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The World Is BMF’s
Le PDG de BMF Entertainment Demetrius « Big Meech » Flenory est assis sur une massive table en marbre. La situation le rend méfiant, ça se voit. Un homme qui porte un tee-shirt blanc – le seul à ne pas être tout de noir vêtu dans la pièce – se met à parler. « Yo Meech, j’ai conclu un deal en or », dit-il tout excité, en se penchant vers la table. De hautes piles de billets sont empilées devant le PDG. À sa gauche, son directeur d’exploitation Chad « J-Bo » restait de marbre. Deux hommes se trouvent à leurs côtés, l’un à droite et l’autre à gauche de la table. L’obscurité qui règne dans le fond de la pièce permet tout de même de distinguer deux femmes en petite tenue, et un mec qui porte un tee-shirt sur lequel on peut lire « Free Meech ». Meech met rapidement fin aux négociations. « Écoute mec, ton contrat je m’en contrefous », répond-il d’une voix traînante, rauque et basse. « Je ne suis même pas censé parler à ce type », dit-il au mec qui se trouvait juste à sa droite, avant de se tourner du côté de J-Bo pour lui crier dessus : « Appelle-moi Bleu. Que quelqu’un appelle Bleu mec. » Bleu DaVinci, le seul artiste du label BMF Entertainment (« BMF » étant l’acronyme de « Black Mafia Family », mais également de « Big Meech Flenory ») décroche son téléphone. « — Ouais ? — Bleu, ce type interfère avec mon business. Il faut que tu viennes lui parler mec. Je sais pas pourquoi on l’a laissé entrer, pour qu’il voit ce qu’il se passe ou quoi ?? lui dit Meech, l’air de plus en plus agité, voire hystérique. — OK, lui répond Bleu. Je vais juste heu… y aller vite fait et vérifier le petit colis dont je te parlais hier, ensuite j’arrive. D’ici quelques minutes. » Quelques instants plus tard, Bleu fait son entrée. Il chante, et roule des mécaniques. Il arbore plusieurs gros colliers, et un bandana noir sur sa tête tressée. « Cause I’m a boss… When I’m runnin’… » Le mec en tee-shirt blanc n’est plus là. Bleu lève brièvement les yeux pour saluer Meech : « Yo. » Meech marmonne dans sa barbe. Il parle de musique, d’argent, puis enfin du problème auquel il fait face. Il tourne la tête vers Bleu et lui dit : « Tu ne peux pas faire venir ce mec ici pour parler musique, il a vu tout le fric mec. Il faut que tu apprennes à séparer tout ça. Tu ne peux pas faire ça. On ne peut pas faire ça mec. » Tout ce qui vient de se dérouler, ce n’est pas ce que vous pensez. À moins que… si ?
Ces deux scènes – Meech en train d’appeler Bleu DaVinci et l’arrivée de ce dernier dans leur planque – sont l’intro et la conclusion du clip du morceau de Bleu sorti en 2004, « Still Here ». Il a été réalisé par le célèbre vidéaste hip-hop Benny Boom et financé par Meech. Grâce à des invités comme le rappeur de Brooklyn Fabolous, son confrère californien E-40 (le protégé de Bleu), et Lil Oowee, un adolescent aussi beau gosse que flippant, la vidéo a un rendu très cinématographique ; presque proche de ce qui se fait de mieux à Hollywood. Il y a un arc narratif, des prises de vue aériennes du centre-ville d’Atlanta très classes, une scène de danse chorégraphiée dans un entrepôt savamment décoré, tandis que Meech orchestre cette impressionnante production depuis la Rolls-Royce métallisée sur laquelle il est confortablement installé la plupart du temps. On ne pouvait pas faire plus provocs qu’eux, car en 2004, au moment du tournage du clip, Meech s’était déjà retrouvé impliqué dans des crimes qui n’étaient pas sans rappeler le deal imaginaire auquel ils se sont livrés devant les caméras. Meech avait été accusé d’avoir joué un rôle dans le tristement célèbre double homicide perpétré derrière la boîte de nuit dans le quartier de Buckhead, avant d’être libéré sous caution en décembre 2003. Quelques mois plus tard, les enquêteurs ont commencé à penser qu’il avait financé sa toute jeune maison de disque, BMF Entertainment, avec l’argent d’une présumée entreprise de vente de cocaïne appelée Black Mafia Family. Les fédéraux avaient également saisi une Limousine dans laquelle ils avaient trouvé pas loin de 600 000 $, et un 4×4 contenant 100 kilos de cocaïne. Pour eux, les deux véhicules appartenaient à la Black Mafia Family, et ils soupçonnaient Meech d’être à la fois le PDG de la maison de disque d’Atlanta et le chef de ce présumé trafic de drogue. En fait, au moment où le clip a été réalisé, cela faisait déjà plusieurs années que des enquêteurs locaux et fédéraux surveillaient activement Meech. En retour, ce dernier faisait diligemment étalage de la richesse de la BMF, et ce pratiquement sous leur nez. La BMF Entertainement a fait ériger un immense panneau noir de 6 sur 18 mètres entre la I-75 et Peachtree Road. Le message que la BMF voulait faire passer était une référence au film Scarface, une source d’inspiration récurrente pour la Black Mafia Family, qui avait utilisé des lettres majuscules pour témoigner de sa toute-puissance. Dans une scène du film, le baron de la drogue cubain Tony Montana regarde le ciel de Miami et y voit un message inscrit sur le côté d’un ballon dirigeable : « The World is Yours ». De la même manière, les panneaux installés par la BMF un peu partout en ville proclamaient : « The World Is BMF’s », le monde appartient à la BMF.
