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J’ai entendu pour la première fois le nom de Mike WiLL Made-It dans le drop au début du tube de Miley Cyrus de 2013, « We Can’t Stop ». Un drop est la signature sonore d’un beatmaker ou d’un DJ, introduite dans le morceau. C’était une caractéristique des premiers enregistrements de hip-hop. Ils sont passés de mode pendant un temps mais beaucoup de jeunes beatmakers les utilisent à nouveau. Celui de DJ Mustard est « Mustard on the beat, hoe » et celui de Metro Boomin est « Metro Boomin’ want some more, nigga ».

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Miley Cyrus et Mike Will
Crédits : Terry Richardson

Sur « We Can’t Stop », il y a en réalité deux drops : le premier, « Ear Drummers », prononcé par une voix d’homme distordue, puis « Mike WiLL Made-It », par une voix féminine synthétique avec un effet d’écho. Les drops sont couverts par des accords de piano de bar et une rengaine prononcée par une voix ralentie – « It’s our party we can do what we want » –, puis le morceau démarre. Avant « We Can’t Stop », Miley Cyrus était une jeune actrice de Disney qui essayait de se créer une identité d’artiste adulte. Son morceau de 2009 « Party in the U.S.A. », coécrit et produit par le faiseur de tubes Dr. Luke, avait partiellement accompli la transformation, même si des traces du personnage d’Hannah Montana subsistaient dans son personnage. Elle venait de signer avec RCA Records et commençait à travailler sur son premier album pour le label. Ryan Press, de Warner/Chappell – la maison de disque de Mike – a organisé une rencontre entre Mike et Peter Edge, qui dirige RCA avec Tom Corson à New York. Mike a pris avec lui son ordinateur portable et a fait écouter des morceaux à Edge. L’un d’eux était une ébauche de « We Can’t Stop ». Le morceau se résumait à un refrain et un couplet qui avaient été écrits par Rock City, un duo de frères auteurs-compositeurs, Theron et Timothy Thomas. Mike avait travaillé sur la batterie et la production globale. Edge a adoré le son. « Je l’ai fait écouter à Miley et elle aussi a adoré », dit-il. « Une fois qu’elle et Mike sont entrés en studio, ils se sont très bien entendus et sont devenus bons amis. »

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Inséparables
Crédits : Miley Cyrus

La souplesse avec laquelle Mike travaille donne aux artistes un sentiment profond d’autonomie. « J’avais beaucoup travaillé avec Pharrell et son style était complètement différent », se souvient Miley de sa collaboration avec Mike. « En 2013, j’avais le sentiment que le hip-hop était le nouveau punk. J’étais pile à cette étape de ma vie. J’avais 18 ans et ma mère n’aimait pas que j’aille remuer mes fesses aux concerts de Juicy J. » Mike Will lui a donné de l’espace. « À ce moment-là, j’avais l’habitude d’enregistrer à la maison. J’aime être seule quand j’écris et j’y tenais beaucoup. J’avais besoin de cette liberté. » Avec Bangerz, son album pour RCA dont Mike Will était producteur exécutif, Miley a utilisé des éléments de la culture trap pour mettre encore plus de distance avec son passé chez Disney. Lorsqu’elle est allée plus loin encore en twerkant sur « We Can’t Stop » lors de la cérémonie des MTV Video Music Awards de 2013, elle a été très critiqué pour son appropriation de l’identité noire. Mais si le but était de mettre un pieux dans le cœur d’Hannah Montana, Miley et Mike ont réussi leur coup. Étonnamment, travailler avec une pop star n’a pas endommagé la street cred de Mike. Pour Jon Platt, cela s’explique du fait que « ce n’est pas Mike Will qui a fait un pas vers Miley Cyrus. C’est elle qui est allée vers Mike Will. » Peu après la sortie de « We Can’t Stop », Mike a rejoint Jimmy Iovine chez Interscope Records. (Un an plus tard, Iovine partait pour Apple.) « Quand j’ai rencontré Mike, je lui ai donné un label sur-le-champ », se rappelle-t-il. « Dès que j’ai entendu le premier morceau, j’ai su. »

