Le sorcier du Merapi
C’est en juin 2006, après six semaines d’éruptions, que j’ai rencontré le sorcier du mont Merapi dans sa maison sur le versant du volcan. Cette maison de plain-pied, faite de bois et de ciment, se trouvait au beau milieu d’un plant de bambous à Kinahrejo, le village situé au plus haut de la montagne. J’avais loué une mobylette pour faire le trajet d’une heure au départ de Yogyakarta, une ville universitaire aux abords du rivage de l’océan Indien, à trente kilomètres du volcan. La deux-voies était rapide et bien asphaltée, bordée de chaque côté par des arbres, des palmeraies et des terres agricoles. Le cône fumant du Merapi, qui surplombe de trois mille mètres Java central, une province de l’Indonésie, est resté visible pendant la plus grande partie du trajet. Plus la route montait, plus ce paysage luxuriant habituellement vert prenait une couleur grisâtre. Les cendres provenant des éruptions de la montagne avaient recouvert les arbres et les routes.
Bien que la majorité des quelque 200 habitants de Kinahrejo soient des producteurs de lait, le sorcier, lui, était un fonctionnaire de l’État. Il était payé l’équivalent de 70 centimes par mois pour expliquer le comportement du volcan au public et faire des compte-rendus à la cour royale de Yogyakarta. Cette ville est le siège d’une monarchie javanaise – monarchie plutôt jeune d’ailleurs puisqu’elle ne remonte qu’au XVIIIe siècle – qui gère encore quelques affaires dans cette partie de l’Indonésie. Maridjan entamait sa vingt-cinquième année dans le métier. Il était notamment chargé de lire chaque jour les humeurs du volcan et d’apaiser les dieux au moyen de techniques héritées de son père, le précédent sorcier. Plusieurs fois par an, il partait en randonnée, gravissant pendant des heures un sentier escarpé qui partait de sa maison dans le village, afin de procéder à des cérémonies près de la caldeira. Lorsque je suis arrivé devant sa porte, un mot écrit à la main était cloué sur un panneau en bois. Il présentait la maison comme étant le « Siège du sorcier du mont Merapi » et annonçait qu’il ne donnait plus d’interviews. J’ai toqué malgré tout. C’est un homme d’une quarantaine d’années portant un luxueux sarong et un Peci, un bonnet cylindrique ressemblant à un fez, qui m’a ouvert la porte. Il venait du palais de Yogyakarta. Maridjan était une figure populaire, son refus de quitter le village malgré l’ordre d’évacuation s’était ainsi transformé en crise de l’ordre public pour la monarchie. Et c’était cet homme, un garde du corps, qu’ils avaient envoyé pour tenir compagnie au sorcier. Le garde s’est montré sympathique et ma présence ne semblait pas le gêner. Il m’a confié que le panneau servait à éloigner les caméras de télévision des journaux du soir de Jakarta, la capitale de l’Indonésie, à dix heures d’ici vers l’ouest. Le sorcier me recevrait si je me montrais respectueux, a-t-il ajouté.
L’intérieur était sobrement meublé avec des bancs en teck et une table basse. Les murs étaient décorés de portraits encadrés des dix sultans de Yogyakarta. Les artistes avaient représenté chaque sultan avec la larme bien pointue de ceux qui atteignent la connaissance spirituelle. Sortant du couloir, le sorcier est entré avec nonchalance dans la pièce. Il était pieds nus et vêtu de son habit de travail : un vieux T-shirt et un sarong avec un motif à carreaux pareils à ceux d’une nappe. Il m’a serré la main d’une poigne légère, à la façon locale, en portant sa paume à son cœur juste après. Il essayait de cacher son autre main, dont le pouce semblait avoir une malformation : il était replié sur lui-même à partir de la première jointure. En tant que pouce, il était inutile, mais pour moi qui n’avais jamais vu personne se faire payer par le contribuable pour pratiquer de la sorcellerie, il avait quelque chose de magique. C’était apparemment plus un complexe pour lui. Il m’a proposé de m’asseoir et s’est lui-même installé dans son canapé avec son assistant. J’ai posé deux paquets de cigarettes sur la table basse : des Kansas Menthols, sa marque préférée. Il a hoché la tête en signe de remerciement et m’a souri chaleureusement, mais sans rien dire.