Les règles du jeu
Au cours de l’été 2004, Meech a loué l’immense boîte de nuit du quartier de Westside, le « Compound » pour y fêter son 36e anniversaire. De la grande cour jusqu’au bar ultra-moderne, « Meech » trônait sur les murs en lettres de néon blanc de 1,80 m de haut. Le blason de la BMF avait été sculpté dans un bloc de glace, des femmes à moitié nues arboraient des bikinis peints sur leurs corps, et des animaux – notamment un éléphant, quelques zèbres et deux lions – avaient été loués pour la modique somme de 100 000 $. Les fêtards étaient hypnotisés par les gros chats qui faisaient les cent pas dans leur cage. La manière dont les membres de la BMF se comportaient en boîte, et surtout dans les clubs de strip-tease, donnait un petit aperçu de leur folie des grandeurs. Ils se vantaient d’avoir inventé le phénomène de mode qui consiste à « faire pleuvoir » des poignées de billets, qui retombent tels des gouttes de pluie et mettent une ambiance délirante. « Beaucoup de mecs n’aiment pas dépenser leur argent. Nous, on adore dépenser notre fric, a expliqué Meech au magazine Smack DVD. Il faut être idiot pour ne pas dépenser son fric. Quand on va dans ces putains de boîtes le soir, on ne dépense que 50 000 ou 100 000 $ car on ne peut quand même pas amener tout notre fric avec nous. C’est aussi simple que ça. » Il voulait dire par là qu’ils ne pouvaient pas risquer leurs vies avec tout leur fric sur eux. Mais le fait que Meech attire autant l’attention dans le milieu du hip-hop n’était pas sans inquiéter son grand frère Terry « Southwest T » Flenory, qui avait peur qu’ils finissent tous deux dans un endroit où on ne peut guère entrer avec son argent : en prison.
Selon les agents fédéraux, Southwest T avait emménagé à Los Angeles en 2000, avec sa copine et ses enfants. À priori, il vivait dans un ranch d’une valeur de 3 millions de dollars sur Mulholland Drive, mais il était tout de même le plus discret des frères Flenory. Les fédéraux le soupçonnaient plus ou moins d’être en charge de la plaque tournante de la BMF sur la côte ouest, mais lui au moins, essayait de se faire relativement petit. À peu près au moment de la fête d’anniversaire de Meech, Southwest T a confié à sa sœur qu’il en avait marre de voir à quel point son frère cherchait à attirer l’attention du monde entier. Il n’était pas non plus très fan de cette bande qui n’augurait rien de bon pour « la famille ». Il a ajouté que lui et Meech avaient toujours été des partenaires qui font moitié-moitié, mais selon lui il ne prenait plus ce partage équitable au sérieux. Ses excès – et son style de vie qui n’avait rien à voir avec celui de Southwest T – pouvaient potentiellement attirer l’attention et leur nuire à tous les deux. Il ne voulait pas passer plusieurs décennies en prison. « Je ne veux pas en prendre pour 20 ans », avait-il dit à sa sœur. Et ses soupçons étaient plus encore fondés que prévu, car les fédéraux avaient placé son téléphone sur écoute. Cette discussion fait partie des centaines de conversations téléphoniques passées au cours des six derniers mois par Southwest T. Elles avaient été interceptées par les agents de la DEA, qui ont entre autres entendu dire qu’il comptait mettre le prix pour avoir de bons tickets pour un match des Lakers. (« Tu vois ce que je veux dire, si tu y vas en groupe, il faut débourser entre 50 et 60 000 $ pour avoir les meilleurs places. ») ; qui l’ont entendu donner son feu vert pour l’achat d’une Bentley à 159 000 $. (Il a dit qu’il paierait avec le chéquier de son entreprise le lendemain.)
Puis ils sont devenus suspicieux quand il a parlé de donner un coup de main au frère de « Playboy », un des deux hommes qui s’étaient fait arrêter sur une autoroute du Missouri en possession de cocaïne – à priori liée à la BMF. (Le frère de Playboy a dit à Southwest T qu’il avait peur que l’autre mec qui s’était fait arrêter, « Pig », décide d’entrer dans le programme de protection des témoins pour témoigner contre Playboy. Southwest T lui a dit de ne pas s’inquiéter ; Pig allait « assumer ses responsabilités ».) Mais toutes ces heures de conversations écoutées par les fédéraux ne leur auront permis d’entendre parler de Meech en des termes lourds de sens qu’une seule fois – quand Southwest T s’est inquiété de voir que les fêtes de Meech étaient en train de dégénérer, et que ça risquait de mal se finir. Ce qui n’était pas vraiment un scoop. Meech avait beau mener une vie tapageuse, Southwest T s’avérait être une cible plus facile à atteindre que son tape-à-l’œil de frère. Mais au cours des mois qui ont suivi, une autre série d’écoutes allait aider les enquêteurs à se rapprocher de Meech. Durant l’Automne 2004, des membres du bureau du procureur du district de Fulton County et une cellule inter-agences antidrogue ont commencé à surveiller et écouter les appels de deux membres présumés de la BMF. Les enquêteurs ont fini par arrêter Jeffery Leahr en possession de 10 kilos d’une cocaïne qui selon eux appartenait à l’organisation. L’autre homme, Omari McCree, s’est enfui. La police a réussi à l’arrêter un an plus tard, en 2005. Cette arrestation – et la déclaration susceptible d’incriminer Meech qui s’est ensuivie – constitue la cerise sur le gâteau de cet été d’excès en tout genre qui a laissé la Black Mafia Family complètement sonnée.