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Le lendemain de ma visite à Electric Feel, Mike et moi nous sommes revus à Santa Monica. Ces dernières années, il fait la navette entre L.A. et Atlanta et passe de plus en plus de temps sur la côte Ouest, à mesure que sa carrière avance. « À L.A., je suis CEO », dit-il. Aubrey Potter et Brian Wright, les deux associés principaux de Mike dans Ear Drummer, voyagent souvent avec lui. Parmi les artistes de son label, en plus de Joseph Antney, il y a Eearz et Jace, deux rappeurs en solo, et Rae Sremmurd. Ce duo de rappeurs composé de deux frères venus de Tupelo, dans le Mississippi, sont ses artistes les plus populaires jusqu’à présent. (Leur nom imprononçable est simplement Ear Drummers à l’envers.) Leur premier album, SremmLife, a récemment été disque de platine. Mike se charge également de leurs clips et contribue au design des polices de caractère et du graphisme qui donne au groupe son caractère visuel. « Si tu es un super-producteur, tu peux produire n’importe quoi », dit Mike en s’adossant à une balustrade sur la promenade de Santa Monica. « C’est ce que je vise. » Pour y parvenir, Mike a récemment fait l’acquisition d’une caméra Red pour tourner des clips musicaux. « Y a pas mieux que la Red », affirme-t-il. « Quand j’ai commencé à tourner des clips, je payais 10 000 dollars juste pour en louer une. J’ai fini par me dire qu’avec tous les clips que je tournais c’était con de pas avoir ma propre Red. Donc j’ai dépensé environ 100 000 dollars pour en acheter une. Sur mon argent. Boom ! Si on veut on peut même tourner un film. Et pourquoi pas ? On utilise les outils qu’on a à portée de main. »

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Mike et Rae Sremmurd
Crédits : DR

Nous remontons à pied le boulevard Wilshire jusqu’à l’hôtel Fairmont, où crèche Mike. À la réception, deux enfants aux visages espiègles donnant la main à leurs parents semblent hypnotisés par sa chaîne en or. Précédemment, à l’hôtel Four Seasons d’Atlanta, j’avais vu deux femmes blanches se tapir dans le coin d’un ascenseur quand Mike est entré. Quand j’ai évoqué leur réaction après coup, Mike m’a dit : « Faut que tu comprennes que j’ai aussi peur d’eux qu’ils ont peur de moi. Ils pourraient tous me tomber dessus parce que je fume de la weed à l’étage ou je ne sais quoi. Bordel ! Être jeune, black et avoir du succès, c’est un rêve là d’où je viens. Mais nos rêves, c’est le cauchemar de l’Amérique. Ces bourgeois, ils savent pas comment le prendre. Ils me voient débarquer dans le hall avec mes chaînes en or et mon futal ballant, et ils se disent : “C’est qui ce mec ?” ou bien : “Merde ! Pourquoi on n’a pas réservé une chambre plus haut ?” ou : “Putain ! Comment ça se fait qu’il conduise une Mercedes S63, c’est un dealer ?” » La S63 que Mike Will conduit lorsqu’il est à Atlanta est une berline Mercedes blanche de première classe, avec des jantes couleur or et des sièges massants. « J’ai même un réfrigérateur intégré dans le siège arrière, rempli de putains de jus de fruits bio ! » s’amuse Mike. « Ils se demandent si j’ai pas volé la voiture. L’autre fois, il y a un flic qui m’a fait descendre de voiture. Il m’a dit : “Dis-moi la vérité, c’est la voiture de qui ?” Je lui ai répondu : “Mec, c’est la mienne. Prends mon permis, vérifie les plaques et fous le camp.” » À l’hôtel Fairmont, une femme bien habillée est installée au bar devant son ordinateur portable, sur lequel elle regarde des rushs vidéos. Mike lui demande si elle réalise des films. Elle explique que sa société de production vient juste de finir de tourner une publicité pour une compagnie de voyage. « Elle va être diffusée pendant Grey’s Anatomy… Je ne sais pas si vous connaissez ? » demande-t-elle en affichant un air perplexe. shotonred_small_transparent-212Mike regarde à nouveau la vidéo. « Avec quelle caméra vous avez tourné ça ? » demande-t-il. « On a utilisé une Alexa », dit-elle. « Vous avez entendu parler de la caméra Red ? » « Oui, bien sûr », répond-elle. « C’était la meilleure il y a quelques années mais l’Alexa l’a remplacée. » Elle fait ensuite la liste exhaustive des caractéristiques qui font que l’Alexa est supérieure à la Red. Mike garde contenance. « Combien elle coûte, cette caméra ? » « Oh, on ne les achète pas ! On se contente de les louer », dit-elle. « C’est comme les téléphones, elles deviennent plus performantes et plus abordables chaque année. » Là-dessus, elle retourne à son écran.

