte professionnelle se déplie pour dévoiler une pile de feuilles à rouler. Cikutovich se rappelle leur réaction quand il était entré dans le commissariat avec son client : « De leur point de vue, ils avaient arrêté un gros poisson du genre de Noriega, dit-il. Et Nate qui fait son entrée du haut de son mètre cinquante, dans son polo Izod qu’on aurait pu croire acheté par sa mère. Un peu comme Geraldo Rivera ouvrant le caveau d’Al Capone. Du genre : “C’est lui ?! C’est lui le cerveau de cette affaire à plusieurs millions de dollars ? Il a le look et les compétences d’un livreur de pizza.” »
Nate avait promis à ses amis qu’il prendrait en charge les dépenses juridiques si les choses tournaient mal. Mais après leur arrestation, les autres retournèrent immédiatement leurs vestes. « Tout le monde a balancé tout le monde, déclare Scuzz. S’ils te disent que tu vas prendre dix ans, tu te dis : “Je veux pas de cette merde, j’ai que dix-huit ans.” »
Lors du jugement, en 2004, Nate fut dépeint comme un baron de la drogue à la tête d’un empire. Scuzz et Topher écopèrent tous deux de deux ans et demi. Les autres, pour la plupart, prirent pour trente à quarante-six mois. Nate plaida coupable pour cinq des cinquante-neuf chefs d’accusation pour lesquels il était inculpé. Il fut condamné à douze ans, la peine minimale obligatoire étant de dix ans sans possibilité de libération conditionnelle. Giovanni Mendiola, en revanche, plaida coupable pour le meurtre de Brendan Butler et fut condamné à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle après huit années.
Nate, en appel de son jugement au moment du reportage, a décliné toute demande d’interview. Juste avant son incarcération, il s’est brièvement entretenu avec un journaliste du Spokesman-Review à Spokane. Il a déclaré : « Je ne suis pas un tyran, je n’ai jamais donné d’ordres à personne. » Le journaliste décrit Nate comme un garçon souriant, saluant de la main de l’autre coté de la vitre blindée du parloir, avec « le sourire et les gestes fiévreux de quelqu’un venant de vivre une aventure extraordinaire ».
Buffy fut inculpée pour possession de cannabis et mise en liberté surveillée. Une partie de sa peine consistait à porter une clé autour du cou, censée lui rappeler de se tenir à carreau. « C’est la clé de votre futur », a dit le juge. Buffy en a acheté quatre : une en or, une en or blanc, une à l’effigie du lapin de Playboy, et une en or blanc truffée de diamants. Elle a conservé un album contenant des coupures de journaux de l’époque du procès, agrémenté de commentaires et de bulles de pensées. À côté de la photo prise par la police le jour de son arrestation, on peut lire par exemple : « Ce doit être mon jour de chance ! » Et à côté du gros-titre : « UN TRAFIQUANT D’HERBE CONDAMNÉ À 12 ANS », on peut peut lire dans une bulle : « L’homme idéal. »
Malgré tout, Buffy et Nate sont toujours en couple. Ils se parlent une fois par mois. Aujourd’hui, Buffy se dénude surtout au rythme de chansons comme « Miss You », de Simple Plan, ou encore – sa préférée –, « Wish You Were Here », de Pink Floyd.
Scuzz, pour sa part, a préféré le centre de redressement à la prison. Il purgeait sa peine dans un centre à Long Beach. Je l’ai rencontré dans un fast-food Jack in the Box, à proximité du garage dans lequel il travaillait six jours par semaine. À travers les baies vitrées, on distingue au loin des montagnes brunâtres, ondulant dans la chaleur infernale du désert. Scuzz déteste son travail ainsi que le centre de redressement, mais il est toujours avec sa petite amie, Crystal, qu’il décrit comme « une fille qui déchire », et il ajoute : « Elle a failli se faire tuer à cause de moi et pourtant, elle est toujours avec moi. »
« C’est marrant, ajoute-t-il, tout le monde me demande : “Est-ce que tu regrettes ce que tu as fait ?” Et la réponse est : “Putain, non !” Je veux dire, je me vois comme un entrepreneur qui a mal négocié certaines choses. Mais à vingt-deux ans, j’ai fait plus de trucs que la plupart des gens n’en font en toute une vie. J’ai fait la fête comme un dingue, avec un paquet de femmes, j’ai fumé un paquet de weed… Tous ceux qui prétendent avoir des regrets sont des imposteurs. Ils disent ça pour faire plaisir aux gens. Moi, je m’en tape, j’ai pris mon pied. »
[NdE : Débouté de son appel, Nate Norman a été condamné à douze années de réclusion à la prison fédérale de Safford, dans l’Arizona. Il vit depuis décembre 2013 assigné à résidence dans sa maison de Coeur d’Alene, dans l’Idaho.]
Traduit par Florent Bahuaud d’après l’article « Kid Cannabis: The Wild Rise and Violent Fall of a Teenage Weed Kingpin », paru dans Rolling Stone.
Couverture : Deux garçons fument de l’herbe.
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