Il y a de fortes chances pour que Big Meech Flenory l’ait vu venir, même en 2004. Mais en dépit des signes avant-coureurs, lui et sa bande n’ont pas voulu se calmer. Ils ont passé le Printemps et l’Été 2005 à boire du champagne et à laisser des cartouches de balles derrière eux. Ils n’ont pas respecté les règles du jeu.
Thug motivation
Cette période d’excès a démarré par une vague de violence qui a duré deux semaines, et qui d’une manière ou d’une autre était toujours en lien avec la BMF. Ça a commencé par une violation de domicile à DeKalb County le 10 mai 2005, en début de soirée. Un des agresseurs présumés a été tué par le rappeur Gucci Mane, qui se trouvait avec Young Jeezy – un rappeur plus connu qui entretenait des liens avec la BMF – ce soir-là. Les deux rappeurs faisaient une impro de rap quand tout a démarré. Les avocats de Gucci ont par la suite affirmé que la BMF était à l’origine de cette violation de domicile, et le bureau du procureur du district de DeKalb County a annoncé que le FBI enquêtait sur l’implication présumée de la BMF. Le lendemain, un autre crime allait être imputé à un membre de la BMF. Une cellule de recherche des fugitifs est allé cueillir un trafiquant de drogue présumé du nom de Deron Gatling au domicile de sa petite amie à Chamblee. Les agents de la cellule ont formé un périmètre autour de la maison avant d’annoncer leur présence. Ils ont trouvé Gatling caché derrière un panneau de matériau isolant dans le grenier. À ce moment-là, sept tirs ont retenti dehors, dont un qui a manqué de peu d’atteindre un agent. Les enquêteurs affirmeraient plus tard que Gatling avait crié avant de se mettre à tirer sur eux aussi vite que possible.
Bobby Brown a pris Shayne dans ses bras et l’a emmené aussi vite qu’il le pouvait à l’hôpital.
Moins de deux semaines plus tard, des membres de la BMF ont été accusés d’avoir perpétré un troisième acte violent – cette fois c’est la famille d’une pop star assez connue qui en a fait les frais dans un restaurant tenu par le magnat du hip-hop P. Diddy sur Peachtree Street. De longs rideaux couleur ivoire et un énorme chandelier avaient été installés au Justin’s, le restaurant qui connaissait un succès grandissant, pour célébrer une fête d’anniversaire le 22 mai 2005. Le rappeur de Brooklyn Fabolous, qui avait fait une apparition dans le clip de Bleu DaVinci, figurait dans la liste des invités, tout comme Bobby Brown, un musicien immanquable à Atlanta. Le restaurant était bondé, et les choses étaient sur le point de devenir intéressantes. Brown et sa famille s’apprêtaient à dîner, après quoi le patriarche des pop stars allait monter sur la scène au fond de la salle à manger. Quelques heures plus tard, aux alentours de 1h45 du matin, Bobby Brown, sa sœur, sa nièce et ses deux neveux se sont frayé un chemin vers l’un des deux bars du restaurant. Le frère et la sœur ont rapidement trouvé un siège, tandis que les plus jeunes prenaient un bain de foule, quand un type a bousculé Shayne. « C’est pas très respectueux, il faut que tu t’excuses », lui a dit le neveu de Bobby, Shayne Brown. Le cousin de Shayne, Kelsey Brown, a senti que ça allait mal finir, alors il est intervenu – au même moment qu’une armoire à glace, un ami du mec qui avait bousculé Shayne. Un des deux hommes a dit aux deux cousins : « Les mecs comme vous, on les bute. » En voyant ce qui se passait, Bobby Brown s’est mis debout sur son siège et a crié : « Vous faites quoi les mecs ? C’est mon neveu. » L’attaque qui s’en est suivie a été brutale. Sa famille a accouru pour tenter d’extirper Shayne de la baston, mais il était déjà à terre, et il perdait beaucoup de sang.
Par la suite, les médecins ont dit que ses blessures au visage et dans le cou étaient probablement l’œuvre d’un pic à glace. La nièce de Bobby Brown a couru après les agresseurs qui s’étaient réfugiés vers le stand des voituriers. Elle a dit à la police qu’elle les avait vus partir à bord d’un 4×4 avec Fabolous, son manager et des membres de l’entourage du rappeur. Elle a eu le temps de demander à un voiturier de noter le numéro de la plaque d’immatriculation avant qu’ils ne quittent le parking. Bobby Brown a pris Shayne dans ses bras et l’a emmené aussi vite qu’il le pouvait à l’hôpital Piedmont, accompagné du reste de la famille. L’agresseur avait manqué sa jugulaire de peu, et plusieurs nerfs et muscles avaient été sectionnés. Il était défiguré, et il ne serait plus jamais capable d’avoir des expressions faciales normales. Kelsey avait lui aussi reçu un coup de pic à glace dans le cou, mais sa blessure n’était pas aussi grave que celle de son cousin. Il a dit à la police qu’il a réalisé qu’il était blessé seulement quand il a vu le sang couler. Lui et les autres témoins ont également dit avoir reconnu le plus petit des agresseurs, un mec qui se faisait appeler « Baby Bleu ».