Dans le club

Arrivé en 2013, Mike Will pouvait travailler avec qui il voulait. C’est ce qu’il a fait, d’ailleurs. Pharrell Williams a retrouvé un peu de la vibe urbaine de ses débuts avec Skateboard P en collaborant avec Mike sur « Move That Dope », en 2014. La graine qui deviendrait « Formation », qu’il a composé pour Beyoncé, a été plantée par Swae Lee – un des deux membres de Rae Sremmurd – et A Pluss, un des beatmakers permanents d’Ear Drummers (il est ami avec Mike depuis le lycée). A Pluss a commencé à travailler sur le beat à Atlanta et Mike l’avait sur son téléphone alors qu’il roulait de L.A. à Coachella en compagnie Lee et son frère, en 2014. « On était au milieu du désert », raconte Mike. « On improvisait sur le beat et à un moment Swae Lee a dit : “OK les filles, on se met en formation.” On a enregistré ça sur VoiceNote. Swae Lee en avait tellement sur son téléphone qu’il ne pouvait plus enregistrer mais il fallait absolument qu’on garde ça. Ça pouvait faire un putain de morceau pour les meufs, un truc très girl power. J’avais une vision claire du truc. » Quand ils sont rentrés de Coachella, ils ont loué un studio et Swae Lee « a fini par cracher ce qu’il avait ».

Mike a regardé Beyoncé interpréter sa chanson à la mi-temps du Super Bowl chez Iovine.

L’année d’avant, Mike avait espéré travailler avec Beyoncé. Il avait été convié à New York par Jon Platt, de Warner/Chappell, pour travailler sur le morceau « Beach Is Better » de l’album de Jay Z Magna Carta . . . Holy Grail. Sa collaboration avec Jay Z s’est bien passée mais ça n’a rien donné avec sa femme. Mike Will a retenté sa chance en envoyant le morceau, avec cinq ou six autres, à Beyoncé et son équipe. Platt, leur producteur à tous les deux, s’est assuré qu’elle les écoute. Quelques mois après, Mike était à Los Angeles pour voir un match de basket entre les Clippers et les Cavaliers. Il connaissait l’agent de LeBron James, Rich Paul, car il avait produit en 2013 le morceau de John Legend « My Shoes », qui accompagnait la pub mémorable de Nike dans laquelle LeBron court à travers les rues de Miami. Ils avaient réservé dans le même hôtel et Paul a invité Mike à se joindre à LeBron et ses amis après le match. Mais Mike s’est endormi dans sa chambre. « Je me suis réveillé à deux heures du mat’ », se souvient-il. « J’avais des appels en absence et j’ai rappelé Rick. Je lui ai dit : “Désolé, mec, vous êtes probablement rentrés à l’hôtel vu l’heure” et il m’a dit : “Non, on est encore là-bas.” Alors j’y suis allé et j’ai discuté avec LeBron et les Cavaliers. Là-dessus, Jay Z et Beyoncé sont arrivés. C’était vraiment un rêve pour moi. Une heure plutôt, je ronflais dans ma chambre et là j’étais assis avec Jay Z, Beyoncé et LeBron. Et Bey m’a dit : “Tu sais quoi, j’aime beaucoup l’idée de ‘formation’” On en a discuté un moment et elle est restée sur son impression. » « On voulait faire un genre d’hymne féminin », continue Mike. « Parce qu’à la base je voulais faire un banger avec Beyoncé, comme “Single Ladies”, mais je voulais aussi que ce soit un chant puissant. » De retour à New York, Beyoncé a écrit les couplets du morceau en conservant l’élément central de « se mettre en formation ». La chanson a pris de l’ampleur jusqu’à devenir à la fois un hymne pour Black Lives Matter et une chanson intime à propos de sa famille. « Et là, “Big Jon” » – Jon Platt – « m’a appelé et m’a dit que c’était dingue. Il fallait à tout prix que j’écoute ça. »