Cet ordre d’évacuation était le tout premier dans l’histoire du Merapi. Le Centre indonésien de volcanologie et d’atténuation des catastrophes géologiques, qui s’occupe des crises sismiques dans ce pays qui compte le plus de volcans actifs au monde, l’avait lancé en mai. Huit sismographes près de la maison du sorcier avaient alors enregistré des secousses rapprochées et d’une magnitude croissante : les signes de la pression augmentant dans les entrailles du volcan. La colonne de fumée qui s’échappait de son sommet s’épaississait et montait toujours plus haut dans le ciel. La lave débordait sur les bords, s’écoulant à travers les cratères déjà creusés par d’anciennes éruptions. Lorsque l’ordre d’évacuer a été lancé, le sorcier a refusé de le suivre. Près de la moitié de ses voisins à Kinahrejo, une centaine de personnes en tout, lui ont emboîté le pas. L’histoire a rapidement fait le tour de la montagne, et très vite les curieux de la ville voisine et les caméras venant de tous les coins du pays ont débarqué pour en comprendre les raisons. Le sorcier semblait avoir quelque chose d’important à dire, encore fallait-il comprendre de quoi il s’agissait. Le problème à Kinahrejo était le canyon qui s’était formé juste en face de la rigole, près de la maison de Maridjan. Si le volcan crachait sa matière pyroclastique assez fort pour qu’elle atteigne ce cratère, la topographie l’acheminerait directement jusqu’à Kinahrejo. L’air deviendrait irrespirable avec la chaleur. Les maisons seraient alors ensevelies sous neuf mètres de cendres suffocantes. Les blocs de roche bombarderaient les toits pour venir fracasser les granges.
Maridjan a balayé les inquiétudes. Même si le volcan décidait d’envoyer sa nuée jusqu’à la ville – peut-être pour faire une remarque que Maridjan éclaircirait plus tard avec lui –, Kinahrejo avait un système de protection intégral. Un rocher magique appelé « rocher éléphant » était planté là où le canyon menait à la ville. Il servait de sentinelle métaphysique et déviait les débris. « Pensez-vous être en sécurité ici ? » ai-je demandé à Maridjan. Il a souri avec une rapidité déconcertante. « Je n’ai pas de visions. Je ne suis pas très intelligent, et je ne suis pas porté sur la spiritualité », a-t-il répondu. « Je ne suis même pas allé à l’école. » Sa réponse terminée, il a signalé d’un geste de la main que le débat était clos. J’ai ensuite demandé s’il ne poussait pas les gens à rester dans un endroit dangereux. « Les gens qui connaissent Merapi sont dans les rues, pas dans le palais. Ça ne me concerne pas », a-t-il répliqué. Tentant une nouvelle piste, j’ai demandé au sorcier de parler de son fils adulte, le prochain dans la lignée des sorciers du volcan. Maridjan avait dans les 75 ans. Son fils lui aussi avait défié l’ordre d’évacuation. J’ai donc voulu savoir si Maridjan avait peur d’exposer sa famille au danger. « Mon fils habite juste à côté », m’a dit Maridjan. « Il a construit sa propre maison. Je ne l’ai pas aidé. Les gens construisent de belles maisons de nos jours. Mais aujourd’hui, elles sont vides. Personne n’y reste la nuit. » Le sorcier s’est endormi sur le canapé au beau milieu de notre conversation. À l’extérieur, les cendres continuaient à tomber du volcan, asphyxiant les bambous autour de la maison. Le garde m’a souhaité une bonne descente.