Au moment où les enquêteurs ont rempli la paperasse plusieurs heures plus tard, ils semblaient relativement confiants quant à l’identité des suspects. Ils ont synthétisé les événements de cette soirée comme suit : « L’affaire dans laquelle Bobby Brown et des membres de la BMF sont impliqués. » Dans les heures qui ont suivi l’agression, la police d’Atlanta a trouvé à qui appartenait la voiture grâce au numéro de plaque relevé par le voiturier. Le propriétaire de la Cadillac Escalade de 2002 était un homme de 62 ans qui vivait à College Park. Le lendemain, la police a interrogé son fils, un ancien videur de boîte de nuit qui s’appelait Cleveland David Hall – et qui mesurait deux mètres et pesait dans les 160 kilos. Hall a expliqué à la police que oui, il se trouvait au Justin’s la veille au soir, mais il a affirmé qu’il n’avait rien à voir avec l’agression. Il a dit qu’il avait en réalité tenté de séparer des gens qui se battaient. Quand il a vu le sang, il a décidé de s’enfuir avec Fabolous, son manager et des amis du rappeur.
« — Connaissez-vous les personnes impliquées dans l’altercation ? Lui demande le policier. — Non, répond-il. — Fabolous [sic] ou ses amis ont-ils joué un rôle dans cette altercation ? — Non, aucune personne présente dans ma voiture n’a pris part à cette altercation. — Êtes-vous impliqué ou affilié à un gang de la ville d’Atlanta ou d’ailleurs ? — Non. » Les enquêteurs avaient du mal à y croire. En se fondant sur le fait que Hall était le conducteur du 4×4 qui, selon un témoin, était le véhicule qui avait permis aux agresseurs de prendre la fuite – et que Shayne Brown avait identifié un de ses agresseurs en pointant du doigt la photo de Hall –, ce dernier fût arrêté et accusé de voie de faits graves et de participation à des activités criminelles. Mais moins d’un mois plus tard, la plainte contre Hall était retirée. En dépit du fait que Hall était soupçonné d’avoir pris la fuite avec les agresseurs présumés ; en dépit du fait que l’enquête n’avait démarré qu’un mois plus tôt, et qu’elle n’en était qu’à ses débuts ; et en dépit du fait qu’un grand jury avait déjà inculpé Hall, les charges retenues contre lui ont été abandonnées à la demande du bureau du procureur du district de Fulton County. Pour quelle raison ? « Les victimes et les témoins de cette affaire ne se sont guère montrés disposés à coopérer avec l’État dans le cadre de l’enquête se rapportant à cette affaire, par conséquent, l’État dispose de trop peu de preuves pour l’inculper à l’heure actuelle. » Mais la plainte contre la deuxième personne accusée, « Baby Bleu » – le petit frère du rappeur Bleu DaVinci du label BMF Entertainment – a été retenue. Et les fédéraux ainsi que le bureau du procureur du district le surveillaient lui aussi de près. Plusieurs mois plus tard, les retombées de l’incident du Justin’s ne semblaient pas avoir décontenancé la BMF plus que cela – mais peut-on vraiment parler de retombées ?
On était en plein mois de juillet. Les membres de la BMF claquaient leur fric comme si leur vie en dépendait en ce jour de fête organisée par Young Jeezy, à l’occasion de la sortie de son premier album, Let’s Get It: Thug Motivation 101, au Vision, la boîte de nuit du quartier de Midtown. Ils faisaient « pleuvoir » les billets – leur marque de fabrique –, et buvaient du champagne à gogo. Puis ils sont montés sur scène pour montrer à Jeezy qu’ils l’aimaient – et peut-être aussi pour montrer qu’ils avaient joué un rôle dans l’ascension de la star qui faisait partie de la famille. Ce fût l’une des dernières victoires pour les hauts gradés de la BMF : au cours des trois mois qui ont suivi, des dizaines de membres présumés de la BMF allaient se retrouver derrière les barreaux. Le 3 mai 2005, Marque « Baby Bleu » Dixson était interpellé au cours d’un concert à Centennial Park. L’accusation de voie de faits graves relative à l’incident qui avait eu lieu au Justin’s était déjà assez grave en soi, mais il s’est avéré qu’entre-temps, Baby Bleu s’était mis dans le pétrin. Selon un document produit par le procureur le lendemain : « La libération [sous caution] de cet accusé n’est pas recommandée car il est sous le coup d’un mandat d’arrêt délivré par le FBI ». Le procès d’un des membres présumés de la BMF dont le téléphone avait été placé sur écoute – et qui avait parlé du fait que Meech était un important trafiquant de drogue – a été planifié au cours de la semaine. Le jour J, Omari McCree a préféré plaider coupable. De toutes les accusations de crimes en rapport avec la BMF dans l’État de Géorgie, ce fût l’une des seules poursuites judiciaires en rapport avec la BMF menées à bien.