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Mike Will, Jay Z et Beyoncé
Crédits : DR

Mike est allé à New York et a passé une semaine en studio avec Beyoncé à enregistrer le morceau. « Elle a pris la petite idée qu’on avait eue sur le chemin de Coachella, elle l’a mise dans une casserole, elle a remué et ce qui en est sorti était fou. Lorsqu’elle prend des idées et qu’elle les mélange aux siennes, ça donne un chef-d’œuvre. Elle est très douée pour la collaboration », dit-il. « C’est ce qui fait de Beyoncé ce qu’elle est : elle sait ce qu’elle veut. Beaucoup de gens n’en ont aucune idée. Au point où vous pouvez leur faire écouter un putain de son et ils vous diront : “Non, ça le fait pas. Je veux un hit, mec.” Je leur réponds que c’en est un. Après s’ils veulent enlever telle ou telle partie, ils sont libres de le faire et de les remplacer par leurs idées, on fera en sorte que ça marche. Mais il y a des gens qui veulent qu’on leur serve sur un plateau. Ils ne comprennent pas que c’est tout un processus de réussir une chanson pareille. Ça fonctionne par couches. Des couches et des couches et des couches. » Mike a regardé Beyoncé interpréter sa chanson à la mi-temps du Super Bowl chez Iovine, à Los Angeles, entouré par Jimmy et ses amis. « Je vais pas te mentir », dit-il. « J’étais devant la télé avec quatre milliardaires. Je me suis dit : “Putain, faut que je taffe encore plus. J’en suis qu’au début.” Sans déconner, c’était lourd. »

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La plupart des productions récentes de Mike Will pour des artistes qui ne sont pas sur son label ne sont pas encore sorties. Il y a la suite de sa mixtape RansomRansom 2, sur laquelle apparaissent Chief Keef, Big Sean, Future et Young Thug. Mike a aussi de quoi faire deux albums complets avec les morceaux qu’il a composés pour des stars. Il espère les voir sortir dans l’année, ainsi qu’un projet pop et un album intitulé Backwoods n Apple Juice, qu’il décrit comme « l’album parfait pour fumer et chiller ». Le premier single de Ransom 2, un morceau de Rihanna baptisé « Nothing Is Promised », est sorti au mois de juin dernier.

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Va-t-il changer de pochette vu que Gucci est sorti ?

Les mixtapes sont depuis longtemps une caractéristique du monde du hip-hop. Elles peuvent être faites beaucoup plus rapidement qu’un album, en partie parce que ce n’est pas grave si la prod est moins léchée. Une mixtape doit « saisir une ambiance », comme Mike dit souvent quand il décrit sa musique. Mais la plus grande différence entre une mixtape et un album studio réside peut-être dans le fait que les beatmakers n’ont pas à payer les droits des samples. Techniquement, les samples présents sur les mixtapes ne sont pas légalement autorisés, mais comme elles ne sont pas commercialisées ils ne risquent pas de procès. Mike en a sorti cinq avant Ransom, en 2014. Ses fans attendent – avec impatience, au vu des commentaires postés sur Twitter – la sortie de Ransom 2, qui était initialement prévue pour le 29 janvier dernier.