La fureur du volcan
De retour à Yogyakarta, j’ai appelé une amie linguiste javanaise, Ibu Ningseh. Elle a accepté d’écouter l’enregistrement de ma discussion avec le sorcier, chose que nous avons faite dans une salle de classe de son école. « Il dit qu’il est un homme important », m’a affirmé Ningseh. « Il était trop occupé pour aider son fils à bâtir sa maison, ce que font d’habitude les familles javanaises. La famille bâtit la maison pour l’enfant, surtout pour le fils. » Nous sommes arrivés à un moment de l’enregistrement entre la fin de sa réponse et le début de la question suivante. Ningseh a continué d’écouter ce qui pour moi ressemblait à du silence. « Il dit que les riches étrangers construisent trop d’hôtels touristiques sur la montagne, et laissent souvent des personnes extérieurs y avoir des relations sexuelles. » Puis, Ningseh s’est rapprochée de l’enregistreur, écrivant dans un carnet avec son crayon. « Maintenant que le volcan est entré en éruption, les propriétaires étrangers de ces hôtels, qui viennent essentiellement de la capitale et non du côté de Merapi, vont perdre de l’argent, et il n’y a plus de sexe en veux-tu en voilà – ce qui le rend heureux. » Elle a posé son crayon avant de conclure : « C’est ce qu’il dit. » J’ai avoué à Ningseh que je ne voyais pas comment Maridjan pouvait vraiment avoir expliqué tout cela en quatre petites phrases. Elle était certaine d’avoir entendu la partie sur les hôtels. « À Java, on saisit toute la force des phrases courtes », m’a-t-elle expliqué.
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L’évacuation du Merapi avait commencé tard un matin de début mai, avec l’arrivée d’un convoi de camions militaires peints en vert à Kinahrejo. Les soldats avaient alors ordonné aux personnes âgées, aux handicapés et aux femmes enceintes de grimper dans les camions, avant de les transporter ailleurs. Des heures plus tard, vers 16 heures, les camions sont revenus chercher le reste des habitants : les personnes bien portantes et celles en âge de travailler. Le processus a été répété dans vingt-deux villages et campements dans la montagne. En l’espace d’une semaine, 20 000 habitants ont ainsi été relogés, d’après le groupe international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Si certains résidents sont allés habiter chez des proches situés plus bas sur le versant, la plupart ont opté pour l’un des quatre villages de tentes installés au pied de la montagne. Le camp le plus vaste comptait 8 000 habitants, et le plus petit une centaine. Les premiers jours, tout s’est passé en douceur. Des caisses de bouteilles d’eau sont arrivées. Un fabriquant de nouilles, Indomie, a envoyé de la nourriture lyophilisée. Une division du Rotary Club du Royaume-Uni a envoyé des centaines de tentes jaunes de 25 m². La police locale, avec l’aide de volontaires pour la recherche et le sauvetage, ont établi des postes de contrôle sur une deux-voies qui menait à la montagne. Les évacués allaient devoir rester dans les camps pendant toute l’éruption. Ce qui est pratique avec les éruptions volcaniques, par comparaison avec d’autres types de catastrophes naturelles dévastatrices, c’est qu’elles arrivent rarement par surprise. Les gens peuvent avoir le temps de s’enfuir. En ce sens, elles se rapprochent plutôt des dangers prévisibles, comme les ouragans ou les feux de forêt, que des chocs soudains type tremblements de terre ou tornades. Néanmoins, s’il est souvent possible de prédire le moment où un volcan s’apprête à exploser, la durée d’une éruption en cours est bien plus difficile à connaître. Rien ne dit combien de temps se prolongera l’évacuation. Et la vie dans l’étroitesse et la chaleur des camps d’évacuation est vite devenue interminable ; leurs résidents ne savaient pas quand ils pourraient retrouver leur maison : la colère du Merapi pouvait durer des jours, des semaines, comme des mois.
Les insouciants
Les habitants déplacés du mont Merapi font une nette distinction entre un volcan qui entre une « éruption », et celui qui « explose ».