À ce jour, les seuls à avoir connu le même sort sont les co-accusés Jeffery Leahr et sa petite amie Courtney Williams. L’entente de plaidoyer d’Omari contient des éléments de langage intéressants, comme : « L’accusé ne sera pas nommé/accusé dans le cadre d’affaires se basant sur la loi RICO sur les organisations motivées par le racket et la corruption. » Il a été condamné à 15 ans de prison. L’ancien assistant du procureur de district du comté de Fulton Rand Csehy, qui avait intenté l’action contre Omari et ses co-accusés et dirigé l’enquête sur la BMF, a confié à Creative Lounge qu’il voulait accuser Meech et la Black Mafia Family de racket et de corruption, mais que les fédéraux ne lui en ont pas laissé le temps. Un agent de police qui a accepté de parler à Creative Lounge sous couvert d’anonymat nous a dépeint Csehy comme un procureur agressif qui faisait tout pour accélérer la cadence des accusations à l’encontre de la BMF. Ce qui ne rendait pas les choses simples selon notre source. « Quand un crime est perpétré, les témoins sont catégoriques quand ils affirment que c’est ce qui s’est produit. Mais quand ils apprennent que c’est la BMF qui se cache derrière tout ça, ils se rétractent. Et le manque de coopération des témoins est extrêmement problématique quand il s’agit d’engager des poursuites. Ils connaissent le genre d’activité auquel la BMF s’adonne. » Au cours des trois dernières années, six affaires de meurtres perpétrés dans Atlanta et ses environs, et liées d’une manière ou d’une autre à la BMF, sont restées non résolues. Le 11 novembre 2003, Wolf et son ami d’enfance Lamont « Riz » Girdy ont été tués au cours d’une fusillade dans le quartier de Buckhead. Meech a fait face à deux accusations d’homicide volontaire, mais le seul témoin qui avait fait le lien entre Meech et ces crimes ne s’est jamais montré. Selon la police, c’est la peur qui l’empêchait de donner son nom.
Trois ans après ces crimes, personne n’a été inculpé pour ce double homicide, et encore moins Meech. Pour l’avocat de Meech, Drew Findling, le fait que l’État ne soit pas en mesure de présenter son témoin remet en question sa présence en boîte le soir là ; sans parler de sa crédibilité. « On ne nous a donné aucun nom, aucune preuve que sa présence pouvait être corroborée par une personne qui l’accompagnait. C’était juste comique. » Le 25 juillet 2004, Rashannibal « Prince » Drummond était tué par balles dans le quartier de Midtown. Deux officiers de police affirment que Meech et d’autres membres de la BMF étaient présents sur la scène du crime, et un troisième que les enquêteurs étaient « convaincus » que l’homicide était à imputer à la BMF. Mais selon Findling, on peut douter du fait que la BMF soit impliquée : « Je n’ai jamais entendu dire que mon client avait quoi que ce soit à voir avec cette affaire jusqu’à ce que vous me posiez la question. Et j’imagine que si ça avait été le cas, on l’aurait su. » Personne n’a été arrêté pour la mort de Prince – même si une action civile a été intentée. Debbie Morgan, la mère de Prince, a intenté des poursuites contre la boîte de nuit dans laquelle le meurtre a eu lieu pour avoir manqué à son devoir de protéger son fils, mais la BMF et ses membres présumés ne sont pas cités dans cette affaire.
Le 5 septembre 2004, Ulysses Hackett et sa petite amie Misty Carter étaient tués par balles dans l’appartement de cette dernière, alors qu’ils se trouvaient au lit. Au moment des faits, huit co-accusés et Hackett attendaient d’être jugés – dont celui qui était encore le beau-fils de la maire Shirley Franklin – pour avoir vendu de la cocaïne pour la BMF. Selon la police, Hackett songeait à entrer dans le programme de protection des témoins pour témoigner contre eux. Une fois de plus, personne n’a été inculpé pour avoir tué Hackett et Carter. Et le 10 mai 2005, le rappeur Gucci Mane a tué un des cinq hommes entrés par effraction dans la maison. Il a été arrêté, et finalement mis hors de cause. Mais aucun des présumés assaillants de Gucci n’ont été arrêtés. Les deux avocats de Gucci ont affirmé que la BMF était en lien avec l’incident, et le bureau du procureur du district de DeKalb a confié à Creative Lounge que le FBI enquêtait sur ces allégations. Mais pour Findling et deux hommes proches de l’homme tué par Gucci, c’est trop facile de mettre sur le dos d’une organisation aussi peu formelle que la BMF tous les crimes s’étant déroulés dans des boîtes de nuit et dans le milieu du hip-hop à Atlanta. Findling l’a dit haut et fort : « Je ne vais pas me contenter de m’attaquer au cas de la BMF juste parce que ça permet aux avocats de la défense de procéder à leurs recoupements. Je n’en ai vraiment rien à foutre. » Cibler la BMF en se basant sur des allégations de violence n’était pas chose aisée, mais il existait d’autres moyens de tenter de faire tomber l’organisation. Finalement, s’en prendre à la BMF en utilisant les lois fédérales relatives à la drogue allait s’avérer plus utile.