L’une des raisons du report est que, contrairement aux précédentes, qui avaient été postées gratuitement sur Internet, Ransom 2 sera payante. Ça fait partie du partenariat entre Mike et Interscope. Il ne semble pas être ravi de cet arrangement, mais il n’a pas d’autre choix que de s’y plier. « On fait du business ensemble, c’est comme ça », dit-il. Mike et ses co-producteurs doivent donc retrouver les ayants droit de chaque sample et négocier leur part sur les bénéfices de l’album. Comme il n’y a pas de limite à la taille de la part que les ayants droit peuvent réclamer, la plupart ont d’emblée des exigences démesurées – en demandant par exemple 75 % des bénéfices pour l’utilisation d’une séquence de percussions ou d’une mélodie de deux secondes. Ils empêchent la sortie de l’album jusqu’à ce qu’ils trouvent satisfaction. Tout cela est nouveau pour Mike et son équipe qui, en dépit de leur succès précoce en tant que producteurs, ont encore beaucoup à apprendre en matière de partage de royalties. « Il a l’esprit d’un entrepreneur », dit Jimmy Iovine en parlant de Mike. « Il se bat, il travaille dur et il a des idées brillantes. Maintenant, il faut qu’il aille au bout des choses. S’il y arrive, il pourrait avoir une carrière extraordinaire. » « J’apprends au fur et à mesure », dit Mike. « Le premier tour de piste, c’est pareil pour tout le monde. Si les fans ne le voient pas et ne respectent pas ça, c’est que ce ne sont pas de vrais fans. »

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Mike est resté pendant plusieurs semaines à Los Angeles après notre rencontre. Il se trouve que j’étais de passage à Atlanta le jour de son retour, et il a accepté qu’on fasse un tour dans sa Mercedes S63, qui l’attendait à l’aéroport depuis un mois. Les « putains de jus de fruits bio » du réfrigérateur de sa voiture avaient fermenté dans la chaleur pendant tout ce temps et l’intérieur de la voiture sentait le pourri. « Putain de merde ! Ça fait chier ! » répétait Mike en filant sur la route, fenêtres baissées, jusqu’à l’appartement de Brian Wright, son directeur marketing. Il devait y retrouver un ami qui avait une station de lavage-auto mobile.

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Crédits : Ear Drummer

Cette nuit-là, A Pluss organisait une fête d’anniversaire dans un club. Mike s’est pointé là-bas tard, sur les coups d’1 h 15. Quand il est entré dans le club entouré de sa suite, le DJ l’a immédiatement repéré : « Mike WiLL Made-It est dans la place ! » Tout le monde s’est retourné. Le lieu était en fait une grande boutique minimaliste, avec du béton nu du sol au plafond, des fringues éparpillées ici et là et des gens partout en train de danser sur les tables et les canapés. De temps à autre, un rappeur montait sur scène et posait sur un beat. Mike est monté dans la cabine, il a passé quelques morceaux avant de redescendre. Au bar, il y avait un type tout habillé de blanc. Mike le connaissait depuis qu’il était ado, à Marietta. Le type était en rogne parce que le DJ avait refusé de passer le morceau qu’il essayait de vendre. Il était de toute évidence complètement ivre. Il a engueulé Wright et lorsque Tay – l’ami de Mike – est arrivé, le ton est encore monté. « Mec, ils ont pas voulu me donner le micro pour que je rappe ! » a dit le type en blanc. « Faut que tu comprennes qu’il y a une différence entre frapper aux portes et les enfoncer », a répondu Mike en le prenant par les épaules. « Tu peux pas obliger les gens à aimer ce que tu fais. Il faut que tu fasses de la musique qui se fait aimer des gens. » Mike lui a parlé pendant cinq bonnes minutes avant que le club ne ferme et qu’on se dirige vers la sortie.