À ce moment-là de l’évacuation, cela faisait presque quinze ans, depuis 1992, que le Merapi était en éruption, projetant activement la fumée et la lave de son pic en forme de cône. Il ne représentait pas pour autant un danger permanent. La fumée brûlante et la lave se cantonnaient principalement au sommet creux de la montagne, remuant doucement à faible ébullition comme de l’eau retenue dans une bouilloire. Le problème, c’est que parfois, cette éruption qui mijotait devenait plus active – la bouilloire sifflait –, provoquant des explosions qui projetaient de la matière au-delà du sommet. C’est justement ce pic d’activité qui avait commencé à affoler les instruments braqués sur le Merapi cette année-là, déclenchant l’ordre d’évacuation en mai. Le volcan pouvait à tout moment cracher des nuées ardentes, des cendres brûlantes et des pierres par-dessus les bords, et ce jet pouvait même atteindre le village. Toute la difficulté résidait dans le fait de comprendre quand le risque d’une explosion serait écarté, quand la montagne retrouverait une ébullition sans danger. Avant cela, personne ne pouvait rentrer à la maison. Après quelques semaines, les plans d’évacuation ont commencé à montrer des faiblesses. Les chercheurs-secouristes ont déclaré, d’abord tranquillement devant les journalistes indonésiens qui venaient de Yogyakarta, puis avec plus d’aplomb devant quiconque les écouterait, que la nourriture des réserves du camp commençait à disparaître mystérieusement. J’ai fait quelques tours dans les camps, plutôt le soir. L’eau des sources habituelles, salie par le volcan, arrivait de façon ponctuelle. Durant plus d’une semaine de visites d’un camp et d’une école primaire, je retrouvais toujours quasi-vide ce bidon d’eau qu’utilisaient des centaines de gens. Ces derniers avaient d’ailleurs commencé à utiliser leur propre argent afin de s’acheter des bouteilles d’eau dans les magasins de la ville la plus proche, située plus bas. Il n’y avait personne pour gérer les choses, du moins pas visiblement. Une fois, tandis que je me trouvais par hasard près de l’entrée, j’ai vu un camion se garer dans un parc tout au nord du camp. Deux hommes sont sortis par l’arrière du véhicule les bras chargés de boîtes de nouilles. Un photographe les a pris en photo tandis qu’ils se serraient la main au-dessus des boîtes, puis le camion est reparti sans décharger la nourriture.
On pourrait penser que peu de gens voudraient rester sur un volcan fumant et tremblant.
Les statistiques étaient de plus en plus difficiles à obtenir, même à partir des sources officielles. Le Croissant Rouge avait arrêté de donner des estimations sur le nombre de personnes déplacées. La police de Yogyakarta ne voulait pas parler des quantités de nourriture délivrée. Enfin, le bilan de la situation publié par l’Organisation mondiale de la santé a fini par dire tout haut ce qui était déjà visible sur place : vers fin mai, l’évacuation avait commencé à s’inverser. Le rapport estimait qu’en l’espace d’un mois depuis l’ordre d’évacuation lancé le 3 mai, 1 800 personnes, soit environ 10 % des évacués, avaient quitté les camps pour retourner dans la montagne, et ce malgré le maintien de l’état d’alerte maximale, ou « Awas », du Centre de volcanologie et d’atténuation des catastrophes géologiques. Un livre blanc écrit pour le gouvernement néo-zélandais, qui a utilisé le cas du Merapi en tant que sujet d’étude pour trouver comment gérer ses propres volcans en activité, conclurait plus tard ce qui semblait bien être le cas sur place à ce moment-là : « L’absence d’une éruption explosive […] a laissé penser aux évacués que l’évacuation était peut-être inutile, ou qu’il s’agissait d’une réaction excessive par rapport à la situation. » Le gouvernement pouvait bien faire descendre tout le monde de la montagne, mais il ne pouvait pas les convaincre d’en rester éloignés.
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On pourrait penser que peu de gens voudraient rester sur un volcan fumant et tremblant. Néanmoins, ce refus de quitter un volcan en éruption, en ignorant ce qu’il y a sous nos pieds, est plus fréquent qu’on ne le croit.