Le mythe
L’après-midi du 20 octobre 2005, des policiers ont débarqué dans un manoir d’une valeur de un million de dollars dans la banlieue de Dallas. Ils ont trouvé une Bentley GT de 2004 dans le garage, et dans la maison, des petites quantités de cannabis et d’ecstasy, et des bijoux dont la valeur s’élevait presque à 700 000 $. Ils ont également découvert une arme semi-automatique pour munitions à haut vélocité, une « tueuse de flics » capable de traverser un gilet pare-balles.
Et ils ont trouvé Demetrius « Big Meech » Flenory dans l’une des chambres. Il n’a pas tenté de se débattre, et il n’a pas dit un mot. Une semaine plus tard, des agents fédéraux sont allés dans la banlieue de St. Louis. Ils ont dit qu’ils pouvaient sentir l’odeur du cannabis alors qu’ils étaient encore à l’extérieur de la maison. Ils ont frappé à la porte – et entendu pas mal de gens courir en criant que la police était là. Ils sont entrés, et ils sont directement tombés sur Southwest T. Une fois les frères Flenory derrière les barreaux, 11 mises en accusation pour des chefs d’inculpation impliquant 25 prévenus ont été déposées auprès du tribunal fédéral en début de semaine ; et validées quelques jours plus tard. Les fédéraux n’ont pas parlé de ces mises en accusation tout de suite, car « les États-Unis craignent que si les inculpés ont connaissance de leur mise en accusation avant même de se faire arrêter, les témoins protégés par le gouvernement vont courir un risque. »
Au cours de la même semaine, six haut gradés de la BMF ont été inculpés et pris en chasse (et pour la plupart retrouvés dans des coins reculés du monde). Et l’affaire qui allait bientôt compter 13 mises en accusation impliquant 41 prévenus, dont le directeur d’exploitation de la BMF Entertainment Chad « J Bo » Brown, était « sans doute le plus énorme trafic de drogue jamais vu dans ce district », selon les mots de l’assistant du procureur général Dawn Ison. Cette mise en accusation déposée à Détroit, la ville d’origine des frères Flenory, les inculpaient en vertu de la loi – trop rarement invoquée – sur « l’entreprise criminelle continue » (ndlt : CCE, pour Continuing Criminal Enterprise). La loi sur l’entreprise criminelle continue est similaire à la loi sur les organisations motivées par le racket et la corruption (RICO), dans le sens où les deux sont utilisées pour faire tomber des réseaux de crime organisé. La différence, c’est qu’une accusation en vertu de la CCE limite la portée des allégations au trafic de drogue, alors que la loi RICO englobe un vaste éventail d’activités criminelles organisées. La mise en accusation ne contient aucune allégation de violence perpétrée par la BMF, mais les preuves recueillies démontrent que c’est un énorme réseau de trafic de cocaïne qui a redoublé de créativité pour blanchir au moins 270 millions de dollars pendant 15 ans. On y apprend que Meech dirigeait une entreprise illégale qui regroupait un réseau du crime organisé, couplé à une société qui travaillait avec la crème du hip-hop – la maison de disques de Meech, la BMF Entertainment –, et qui était financée par l’argent de la cocaïne. Les fédéraux affirmaient avoir rassemblé au moins 10 témoins en mesure de témoigner du fait que Meech était impliqué dans un trafic de drogue. « Un témoin me vient à l’esprit, celui qui a dit qu’il ou elle avait distribué plusieurs kilos de cocaïne pour Demetrius Flenory », a affirmé l’agent de la DEA Bob Bell lors de l’audition pour sa libération sous caution. « Et un autre témoin dit qu’il ou elle a vu de la cocaïne passer des mains de Demetrius Flenory à celles de plusieurs autres personnes, et inversement. »
Mais au cours de cette même audition, Findling, l’avocat de Meech a souligné que l’inculpation de son client présentait plusieurs lacunes, et notamment le fait qu’aucun des témoins qui auraient pu témoigner contre lui n’avait été appelé à la barre. Selon Findling, « les preuves démontrent tout au plus que l’accusé traînait avec des membres de l’organisation, et qu’il bénéficiait de leurs profits en vivant dans de belles maisons et en conduisant de belles voitures. Les témoins présumés qui ont paraît-il vu l’accusé procéder à des transactions illégales de drogue n’ont jamais été appelés à la barre. » Il affirme également que les fédéraux n’ont pas été capable de citer un seul cas précis de transaction de cocaïne dans lequel Meech était impliqué. Et quand le juge fédéral Steven Whalen a du déterminer si oui ou non Meech pouvait être libéré sous caution, il s’est avéré que l’argument de Findling était le plus convaincant. « Je ne vois aucune preuve de comportement dangereux ou de menace à l’encontre des témoins dans l’affaire Flenory », a dit le juge, avant d’ajouter qu’ « à bien des égards, Mr. Flenory est lui-même son pire ennemi, avec tous ces articles dans les magazines, ces panneaux publicitaires, sa grande gueule et son style de vie extravagant ». Puis quelques instants plus tard, il a résumé l’affaire dans un langage qui n’est pas sans évoquer celui de Findling : « Beaucoup de preuves démontrent qu’il gravite autour de cette organisation. Son frère est sans aucun doute décrit comme étant le dirigeant de cette organisation, et l’accusé est un mec qui selon moi bénéficie des profits engrangés par ladite organisation. » « Mais en ce qui concerne ce qu’il a réellement fait, pour moi, ça reste ambigu. Et une fois de plus, bien que cela soit probable, je ne pense pas qu’il existe des preuves formellement accablantes si je me base sur ce que j’ai entendu aujourd’hui. Et c’est uniquement sur ces points que je dois statuer. »
Meech a été libéré sous caution pour 100 000 $ et assigné à résidence à Détroit, chez sa mère. Le bureau du procureur d’État a rapidement fait appel de la décision de Whalen – et a obtenu gain de cause. Mais les questions soulevées par le juge n’étaient pas réglées.