De retour dans la voiture, il a laissé sa colère s’exprimer. « Il pense que je peux faire quelque chose pour lui et rendre son truc lourd, mais c’est pas comme ça que ça marche. Il faut que ce soit lourd à la base. » Mike a fermé les yeux et secoué la tête. « Le gars était chaud il y a douze ans et il vient encore dans les mêmes soirées avec les mêmes promoteurs pour essayer de vendre sa came. Et ils veulent que je me mette à sa place ! Mais je me mets à sa place putain, et il faut vraiment qu’il change quelque chose ! »

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Crédits : Max Hiva


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article «  », paru dans le New Yorker. Couverture : Mike WiLL Made-It.


COMMENT LE CRIME ORGANISÉ A FAIT D’ATLANTA LA CAPITALE MONDIALE DU RAP

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Derrière la façade légale du label BMF Entertainment, Demetrius « Big Meech » Flenory était à la tête d’un empire de la drogue : la Black Mafia Family.

I. Big Meech

Demetrius « Big Meech » Flenory ne se contente pas « d’arriver en boîte » ; on ne voit plus que lui dès le moment où il fait son entrée. Les signes annonciateurs de son arrivée, ce sont les voitures : des Bentley, des 4×4, des Lamborghini et des Porsche se garent le long du trottoir, telles des mannequins sur un podium, et quand tous leurs passagers en sont descendus, c’est au tour des bus de tournée de faire leur entrée. En face des boîtes de nuit qui longent les rues de Midtown Atlanta à South Beach Miami, les lumières aveuglantes des lampadaires se reflètent sur ce cortège d’automobiles dont la valeur s’élève à plusieurs millions de dollars. giphyPuis vient sa bande. Comme Meech aime à le répéter, tous les membres font partie de la famille : « On est comme des frères. Nous ne faisons qu’un. » Mais à l’instar de n’importe quelle garde rapprochée, il existe clairement une hiérarchie. En vous frayant un passage à travers la foule (si vous y parvenez), vous rencontrerez tout d’abord les guetteurs, qui vous toisent de façon menaçante. Continuez d’avancer et vous constaterez un changement d’ambiance. Moins de gardes, plus d’egos. Approchez encore et tout devient calme, l’ambiance est détendue et confiante, tout est sous contrôle. C’est à ce moment-là que vous saurez que vous êtes auprès de Meech. Mais ne vous y trompez pas, son attitude relax et son air impénétrable sont susceptibles d’être ébranlés. Il y a des choses que Meech ne tolère pas, et l’une d’elles allait se produire le 11 novembre 2003.

C’était le grand soir, celui que Meech et les résidents du quartier de Buckhead redoutaient depuis longtemps – pour des raisons complètement différentes. Au cours des dernières années, des événements violents et largement relayés par les médias ont secoué le quartier des bars de Buckhead. Le crime le plus mémorable est l’agression à l’arme blanche qui a eu lieu juste après le Super Bowl. Le deuxième ligne de l’équipe des Baltimore Ravens, Ray Lewis, a été arrêté (et acquitté après qu’on a jugé qu’il s’agissait d’un délit mineur). Cela s’est passé il y a trois ans, à côté du Cobalt Lounge. À environ un pâté de maison de là, au niveau du croisement entre la rue Peachtree et le boulevard East Paces Ferry, une boîte de nuit tout aussi imposante et tape-à-l’œil était en train de se faire un nom : le « Chaos », une des boîtes les plus tendances du moment. Shaquille O’Neal et Eminem venaient y faire la fête, et les soirées hip-hop du lundi étaient toujours réussies. Les amateurs s’y pressaient par centaines, quand pour les autres boîtes de nuit, le lundi était une soirée calme. Mais ici, la seule chose qui tournait au ralenti le lundi soir, c’était la file d’attente.

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