Le sorcier M’bah Maridjan fait penser à Harry Truman (rien à voir avec le président américain), le propriétaire d’une auberge sur un flanc du mont Saint Helens, dans l’État américain de Washington, qui avait lui aussi refusé de suivre une évacuation, durant l’éruption de 1980. Truman vivait seul dans une cabane de randonneur lacustre très similaire à celles qui ponctuent Merapi, accompagné seulement de ses clients et d’une kyrielle de chats. « Non, il ne peut pas me blesser », avait-il dit du volcan à la station de radio locale. « Il se trouve à un kilomètre ou deux, et c’est très boisé par ici. » Finalement, la force de l’explosion de la montagne avait projeté 45 mètres de débris sur l’auberge. On n’a plus jamais revu Truman. Un rapport de mars 2015 réalisé par une association de géologues qui suivent les risques des volcans, L’Association internationale de volcanologie et de chimie de l’intérieur de la Terre (IAVCEI), a montré que 800 millions de gens dans 86 pays, soit environ une personne sur huit, sont exposés au risque de blessures, de mort ou de perte de biens à cause des volcans. Naples, en Italie, se situe dans la gueule d’un ancien volcan et dans l’ombre d’un autre, le Vésuve. Nagasaki, au Japon, est à la portée de la cheminée menaçante de l’infernal mont Unzen. Près de la ville de Manille, dans les Philippines, les tremblements de terre et les fumées du mont Taal ont entraîné des ordres d’évacuation en 2012, même si plusieurs personnes dans les villages plus haut sur le volcan ont refusé de partir. L’Indonésie, avec une population de plus de 240 millions d’habitants, est de loin le pays le plus exposé aux risques liés aux éruptions volcaniques. La IAVCEI a trouvé 77 volcans actifs autour des villes et des villages indonésiens. Merapi en est le plus dangereux. Sa plus grande éruption, datant de 1006, presque mille ans avant l’évacuation de 2006, avait souillé les rivières avec ses coulées appelées lahar, un mélange de cendres, de pierres et de pluie, qui noient les gens et étouffent les cultures. L’éruption de 1006 avait causé la perte d’une première civilisation javanaise se situant à l’endroit même où se trouve aujourd’hui Yogyakarta. À l’époque, les villes comme le volcan comptaient moins d’habitants. Même dans les années 1930, lorsque l’éruption avait tué 3 100 personnes dans la montagne, seulement 140 000 habitants vivaient dans la région. En 2006, la zone à la portée de l’explosion comptait un million d’habitants. Les banlieues de Yogyakarta s’étalaient vers le haut de la montagne.
J’ai moi-même assisté à la fin de l’évacuation quelques jours après ma première visite chez Maridjan, lorsque j’ai remonté la montagne en mobylette. Personne ne m’a arrêté aux postes de contrôle, et j’ai pénétré tranquillement dans la zone à huit kilomètres du sommet, toujours sous ordre d’évacuation. Je n’étais pas seul. Au point de contrôle juste en dessous de Kinahrejo, un membre du conseil municipal montait la garde avec d’autres gens. Il a dit que les habitants avaient commencé à repeupler les villages dans la journée pour revenir au soir dormir dans les camps, et qu’il les laissait faire. « Ils disent qu’on devrait évacuer », a lancé un homme qui s’appelait Pak Kote. « Mais on ne peut pas faire descendre le bétail, alors on remonte. » Près de lui, deux enfants de moins de cinq ans et une femme d’environ 86 ans, qui gardait un magasin près du poste de contrôle, étaient assis sur un banc de fortune fabriqué à l’aide d’une planche et de deux blocs de ciment. Le chef de l’équipe de recherche et de sauvetage, Wayung, un jeune homme tout en longueur de 19 ans, s’appuyait contre le portail gardé, à faire le point sur la pénurie des vivres. Il disait avoir été entraîné à utiliser des chalumeaux coupeurs afin d’enlever les charnières des portes scellées par les cendres. Malheureusement, il n’avait aucun chalumeau à portée de main. Il affirmait aussi avoir été formé aux premiers soins. Sauf qu’il ne disposait pas de trousse de secours. L’équipe de neuf personnes qu’il dirigeait avait été déposée le matin même à un poste de contrôle, par un camion de l’armée. Ils ne possédaient pas de véhicule bien à eux. Si le volcan venait à exploser ce jour-là, quelqu’un allait devoir chercher, et secourir l’équipe de recherche et de sauvetage. Les gens allaient et venaient durant notre discussion. Trois femmes sont arrivées, gravissant la pente avec d’énormes bottes d’herbe accrochées dans leur dos. Elles ont passé la limite du panneau bleu indiquant « Route d’évacuation, camp de réfugiés », en direction du sommet. J’ai continué à rouler jusqu’à Kinahrejo sur ma mobylette. Vers la fin de la route, j’ai rencontré un jeune homme qui faisait une marche jusqu’à sa maison située à cinq kilomètres dans la zone de danger. Il venait du camp de l’école primaire. « Des gens meurent au Japon », a-t-il dit. « Des gens meurent en Amérique. C’est leur destin. Vous voulez acheter un hôtel ? » Il s’est tourné et a repris son chemin à travers les cendres, empruntant une voie comme gravée par le feu dans les arbres.
Traduit de l’anglais par Anastasiya Reznik, d’après l’article « The Wizard and the Volcano », paru dans Deca stories. Couverture : Vue du mont Merapi depuis le temple de Borobudur.