Plus important encore, les témoins n’avaient pas été appelés à la barre ; et on ne sait pas si cela arrivera un jour. Plus d’un an après l’arrestation de Meech et Southwest T, aucune date de procès n’a été annoncée. Mais si les déclarations faites par Findling au cours de l’audition de janvier 2006 indiquent une chose, c’est surtout que dans cette affaire, la défense pourra utiliser le fait que les preuves ne font que nous ramener au mythe qui entoure Big Meech, et non à sa culpabilité. Au cours de l’audition, Findling a énoncé certaines des raisons pour lesquelles il pense que les fédéraux penchaient pour Meech ; et ce qu’il a à dire à ce propos ressemble étrangement à ce qu’en disent les membres de la Black Mafia Family et leurs amis. « C’est tout simplement l’aura de Demetrius Flenory, l’aura de ses maisons et de ses voitures. L’aura de son argent. » « L’aura du rap. »
Da Vinci
Par une belle journée de l’été 2006, dans un quartier de Californie du Sud, Bleu DaVinci conduisait sa Dodge Magnum tout en parlant de l’actualité de la BMF Entertainment au cameraman assis sur le siège passager. Meech était derrière les barreaux, et c’est Bleu qui avait endossé le rôle du PDG de l’entreprise qui l’avait rendu célèbre. D’abord, les fédéraux s’en étaient pris à la BMF, puis peu de temps après, un énième contretemps allait retarder la sortie du deuxième album de Bleu, The World Is BMF’s, Vol. 2. Le 9 mars 2006 aux premières heures du jour, le petit frère de Bleu, Baby Bleu, qui avait été libéré sous caution pour l’agression par arme blanche au Justin’s, s’est disputé avec son ex-petite amie au Living Room, la boîte de nuit du quartier de Buckhead. Ils s’engueulaient toujours quand ils sont arrivés sur un parking environnant. Ça ne faisait qu’empirer, quand soudain un ami de son ex a abattu Baby Bleu. « On a mis la campagne de promotion pour mon nouvel album sur pause quand mon petit frère est mort », a dit Bleu. Malgré les sommes faramineuses dépensées pour le clip de la chanson de Bleu, « Still Here », ainsi que pour l’avancement de sa carrière, les ventes de son premier album, The World Is BMF’s, Vol. 1, étaient loin d’être impressionnantes – et celles du volume 2 ne furent pas mieux.
Les deux autres rappeurs d’Atlanta notoirement connus pour être associés à la Black Mafia Family, bien que ce soit pour d’autres raisons, allaient mieux s’en sortir que Bleu. C’est un peu comme si le succès que Meech souhaitait pour Bleu avait été réaffecté – en partie à Young Jeezy, qui s’était dissocié de la BMF, et de manière assez perverse, à Gucci Mane, qui lui aussi avait vu sa carrière décoller grâce à la BMF. Le 24 mai 2005, Gucci, qui avait été accusé d’avoir participé à la violation de domicile que l’on imputait à la BMF, a payé sa caution pour sortir de la prison de DeKalb County. Or, il se trouve que son premier album, Trap House, sortait le même jour. Ses démêlés avec Jeezy et la BMF lui avaient fait de la pub, et son album était ultra médiatisé. Pendant cette semaine-là, son morceau « Icy » a démarré en 24e place des charts dans la catégorie hip-hop – ce qui était tout à fait respectable. Le deuxième album (le bien nommé Hard to Kill) de Gucci Mane, sorti en octobre 2006, était mieux que le premier. Dans la chanson « Everybody Know Me », il fait allusion au chemin tortueux qu’il a emprunté avant de rencontrer le succès : « Qui a dit que c’était facile de se faire du fric ? J’ai eu des soucis avec la BMF et des problèmes avec Jeezy. » Quant à Jeezy, son album sorti en 2005, Let’s Get It: Thug Motivation 101, l’a catapulté au sommet de la renommée hip-hop ; il a démarré à la 2ème place du chart Billboard, et la presse a rivalisé d’éloges à son propos. « La voix éraillée et apathique de Young Jeezy évoque à la fois une insondable cruauté et une lassitude incurable », a résumé un journaliste du New York Times d’un ton flagorneur.
Son deuxième album, The Inspiration: Thug Motivation 102, est sorti le 12 décembre, et a reçu un accueil plus mitigé – mais sa renommée ne l’était pas. Et bien qu’on ait dit qu’il n’était plus en lien avec la BMF, il a écrit un couplet du remix de « Hustlin », le morceau de Rick Ross qui rend hommage à une de ses sources d’inspiration. « Je connais Big Meech, le vrai Big Meech, Dès que mes soss seront dans la rue, ce sera fini pour vous bande de clowns. » Quant à savoir si Meech pourra de nouveau se montrer dans la rue, la question demeure entière : s’il est déclaré coupable, il se pourrait qu’il passe le reste de ses jours en prison. Mais les efforts déployés par les fédéraux en vue de briser la Black Mafia Family n’ont pas vraiment intimidé les membres de l’entreprise criminelle. « Elle n’a pas été démantelée », selon une source interne aux forces de l’ordre qui estime que la BMF compte encore plusieurs centaines de membres rien qu’à Atlanta. « Ils sont encore en activité, il y a encore de l’action du côté d’Atlanta. Ils ne sont juste plus aussi extravagants qu’avant. » Les messages et commentaires relevés en ligne – notamment après la parution des deux premières parties de ce reportage – témoignent de la pérennisation du mythe qui entoure la BMF. « Meech a prouvé qu’il était un mec crédible que ce soit dans le domaine de la musique ou dans la rue, c’est la raison pour laquelle vous n’entendrez JAMAIS parler de lui en mal », a écrit un homme sur le forum du site SOHH.com. « Il était un génie de la diplomatie, et sa capacité à réseauter dans des univers aussi divers que variés reste inégalée. » Comme Meech l’a dit lui-même – dans une lettre écrite dans sa cellule de la prison de St. Clair County, dans le Michigan, et postée sur sa page Myspace –, la partie est loin d’être finie : « Comme vous pouvez le constater, ils ont pu enfermer mon corps, mais pas mon esprit ! Le monde appartient toujours à la BMF. Je reste concentré sur ma vision, ce qui fait que mes problèmes sont temporaires, mais ma vision, elle, est permanente. » Quelle que soit la manière dont le procès fédéral se terminera, Meech continuera d’inspirer le respect – chose que certains ne comprendront jamais. Ses multiples activités, qu’elles soient convenables ou inconvenantes, seront toujours vénérées. Et il continuera d’être connu pour être parti de rien et avoir décroché la timbale. Du moins pendant un temps.
Traduit de l’anglais par Elodie Chatelais d’après l’article « Hip-hop’s shadowy empire », paru dans Creative Loafing ATL. Couverture : Une fête organisée par Meech.
LA TENTATIVE D’ASSASSINAT DE 50 CENT RACONTÉE PAR L’ENSEMBLE DES PROTAGONISTES
Comment un beef entre Murder Inc. Records et 50 Cent s’est transformé en une tentative d’assassinat par un gang légendaire, dans les bas-fonds du Queens.
D’un côté, il y avait la Supreme Team, un gang de dealers du Queens fondé dans les années 1980 par Kenneth « Supreme » McGriff. Ils opéraient depuis Jamaica, l’un des quartiers les plus pauvres de la ville. À la fin des années 1990, alors que le gang se délitait, Supreme – ou « Preme », comme ils l’appelaient – ne s’est pas rangé pour autant, car il avait le gangstérisme dans le sang. De l’autre, il y avait Murder Inc. Records, un label fondé en 1997 par les frères Irv et Chris Gotti, qui voulaient jouer aux gangsters eux aussi. Mais tandis que pour Preme, cela rimait avec trafic de drogue et macchabées, pour Murder Inc. ça n’allait pas plus loin que les embrouilles entre rappeurs, dans lesquelles ils gonflaient le torse pour avoir l’air méchant.
Autour d’eux gravitait un rappeur encore confidentiel à l’époque, qui n’a pas tardé à s’attirer la colère de Murder Inc. et de Preme. Il se faisait appeler 50 Cent. Curtis Jackson, qui vivait avec ses grands-parents dans le Queens, avait adopté le surnom de 50 Cent en référence à jeune criminel à la Billy the Kid dont le nom de baptême était Kelvin Martin. Ce dernier venait des cités de Fort Green, à Brooklyn, où il s’était forgé une solide réputation de braqueur de rappeurs. Il s’est fait descendre à l’âge de 22 ans. « J’ai pris le nom de 50 Cent parce qu’il représente tout ce qui m’importe », explique-t-il. « Je suis le même genre de gars. Tous les moyens sont bons pour subvenir à mes besoins. » Dans le Queens, 50 Cent se construisait peu à peu une réputation de rappeur qui n’avait peur de rien, et surtout pas de la controverse. Au sein de l’industrie musicale, il pouvait compter sur le soutien de Jam Master Jay, de Run DMC et de Chaz Williams, de Black Hand Entertainment. 50 avait goûté une première fois au succès et à la notoriété grâce à la bande-originale de Black Gangster, et il en voulait davantage.
Il est apparu sur les radars en 1999 avec le morceau « How to Rob » ou, comme on l’appelait dans le quartier, How to Rob an Industry Nigga (« comment braquer un mec de l’industrie »). Avec ce premier single, 50 a écrit le morceau ultime pour s’attirer des problèmes : dans ses lyrics, il s’en prenait à tous les rappeurs en vogue à l’époque, décrivant comment il les dépouillerait violemment. « How to Rob » l’a instantanément rendu célèbre dans le milieu, mais il a aussi fait de lui une cible. 50 voulait utiliser le beef pour faire avancer sa carrière, et les membres de Murder Inc. ont été les premiers à mordre à l’hameçon. « Je crois que ça a commencé avec un clip que je tournais sur Jamaica Avenue », se souvient Ja Rule. « On vient tous les deux du même coin. Quand il a vu que les gens du quartier l’adoraient, il n’a pas supporté le fait qu’ils m’aimaient aussi. »